Quand les rôles changent
L’ambulance fonçait à toute allure dans les rues d’Austin. Le hurlement de la sirène vibrait jusque dans la poitrine de TK, assis sur le siège passager. A ses côtés, Nancy gardait les yeux rivés sur la route, le visage fermé, concentrée. Tommy, elle, était assise à l’arrière.
La radio grésilla, la voix d’Owen résonnant dans l’habitacle :
— Ici le Capitaine Strand, on est encore à dix minutes. Grace, qu’est-ce qu’on a exactement ?
Un silence lourd précéda la réponse, comme si chaque mot pesait.
— Explosion au parking de l’avenue Collins, expliqua Grace, sa voix tendue mais claire. Deux officiers pris au piège sous les décombres. L’un est blessé mais conscient… l’autre est grièvement atteint.
TK sentit son estomac se nouer. Il n’avait pas besoin d’entendre la suite. Pourtant, les mots tombèrent, implacables :
— C’est Carlos… Capitaine Strand.
Le cœur de TK se serra comme si une main invisible l’écrasait. Sa respiration se bloqua un instant. Nancy jeta un coup d’œil vers lui, comme pour vérifier qu’il ne s’effondrait pas.
Owen reprit, la voix plus ferme, presque autoritaire :
— Grace, mets-moi directement sur la fréquence de l’unité sur place.
Un nouveau grésillement, puis la voix de Sophia résonna, hachée par les interférences :
— Ici Moreno… Je suis avec l’agent Reyes.
Avant même qu’Owen ne puisse répondre, TK bondit, arrachant la radio du support.
— Comment il va ? Quel est son état ?
Un silence chargé de bruits parasites : craquements de béton, souffle court, un gémissement étouffé. Puis Sophia, haletante :
— Il… Il respire mal. Sa jambe est écrasée. Et… il perd beaucoup de sang.
Un bruit plus distinct filtra alors, comme un souffle douloureux, et TK sentit son cœur s’arrêter.
— …TK ? murmura une voix rauque, presque imperceptible. T’inquiète pas… je suis encore là…
Le souffle s’interrompit dans un râle de douleur, suivi d’un silence inquiétant.
— Carlos ?! CARLOS ! hurla TK dans la radio, le désespoir lui broyant la gorge. Tiens bon bébé, tu m’entends ? On arrive, je vais te sortir de là, je te le promets !
Les pneus crissèrent sur l’asphalte encore fumant quand l’ambulance freina sec devant le stationnement effondré.
TK bondit dehors, son sac médical déjà sur l’épaule. Mais avant qu’il ne puisse courir, une voix tonna :
— TK ! Stop !
La voix résonna comme un coup de tonnerre. Owen, casque sur la tête, le visage dur mais les yeux remplis d’inquiétude, se planta devant lui et posa une main ferme sur son torse.
— Tu n’y vas pas.
TK sentit son cœur s’emballer, la gorge serrée :
— C’est mon fiancé là-dessous ! Tu crois que je vais rester planté ici pendant que Carlos saigne à mort ?
Autour d’eux, le reste de la 126 attendait, tendu, les radios crépitant à intervalles réguliers. Owen haussa la voix pour imposer le calme :
— On ne sait pas à quoi ça ressemble sous les gravats ! Il faut faire entrer une équipe pour stabiliser la structure avant de s’occuper des victimes.
TK secoua la tête, les yeux rouges et brillants de colère et d’inquiétude :
— On doit sortir Carlos ! On ne sait même pas dans quel état il est !
— TK ! Tu attends les ordres ! Pour l’instant, c’est moi qui y vais, dit Owen d’un ton sec, mais ferme.
TK savait que son père était le plus qualifié pour ce genre de sauvetage. Il avait déjà vécu l’effondrement d’une tour le 11 septembre, l’adrénaline et la peur encore gravées en lui.
Owen prit une profonde inspiration et se tourna vers le reste de l’équipe :
— Judd, tu prends le relais ici. Mathéo, tu viens avec moi. On s’équipe immédiatement. Paul, Marjan, préparez les vérins hydrauliques, encrage, cordes. Tommy, Nancy vous vous tenez prête et vous surveillez TK, compris ?
