Tranche de vie

La grande porte de la caserne s’ouvrit dans un grincement familier. Carlos entra, tenant Jonah par la main et portant Rose bien calée contre lui.

Dès qu’il aperçut l’ambulance, Jonah lâcha la main de son père et s’élança en criant :

— PAPA !

Sa petite voix résonna si fort que même Marjan, assise au loin avec son café, releva la tête en souriant.

TK se redressa d’un coup, surpris. Dès qu’il vit son fils foncer sur lui, il s’accroupit et ouvrit les bras juste à temps. Jonah se jeta contre lui avec la force de ses cinq ans, riant, ses boucles brunes s’agitant dans tous les sens.

— Hé, bonhomme ! s’exclama TK en le soulevant légèrement. Mais qu’est-ce que tu fais là ?

— Papa est venu me chercher à l’école et on est passé te voir ! lança Jonah, déjà lancé dans un flot de paroles, incapable de tenir en place.

Autour, les collègues s’approchèrent doucement, comme attirés par l’énergie de l’enfant. Paul, Mateo et même Judd s’étaient regroupés, amusés de voir Jonah monopoliser l’attention.

— J’ai eu un collant doré aujourd’hui parce que j’ai bien rangé mes crayons ! annonça-t-il avec fierté.

— Wow ! Bravo, mon cœur, dit TK, les yeux brillants, en l’asseyant sur le marchepied de l’ambulance comme s’il était sur un trône.

Pendant ce temps, dans les bras de Carlos, Rose commençait à s’agiter. Elle poussait de petits cris perçants, battant des jambes comme un oisillon qui voulait s’envoler. Ses petites mains potelées se tendaient dans la direction de TK.

— Oh oh… je crois qu’il y en a une qui réclame son papa, fit remarquer Paul en riant doucement.

Carlos s’approcha et déposa la petite dans les bras de TK. Aussitôt, Rose se blottit contre lui, frottant son nez contre son t-shirt, comme si elle retrouvait enfin son repère. Mais presque aussitôt, elle se redressa, le fixa avec une intensité surprenante et, dans un souffle clair comme du cristal, prononça :

— Papa !

Un silence s’abattit sur la caserne.

TK resta figé, incapable de bouger. Ses yeux s’écarquillèrent et, pendant une fraction de seconde, il sembla ne pas croire ce qu’il venait d’entendre.

— Tu… tu as entendu ça ? murmura-t-il, la voix tremblante, en levant les yeux vers Carlos.

Carlos, déjà ému aux larmes, hocha doucement la tête.

— Oui… elle vient de dire son premier mot.

TK serra Rose contre lui, ses lèvres tremblantes se posant sur sa tempe.

— Mon Dieu… j’aurais pas pu rêver mieux… souffla-t-il d’une voix brisée par l’émotion.

À côté, Jonah, qui suivait la scène avec des yeux ronds, croisa les bras sur sa poitrine. Son petit visage prit une expression vexée.

— Hé ! Moi aussi je dis “papa” depuis longtemps, moi !

Un éclat de rire général secoua la caserne. Même Judd, d’ordinaire réservé, laissa échapper un rire franc.

TK tendit un bras vers son fils, l’attira à lui et les serra tous les deux contre son cœur.

— Et toi, tu seras toujours celui qui m’a appelé papa en premier, dit-il tendrement avant de déposer un baiser sur ses boucles brunes.

Jonah sourit malgré lui, retrouvant sa place dans les bras de son père. Rose, elle, gazouillait, inconsciente du bouleversement qu’elle venait de provoquer, ses petites mains accrochées au col de TK.

Tommy échangea un regard complice avec Carlos. Dans cette caserne habituée aux urgences, aux flammes et aux cris, il y avait parfois des instants suspendus qui valaient toutes les victoires : un mot, un regard, une famille qui se construisait sous les yeux de tous.