Ce qu’il reste de moi
La détonation avait tout déchiré.
Un bruit sec. Signe probable d’une perte.
Puis le cri dans la radio avait tout confirmer :
— Pompier à terre !
Carlos avait figé, le cœur battant trop fort pour qu’il entende autre chose. Le monde autour de lui s’est réduit à ce grésillement de radio, accrocher à son épaule. Tout ce qu’il savait, c’est que la 126 était à l’intérieur. Et que TK en faisait partie.
Il avait couru avant même d’y penser. Ses mains tremblaient sur son arme, ses bottes frappant le trottoir, mais ses pensées n’avaient plus de forme. Seulement une peur, brute, immense.
Puis il l’avait vu.
TK.
Sur le brancard.
Rouge de sang.
Un son était resté bloqué dans sa gorge, un mélange de rage et de détresse. Nancy qui criait des chiffres, Paul qui lui attrapa le bras, mais tout ce qu’il voyait, c’était le visage inerte de TK, ses paupières fermées, cette tache sombre sur son uniforme.
Il avait voulu le suivre, monter dans l’ambulance, mais ses jambes n’avaient pas bougé. Peut-être que Paul lui avait dit quelque chose. Peut-être qu’il avait hoché la tête. Il ne s’en souvenait déjà plus.
Tout ce qui avait suivi était flou
Conduire.
Remettre son arme.
Faire un rapport.
Parler, peut-être.
Il ne savait même plus comment il était arrivé à l’hôpital.
Quand il avait franchi la porte de la salle d’attente, il s’est senti étranger à lui-même. Tout le monde était là : Marjan, Mateo, Paul, Judd, assis en silence. Leurs regards s’étaient levés vers lui, lourds, remplit d’une peine muette.
Au fond, dans l’entrebâillement d’une porte, il a aperçu Owen.
Le capitaine Strand.
Le père de TK.
Courbé sur un lit.
On lui avait dit que TK était dans le coma… Carlos ne se souvenait même plus qui lui avait donner cette information…
Et il restait là, cloué au sol, sans savoir s’il avait le droit d’être là.
Il avait peur. Peur que TK se réveille et ne veuille pas le voir. Peur que la 126 comprenne ce qu’il ressentait. Peur, surtout, que TK ne se réveille pas du tout.
Ses doigts s’étaient crispés sur le dossier d’une chaise, et dans le tumulte de ses pensées, une seule image avait persisté :
Le besoin immense de glisser sa main dans cette de TK.
Puis soudain, il sentit une main un frôlement sur son épaule.
Il sursauta.
Paul se tenait là, les traits tirés, la voix basse.
— Tu devrais aller le voir, dit-il simplement.
Carlos baissa les yeux, incapable de répondre. Il secoua légèrement la tête.
— J’sais pas trop…
Paul le regarda longuement, sans insister.
— Je suis sûr que TK aurait voulu que tu sois là, murmura-t-il.
Puis il lui tapota l’épaule avant de s’éloigner, rejoignant les autres.
Carlos resta immobile un moment, à lutter contre la peur qui lui nouait la gorge.
Ses pas finirent pourtant par se mettre en marche, presque malgré lui.
Owen se retourna en entendant la porte s’ouvrir.
Ses yeux rougis, croisèrent ceux de Carlos.
Un silence pesa entre eux. Puis la voix grave du capitaine brisa l’air :
— Agent Reyes.
— Capitaine Strand.
Carlos resta figé, crispé sur le montant de la porte.
Il s’apprêtait à s’excuser, à battre en retraite, quand Owen ajouta doucement :
— Approche… Ça lui fera sûrement du bien…
Carlos hocha la tête sans un mot et fit un pas dans la pièce.
Le souffle des machines rythmait le silence, lent, régulier, insupportable.
TK était là, immobile sous la lumière blafarde. Sa poitrine se soulevait à peine.
Carlos sentit sa gorge se serrer.
Tout le bruit autour de lui disparut.
Il s’assit à côté du lit, hésita un instant, puis tendit la main.
Ses doigts effleurèrent ceux de TK, froids, inertes, mais bien là.
Un simple contact — minuscule, mais réel.
Il aurait voulu lui dire mille choses.
Qu’il avait eu peur.
Qu’il s’en voulait de ne pas avoir été là.
Qu’il ne savait même plus comment respirer sans lui.
Mais les mots restèrent coincés dans sa poitrine.
Alors il se contenta de serrer un peu plus fort la main de TK.