Quand la sirène sonne pour Jonah

Chapitre 4 : Dans l’attente de Jonah

1217 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 05/10/2025 20:29


La salle d’attente semblait engloutir TK et Carlos. Les murs blancs reflétaient la lumière crue des néons, mais ne parvenaient pas à chasser l’ombre qui pesait sur eux. Le silence était presque assourdissant, seulement troublé par le bourdonnement lointain des moniteurs et le froissement des dossiers. TK restait immobile, le regard vide, la gorge nouée par l’angoisse. Chaque seconde qui passait lui semblait une éternité.

Nancy posa une main sur son épaule, douce mais ferme. Tommy restait en retrait, les yeux emplis de cette tension que rien ne pouvait chasser.

— Il est entre de bonnes mains, murmura Carlos, la voix tremblante. Il va s’en sortir.

Mais TK n’entendait plus. Tout ce qu’il sentait, c’était ce vide, cette impuissance, ce moment où il avait dû lâcher la main de son fils dans l’ambulance.

— J’y arrive pas… souffla-t-il, la voix brisée. Carlos…

Il leva les yeux vers lui, noyés de larmes, la voix à peine audible :

— Reste avec moi… J’ai peur de… faire une connerie.

Carlos comprit sans qu’il ait besoin d’en dire plus. Cette peur, cette tentation, cette ombre sourde qui revenait chaque fois que le monde s’effondrait. Il saisit sa main, la serra fort :

— Je suis là. Je te lâcherai pas. Jamais.

TK ferma les yeux, inspira profondément, luttant contre la vague qui menaçait de l’engloutir. Puis, il attrapa son téléphone. Ses doigts tremblaient en glissant sur l’écran pour le déverrouiller.

— TK… qu’est-ce que tu fais ? demanda Carlos, doucement.

— J’appelle mon père.

Une tonalité. Puis une autre. Enfin, la voix grave et rassurante d’Owen se fit entendre :

— TK ? Il y a un problème ?

Les sanglots le prirent de court.

— C’est Jonah… Il… il était à l’école quand le feu a pris. On l’a retrouvé, mais… il a respiré trop de fumée, il panique, il a peur… Moi aussi, papa. J’ai jamais eu aussi peur.

Silence. Puis la réponse d’Owen, nette, rapide, déterminée :

— Je prends le premier avion. Je serai là dès que je peux. T’as pas à traverser ça seul, fiston.

Un sanglot échappa à TK.

— Papa…

— Reste avec Carlos. Respire. J’arrive, TK.

Et la ligne coupa.

TK resta figé, le téléphone contre l’oreille, comme si ce coup de fil le gardait encore debout. Puis il baissa lentement le bras. Ses épaules s’affaissèrent. Ses yeux se fermèrent. Des larmes silencieuses coulèrent.

Carlos s’approcha, s’assit à côté de lui et l’attira dans ses bras, sans un mot.

TK s’effondra contre lui, son front contre son épaule.

Un instant, ils restèrent ainsi, dans ce couloir presque silencieux.

Puis TK murmura, d’une voix rauque, étranglée :

— Ne me laisse pas seul, j’t’en pris…

Carlos resserra son étreinte, attentif.

— Ce serais si facile, murmura TK. Je sais où en trouver. Les médocs. Je pourrais… Je sais exactement où aller si j’avais besoin. Juste… une heure, une dose. Et je sens… je sens que je pourrais le faire, là. Si t’étais pas là. Si je restais seul une minute de trop…

Carlos ne dit rien. Il ne paniqua pas. Il posa simplement une main chaude contre la nuque de TK.

— J’peux pas faire ça à Jonah, Carlos, reprit TK.  Ni à toi. Mais j’ai peur. J’ai peur de moi-même, de ce que je pourrais faire… de ce que ça pourrait nous coûter. À nous trois. À notre famille.

Sa voix se brisa sur le mot famille.

Carlos le força doucement à le regarder dans les yeux.

— Alors regarde-moi bien, TK. Tu n’es pas seul. Pas une minute. Pas une seconde. Tu n’as pas besoin de fuir, parce qu’on affronte ça ensemble. Toi, moi, Jonah. Ensemble.

Il attrapa sa main, la serra fort, ancrée, solide.

— Tu ne toucheras pas à ces médocs. Parce que t’es plus fort que ça. Et parce que t’as une raison de rester debout. Il a quatre ans, aime les camions de pompiers et t’appelle papa.

Un hoquet s’échappa de la gorge de TK. Il fondit en larmes, le front contre le torse de Carlos.

— J’veux pas retomber. J’veux pas lui faire ça…

— Alors tu restes là. Avec moi. Et on attend ensemble.

Mais TK secoua la tête, des larmes roulant sur ses joues.

— Je croyais que j’avais guéri, Carlos. Que c’était fini. Que j’étais… devenu quelqu’un d’autre. Meilleur. Solide.

Il laissa un rire vide lui échapper, douloureux.

— Mais une crise. Une foutue urgence. Et tout s’effondre. Je me rends compte que c’est encore là. En moi…

Carlos prit son visage entre ses mains, avec une tendresse infinie.

— Écoute-moi bien. Ce que tu ressens là, c’est pas un échec. C’est une preuve de ta force. Parce que malgré tout, tu m’en parles. Tu restes. Tu luttes. Et tu veux pas faire ça. Tu veux rester. Avec nous.

Il appuya son front contre celui de TK, les yeux fermés.

— Et si un jour, j’y arrive plus ? murmura TK.

— Alors ce jour-là, je te porterai. Et on avancera quand même.

TK hocha la tête faiblement, son front toujours collé à celui de Carlos. Il respira enfin un peu plus profondément, agrippé à cette voix, à cette promesse. Une main dans la sienne. Un ancrage. Une raison.

Une dizaine de minutes plus tard, les portes battantes s’ouvrirent de nouveau. Un médecin, jeune, les traits tirés par l’adrénaline, s’avança vers eux avec un badge de pédiatrie sur la poitrine. TK et Carlos se levèrent aussitôt, comme mus par un ressort, le cœur suspendu.

— Vous êtes les parents de Jonah ?

— Oui, souffla Carlos. Comment il va ?

Le médecin hocha doucement la tête, rassurant.

— Il va mieux. Il a fait une grosse détresse respiratoire à son arrivée, probablement déclenchée par la panique et l’inhalation de fumée. Mais on a pu le stabiliser rapidement. Il respire maintenant avec une aide légère en oxygène. Sa saturation est bonne.

TK laissa échapper un souffle de soulagement.

— Et la brûlure ? demanda-t-il, la voix un peu enrouée.

— Superficielle. Première couche seulement, pas de cloques profondes. On a nettoyé, appliqué un traitement local et placé un pansement. Il faudra surveiller, bien sûr, mais ce n’est pas ça qui nous inquiétait le plus.

Carlos passa une main sur son visage, comme pour chasser la tension accumulée.

— Il est conscient?

— Il dort présentement, répondit le médecin avec douceur. On lui a donné un léger sédatif pour l’aider à récupérer. Vous allez pouvoir le voir d’ici quelques minutes. Il est hors de danger, messieurs.

TK sentit ses jambes faiblir à nouveau, mais cette fois sous le poids du soulagement. Carlos l’attrapa aussitôt, le soutenant dans une étreinte discrète, les yeux embués.

— Merci, souffla Carlos. Merci infiniment.

Le médecin leur adressa un petit sourire.

— Il est fort, votre petit bonhomme. 

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