Ce qu’il reste de moi
Le vestiaire de la 126 était encore silencieux.
Seul le bourdonnement des néons troublait la quiétude du matin.
TK s’assit lourdement sur le banc de métal, l’uniforme plié à côté de lui.
Il resta un moment immobile, les coudes sur les genoux, les doigts entrelacés.
Il fixait le sol sans vraiment le voir.
La nouvelle tournait dans sa tête en boucle.
Ses parents.
Un bébé.
Il laissa échapper un petit rire sans joie.
— Sérieusement… un bébé ? A leur âge…
La phrase sonnait absurde dans le vide du vestiaire.
Il se passa une main sur le visage, inspira profondément.
Depuis quelques temps il avait l’impression que les choses se stabilisaient enfin :
sa sobriété, sa relation avec Carlos, son rôle à la caserne, sa place auprès de son père…
Et voilà que tout venait de se fissurer.
Un bébé.
Un nouveau départ pour eux.
Et pour lui, quoi ?
Un rappel brutal qu’il n’était plus — ou peut-être n’avait jamais été — le centre de ce petit univers dysfonctionnel.
Il enfila lentement sa chemise, boutonnant chaque bouton avec un soin mécanique.
Un geste après l’autre.
Respirer. Se concentrer. Ne pas penser.
Mais ses pensées refusaient de coopérer.
Il les voyait déjà : Owen et Gwen, complices, heureux, réunis par cette nouvelle vie à venir.
Et lui, à part…
Ce bébé allait avoir ce qu’il n’avait jamais eu :
des parents ensemble. Stables. Aimants.
Et ça, ça lui faisait mal. Plus qu’il ne voulait l’admettre.
Il serra la mâchoire, noua ses lacets un peu trop fort.
Une partie de lui bouillonnait.
Pas contre le bébé, bien sûr — mais contre Owen.
Contre cette facilité qu’il avait à tout recommencer, comme si le passé ne comptait plus.
TK se leva, ajusta sa veste.
Son reflet dans le miroir lui renvoya l’image d’un homme qui tentait de garder le contrôle, alors qu’à l’intérieur tout vacillait.
Il s’appuya contre la porte, le regard vide.
Il avait besoin d’un plan, d’un but. Quelque chose pour ne pas replonger dans le chaos.
L’envie fugace de s’enivrer d’opiacer lui traversa l’esprit, suivie d’un éclat de honte.
Non. Pas ça. Pas encore.
Mais il avait besoin d’air, de mouvement, de défi.
Quelque chose qui l’obligerait à se concentrer ailleurs que sur cette colère sourde.
— Peut-être… que je pourrais passer ma certification de conducteur, murmura-t-il.
Il imaginait Judd, son calme habituel, sa main solide sur son épaule.
Conduire le camion, gérer la pression, avoir une responsabilité claire, directe.
Ce serait quelque chose. Un but concret.
Un moyen d’avancer.
Mais pour l’instant, il se sentait juste… vidé.
Perdu entre le soulagement de voir ses parents se retrouver, et la douleur d’en être exclu.
Il referma lentement son casier, prit sa radio.
Il inspira profondément.
Peut-être qu’un jour, il arriverait à rire de tout ça.
Mais pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, il devait juste tenir.
Et respirer.