TK resta figé à côté de l’ambulance, son sac médical encore en bandoulière, regardant Mathéo et Owen s’équiper et entré sous les gravats. Il garda l’oreilles tendues vers la radio qui grésillait sans répit. Chaque crépitement, chaque souffle transmis à travers les ondes lui paraissait assourdissant.
La voix de Sophia éclata, hachée par les interférences :
— …Capitaine Strand… l’état de l’agent Reyes se dégrade. Son pouls est instable. On a besoin d’un soutien immédiat !
Le sang de TK se glaça. Son estomac se contracta si violemment qu’il crut qu’il allait vomir. Ses doigts se crispèrent sur le boîtier radio accroché à sa veste.
— J’entre, souffla-t-il entre ses dents, comme une promesse.
Il fit un pas vers le camion, mais une main lourde se posa sur son épaule.
— Attends, gamin, fit Judd. Je sais que c’est dur, mais on ne fonce pas dans une structure instable. Si ça s’effondre, tu seras une victime de plus à sortir.
— Tu n’es pas mon capitaine ! hurla TK, les yeux injectés de larmes.
Tommy, restée en retrait mais prête à intervenir, avança d’un pas, son ton ferme mais maternel :
— TK, écoute-moi. Tant que le capitaine n’a pas donné le feu vert, je ne te laisserai pas passer. Tu sais ce que c’est : on entre pas dans une zone effondrée sans sécurisation. Tu veux aider Carlos ? Alors tiens-toi prêt, et reste en état de le sauver quand il sortira.
TK agrippa sa radio attacher à sa veste, tremblant de la tête aux pieds. Ses ongles s’enfonçaient dans le plastique de sa radio.
— Papa… murmura-t-il en pressant le bouton. Papa, ça ressemble à quoi là-dessous ?
Un long silence suivit, seulement ponctué par les craquements du béton chauffé et les sirènes qui hurlaient au loin. Puis la voix grave d’Owen jaillit, légèrement haletante :
— TK… c’est un vrai champ de mines. La dalle du troisième étage est sur le point de céder. On a du métal tordu, des points d’appui instables. Mais, il y a une poche d’air où Carlos est coincé. Paul ? On va essayez de mettre les vérins hydrauliques en place pour stabiliser la zone. Marjan, je veux la scie thermique prête.
La radio grésilla de nouveau, la voix de Sophia, brisée par la panique, jaillit dans l’habitacle.
— …Capitaine… je… je ne sens plus le pouls de Reyes ! Son thorax ne bouge presque plus !
Un silence de plomb s’abattit autour de l’ambulance. TK sentit son sang se glacer.
Tommy réagit aussitôt, sa voix ferme et sans appel :
— Moreno, écoutez-moi ! Positionne tes mains au centre du sternum et commence les compressions, fort et régulier. Compte à voix haute ! Trente compressions, puis deux insufflations si tu peux dégager ses voies aériennes. Tu m’entends ? Garde le rythme !
Au loin, dans le grésillement, on perçut le souffle saccadé de Sophia qui obéissait, ses chiffres hachés résonnant dans la radio :
— …un, deux, trois, quatre…
TK tremblait de tous ses membres. Chaque nombre lui arrachait un morceau de cœur. Son regard se fixa sur le chaos du parking effondré devant lui, comme si la distance qui le séparait de Carlos n’était qu’un mur invisible qu’il devait briser.
Il arracha la radio de sa veste, sa voix éclatant d’une rage mêlée de peur :
— Papa, j’entre !
Un crépitement, puis la voix d’Owen claqua, tendue :
— Négatif, TK ! Tu restes en arrière, c’est un ordre !
— Non ! hurla-t-il, sa gorge serrée. Tu crois que je vais rester ici pendant qu’il meurt là-dessous ?! J’ai les deux qualifications. Je sais comment entrer dans des structures instables. Et je suis le seul ici capable de le soigner immédiatement, tu comprends ?!
