Jonah
Chapitre 9 : Les nuages d’en haut
1172 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 30/10/2025 12:04
L’avion vibrait doucement dans le ciel. Jonah, le nez collé contre la vitre, laissait échapper un petit rire émerveillé.
— Regarde, papa ! On voit les nuages d’en haut !
TK esquissa un sourire attendri.
— Ouais, c’est beau, hein ?
Le cœur serré d’une douceur qu’il n’arrivait pas à nommer, il observa son fils pointer du doigt le monde en miniature sous eux.
— C’est encore loin, New York ? demanda Jonah, le front appuyé sur la vitre, les jambes remuant d’impatience.
— Pas très, mon cœur. On y sera bientôt, répondit TK.
— On va voir grand-père Owen ?
— Oui, fit Carlos, un sourire dans la voix. Il nous attend à l’aéroport.
— Alors je vais lui faire un beau dessin ! annonça l’enfant en sortant son livre de coloriage de son petit sac à dos.
TK se tourna vers son mari. Le ronronnement régulier des moteurs, le cliquetis des crayons de Jonah, la chaleur tranquille de la cabine… tout avait quelque chose d’apaisant.
— Tu sais, dit-il à mi-voix, c’est la première fois que je prends l’avion et que je me sens bien.
Carlos tourna la tête vers lui, une lueur douce dans le regard.
— Même si le voyage, c’est surtout pour la voir, elle ?
TK hocha lentement la tête.
— Ouais. Je me sens prêt maintenant.
Mais à l’intérieur, un frisson persistait. Revoir New York. Revenir là où tout avait commencé… et failli finir. Chaque rue, chaque son, chaque odeur risquait de réveiller des choses qu’il croyait enterrées. Il ferma les yeux, posa une main sur la cuisse de Carlos. Il savait que cette fois, il ne retomberait pas. Il avait un ancrage : eux deux. Carlos et Jonah. Sa raison de rester debout.
Le reste du vol se déroula paisiblement. Jonah finit par s’endormir, la tête contre l’épaule de TK, son doudou serré contre lui. TK regardait par le hublot, perdu dans le paysage mouvant des nuages.
Quand l’avion atterrit, TK caressa doucement les cheveux de Jonah.
— Jonah… on est arrivés, mon trésor.
L’enfant cligna des yeux, encore ensommeillé.
— C’est New York ? C’est ta ville, papa ?
— Oui, répondit TK avec un sourire. C’est la tienne aussi, mon cœur. C’est ici que tu es né. Seulement tu ne t’en souviens pas.
Carlos se pencha vers eux.
— Bienvenue dans la Grande Pomme !
Jonah fronça les sourcils.
— Elle est où, la pomme ?
Les deux hommes éclatèrent de rire.
— Je t’expliquerai plus tard, promit TK.
À la sortie de l’aéroport, la foule, les voix, l’odeur de café brûlé et d’asphalte humide ramenèrent TK des années en arrière. Mais étonnamment, ce ne fut que les bons souvenir qui émergèrent. Le goût salé d’un bretzel brûlant qu’il mangeait en revenant du boulot, les soirs d’hiver.
Le son des sirènes au loin, familières, presque rassurantes.
L’odeur de central parc.
Les vues majestueuses des buildings.
Et cette ville qu’il avait fuie… elle lui semblait soudain moins sombre.
Il comprit qu’il n’en voulait plus à New York, ni à lui-même.
Ce chapitre-là était terminé.
Puis une voix familière éclata derrière eux :
— Hé ! Ma famille texane préférée !
Owen se tenait là, sourire large, les bras ouverts. Jonah bondit aussitôt dans ses bras.
— Grand-père !
— Viens là, petit homme ! lança Owen en riant, s’accroupissant pour le serrer fort.
Dans la voiture, Owen ne cessait de sourire à travers le rétroviseur.
— J’peux pas croire que je vous ai enfin tous les trois ici. Vous m’avez manqué.
Il adressa un regard tendre à Jonah, puis à son fils. TK, le front appuyé contre la vitre, observait la ville défiler : les gratte-ciels, les klaxons, les passants pressés, le vacarme familier.
— C’est fou, murmura-t-il. Tout est pareil… et pourtant, tout a changé.
Carlos glissa sa main dans la sienne.
— C’est toi qui as changé, répondit-il doucement.
TK sentit un sourire lui monter aux lèvres. Oui, il avait changé.
Jonah, lui, ne tenait plus en place.
— Y’a des grands immeubles, papa ! Regarde ! On dirait qu’ils touchent le ciel !
Le soir venu, ils partagèrent un repas animé, ponctué de rires et d’histoires. Jonah, assis sur les genoux d’Owen, écoutait bouche bée les récits de « quand ton papa était petit et faisait des bêtises ». TK protestait, Carlos riait, et la maison semblait pleine d’une chaleur oubliée.
Quand Owen monta se coucher, le silence reprit doucement sa place. TK était adossé contre la tête de lit dans la chambre d’ami. Jonah dormait sur un matelas au pied du lit.
Carlos vint s’asseoir près de lui.
— Tu penses à demain ?
— Ouais, murmura TK, sans détourner le regard.
Il inspira profondément.
— J’crois que j’avais besoin d’être père moi-même pour pouvoir y retourner.
Carlos posa sa main sur la sienne.
— Elle serait fière de toi, TK. De vous deux.
Dans la voiture, le trajet se fit presque en silence. Owen conduisait lentement, les mains serrées sur le volant. Le paysage défilait sous un ciel gris pâle, ponctué de feuilles roussies qui tourbillonnaient dans l’air froid.
Quand le cimetière apparut enfin, calme et entouré d’arbres, personne ne parla.
TK descendit le premier, ses doigts crispés autour d’un petit bouquet de fleurs blanches. Carlos sortit à son tour et lui prit la main, sans rien dire, simplement présent. Jonah trottinait à côté de lui, curieux, mais silencieux, comme s’il sentait que c’était un moment important.
Ils s’arrêtèrent devant une pierre grise, simple, marquée du nom Gwyneth Morgan.
TK resta figé un instant, la gorge serrée. Puis il s’accroupit et déposa les fleurs au pied de la tombe.
— Salut, maman, murmura-t-il.
Il inspira longuement, comme pour calmer le tremblement de sa voix.
— Je… Je voulais te présenter ma famille.
Carlos posa doucement une main sur son épaule. Jonah, lui, s’approcha d’un pas et tira sur la manche de TK.
— C’est ici qu’elle fait dodo, maman ?
TK hocha la tête, les yeux humides.
— Oui, mon cœur. C’est ici.
Jonah regarda la pierre, pensif. Il y passa ses petits doigts, suivant les lettres gravées comme pour apprendre leur forme par cœur. Puis, il sortit de sa poche un dessin coloré.
— Je voulais te le donner à toi, papa, dit-il en relevant les yeux vers TK. Mais maman… elle n’a jamais eu de dessin que j’ai fait.
TK sentit un nœud lui monter dans la gorge. Il posa sa main sur l’épaule du garçon et répondit doucement :
— Elle va l’adorer, mon cœur. J’en suis sûr.