Quand les rôles changent

Chapitre 3 : Le poids de l’impuissance

1616 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 04/10/2025 02:04

Dans la salle d’attente, TK ne tenait pas en place. Ses pas claquaient sur le carrelage, d’un bout à l’autre de la pièce. Il regarda sa montre pour la troisième fois dans la même minute.

— Pourquoi on n’a pas de nouvelle ?! lâcha-t-il, les mains tremblantes, ses yeux rougis fixés sur les doubles portes closes.

— TK… respire, dit doucement Tommy en posant une main ferme sur son épaule. Ils font ce qu’il faut. Il est entre de bonnes mains.

Nancy, assise sur une chaise droite, les mains jointes, suivait du regard son ami qui tournait en rond.

— TK… viens t’asseoir deux minutes. Tu vas finir par t’écrouler.

— Non, je peux pas, s’exclama-t-il brusquement. Si je m’assois… si je m’arrête, ça veut dire que… que je l’attends, comme si je pouvais pas rien faire d’autre. Et je peux pas, j’ai besoin de… de bouger, de faire quelque chose !

Ses yeux brillaient de panique, mais il reprit son va-et-vient, le souffle court. Tommy échangea un regard inquiet avec Nancy, puis s’avança pour bloquer TK dans son chemin.

— Tu as fait tout ce que tu pouvais, TK. Maintenant c’est à eux. Tu as sauvé sa vie jusque-là. Sans toi, il ne serait pas arrivé jusqu’ici.

TK serra la mâchoire, incapable de répondre, ses mains tremblant trop pour rester immobiles.

C’est à ce moment que la porte s’ouvrit brusquement : Owen entra, suivi de Judd, Marjan, Paul et Mateo. Le reste de la 126 s’engouffra dans la salle d’attente, le visage marqué par la fatigue et l’inquiétude.

— Où il en est ? demanda Judd aussitôt.

— Ils l’ont emmené en chirurgie, répondit Tommy d’une voix grave. Il était critique, mais stabilisé à l’arrivée.

Tous les regards se tournèrent vers TK, qui s’était figé au milieu de la pièce, comme s’il venait seulement de prendre conscience de la présence de son équipe. Ses lèvres tremblaient, et il détourna les yeux, incapable de supporter cette attention.

Owen s’avança vers lui et machinalement détacha le casque que son fils portait toujours.

— Viens t’assois dit-il.

— Non…. Non… j’suis…. C’est… c’est toujours moi… C’est toujours moi, celui derrière ces portes. Deux comas… deux putains de fois où c’était moi sur cette table… Et Carlos… Carlos, il était là, dans cette salle. À m’attendre. À se ronger les sangs. Je sais pas comment il a fait, parce que moi… moi, j’y arrive pas.

Sa voix se brisa. Il détourna la tête, reprenant sa marche agitée, comme pour chasser ses propres souvenirs.

Il passa une main fébrile sur son visage.

— J’peux pas rester planté là à rien faire… Il faut que… que j’appelle Andréa, murmura-t-il soudain, presque pour lui-même. Sa mère… Elle doit savoir.

Un silence lourd suivit. Owen posa une main sur son épaule.

— Fils… attends… tu veux peut-être te calmer avant…

— Non ! coupa TK d’une voix sèche. Elle a le droit de savoir. C’est son fils. Et je… je peux pas garder ça pour moi.

TK sortit son téléphone de sa poche d’un geste nerveux. Ses doigts tremblaient tellement qu’il dut s’y reprendre deux fois pour composer le numéro. Chaque bip résonnait comme un coup de marteau dans son crâne.

Le silence de la salle était presque étouffant. Tous avaient les yeux fixés sur lui, comme s’ils craignaient qu’il s’écroule d’une seconde à l’autre.

Enfin, un déclic. La sonnerie retentit à l’autre bout du fil. TK pinça les lèvres, son cœur cognant dans sa poitrine. Puis une voix douce, un peu essoufflée, se fit entendre :

— ¿Bueno? TK ?

TK ferma les yeux. Sa gorge se serra. Pendant une fraction de seconde, il faillit raccrocher.

— Madame Reyes… c’est…, balbutia-t-il, la voix étranglée.

Un silence, puis l’inquiétude perça aussitôt :

— TK ? Mijo, qu’est-ce qui se passe ? Où est Carlos ?

Les larmes montèrent d’un coup, brouillant sa vue. Il appuya une main contre son front, se forçant à respirer, mais sa voix se brisa malgré lui :

— Il… il est à l’hôpital. Il a eu un accident au travail. Il est en chirurgie.

— ¡Dios mío! fit Andréa de l’autre côté. Est-ce qu’il va bien ?

TK s’étouffa presque sur ses mots. Il avait envie de tout dire, de rien dire, de hurler, de disparaître.