La radio saturait du son des compressions de Sophia. Sa voix brisée comptait à toute allure :
— …vingt-huit… vingt-neuf… trente…
Le silence qui suivit sembla durer une éternité. TK sentait son cœur cogner si fort qu’il croyait l’entendre résonner dans son casque. Autour de lui, personne n’osait bouger. Judd gardait la main sur son épaule, Tommy le surveillait du coin de l’œil, prête à intervenir si Owen refusait encore.
Puis la voix du capitaine fendit enfin les ondes, grave, résolue :
— …TK. Va t’équiper.
Un souffle échappa à TK, mélange de soulagement et de terreur. Il n’attendit pas qu’on le répète : déjà, il attrapait son casque, vérifiait la lampe frontale fixée dessus, tirait les sangles de son harnais de sécurité. Marjan surgit avec une corde d’ancrage et lui fit passer la ceinture autour de la taille, ses mains rapides mais précises.
— Je te garde en tension constante, dit-elle d’une voix ferme.
TK hocha la tête, le souffle court. Il arracha son sac médical compact du camion et le passa en bandoulière. Ses doigts tremblaient, mais chaque geste suivait une mécanique bien huilée : vérification de l’oxygène portable, contrôle de la valve du BVM, kit de perfusion glissé dans la poche latérale, garrots et pansements compressifs à portée de main. Ses mains tremblaient de peur, mais ses réflexes restaient ceux d’un pro formé pour la crise.
— Capitaine, transmit Judd dans la radio, la voix grave. TK est équipé. Il est prêt à entrer.
Un long silence, seulement brisé par les gémissements métalliques de la structure qui menaçait encore de s’effondrer. Puis la voix d’Owen jaillit dans le haut-parleur, ferme, mais chargée d’un poids paternel difficile à masquer :
— Bien reçu… Écoute-moi, fils. Tu entres comme pompier-secouriste, pas comme fiancé. Tu suis les ordres à la lettre. Tu restes en communication constante avec Tommy. Tu localises Reyes, tu le dégages, tu le stabilises, et tu les sors tous les deux. Et si tu reçois l’ordre d’évacuation, tu obéis immédiatement. Pas de discussion. Compris ?
TK serra la radio si fort que ses jointures blanchirent. Sa gorge se noua, mais il réussit à souffler :
— Reçu, capitaine.
Il ajusta sa visière et testa une dernière fois la lampe. Judd posa une main lourde sur son épaule, un geste à la fois protecteur et fraternel.
— Tu sais ce que tu fais, cowboy. Reste concentré. Et ramène-le.
TK inspira profondément, son cœur battant comme un tambour dans sa poitrine. Chaque seconde comptait, et derrière ce chaos de béton et d’acier, la vie de Carlos s’accrochait au fil des compressions de Sophia.
TK s’agenouilla au bord de l’ouverture béante. Il cala sa radio à l’épaule, puis se glissa à plat ventre dans l’espace étroit, lampe fixée au casque découpant un faisceau tremblant entre les poutres tordues. Chaque mouvement faisait grincer l’acier au-dessus de lui, comme si le moindre faux pas allait déclencher un nouvel effondrement.
— Progression lente, déclara-t-il. Je rampe sous la travée nord. Stabilité précaire mais praticable.
— Garde trois points d’appui en tout temps, TK, rappela Owen dans la radio. Et signale chaque changement de structure.
Il continua d’avancer, les coudes râpant contre le béton. Puis, soudain, une silhouette apparut dans la lumière : Sophia, agenouillée dans un triangle de débris, ses mains crispées sur la poitrine de Carlos.
— Ici ! souffla-t-elle, essoufflée.
TK s’approcha, son cœur bondissant dans sa poitrine. Carlos gisait sur le dos. Son torse se soulevait à peine.
TK attrapa sa radio :
— Tommy, j’ai Carlos en visuel, souffla TK dans la radio. Il est inconscient. Respiration agonale, pouls carotidien filant, thorax comprimé. Besoin d’instructions.
