La Marée des Ténèbres

Chapitre 11 : Divine Comédie

Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 02:03




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... Dong. Toutes ces heures avaient rejoint le spectre du passé. Des heures fastidieuses pour Maverick, qui avait arpenté le château de Merenas en tout sens pour mettre la main sur ces fichus vases canopes qui étaient fourrés dans les endroits les plus invraisemblables, juste pour lui faire perdre le plus de temps possible. Il se serait cru le personnage principal d'un quelconque RPG. Mais il assumait entièrement : il avait choisi le menu best-of et résoudrait toutes les épreuves du palace avant que le compte fatidique ne soit écoulé. Maintenant qu'il s'était engagé dans cette voie et à moins que tout ceci ne soit qu'un rêve prolongé, il n'avait plus vraiment le choix. Les dieux de cet autre monde étaient-ils en train de le regarder en s'esclaffant ?
Il était bien parti : confortablement logés dans un havresac qu'il avait fauché au gré de son avancée, se trouvaient douze vases canopes sans une trace de poussière.
Que n'avait-il du faire pour les acquérir, ces fichus machins !
Le premier se trouvait dans l'une des armures gardant la salle de la Table Ovale, pour rajouter à l'ironie, sûrement. Il l'avait justement acquis lorsqu'un des armures s'était animée, tentant vainement de l'attaquer et tombant de tout son long contre sa comparse. Il n'avait plus eu qu'à ramasser l'objet collector.
Pour cinq d'entre eux, il avait du batailler rageusement. Il regrettait que le Voïvode ne lui ai pas laissé son fidèle magnum. Même avec un chargeur antique de six balles, cela lui aurait permis de gagner du temps. Au lieu de cela, il avait du composer avec les instruments de bord – enflammer la momie verte avant qu'elle ne lance son cri mortel avec une torchère, plonger la sorcière dans son propre chaudron bouillonnant, décapiter l'homme boucher avec ses propres bras-lames, créer une querelle entre les différentes têtes de l'hydre pour qu'elles s'attaquent entre elles, faire s'asseoir le bourreau sur son propre siège à décalotter les crânes... Rien que de très classique.

Les autres vases lui avaient demandé un peu plus de ruse et d'agilité- enfin, guère plus. Il avait tout de même dû rouler un leprechaun dans une partie de poker endiablée, le lutin passant son temps à tricher effrontément, réussir une traversée digne d'Indiana Jones dans un couloir piégé en évitant murs écraseurs, fléchettes empoisonnées, lames pendulaires et autres choses sympathiques, battre un troll à un concours de boisson (le match s'était terminé dès le premier round : il avait versé dans la chope du troll du poison chipé chez la sorcière), voler un vase à une colonie de fourmis mutantes intelligentes, séduire la femme nommée Verseau (non sans mal, il n'était pas très brillant en la matière et avait fini par l'assomer), et enfin disputer une partie d'échecs contre un vieillard sans tête, ce qui ne l'empêcha pas de jouer très finement, sans pour autant éviter le fatal échec et mat.
Si on lui avait demandé son avis, il aurait volontiers avoué que cela tenait du grand n'importe quoi. Mais il finissait par s'habituer, au moins, à toute cette étrangeté, sans toujours l'apprécier pour autant. Chaque quart d'heure sonné par l'horloge de la salle de la Table Ovale augmentait la pression, et il se sentait de plus en plus fatigué; la traversée du fleuve des larmes l'avait quelque peu éprouvé.

Heureusement, il ne lui en restait plus qu'un à trouver, et grâce à son formidable sens de l'orientation, il ne risquait pas de perdre trop de temps- une dose de chance faisant le reste, comme c'était toujours le cas dans ce genre de situation..
Il avait tenté dans le même temps de chercher la signification de cette énigme. La réponse, il l'avait : ce qui s'éloigne alors que l'on s'en approche, cela ne peut être que l'horizon. Facile. Cependant, à l'intérieur d'un château qui était maintenant un peu trop animé à son goût, difficile de trouver un quelconque horizon. Toute ouverture vers l'extérieur se trouvait occultée par des planches ou un étrange verre noir.
Et ainsi il se retrouvait dans un énième corridor, marchant de façon très concentrée, tournant et retournant dans sa tête une manière de trouver un horizon à l'intérieur de la place-forte. Il cheminait tellement absorbé qu'il trébucha contre un obstacle imprévu et s'étala de tout son long, le havresac retombant avec force sur son dos fourbu. Las, il se releva quand même; et vérifia le contenu du sac, heureusement, aucun des précieux artéfacts n'avait été abîmé.

