Ce qu’il reste de moi
Carlos resta étendu sur le lit, les draps encore froissés autour de lui, la peau tiède là où TK s’était trouvé quelques minutes plus tôt. Le silence venait de retomber dans l’appartement, brisé seulement par le bourdonnement lointain du climatiseur et le claquement de la porte d’entrée qui avait marqué le départ de TK. Il aurait dû se lever. Il aurait dû enfiler son uniforme, rassembler ses affaires, redevenir le flic efficace et discipliné qu’il était censé être.
Mais il n’en avait pas envie. Pas tout de suite.
Il préférait rester là, les yeux ouverts sur le plafond, à se repasser son heure de lunch… la façon dont TK avait ri en lui sautant dessus, la chaleur de sa main sur sa nuque, le goût encore présent sur ses lèvres. Tout semblait encore flotter dans l’air, suspendu, comme si le monde avait cessé de bouger pendant quelques minutes.
Ces moments-là, Carlos les chérissait plus qu’il ne voulait l’admettre.
Ils passaient presque tout leur temps libre ensemble maintenant. Leurs jours de repos, leurs heures de lunch. Ils étaient même retournés dans cette boîte de nuit avec Paul, à danser jusqu’à ne plus sentir leurs jambes, à crier les paroles des chansons au milieu de la foule. TK avait ce rire contagieux, ce genre d’énergie qui donnait à Carlos l’impression d’avoir vingt ans à nouveau.
Et pourtant…
Plus le temps passait, plus cette impression persistait.
Il ne savait toujours pas ce qu’ils étaient.
Ils partageaient tout — les rires, les corps, parfois même les silences. Mais pas le reste.
Pas ce qu’il y avait derrière les regards perdus de TK quand il croyait que personne ne le voyait.
Pas ce qui se passait dans sa tête quand il restait immobile, le regard perdu au plafond, après l’amour.
Carlos avait essayé.
Il s’était même ouvert, chose qu’il faisait rarement. Il lui avait parlé de sa famille, de ses origines, de son père ranger, de ses sœurs un brin étourdissantes, de ses neveux, de toutes ces petites choses qu’il gardait d’habitude pour lui.
Il espérait que, peut-être, quelque part au milieu de ces confidences, TK trouverait la force de lui répondre.
De lui dire quelque chose de vrai, de profond.
Mais chaque fois, TK souriait, ou changeait de sujet.
Et Carlos faisait semblant que ça lui allait.
Il inspira profondément, cherchant à chasser cette lourdeur de sa poitrine.
Il repensa au moment où TK lui avait parler de son passé et aussi à cette nuit où TK était venu frapper à sa porte, paniqué, après avoir découvert la maladie de son père. Cette vulnérabilité-là, Carlos ne l’avait jamais oubliée. Il s’était senti utile. Nécessaire.
Mais depuis, TK s’était refermé, comme si cette faille s’était déjà refermée sur elle-même.
Alors il gardait le silence, se contentait d’être présent, de rire avec lui, de partager la chaleur de son corps dans la pénombre.
Et à chaque fois que TK retournait à sa vie lui restait là… comme un aman…
Il se tourna sur le côté, effleurant la taie d’oreiller encore imprégnée du parfum de TK.
Un sourire lui échappa malgré lui.
Peut-être qu’il devait juste lui laisser le temps.
TK avait déjà traversé tant de choses — la sobriété, les ruptures, le déménagement, son père malade…
Peut-être qu’il n’était pas encore prêt à se définir, ni à définir ce qu’ils étaient.
Il savait que tout ça prenait du temps. Que parfois, aimer quelqu’un, c’était attendre qu’il trouve le courage de se laisser aimer.
Mais attendre, c’était aussi douloureux.
Carlos inspira profondément, se redressa enfin, et attrapa son uniforme posé sur la chaise.
En enfilant sa chemise, il jeta un dernier regard au lit défait.
Tout ce qu’il savait, c’est qu’il voulait que TK revienne. Encore et encore. Partager des nuits entières avec lui, préparer son café le matin…
Même si pour l’instant, ce n’était que ça.
Des fragments de temps volés, suspendus entre deux appels, deux silences, deux respirations.
Est-ce que ça lui était suffisant ? Pour l’instant oui… parce qu’il avait surtout peur que si ca ne l’était pas… qu’allait-il devenir…