La voix de Tommy résonna, ferme et rapide :
— Priorité : voies aériennes. Vérifie obstruction. S’il n’y a rien, BVM avec O₂ haut débit. Ensuite, IV large calibre, solution saline.
— Reçu.
TK glissa son sac médical entre les débris, sortit le BVM et un réservoir d’O₂ portable. Il bascula le menton de Carlos, inspecta rapidement la cavité buccale. Pas d’obstruction visible, juste un peu de poussière et du sang séché.
— Voies aériennes dégagées.
Il plaça le masque, pressa le ballon. La poitrine se soulevait avec difficulté.
— Ventilation assistée, volume limité. Suspect pneumothorax.
— Monitoring si possible. Prépare-toi à une décompression si la saturation chute, ordonna Tommy.
TK fixa rapidement les électrodes du scope portatif. L’écran s’alluma : rythme bradycarde, irrégulier. Sa gorge se serra.
— Bradycardie sévère, saturation 72 %.
Sophia, les mains encore tachées de poussière, le regarda paniquée.
— Ça veut dire quoi ?
TK ne répondit pas, d’un geste sur il sortit le garrot veineux de sa trousse. Il choisit l’avant-bras gauche, la veine à peine palpable sous la peau froide de Carlos. Ses doigts tremblaient mais son geste resta sûr, précis, automatique.
— Tentative IV en céphalique gauche, annonça-t-il à la radio.
L’aiguille pénétra, le reflux de sang confirma l’insertion. Il fixa la voie et raccorda la tubulure.
— Tiens ça, s’il te plait, dit-il en tendant à Sophia la poche de NaCl. Garde-la en hauteur.
— Perfusion établie, débit ouvert, confirma-t-il à Tommy
Sa capitaine répondit aussitôt, sa voix ferme mais vibrante d’urgence :
— Bien. Maintiens un remplissage prudent. Contrôle les poumons toutes les deux minutes. Et prépare-toi à une décompression à l’aiguille si saturation continue de chuter.
TK pressa de nouveau le ballon. L’air peinait à entrer. Il approcha son stéthoscope du thorax de Carlos — côté droit, murmure respiratoire réduit ; côté gauche, silence presque total. Sa gorge se serra.
— Tommy, murmure gauche absent. Jugulaires distendues, hypotension probable. J’ai les signes d’un pneumothorax sous tension.
Un silence tendu s’installa dans la radio, puis Tommy lança :
— Alors tu ne perds pas une seconde. Aiguille de gros calibre, deuxième espace intercostal, ligne médio-claviculaire. Tu sais ce que tu fais.
TK s’exécuta. Il leva les yeux vers Sophia, qui retenait son souffle, les yeux écarquillés.
— Retiens-le bien, souffla-t-il. Ça va être brutal, mais c’est notre seule chance.
Il palpa rapidement le torse de Carlos, trouva l’espace intercostal, désinfecta à la hâte et, d’un geste ferme, inséra l’aiguille.
Carlos eut un sursaut, son thorax se soulevant davantage sous la ventilation assistée. L’écran du scope montra une remontée progressive de la saturation : 72 %… 78 %… 83 %.
— Décompression réussie ! annonça TK, la voix brisée mais pleine d’espoir. Saturation en amélioration, murmures respiratoires en retour.
Sophia laissa échapper un sanglot, ses épaules secouées de soulagement.
— Oh mon Dieu… il revient…
— TK… murmura Carlos, la voix rauque, presque un souffle.
TK sentit un frisson lui remonter le long de l’échine.
— Carlos ? Je suis là… Respire doucement, murmura-t-il.
Carlos toussa faiblement, un râle rauque qui dégagea un peu de ses voies respiratoires. La poitrine se souleva un peu plus, régulière mais encore fragile.
— Qu’est-ce que… tu fous ici ? murmura-t-il avec un faible sourire.
— Tu n’avais pas assez de mourir des mains de la mère d’un psychopathe, fallait en plus que tu te fasses écraser par une tonne de béton ? répliqua TK, un mélange d’inquiétude et d’humour noir dans la voix.
Carlos esquissa un rire rauque, suivi d’une grimace de douleur.
