Saut dans le temps
Enfin, les sirènes.
Elles fendirent le silence du quartier, déchirantes.
Jonah leva les yeux vers la fenêtre, le cœur tambourinant. L’ambulance s’arrêta en trombe devant la maison. Trois silhouettes en jaillirent.
Tommy en tête, avec la civière, Nancy juste derrière, déjà en train d’enfiler ses gants. TK les suivait de près, le téléphone toujours collé à son oreille, le sac de premiers soins à la main.
La porte s’ouvrit à la volée.
— Jonah ! cria TK.
— Elle est là ! répondit le garçon, la voix étranglée.
Tommy s’agenouilla aussitôt à côté de Rose, évaluant la situation.
— Blessure profonde à l’avant-bras gauche. Inconsciente, mais respiration stable, constata-t-elle.
TK se jeta près de sa fille.
— Ça va aller, ma princesse…
— Tu as fait tout ce qu’il fallait, Jonah, dit Nancy, un regard rapide mais chaleureux vers lui.
Elle sortit une compresse stérile et des bandages du sac pendant que Tommy retirait délicatement le torchon trempé de sang.
— Lésion profonde, mais on a un début de stabilisation, dit Nancy en appuyant une compresse.
— Respiration normale, tension à vérifier. On la perfuse et on part, dit Tommy.
Rose ouvrit légèrement les yeux, la voix faible :
— Papa… je… je veux pas aller à l’hôpital… juste un bandage… après ça ira mieux…
TK sentit son cœur se serrer, mais un petit rire nerveux lui échappa malgré lui.
— Ma princesse… je sais que tu ne veux pas y aller, mais il va te falloir plus qu’un bandage… Il faut que tu ailles te faire soigner, d’accord ? Je suis là, ne t’inquiète pas.
Elle cligna des yeux, faible, presque imperceptible. Ses doigts frêles s’enroulèrent autour des siens.
— J’ai mal au cœur… souffla-t-elle.
— Je sais, ma belle… souffla-t-il en lui caressant doucement le front. Tu es courageuse.
Il remonta la manche de son bras valide d’un geste tendre mais rapide, et tapota la peau à la recherche d’une veine.
— OK… ça va piquer un peu, mais après, tu te sentiras mieux, murmura-t-il en posant la perfusion avec des gestes sûrs.
Le froissement du plastique et la piqûre furent presque insignifiants comparés aux sanglots étouffés qui secouaient sa fille.
Jonah lui détourna le regard. Si Rose avait toujours eu peur du sang, lui avait toujours détester les aiguilles. Un comble pour des enfants de secouriste…
Nancy passa un appel rapide au CHU pour signaler leur arrivée imminente. TK déposa un baiser sur le front de sa fille, puis aida doucement Tommy à la soulever sur la civière.
— On y va. Jonah, tu viens avec nous ?
Il hocha la tête, encore sous le choc, mais ne lâcha pas Rose des yeux. Elle était entre de bonnes mains maintenant.
Le moteur vrombissait, couvrant à peine les sanglots étouffés de Rose. Elle était allongée sur la civière, le visage livide, les lèvres tremblantes. Chaque respiration semblait lui coûter un effort immense.
TK lui tenait la main, le pouce caressant doucement ses doigts glacés.
— Respire, ma princesse… je suis là, murmura-t-il, tentant de masquer le tremblement dans sa propre voix, son pouce caressant machinalement les doigts glacés de Rose.
Tommy, penchée sur le moniteur, vérifiait les constantes. Son regard allait sans cesse de l’écran au visage de Rose, attentif au moindre changement.
— Elle est stable, souffla-t-elle à mi-voix. Pouls rapide… mais elle répond bien.
Rose détourna légèrement la tête, un frisson parcourant son corps.
— Papa… je croyais que je pouvais gérer… gémit-elle. Mais… il… il avait trop de… de…
Un grimace de dégoût lui tordant les traits. Ses yeux s’embuaient, ses respirations devenaient rapides et hachées.
— Papa… je… je me sens pas bien… gémit-elle faiblement.
— Respire ma princesse, murmura TK en l’aidant à se tourner sur le côté.
Mais déjà, un haut-le-cœur violent la secoua. Elle vomit, ses sanglots se mêlant à des gémissements étouffés. TK lui soutint la tête, évitant que ses cheveux ne collent à son visage, pendant que Tommy attrapait rapidement un sac prévu à cet effet.
— C’est fini, c’est fini… souffle… tu fais ça très bien, l’encouragea TK.
Assis près de la porte, Jonah tenait son sac contre lui, le visage fermé, les yeux fixés sur sa sœur. Il serrait la mâchoire, tentant de ne pas paniquer, mais ses doigts tremblaient.
— Est-ce qu’elle va s’en sortir ? demanda-t-il, la voix à peine audible.
TK lui lança un regard doux, mais sérieux.
— Mais oui mon cœur. Grace à toi.
— Mais elle a perdu beaucoup de sang…
— C’est impressionnant, je sais. Mais ce n’est pas aussi grave que ça en a l’air, continua TK. Elle est courageuse, ta sœur. Et toi aussi.
Jonah hocha la tête, les yeux brillants.
Nancy, à l’avant, augmenta légèrement la vitesse en apercevant la circulation qui se dégageait.
— On approche de l’hôpital. Deux minutes.
TK sortit son téléphone de sa poche, ses mains moites tremblant légèrement. Il savait qu’il devait appeler Carlos. Il ne voulait pas le faire paniquer, mais son mari devait être informé, présent, prêt à les rejoindre.
Il appuya rapidement sur le contact et attendit, le souffle court. Carlos décrocha après deux tonalités.
— Allô mon cœur ? dit la voix de Carlos, douce et attentive.
— Carlos… c’est Rose… murmura TK, serrant le téléphone contre son oreille. On est en route vers l’hôpital. Elle s’est coupée.
Un silence, puis la voix inquiète de Carlos se fit plus vive.
— Coupée ?! Qu’est-ce qui s’est passé ? Où est Jonah ?
— Il est là avec nous… il est inquiet, mais ça va.
Carlos sembla avaler sa peur en silence, cherchant à rester calme.
— Et Rose ? Comment va-t-elle ? C’est grave ?
— C’est profond… mais elle est stable. Faible, mais consciente.
—D’accord… je vous rejoint là-bas
— Je t’aime, souffla TK, le regard toujours fixé sur Rose.
TK raccrocha.
— Papa va nous rejoindre à l’hôpital, dit-il en caressant la tête de sa fille.
L’ambulance bifurqua à droite, le gyrophare clignotant sur les vitres. Le bâtiment de l’hôpital se dessinait déjà au loin.