Il examina le sol : il était tombé à cause d'une main de squelette, sortant d'un trou dans le sol, qui tenait fermement...
Le dernier vase canope.
Enfin, peut-être. Il ne fallait pas prendre tout ce qu'il voyait pour argent comptant. Adepte de la prudence, il sortit une pierre qu'il gardait en réserve pour activer les dalles piégées telles que lancer de dards empoisonnés, murs-écraseurs, pluie de lance, gaz strangulateur et autres poncifs du genre, et tira comme un pétanqueur professionnel pour déloger l'objet de sa convoitise. La main se détracta frénétiquement, comme de mauvais gré. Il s'accroupit et saisit le vase, tout en lui adressant un regard critique. Il semblait authentique, jusqu'à preuve du contraire.
Satisfait d'en avoir terminé avec cette quête débile, il s'apprêtait à se remettre debout lorsque la main tressauta et s'agrippa à la sienne gauche. Maverick renonça à l'épreuve de force au bout d'une minute de vains tiraillements d'un côté et de l'autre, et laissa la main prendre son gant comme trophée.

L'appendice disparut dans le trou sans plus donner signe de vie (ou de mort, c'est selon). Maverick regarda avec dépit sa main gauche dénudée, ouvrit son imperméable et sortit celui de secours. Lorsque l'on adoptait un look aussi ténébreux que le sien, il fallait parer aux imprévus qui pouvaient gâter les éléments du costume, sinon, on perdait en classe.
Fin prêt, il reprit son chemin. Tout se passait finalement bien, et...
Hum ? Un petit grattement sous le sol. Il regarda en arrière; rien du tout. Sûrement un effet de son imagination, après avoir traversé toutes ces épreuves farfelues, son circuit de méfiance était en surchauffe.
Boum, boum, boum.
Là, il stoppa net, mais rien ne se passa.
Interloqué, il reprit de nouveau la marche.
Crrrr....
Des bruits de déchirement. Si quelqu'un cherchait à lui faire peur, il pouvait toujours courir. Sa résurrection lui avait donné une nouvelle fois en ses capacités qui ne le faisait pour l'instant craindre personne ou quoi que ce soit, à part peut-être le Voïvode, qui pouvait certainement reprendre ce qu'il avait donné. C'était le grand point négatif dans cette affaire, que sa vie soit suspendue au bon vouloir d'une entité inconnue et ambivalente...
"Qui que vous vous soyez, montrez- vous ! somma-t-il, excédé. Je n'ai pas de temps à perdre avec des bruits étranges."
BOUM !
Le sol du couloir derrière lui vola en éclats, l'un d'eux passant juste au-dessus de sa tête. Maverick se mit en position défensive, sans pouvoir aussi bien se protéger quelque part. Une main-squelette se posa sur le rebord du trou ainsi créé, puis une autre, et une autre encore. Il finit par en surgir un immense squelette qui au moment de se rassembler avait du faire quelques emprunts chez des espèces non-humaine. Même son visage, en dépit d'un caractère humanoïde, était un peu allongé et ovale.
Le géant squelette, bardé de mains et d'appendices osseux dans tous les sens, avança lourdement vers sa victime, et le toisa, l'air mauvais.
"AAAAAAAAAAAAAARRRRRRRRRRAOUUUUUUUUH !"
Maverick avait fermé les yeux sous cette haleine qui sentait les pieds ayant marché sur des œufs pourris (en les faisant exploser), sans ciller plus que cela.
" Mais encore ?
-GOOOORRROOOOOKDUUURGRAOUUUUUUUUUUULK !!!
- Dites-moi, vous ne vous sentiriez pas un peu ridicule ?
- GRRAAAAA... Euh ? (Tousse, tousse). En effet, pour dire l'entière vérité, si, je me sens complètement ridicule à chaque fois que je fais ça. Mais c'est une obligation syndicale, vous savez.
- Pourquoi ça ?
- Hé bien, vous voyez, il y a quand même des malins pour vouloir ramasser les vases canopes, alors j'en garde un, je le laisse le prendre trop facilement, puis je surgis comme ça pour le broyer entre mes mains ensuite dans d'affreuses souffrances. Et le sol se répare à chaque fois que je retourne me cacher là-dessous. Il faut bien les calmer, ceux-là qui croient pouvoir rassembler tous les vases..."
Maverick déballe le contenu de son havresac devant lui.
" Par le Grand Ossuaire ! s'exclama la créature, positivement étonnée. C'est bien la première fois que je vois ça ! C'est bien impressionnant, mais écoutez, je ne peux pas trahir ma profession de foi, je vais quand même devoir vous massacrer dans d'horribles souffrances. Sincèrement navré.
- Allons, réfléchissez un peu, est-ce que ça vous plaît vraiment de moisir ici pour surgir une fois tous les dix ans ?
- Non point, mais bon, je suis comme qui dirait dans une sorte de stase le reste du temps... Et puis, je n'ai pas le choix, depuis que cette maudite baraque en pierre a été arrachée du sol, je ne peux pas la quitter, je suis comme dirait assigné à résidence, même si je n'ai rien à voir dans toute cette histoire de malédiction.
- Bien sûr que si ! Réfléchissez, mon ami. Maintenant que j'ai les treize vases, vous n'avez plus qu'à venir avec moi, et nous partirons ensemble de Perdide. C'est aussi simple que ça.
- Cornegidouille ! Si je m'attendais à cela ! Vous pensez bien, personne ne m'a fait pareille proposition. Quelque chose devait les déranger dans mon allure, allez savoir quoi. Et puis, il doit être difficile de dire quelque chose avec un de mes doigts en travers de la gorge.
- Je suppose que oui. Vous voyez, un peu de diplomatie peut arranger merveilleusement les choses.
- Attendez, je n'ai pas encore dit que je vous faisais confiance... Facile à dire ça, le beau plan de nous envoler de cette île ! Qui ne me dis pas que vous pourriez me trahir et profiter de mon auguste présence pour repousser les derniers obstacles ?
- Mais voyons, hm... Quel est votre nom ?
- Je suis Cortez, créature démoniaque du sixième cercle, fit-il pompeusement.
- Et moi Maverick,... Juste Maverick.
- Enchanté.
- Très heureux.
- Bref, que vouliez-vous me dire ?
- Donc, puissant Cortez, comment pourrais-je donc vous trahir, même si je le voulais ? Vous êtes d'une telle prestance et d'une telle force que je ne pourrais imaginer vous vaincre. De plus, j'aurai besoin de votre aide pour résoudre l'énigme et aller chercher le trésor.
- Parbleu ! Tu as déjà ces maudits vases, que vas-tu chercher à prendre les deux autres options ? Le trésor encore, je peux comprendre, mais...
- C'est une promesse que j'ai faite. Et quelque chose que j'ai envie de me prouver à moi-même. Ainsi, ce château ne sera plus jamais un piège pour personne.
- Oh, oh, oh ! Tu ne manques pas de cran, petit homme. Et pas de bon sens, non plus. Dieux ! Que j'en ai assez de rester tapi ici avec une victime tous les lustres. Tu as raison. Partons d'ici, quelle que ce soit la forme du monde extérieur, j'ai envie de le voir. Combien reste-t-il de temps ?
- Environ trois heures. Savez-vous où se trouve l'horizon ?"
Cortez pouffa, ce qui, venant de la bouche d'un squelette, était assez infâme à entendre.
" La bonne blague ! Je ne sais plus combien se sont fait avoir comme ça... Vous avez passé des heures à chercher une ouverture, hé ? C'est vu et revu. Je sais où se trouve l'horizon. Il s'agit d'une petite toile peinte à l'aquarelle, très moche d'ailleurs, planquée dans un coin impensable de la baraque. Suis-moi donc, petit homme, je vais t'y conduire, puisque tu tiens à montrer tes compétences."