— Ne me fais pas rire… souffla-t-il.
TK secoua la tête, un sourire crispé aux lèvres.
— T’as intérêt à te battre pour rester en vie, fit-il, les yeux rivés sur lui.
Un grésillement interrompit le moment. La voix de Tommy traversa la radio, tendue mais claire :
— TK ? Au rapport ?
TK leva la radio, gardant une main sur le thorax de Carlos pour sentir chaque respiration.
— Tommy, Carlos est conscient mais encore faible. Respiration fragile, pouls filant, saturation en amélioration après la décompression. On a établi une IV, perfusion ouverte. Je garde la ventilation assistée avec BVM.
— Reçu, répondit Tommy. Bien, continue comme ça.
Owen surgit à la lisière de l’ouverture, casque vissé, yeux scrutant chaque gravât.
— TK, comment il va ? demanda-t-il, la voix ferme mais tendue.
— Il est stable.
— Bien, Mathéo commence par évacuer l’agent Moreno.
Tandis que Mathéo et Owen aidait Sophia à évacuer, TK se pencha au-dessus de Carlos, ajustant le masque pour maintenir une ventilation régulière.
— Hé, bébé? demanda-t-il doucement, cherchant ses yeux. Où est-ce que t’as le plus mal ?
Carlos glissa faiblement sa main vers sa cuisse.
— Ma jambe… souffla-t-il, les dents serrées.
Le cœur de TK se serra. Il glissa rapidement ses mains le long du membre, palpant avec précaution. Au milieu de la cuisse, il sentit une déformation nette, anormale. Carlos hurla de douleur sous la pression, sa respiration s’accélérant brutalement.
— Ok, ok, respire mon coeur … Je suis désolé, je sais, ça fait mal, murmura TK d’une voix tremblante.
Mais ses yeux s’assombrirent en sentant plus bas, vers la cheville. La peau était froide, le pouls difficile à percevoir. Un frisson glacé lui parcourut l’échine.
— Merde… la circulation passe mal…
Il attrapa la radio d’une main fébrile.
— Tommy. La jambe de Carlos est sévèrement fracturée. Je ne sens presque plus de pouls. Je vais devoir la réaligner pour rétablir la circulation.
Un silence tendu, puis la voix ferme de Tommy répondit :
— TK, fais-le immédiatement. Administre-lui de la morphine avant de manipuler. Ensuite, réaligne doucement dans l’axe.
Il sortit rapidement une seringue de morphine de la trousse, l’air déterminé malgré ses mains qui tremblaient. Une fois injecter, le visage de Carlos sembla se décrisper légèrement.
— Carlos… écoute-moi, d’accord ? Ça va faire très mal. Mais si je ne le fais pas, tu risques de perdre ta jambe… Je suis là, serre ma main si tu veux.
Carlos hocha faiblement la tête, ses yeux brillants à moitié dans les vapes.
— Fais-le… souffla-t-il, la voix brisée.
TK serra la mâchoire, compta mentalement, puis tira doucement mais fermement pour réaligner l’os.
Carlos hurla, un cri rauque qui se répercuta contre le béton fissuré, son corps se tordant sous les mains de TK.
— Je sais, je sais… je suis désolé ! Tiens bon, mon cœur ! cria TK, le visage déformé par la douleur de son fiancé.
Un craquement sourd se fit entendre, puis la jambe se remit plus ou moins dans l’axe. TK se précipita pour vérifier le pouls pédieux, son cœur battant à tout rompre. Il le sentit, faible mais présent.
— Oui… oui ! Le pouls revient, murmura-t-il, presque en larmes.
Carlos, lui, roulait des yeux, sa respiration saccadée, le front trempé de sueur. Sa main agrippa faiblement la veste de TK, avant de relâcher la prise.
— Carlos ? Hé, reste avec moi… appela TK en lui tapotant doucement la joue.
Les yeux de Carlos se révulsèrent soudain, laissant apparaître le blanc. Son corps frissonna sous les mains de TK.
— Carlos ! murmura TK avec urgence, secouant doucement son fiancé.
