Ce qu’il reste de moi
La maison était silencieuse, trop silencieux.
TK s’était laissé tomber sur son lit, encore un peu groggy de son coma, le corps lourd, l’esprit plus encore. La lumière du soir filtrait à travers les stores, dessinant des bandes pâles sur le plancher. Caramel à ses pieds le réchauffait de son long pelage comme une petit radiateur.
Il passa une main sur sa cicatrice, sous le tissu de sa chemise.
La douleur était là, sourde, supportable.
Pas autant que celle dans sa tête.
Tout se bousculait depuis qu’il avait rouvert les yeux
L’hôpital avait au moins un avantage : il y avait toujours quelqu’un pour lui dire quoi faire. Ici, il était seul avec lui-même — et c’était peut-être pire que n’importe quelle douleur physique.
La 126 était de garde… lui devait encore rester à carreau.
Il ferma les yeux.
Les souvenirs ne lui revenait pas. On lui avait parler du gamin qui avait tiré, de son séjour à l’hôpital et de Carlos qui l’avait veillé.
Il passa une main sur son visage, cherchant à chasser cette sensation de vide qui s’accrochait à lui depuis son réveil.
Ce n’était pas la première fois qu’il revenait d’aussi loin.
Cette impression d’être revenu d’un endroit où il n’aurait peut-être pas dû revenir.
Tout lui semblait flou, sans direction, comme après son overdose.
Il se souvenait de ce moment-là.
À New York.
De la façon dont Owen avait tout décidé pour lui : la cure, les rencontres forcés avec un psy, le déménagement, la nouvelle vie au Texas.
Et ça avait marché — du moins, pendant un temps.
Il s’était accroché à ce nouveau départ, à son métier, à l’uniforme.
Et il avait failli mourir à nouveau.
Pour quoi ?
Être pompier.
C’était censé être un honneur, une vocation.
Mais il ne savait même plus pourquoi il faisait ça.
Il regarda ses mains, encore marquées par les bandages, et un rire amer lui échappa.
— J’fais quoi maintenant, hein ? murmura-t-il dans le silence.
Caramel leva une oreille, mais aucune réponse à sa question ne vint…
Pourquoi il faisait ce métier, au juste ?
Parce que c’était ce qu’il connaissait.
Parce que son père l’était.
Parce qu’il avait grandi là-dedans, entouré de casques, de sirènes et de flammes.
Il n’avait jamais eu de plan B.
Jamais imaginé autre chose.
Être pompier, c’était tout ce qu’il savait faire.
Mais maintenant…
Il ne savait plus.
Il repensa à Owen — à sa manière de tout donner à sa brigade, d’en faire sa famille quand la vraie tombait en morceaux.
Peut-être que c’était pour ça que sa mère était partie.
Peut-être que, d’une certaine façon, Owen n’avait jamais su faire autrement.
Comment lui en vouloir ?
Son père avait tout perdu après le 11 septembre.
Toute sa famille de cœur, disparue sous les décombres.
Il n’avait jamais vraiment guéri.
Il s’était juste remis à sauver des gens, encore et encore, pour combler le vide.
Et TK ?
Il n’était pas bien différent.
Sans s’en rendre compte, avait fait pareil.
Il avait répété le même schéma.
Travailler. Sauver. Rire. Faire semblant d’aller bien.
Mais lui, qui le sauvait ?
Il soupira et laissa sa tête retomber contre son oreiller.
Les visages de ses collègues défilaient dans sa tête — Judd, Paul, Marjan, Mateo… et Carlos.
Carlos surtout.
L’image de son sourire lui revenait sans cesse.
Mais même ça, il n’arrivait pas à s’y accrocher. Pas vraiment.
Il se sentait comme déconnecté du monde, comme s’il flottait à la surface de sa propre vie.
Il s’était toujours défini par ce qu’il faisait, pas par ce qu’il était.
Et là, pour la première fois, il ne savait plus s’il voulait encore être ce pompier-là — celui qui saute dans les flammes, qui sauve des vies, qui enchaines les exploits, qui fait tourner les têtes dans son uniforme et qui s’enivre d’adrénaline.
Mais au fond… est-ce que ce n’était pas juste une autre forme de dépendance ?
Peut-être qu’il était devenu pompier pour revivre son premier trip.
Cette première montée d’adrénaline, cette sensation d’exister, de brûler de l’intérieur sans que personne ne le voie crever lentement.
C’était peut-être ça, sa nouvelle came.
Les sirènes, la fumée, le feu.
Ce moment où le cœur s’emballe, où tout devient flou, où la peur et l’excitation se confondent.
Revivre sans cesse cette première fois, comme tous les junkies.
Et il se haït un peu, en pensant à ça.
Il baissa les yeux vers la cicatrice sur son épaule.
C’était ça, le prix ?
Sauter d’un feu à l’autre, encore et encore, jusqu’à s’y brûler pour de bon ?
Il resta là longtemps, sans bouger.
Puis finit par murmurer, presque sans voix :
— J’sais même plus qui je suis, bordel…
Le silence lui répondit à nouveau.
Un silence lourd, sans jugement, sans promesse.
Tout ce qu’il avait toujours été c’était d’être le fils d’un pompier, d’un héros, d’un survivant.
Et là, il n’était plus sûr de vouloir de ça…
Ni de son métier.
Ni de lui.
Ni même de ce qu’il voulait encore construire ici, à Austin.
Et au milieu de ce vide, TK sut une seule chose : il ne pouvait pas continuer comme avant.
Mais il n’avait pas encore la moindre idée de ce qu’il voulait devenir.