Cortez prit ensuite une forme plus humanoïde, avec seulement un corps, une tête, deux bras et deux jambes. Maverick l'interrogea sur ce prodige, et il-lui dit avec une fausse humilité qu'il était, à sa connaissance, le seul spécimen de polymorphos, un squelette capable de prendre la forme d'un autre ou d'un assemblage d'autres, pour peu qu'il les ai absorbés auparavant. Il en avait déjà ingéré beaucoup, ce qui expliquait la taille qu'il pouvait prendre. Les os contenaient aussi des fragments de mémoire de leur ancien propriétaire, ce qui pouvait toujours s'avérer utile.
Et Cortez s'avéra très utile. Il restait encore toute une tripotée de monstre dans les parages, qui fuyaient tous en le voyant, ce qui avait pour effet de déclencher chez lui une franche hilarité. Il paraissait très joyeux d'avoir enfin quitté son trou et de s'être libéré de cette servitude stupide.
Le chemin se fit alors presque agréablement, même si Maverick s'inquiéta que l'horloge sonna deux fois les quarts passés avant qu'ils n'aient enfin atteint la pièce tant recherchée.
Il s'agissait d'un vieux fumoir quelconque qu'il n'aurait sûrement pas pris la peine de fouiller, tant l'endroit semblait vide d'intérêt. Mais à côté d'un meuble vitré dans lequel reposaient des armes antiques, comme ce pistolet à silex à un coup, était en effet accrochée au mur un petite aquarelle très moche censée représenter l'horizon.
Cortez fit signe de façon exagérée de se hâter pour mieux découvrir le chef d'œuvre.
Maverick s'approcha, et décrocha le tableau. Comme il le pensait, derrière se trouvait le texte de la seconde énigme :

" D'aucun disent que je participe du Diable,
Pourtant, des Anciens je me faisais chérir.
Si vous manquez de moi, en société vous paraîtrez misérable !
A mesure que vous croissez en âge, je ne cesse de grandir.

