Quand la sirène sonne pour Jonah

Chapitre 5 : Dans la chambre aux fils

1210 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 05/10/2025 21:32

Carlos entrouvrit doucement la porte. TK le suivait, les traits tirés, les yeux déjà rivés sur le lit comme si rien d’autre n’existait.

La chambre baignait dans une lumière pâle, filtrée par les stores à demi fermés. Le bip régulier du moniteur cardiaque résonnait comme un battement de cœur artificiel, répétant obstinément : il est encore là.

Jonah reposait dans le grand lit d’hôpital, minuscule sous une couverture colorée que l’une des infirmières avait apportée de la salle pédiatrique. Une fine canule diffusait de l’oxygène à ses narines, soulevant à peine son petit torse à chaque respiration. Ses paupières semblaient lourdes, mais son front plissé trahissait un combat intérieur.

— Il dort profondément, murmura l’infirmière. On lui a donné un léger sédatif. Sa respiration est plus stable. Il va se réveiller doucement.

Carlos hocha la tête, mais TK n’entendit pas. Déjà, il s’approchait du lit, accroché au rebord comme à une bouée. Ses yeux s’attardèrent sur les joues rougies de fièvre, sur la trace brillante d’une larme séchée. Sa main hésita avant de se poser sur la paume bandée de Jonah, comme s’il avait peur de briser quelque chose de trop fragile.

Quelques minutes plus tard, Jonah bougea. Ses cils battirent et un gémissement s’échappa de ses lèvres. Tout son petit corps se crispa comme s’il se souvenait d’un coup.

— P’pa…? souffla-t-il.

— Je suis là, mon cœur, répondit TK aussitôt, la voix étranglée. On est là.

Les doigts tremblants de Jonah se levèrent maladroitement, cherchant à s’accrocher à quelque chose. Mais son regard accrocha la tubulure d’oxygène qui courait jusqu’à son visage. Ses yeux s’écarquillèrent, l’effroi les envahissant.

— Non… veux pas ça… pas ça…

Il secoua faiblement la tête, la respiration saccadée. TK lui prit doucement la main, les larmes aux yeux.

— Chut… c’est pour t’aider, mon trésor. Juste un peu encore, promis.

Mais Jonah se débattit faiblement, comme si ce mince tube lui rappelait la fumée qui l’avait envahi, l’air qui brûlait ses poumons. Puis ses yeux tombèrent sur la perfusion fixée à son bras. Une terreur brute traversa son visage.

— Non ! Non ! cria-t-il d’une petite voix déchirée. Je veux pas ça dans mon bras !

Il tenta d’arracher le cathéter avec ses petits doigts, maladroits mais désespérés. Des larmes coulaient à flot sur ses joues rougies, ses sanglots mêlés à de violentes quintes de toux.

— Papa, ça fait mal ! Ça fait mal !

Un éclair transperça TK. La vision de l’aiguille dans ce petit bras fragile lui renvoya, en pleine figure, des images qu’il croyait enterrées : ses propres veines, marquées par des piqûres d’autrefois, la brûlure chimique, la honte. Sa gorge se serra brutalement.

Il cligna plusieurs fois des yeux, luttant contre le vertige, et resserra sa prise sur la petite main de Jonah comme pour l’ancrer, comme pour s’ancrer lui-même.

— Hé, shhh… c’est rien, mi amor, murmura Carlos en s’agenouillant de l’autre côté du lit. Regarde-moi. Ça t’aide à aller mieux. Je sais que ça fait peur, mais tu n’es pas seul. On est là, papa TK et moi.

Jonah hoqueta, secoué de spasmes, ses yeux perdus entre la perfusion, les fils collés à sa peau et le masque qui lui serrait le visage. Sa petite poitrine montait et descendait trop vite, comme s’il manquait encore d’air.

— Je veux rentrer à la maison… sanglota-t-il.

Carlos glissa une main tendre dans ses cheveux trempés de sueur.

— Et tu vas rentrer, mon amour, promit-il d’une voix basse et ferme. Mais il faut d’abord que tu reprennes des forces.

Il désigna du doigt, calmement, les capteurs, la perfusion, la canule.

— Regarde… chaque petit fil, chaque tuyau, c’est comme une équipe de pompiers, d’accord ? Une petite brigade à l’intérieur de toi. Ils travaillent ensemble pour t’aider à redevenir fort.

Jonah se calme un peu en regarda ses papas, mais de grosses larmes coulait toujours sur ses jours

TK sentit son cœur se fissurer.

Il retira lentement ses chaussures, puis monta sur le lit, prenant soin de ne pas déplacer le moindre fil, le moindre capteur. Il s’allongea contre son fils et le ramena contre lui, très doucement, comme on cueille un oiseau blessé.

— T’es en sécurité maintenant… Plus rien ne va t’arriver, je te le promets.

Les pleurs de Jonah se firent moins heurtés. Sa main resta crispée dans celle de TK, mais ses sanglots se transformèrent en hoquets fatigués. Il se blottit plus fort, comme s’il voulait disparaître dans la chaleur rassurante de ses bras.

TK ferma les yeux. Une berceuse lui échappa sans même qu’il y pense, une chanson du passé, une de celles que sa mère chantait les nuits d’orage. Il la murmura contre les cheveux humides de Jonah, bercé par le souffle chaud qui caressait sa peau.

— C’est fini, chuchota-t-il en posant ses lèvres sur ses cheveux. T’es en sécurité maintenant, mon cœur. Papa est là. Je te promets, plus rien ne va t’arriver.

Carlos, toujours silencieux, s’assit dans le fauteuil, les mains croisées entre ses genoux. Il les regardait, le cœur serré, la gorge nouée. Il aurait voulu capturer cette image et la protéger du monde entier : TK, en mille morceaux, mais fort pour Jonah. Jonah, brisé de peur, mais réconforté par la seule chose qui comptait encore : les bras de son père.

Et au fil des secondes, les tremblements s’atténuèrent. Jonah, blotti contre TK, finit par se rendormir, bercé par une paix fragile, posée là comme une couverture invisible entre eux.

TK le berçait doucement malgré les fils et les capteurs. Pourtant, son regard glissa vers la perfusion. Une pensée fugace, brutale, traversa son esprit : Et s’il en gardait la même mémoire que moi ?

Cette peur sourde, celle qui lui revenait encore parfois au détour d’une seringue ou d’un hôpital, comme une cicatrice invisible. Le goût amer du métal, le besoin qui avait pourri son corps et son esprit.

Et si son fils associait, lui aussi, les aiguilles à la douleur ? Et si, un jour, cette peur se transformait en tentation, comme ça avait été le cas pour lui ?

TK inspira, son cœur cognant contre sa cage thoracique. L’idée seule lui donnait envie de vomir. Non. Pas Jonah. Pas lui. Il ne laisserait jamais ses démons devenir les siens.

Il enfouit son visage dans les cheveux de son fils et serra plus fort, comme pour sceller une promesse silencieuse : celle de le protéger, coûte que coûte, même contre cette part de lui-même qui avait failli le détruire.

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