Saut dans le temps

Chapitre 3 : Quand le silence hurle

1010 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/10/2025 20:52

La maison baignait dans un calme presque irréel. Le soleil, haut dans le ciel, inondait les fenêtres de lumière dorée.

Jonah, enfermé dans sa chambre, jouait à un jeu en ligne, les écouteurs vissés aux oreilles, la musique à fond.

Dans la cuisine, Rose profitait de la chaleur de l’été et de la fin des vacances pour préparer de la citronnade.

Elle ouvrit le frigo, en sortit quelques citrons bien dodus, puis attrapa un pichet en verre sur l’étagère. Elle les pressa avec entrain, en fredonnant un air qui lui trottait dans la tête. L’odeur acidulée du jus embaumait la pièce.

Mais en se retournant pour attraper le sucre, son coude heurta le pichet.

Un choc.

Un basculement.

Un fracas sec.

Le pichet explosa au sol, projetant des éclats de verre dans toutes les directions.

Rose recula d’un bond. Une vive brûlure lui traversa l’avant-bras. Elle baissa les yeux.

Un long filet rouge serpentait le long de sa peau. Un tesson l’avait profondément entaillée. Le sang jaillissait déjà, vif et chaud.

Elle porta la main à sa blessure, les doigts déjà poisseux, et détourna les yeux, nauséeuse. Son souffle se hacha, sa gorge se serra.

Quand elle était petite, elle s’était profondément coupée en jouant dehors. Le sang, la panique, l’odeur métallique — tout s’était imprimé dans sa mémoire. Depuis, la simple vue d’une plaie suffisait à lui retourner l’estomac.

Avec le temps, elle avait appris à mieux gérer cette peur, à respirer, à détourner le regard quand il le fallait.

Elle pensait avoir tourné la page. Jusqu’à aujourd’hui…

— Jonah… Jo–JONAH ! hurla-t-elle, la voix étranglée, affolée.

Dans sa chambre, Jonah n’entendit rien au début. Le vacarme du jeu et la musique dans ses oreilles couvraient tout.

Mais le deuxième cri, plus strident, plus affolé, lui vrilla le cœur.

Il arracha ses écouteurs.

— Rose ?

Silence. Un silence épais, mauvais.

Il bondit de sa chaise, dévala les escaliers quatre à quatre.

— ROSE ?!

Il déboula dans la cuisine et s’arrêta net.

Rose était assise par terre, adossée à l’îlot, le visage blême. Son bras saignait abondamment. Le carrelage était éclaboussé d’un mélange étrange de jaune citron et de rouge écarlate. Des éclats de verre luisaient autour d’elle comme des fragments de glace.

— Putain… souffla Jonah.

Il se précipita à genoux près d’elle, le cœur battant à tout rompre.

— Je… j’ai pas fait exprès… murmura Rose. Sa voix était à peine audible. Ses doigts tremblaient en appuyant sur la plaie, mais le sang s’infiltrait déjà entre eux.

Jonah sortit son téléphone, les mains tremblantes, le souffle court.

— J’appelle le 911, dit-il d’une voix tremblante, presque à lui-même.

— Non… couina Rose, la voix faible, presque un souffle.

Elle savait que Jonah voulait bien faire, mais juste imaginer l’ambulance, l’hôpital, ses parents inquiets… son cœur battait la chamade. Elle détestait être au centre de l’attention, détestait montrer sa fragilité. La peur se mêlait à la honte, et chaque seconde qui passait lui semblait un peu plus insupportable… et la tête lui tournait de plus en plus.

— Alors… j’appelle papa, insista Jonah, la peur montant dans sa gorge. Rosie, ça a l’air très profond…

Mais Rose ne répondit pas. Son corps glissa un peu plus contre l’îlot, comme si la douleur et la faiblesse la submergeaient.

Jonah sentit son cœur s’accélérer.

— Répond… s’il te plaît… murmura-t-il, la voix brisée, en appuyant son téléphone contre son oreille. Papa… réponds-moi…

Une tonalité. Deux. Puis la voix familière de TK.

— Allô, mon cœur ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— Papa ! C’est Rose ! Elle s’est coupée, au bras ! Y’a du sang partout ! J’sais pas quoi faire ! Elle saigne beaucoup ! Je voulais appeler le 911, mais elle ne veut pas.

Silence. Puis la voix de TK changea. Plus grave. Tranchante.

— On arrive. Tout de suite.

Jonah entendit au loin son père crier :

— Tommy ! Nancy ! C’est Rose ! Dépêchez-vous !

Puis la voix revint, plus calme, mais urgente :

— Écoute-moi bien, mon cœur. Tu dois lui donner les premiers soins. Maintenant.

— O-OK… balbutia Jonah.

Au combiné, il entendait déjà la sirène au loin.

— Est-ce qu’elle est consciente ? continua son père.

— Elle dit plus rien… mais elle garde les yeux ouverts.

— Bien. Il faut compresser la plaie tout de suite. Trouve une serviette ou un torchon propre. N’importe quoi.

Jonah balaya la cuisine du regard, trouva un torchon sur le comptoir, et le pressa contre la blessure de Rose.

— Et maintenant ?!

— Reste appuyé. Fort. Il faut arrêter le saignement. Est-ce qu’elle est pâle ?

— Oui… vraiment.

— Ok. Lève-lui le bras. Et reste avec elle. Parle-lui.

Jonah souleva doucement le bras de sa sœur.

— Rose… reste avec moi, d’accord ? Papa arrive. Ça va aller, je te promets.

— Je me sent pas bien… gémit-elle, les yeux vitreux.

— Papa… ça va plus du tout…

— Allonge-la doucement. Et tourne sa tête sur le côté, au cas où elle vomirait.

— J’ai peur, papa…

La voix de Jonah se brisa. Un sanglot remonta dans sa gorge.

TK, à l’autre bout du fil, se figea un instant, le cœur serré.

— Tu fais ça super bien, mon grand. Je suis fier de toi. On est presque là. Reste avec elle, OK ? Continue de lui parler.

Rose gémit. Ses paupières papillonnaient.

— Reste avec moi, Rosie… murmura Jonah, les larmes aux yeux. Lâche pas, s’il te plaît…

Mais les yeux de Rose se fermèrent lentement.

— Papa ! Elle s’évanouit !

— Garde la pression. Ne lâche pas. On arrive.

Et enfin, les sirènes.

Elles fendirent le silence du quartier, déchirantes.


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