Je fuis le sot et courtise l'érudit,
Prononcez maintenant mon nom autant de fois que le chiffre béni.
Un seul essai, pas d'erreur, sinon, vous allez souffrir.
"

"Hm, je ne vois pas... fit Cortez. Par contre, je peux au moins vous dire que le chiffre béni, c'est sept. Ce serait bête que vous mourriez pour si peu, si proche du but.
- Merci infiniment, Cortez.", dit Maverick, sincère. Il n'avait eu aucune idée concernant cette réponse.
Son cerveau tournait à pleine vapeur. La réponse devait être assez évidente, il le savait, mais il avait du mal à se concentrer avec Cortez qui murmurait derrière lui.
" Qui participe du Diable ? Hm, c'est moi, ça... Attend, ce que les Anciens chérissent ? Sûrement une petite fille. Il y a plein de pédophiles chez les vieux. Et sans moi, misérable en société ? Cela, ça ne peut être que les vêtements. Vous, les humains, vous paraissez misérables sans vêtements, au contraire de nous, les squelettes, qui pouvons nous montrer fièrement sans oripeaux.
Ah, et pour ce truc qui grandit en même temps que vous, il s'agirait pas du machin mou entre vos jambes, non ? Quand au dernier indice, nul doute, c'est une femme. Elles aiment toujours ceux qui ont la tête bien pleine, et le reste bien long si possible. C'est pour ça que je n'ai pas trop de succès auprès de celles qui ont de la chair.
- Cortez... finit par soupirer Maverick. Il n'y qu'une seule solution pour l'ensemble des cinq phrases, pas une par phrase...
- Aaaaaah... Autant pour moi."
Il perdit un précieux quart d'heure à remettre ses idées en place, pour finalement trouver la solution.
" Savoir, savoir, savoir, savoir, savoir, savoir, savoir.", égrena-t-il.
Un petit bruit, pareil à celui émis lorsque vous déjouez brillamment un mécanisme dans un Zelda (même si c'est parfois aussi compliqué que d'allumer deux torches pour faire apparaître un coffre), se fit entendre. Un petit diablotin orange sortit de l'aquarelle, vêtu d'un pagne, la queue pointue et tenant un trident miniature. Ses yeux ovales et verts, sans iris ni pupilles, étaient emplis de malice.
" Bravo, vieux ! dit-il de sa voix aiguë. C'est bien la première fois que quelqu'un arrive à la résoudre.
- Vraiment ? questionna Maverick, pas plus étonné que ça de l'apparition de la créature ridicule.
- Comme je te dis. Les autres se plantaient toujours sur l'une ou l'autre des parties. Bon, alors, prêt pour te tirer de là ? Un ticket aussi pour ton ami maigrelet, là ? Pressons, pressons ! Si tu crois que je ne fais que Perdide, tu te le mets dans l'œil. J'ai beaucoup de boulot, tu sais !
- Cela m'importe peu. Je ne veux pas partir d'ici. Du moins, pas comme ça.
- Hein ? s'étrangla le diablotin.
- Non. C'était uniquement pour le challenge. Cortez, capture-moi cette chose, veut-tu bien ? Elle pourra peut-être nous servir plus tard. Et puis, il faut bien emporter un trophée de ma réussite.
- Je ne peux pas la manger tout de suite ? Elle a l'air croustillante, et je ne supporte pas sa voix.
- Si elle essaie de se plaindre, tu as mon autorisation pour la dévorer crue."
Complètement affolée, la bestiole volante se retrouva enserrée dans la main gauche de Cortez, n'osant dire mot de peur de se retrouver croquée. Ah, ça, si il s'en sortait, ils allaient l'entendre au syndicat !

