Ce qu’il reste de moi
Chapitre 14 : Entre les bulles et le silence
860 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 26/10/2025 00:23
Le soleil tapait un peu trop fort, même pour Austin.
TK plissa les yeux, la paille coincée entre les lèvres, observant distraitement les bulles noires de son bubble tea qui montaient et descendaient dans le verre comme si elles hésitaient entre couler et flotter.
Carlos l’avait forcé à sortir de chez lui. Enfin… “forcé” était un grand mot.
Il était simplement apparu devant sa porte, un jour de congé, avec son éternel air calme et ce ton qu’on ne pouvait pas vraiment contredire.
— Allez, viens. Je t’emmène prendre l’air…
TK n’avait pas osé dire non.
Pas après tout ce que Carlos avait fait pour lui.
Alors il s’était habillé et l’avait suivi.
Maintenant, ils étaient assis à la terrasse d’un café du centre-ville. Le monde passait autour d’eux — des rires, des klaxons, des tasses qui s’entrechoquent.
Une vie normale.
Une vie qui continuait sans lui.
Et il savait exactement où tout ça allait finir.
Carlos n’était pas idiot. Il ne l’avait pas invité juste pour parler du beau temps.
TK voyait venir la conversation comme on voit venir une tempête.
Alors il faisait ce qu’il savait faire de mieux : il tournait autour.
Un grand détour, tout en sourires et en bavardages inutiles. Il avait même déblatéré au sujet de son Bubble the, comme quoi le tapioca c’était comme de délicieuse petites boules de morve sucré… Quel idiot il pouvait être parfois…
Carlos riait, souriait, hochait la tête.
C’était plus simple comme ça. Faire rire Carlos. Le distraire.
C’était une façon comme une autre de gagner du temps.
Parce qu’il savait, au fond, que Carlos voulait lui parler de ça.
De eux.
De ce qu’ils étaient.
Ou de ce qu’ils n’étaient pas.
Et TK n’avait pas envie d’aller là. Pas maintenant. Peut-être jamais.
Alors il continua, la bouche pleine de mots inutiles.
Et puis finalement :
— Tu comptes éviter le sujet encore longtemps ? demanda Carlos, sans lever la voix.
Et voilà.
Le moment qu’il redoutait.
TK fit mine de hausser les épaules.
— Quel sujet ?
— TK.
Juste son prénom. Mais dit comme ça, c’était pire qu’un sermon.
Il sentit la panique lui serrer la gorge.
Son premier réflexe fut de s’accrocher au gobelet, à cette paille ridicule qui ne servait qu’à gagner du temps.
S’il parlait, il allait craquer.
Et s’il craquait, il ne saurait plus comment recoller les morceaux.
Carlos ne le quittait pas des yeux.
Son regard était calme, trop calme. Ce genre de calme qui vient juste avant qu’on dise quelque chose d’important, ou d’irréversible.
— On est quoi, TK ?
La question tomba, simple, sans détour.
Pas d’accusation, pas de colère. Juste cette honnêteté désarmante qui le rendait encore plus dangereux.
TK aurait préféré un cri. Une dispute. Quelque chose de bruyant, de clair, d’évident.
Mais non.
Juste cette phrase.
Il voulut répondre.
Les mots étaient là, quelque part, coincés entre la poitrine et la gorge.
Mais ils refusaient de sortir.
Parce qu’il n’en savait rien.
Pas seulement sur eux.
Sur tout.
Alors il inspira, longuement, avant de souffler :
— J’sais pas, Carlos.
C’était tout ce qu’il trouva.
Trois petits mots qui semblaient peser une tonne.
Carlos fronça les sourcils, pas de colère, mais de peine.
— Tu sais pas on est quoi ? Des amis ? Un couple ? Juste deux gars qui couchent ensemble ?
TK se força à soutenir son regard.
Il sentit son propre cœur se tordre, lentement.
— J’en sais rien, murmura-t-il.
Il baissa les yeux sur son verre, triturant la paille comme si elle pouvait lui donner une réponse.
Il ne savait plus s’il voulait encore faire ce job.
S’il était ici pour les bonnes raisons.
Il ne savait plus s’il voulait être au Texas.
S’il était resté pour Carlos… ou parce qu’il n’avait plus la force de partir.
— Je sais pas si je veux encore être pompier. Je sais même pas si je veux rester au Texas. J’ai besoin de comprendre ce que je veux, moi, avant. Carlos, je dois répondre à mes propres questions avant de pouvoir répondre aux tiennes…
Carlos hocha la tête, doucement.
Pas un mot de trop.
Mais son sourire, lui, avait disparu.
Et ça, c’était pire que tout.
TK sentit quelque chose se fendre en lui, un petit éclat invisible mais bien réel.
Il aurait voulu lui dire qu’il l’aimait, qu’il tenait à lui, qu’il allait revenir vers lui quand il saurait qui il était.
Mais ça aurait été mentir.
Parce qu’il n’en était plus sûr.
Alors il fit ce qu’il faisait toujours : il baissa les yeux, prit une gorgée de son bubble tea devenu tiède, et fit semblant que tout allait bien.
Pendant que Carlos, lui, trop bon comme toujours, disait que ce n’était pas grave…