Ce qu’il reste de moi

TK fixait le plafond blanc du service d’urgence, encore un peu sonné. Il était assis sur une civière, la chemise entrouverte, l’épaule enveloppée d’un pansement imbibé de sang. Les points qu’il s’était fait faire quelques jours plus tôt avaient cédé quand il avait essayé de dégager la conductrice coincée dans le bus renversé.

Il aurait voulu croire qu’il avait réussi à la sortir de là par lui-même, mais il savait que non. Sans l’arrivée de la 126 et Owen qui avait pris le relais… elle n’aurait pas survécu. Et lui non plus, peut-être.

Il ferma les yeux, revivant l’instant où il avait plongé dans le bus. L’odeur d’essence, le goût métallique de l’eau, le bruit sourd de sa propre respiration qui s’étranglait dans sa gorge. Il avait senti son souffle se couper, ses poumons brûler, et pourtant, il n’avait pas lâché. Il ne pouvait pas.

Et au milieu de ce chaos, une seule pensée s’était imposée, plus forte que tout : Carlos.

Carlos qui l’attendait dehors, qui comptait sur lui, qui ne méritait pas de le perdre à cause d’un élan stupide de bravoure.

La peur qu’il avait ressentie n’était pas celle de mourir — mais celle d’imaginer la douleur dans les yeux de Carlos s’il ne revenait pas.

Il laissa échapper un souffle tremblé, un demi‑rire nerveux. Tout devenait si clair, d’un coup.

C’était ça, sa place. Être au cœur du danger, aider, agir. Être pompier.

Depuis des mois, il se cherchait, essayait de comprendre ce qui le définissait, ce qui donnait un sens à sa vie.

Et voilà que la réponse s’était imposée à lui, au milieu d’un bus inondé et de son cœur battant trop vite.

Il se sentait… léger. Libre, même. Comme s’il venait enfin de retrouver une part de lui-même qu’il avait oubliée à New York.

Il prit son téléphone sur la tablette à côté de lui, les doigts encore un peu tremblants.

Il écrivit simplement :

Tu peux venir me chercher ? Je veux te parler.

Pas besoin d’en dire plus. Il savait que Carlos comprendrait.

Le rideau de la salle s’écarta, laissant entrer un médecin en blouse bleue.

— On va refaire vos points, monsieur Strand.

TK hocha la tête sans vraiment l’écouter. Il sentit l’aiguille s’enfoncer dans sa peau, la brûlure de l’anesthésiant, le fil qui glisse. Mais tout ça lui semblait loin, presque irréel.

La seule chose à laquelle il pensait, c’était à la porte.

À l’instant où Carlos allait passer le seuil.

Parce qu’il avait besoin de le voir.

De lui dire que, pour la première fois depuis longtemps, il savait qui il était.

Et que, plus encore, il savait avec qui il voulait être.