— J’ai fait tout ce que j’ai pu… Je n’ai pas d’autre nouvelle… je suis désoler.

De l’autre côté, la voix d’Andréa tremblait, mais resta solide :

— On arrive.

TK raccrocha lentement, le téléphone encore chaud dans sa main. Ses doigts tremblaient, ses yeux rouges fixant le sol comme s’il cherchait à y trouver une réponse. Puis, sans un mot, il se remit à marcher, va-et-vient, incapable de rester en place. Chaque pas résonnait contre le carrelage de la salle d’attente, répétitif et nerveux.

— TK…, murmura Tommy, en posant une main sur son épaule. Tu tournes en rond depuis qu’on est arrivé…

— Je… je peux pas rester là… répondit TK d’une voix tendue, presque étranglée. Je dois… je dois être seul.

Owen s’approcha, le visage dur mais inquiet.

— Non, fils. Pas question. Tu ne pars pas tout seul, pas maintenant. Tu sais très bien ce qui pourrait se passer.

TK s’arrêta net, le souffle court. Ses poings se serrèrent, tremblants.

— Papa… je… j’ai besoin d’air, de quelques minutes juste pour… respirer…

— Laisse-moi t’accompagner ! tenta Owen.

TK le foudroya du regard, la voix coupante :

— J’peux plus aller aux toilettes seul ? Tu veux me regarder pisser aussi ?

Un silence glacial s’installa quelques secondes. Puis, sans un mot, il tourna brusquement sur lui-même et quitta la salle d’attente. Ses pas résonnaient dans les couloirs silencieux de l’hôpital, rapides et irréguliers, comme si chaque seconde perdue était une trahison envers Carlos.

Il passait devant les chambres, les bureaux, les salles vides, incapable de s’arrêter, incapable de réfléchir. Chaque fois qu’il croisait un regard curieux, il détournait les yeux, comme si la moindre attention le ferait éclater.

Puis, machinalement, TK se retrouva devant l’ambulance de la 126, stationnée dans le garage souterrain de l’hôpital. L’air y était plus frais. Un souffle de soulagement traversa son corps épuisé. Sans réfléchir, il tourna la poignée et grimpa à l’intérieur.

Le silence y régnait, seulement ponctué du bourdonnement grave du matériel laissé en veille. Il referma la porte derrière lui et resta un instant immobile, le dos collé au panneau. Ici, il était seul, loin des regards inquiets, loin des mains qui tentaient de le retenir. Ici, il pouvait respirer… ou du moins essayer.

Il s’assit sur le siège arrière, la tête entre les mains, les coudes appuyés sur ses genoux. Ses doigts tremblaient légèrement, comme s’ils avaient leur propre mémoire. Chaque image de Carlos revenait en boucle, éclatante et douloureuse : son souffle court, ses yeux à peine ouverts, son corps inerte sous ses mains. Plus il y pensait, plus son cœur battait en désordre, oppressant, comme si l’air lui manquait.

Et cette idée revenait, brutale, presque irrésistible : fuir la douleur. Fuir ce vide. Retomber dans l’oubli chimique qu’il avait connu. Un seul geste suffirait. Un seul faux pas.

Mais une autre image s’imposa, celle de sa mère. Sa mère, qui l’avait veillé des nuits entières quand il tremblait et transpirait, qui l’avait traîné à des réunions, qui avait cru, encore et encore, qu’il pouvait s’en sortir. A son père, qui l’avait ramené à la vie après son overdose. Juste avant de déménager à Austin. Juste avant Carlos.

Sa gorge se serra. Gwen n’était plus là pour le retenir. Elle avait quitté ce monde, laissant derrière elle deux enfants. L’un trop petit pour se souvenir d’elle. L’autre, lui, qui portait encore le poids de tout ça.

TK inspira profondément, mais l’air sembla râpeux dans sa gorge. Ses yeux brûlaient.

Son téléphone vibra plusieurs fois dans ses poches. Il le regarda, les yeux rouges : la 126 qui essayait de le joindre, qui s’inquiétait, qui savait qu’il avait tendance à agir impulsivement. Mais TK n’eut pas la force de répondre. Il laissa les appels défiler, le cœur battant à tout rompre.

Il ferma les yeux, la tête entre ses mains. Il avait l’impression de flotter, perdu entre deux mondes.

Il voulait effacer la douleur, savourer le goût amer des médicaments et du sommeil forcé. Il n’avait qu’à tendre la main. Il n’avait qu’à…

Un sanglot muet lui échappa. Ses doigts se crispèrent sur son pantalon poussiéreux, puis, d’un geste presque mécanique, il saisit enfin son téléphone. Pas pour répondre, pas pour lire les messages. Ses doigts tapèrent un numéro appris par cœur, comme un réflexe de survie.

— Cooper… murmura-t-il quand la voix familière répondit. C’est TK. J’ai besoin… j’ai besoin d’aide.


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