— TK, qu’est-ce qui se passe ? demanda Owen en rampant près d’eux.
— Je…. Je…., marmonna TK paniquer.
Puis Carlos commença soudain à marmonner, des mots rapides et confus, en espagnol. Ses lèvres bougeaient difficilement :
— No… no puedo… mamá… mamá, lo siento… no me dejes…
Puis, dans un souffle brisé :
— Te amo, TK… no quiero… morir…
TK fronça les sourcils, la panique au bord de la voix. Il resserra sa prise sur le masque et la tubulure, comme s’il pouvait retenir la vie de Carlos rien qu’avec ses mains.
— Mon cœur… je ne comprends pas ce que tu dis… Tommy, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que je dois faire ? lança-t-il dans la radio, la voix tremblante.
Un grésillement, puis la voix ferme de Tommy s’éleva, comme une ancre dans la tempête :
— TK, écoute-moi. Ce délire est probablement lié au traumatisme crânien combiné à la douleur et la morphine. C’est un effet secondaire classique. Reste concentré. Maintiens ses voies aériennes ouvertes, ventilation assistée BVM continue. Vérifie son pouls carotidien toutes les trente secondes et surveille sa sat.
— Tommy… traduis, s’il te plaît… j’ai l’impression qu’il est en train de me dire adieu… souffla TK, la gorge serrée.
La voix de Tommy se fit un peu plus douce, tout en gardant son autorité :
— Il appelle sa mère, TK. Il te dit qu’il t’aime et qu’il a peur. Il ne t’abandonne pas. Continue exactement ce que tu fais.
Puis soudain, le sol vibra sous TK. Un craquement sinistre résonna au-dessus de lui, suivi d’un nuage de poussière et de petits débris.
— Ce n’est pas bon ça, souffla Owen en fixant le plafond fissuré. Mathéo, vous en êtes où ? demanda-t-il à la radio.
— On approche de la sortie, Capitaine. Je reviens bientôt avec la planche dorsale.
Le sol vibra plus puissant cette fois, chaque craquement du béton résonnant comme un coup de tonnerre. Des nuages de poussière s’abattirent sur eux, et de petits fragments roulèrent entre leurs bottes.
— Owen, ici Judd ! lança la radio, la voix tendue. La structure est en train de céder ! On a des fissures actives dans la dalle, ça devient critique !
Owen leva les yeux, le visage fermé, chaque muscle de sa mâchoire crispé.
— TK ! Évacuation immédiate ! La structure est trop instable, tu sors maintenant !
— Je ne pars pas sans lui ! cracha TK, les yeux rivés sur Carlos.
— Tyler Kennedy ! hurla Owen, sa voix claquante. C’est un ordre !
— Sauf votre respect, Capitaine Strand, je ne suis pas sous vos ordres ! répliqua TK, les mâchoires serrées, chaque mot chargé de défi.
Owen pâlit légèrement, mais son regard demeura dur.
— TK… tu viens de refuser un ordre formel. Tu sais ce que ça implique : insubordination, sanctions disciplinaires, peut-être même la suspension.
— Je m’en fous ! éclata TK, la voix brisée par la peur et la rage. Carlos est entre la vie et la mort ! S’il passe des semaines à l’hôpital… alors j’aurais suffisamment de temps pour prendre soin de lui. Et s’il meurt…
TK ne pu finir sa phrase.
— Fils… tenta Owen, serrant les poings, partagé entre l’autorité et l’angoisse.
— Non, papa ! siffla TK, coupant net. La hiérarchie, je m’en fiche pour le moment. Tu veux m’accuser ? Fais-le. Mais pas avant que Carlos soit sorti d’ici vivant.
Owen arracha sa radio les yeux planter dans ceux de son fils.
— Il nous faut le plan dur immédiatement ! hurla-t-il.
À travers l’ouverture, des silhouettes s’agitèrent. Enfin, Mathéo réapparut, tirant le brancard pliant, chaque mouvement mesuré mais rapide.
— Plan dur en approche ! cria-t-il, glissant l’équipement vers Owen.
