Quand les rôles changent
TK resta figé dans l’embrasure de la porte, incapable d’avancer. Le respirateur avait disparu, mais Carlos, encore très faible, semblait se battre pour reprendre ses repères. Des électrodes parsemaient son torse, son souffle rauque troublant à peine le silence.
Quand enfin leurs regards se croisèrent, TK sentit ses jambes lui manquer. Ses yeux se brouillèrent aussitôt de larmes.
— Mon cœur… viens…, murmura Carlos, levant une main tremblante vers lui.
Le souffle coupé, TK fit un pas, puis un autre, comme s’il craignait que la moindre brusquerie fasse s’évanouir ce miracle. Il finit par s’asseoir au bord du lit et serra la main de son fiancé entre les siennes.
— Tu… tu es revenu…, souffla-t-il d’une voix brisée.
Un pâle sourire effleura les lèvres de Carlos.
— Toujours.
— Tu te souviens de ce qui s’est passé ? demanda TK, redoutant sa réponse.
Carlos fronça faiblement les sourcils.
— Un peu… Je me souviens de l’explosion… des décombres… Je me souviens de t’avoir vu là-dessous… mais je ne sais pas si c’était réel…
TK baissa les yeux, sa gorge se serrant. Il passa une main tremblante sur son visage pour chasser les larmes, mais elles continuaient de couler.
— C’était réel, Carlos… Je t’ai sorti de là, continua-t-il d’une voix étranglée. Tu… tu avais tellement mal… Et j’ai cru… j’ai cru que je t’avais perdu.
Carlos serra faiblement ses doigts autour de ceux de TK, un geste fragile mais qui fit exploser le cœur de ce dernier.
— Tu ne m’as pas perdu. Tu m’as sauvé. Comme toujours…
Un silence lourd suivit, seulement bercé par le bip régulier du moniteur. TK inspira, essuya ses joues du revers de sa manche, puis tenta un sourire brisé.
— Tu as été dans le coma si longtemps, Carlos. Des jours entiers… J’avais l’impression que plus jamais tu n’ouvrirais les yeux.
Carlos détourna le regard un instant, reprenant difficilement son souffle. Puis il murmura :
— Je sais ce que ça fait…
TK, resserra ses doigts autour de ceux de Carlos.
— Tu as l’air épuisé, avoua son fiancé.
TK baissa les yeux, comme pris en faute.
— J’ai… pas beaucoup dormi, admit-il. Pas beaucoup mangé non plus. Je n’arrivais pas à m’éloigner de toi.
Carlos tenta un faible sourire, mais son regard se fronça soudain. Ses yeux glissèrent jusqu’au bras de TK, la manche roulée et la fine traînée de sang qui s’écoulait de son avant-bras.
— TK… tu… tu saignes…, dit-il faiblement.
TK baissa les yeux, réalisant la tâche rouge qui maculait sa peau. Il la couvrit vite de sa main et esquissa un sourire tremblant.
— Oh, ça… c’est rien. Quand j’ai arraché ma perfusion, je crois que j’ai pas été très délicat. Rien de grave.
Carlos papillonna des yeux, confus.
— Tu étais… hospitalisé ?
Un soupir s’échappa des lèvres de TK. Il hocha lentement la tête.
— Juste un malaise. Mon corps a fini par dire stop… Mais je m’en fiche, Carlos. Ce qui compte, c’est toi. Toi qui respires. Toi qui es réveillé.
Carlos tenta de se redresser un peu, malgré sa faiblesse.
— Tu es incroyable… et complètement imprudent.
TK rigola.
La porte de la chambre s’ouvrit doucement. Andrea et Gabriel entrèrent, les yeux embués d’émotion en voyant leur fils éveillé.
— Carlitos ! Fit Andréa. Hijo mío, ¡qué alivio tan grande verte despierto! (Mon fils, quel grand soulagement de te voir réveillé !)
— ¡Hola mamá, ya estoy bien, no te preocupes! (Salut maman, je vais bien maintenant, ne t'inquiète pas !)
Carlos leur adressa un sourire faible, mais ses yeux revinrent tout de suite vers TK, qui refusait de bouger.
— TK… regarde-moi. Tu as fait assez. Maintenant, tu vas laisser les médecins s’occuper de toi.
— Je peux pas… murmura TK, les yeux embués. Pas maintenant, pas alors que tu viens de…
— S’il te plaît, insista Carlos avec douceur mais fermeté. Pour moi.
TK resta figé, pris entre la peur de s’éloigner et le besoin viscéral de rester collé à son fiancé. Andrea s’approcha, posant une main tendre sur son épaule.
— Nous allons rester avec lui, je te le promets.
Le regard de Carlos, malgré la fatigue, ne lâchait pas le sien.
— Va, mon cœur. Je ne partirais pas. Je te le promets.
La gorge nouée, TK finit par céder. À contrecœur, il relâcha la main de Carlos, ses doigts glissant lentement des siens comme s’il craignait qu’elle disparaisse encore.