— TK, prépare Carlos ! lança Owen. Dès qu’on cale le plan, on le sort !
TK hocha brusquement la tête, le cœur battant à tout rompre. Ses mains tremblaient, mais chaque geste restait précis et méthodique. Il vérifia l’oxygène portable fixé au BVM, resserra la tubulure IV, puis cala délicatement la tête de Carlos entre ses paumes.
— Il me faut une minerve, murmura-t-il. Il faut qu’on l’immobilise avant de le bouger.
— Ici, répondit Mathéo en lui tendant le collet cervical, chaque mouvement sûr et rapide.
Le pompier déploya ensuite le plan dur, le calant tant bien que mal entre deux blocs instables.
— Encore un effort, bébé… je suis là, je te tiens… murmura TK, la voix brisée mais ferme, chaque mot chargé de peur et d’amour.
Mathéo et Owen coordonnaient chaque manœuvre, les yeux rivés sur les débris instables. Le moindre faux pas, et tout pouvait basculer. Ils glissèrent Carlos sur le plan dur, chaque centimètre exigeant une synchronisation parfaite. Le râle de douleur de Carlos s’éleva alors qu’ils le déplaçaient, et ses mots se mélangeaient entre les gémissements.
— TK… no… me dejes…
— Je suis là, murmura TK, caressant sa joue. Respire doucement, ça va aller.
TK maintenait son thorax, veillant à la ventilation assistée, tandis que Mathéo et Owen tiraient la planche hors de l’ouverture. La structure gronda sous eux, un rappel brutal de leur précarité.
Une fois dehors, Tommy et Nancy coururent vers les pompiers avec le brancard.
— Respire, Carlos… On s’occupe de toi… murmura Tommy.
Nancy s’installa au volant de l’ambulance, yeux fixés sur la route, chaque seconde comptait.
— On roule ! annonça-t-elle d’une voix tendue mais précise, enclenchant la sirène.
À l’arrière, TK et Tommy s’activèrent. Masque bien en place, perfusion sécurisée, ils luttaient pour stabiliser un corps qui leur échappait déjà. TK, penché sur Carlos, glissa une main tremblante sur son front moite.
— Je suis là, bébé… je ne te lâche pas…, murmura-t-il, sa voix brisée par l’angoisse.
Le moniteur crachotait des bips irréguliers. Le pouls de Carlos filait. Sa respiration, malgré la ventilation, devenait saccadée, arrachée.
— Tommy… il faiblit…, dit TK, presque à voix basse, comme s’il avait peur que le simple fait de le nommer scelle la chute.
— Il est en train de perdre connaissance, dit Tommy d’un ton sec. Sat en chute, pouls instable. TK, maintiens bien sa tête, je procède à l’intubation.
Les mains de TK se crispèrent autour du crâne de Carlos, ses paumes sentant la moiteur glaciale de sa peau.
Tommy attrapa le laryngoscope, inséra le tube avec une précision froide, ses gestes rapides et sûrs malgré le roulis de l’ambulance.
— C’est dedans ! confirma-t-elle, connectant aussitôt le BVM.
Le thorax de Carlos se souleva lentement sous la ventilation mécanique. Le bip du moniteur se stabilisa un instant, assez pour que Tommy relâche un souffle tendu.
Nancy força un virage serré, l’ambulance hurlant sur l’asphalte.
— Trente secondes, annonça-t-elle.
Les portes de l’hôpital surgirent enfin, silhouettes en blouse courant à leur rencontre. L’ambulance s’arrêta dans un crissement, les portes arrière claquèrent.
— Homme, 28 ans, effondrement structurel, thorax compressé, fracture de la jambe gauche, possible trauma crânien, GCS en chute, intubé, perfusion en place ! lança Tommy en déboulant le brancard vers l’intérieur.
TK trottinait à côté, la main crispée sur celle de Carlos jusqu’à ce qu’on le lui arrache en franchissant les portes des urgences.
— On le prend, salle de trauma directe ! cria un médecin.
Les battants se refermèrent brutalement, laissant TK figé, le souffle coupé, son monde soudain réduit à ce silence glacé.