" Bien. Connais-tu le chemin le plus rapide pour aller aux jardins ?
- Bien sûr, qu'est-ce que tu crois ? Cortez le guide, y' a qu'à demander. Ne mollassone pas comme tout à l'heure, si tu tiens réellement à sauver les autres vieux os de la Table Ovale, nous allons être juste niveau temps. Très juste. Je me demande bien ce qui te pousse à les secourir ! Et maintenant que tu m'as fait miroiter la sortie de cet endroit, je ne tiens pas à la laisser s'échapper, même pour ce trésor !
- Si nous avions tout le temps pour rentrer, ce ne serait pas très excitant, non ?
- Ah, ah ! Un point pour toi. Dans de cas, pressons ferme. Une deux, une deux !"
Et ils se remirent en route, Cortez chantant de sa voix sépulcrale des chansons paillardes de marins. Tout le reste n'avait été que préparation, maintenant, il se dirigeait droit vers ce qui lui tenait à cœur. S'il avait une chance de revoir Lyly, il ne la perdrait pas...
Il avait vécu toutes ces années sans jamais entrer en contact avec elle, de peur qu'elle ne soit dégoûtée devant ce qu'il était devenu. De peur qu'elle ne comprenne pas pourquoi il était devenu ainsi. De peur de ne pas pouvoir la convaincre qu'elle possédait le don de le faire changer.
Maintenant, il faisait fuir la peur. Il avait une fois entendu une litanie intéressante à ce sujet :
" Je n'aurai pas peur. La peur est la petite mort qui tue l'esprit, qui mène à l'oblitération totale. J'affronterai ma peur. Je la laisserai passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passé, il n'y aura rien.
Rien que moi.
"
Ainsi rasséréné, il suivit Cortez le long d'un trajet dont la monotonie était à peine brisée par des pièges dont il se jouait aisément, et des monstres qu'il faisait déguerpir en claquant des doigts, ainsi que la voix braillarde de Cortez. Finalement, ils arrivèrent à une petite porte de service, toute discrète, et bien réelle en dépit de son apparence de porte peinte en trompe-l'œil.
" Maverick, annonça Cortez, c'est bien beau que tu aies survécu à toutes les folies de ce château, mais ce jardin, ce n'est pas du gâteau. Je n'y ai jamais pointé mon museau, et rechigne un peu à me jeter à l'eau. Tous ceux qui y sont allés ne sont plus maintenant que des os !
- Que t'arrive-t-il à parler en vers, Cortez ?
- Une simple envolée lyrique de circonstance.
- Pourquoi pas... Enfin, je ne crains plus rien. Ne fais pas le faquin, avançons vers notre destin, que je n'ai point fait tout ce chemin en vain.
- Fort bien dit, petit homme ! Avec moi pour te protéger, en effet, tu ne devrais pas craindre grand-chose. Hâtons-nous au lieu de palabrer, l'horloge viens de sonner, il ne nous reste plus qu'une petite heure."
Maverick acquiesça, puis ils franchirent tous deux la porte à ces fameux jardins qui celaient en leur sein ce fameux trésor changeant.

Les lieux paraissaient pourtant enchanteurs. Les oiseaux poussaient de jolies trilles gaies, on y voyait toutes sortes de plantes, d'arbres et fleurs délicatement assorties, pétillants de couleurs et d'harmonie. Aucune mauvaise herbe, aucun parasite, rien que de la beauté et de la tranquillité, cela devait être là un des projets de Merenas durant sa période de folie. Méfiance donc.
Ils avancèrent jusqu'à un embranchement, où se tenait un panneau de beau bois annonçant :
" Allée des divines flagrances."
Cortez renifla en voyant cette inscription.
" Si tu veux mon avis, Maverick, la sorcellerie commence dès ici. Tout paraît bien beau, mais je sens la mort rôder au coin des haies. Pinces-toi le nez hermétiquement pendant toute l'allée, et gardes-toi de respirer ne serait-ce qu'une bouffée."
Il hocha la tête. Le squelette faisait preuve d'une meilleure vivacité d'esprit que durant le passage de l'énigme. Il avança donc entre les rangées de plantes qui ne demandaient qu'être humées, le nez fortement pressé par sa main droite. Cortez, lui, ne rencontrait aucune problème, son nez s'étant décomposé depuis très longtemps.
Maverick crut à certains moments que les tiges des fleurs cherchaient à s'allonger pour s'orienter vers son nez. Il décida de regarder droit devant lui. A cause de cela, il ne vit pas les restes funéraires enchâssés dans le paillis des plantes.
Des insectes vinrent bourdonner près de lui. Cortez les chassa de grand coups de mains rageurs, nul doute qu'ils venaient forcer le récalcitrant à humer un parfum si enivrant qu'il ne pourrait plus jamais s'en dégager sans en mourir. Le diablotin, enserré de force entre les côtés de Cortez, ne cessait de ruer pour essayer de s'en extraire, attiré par ces odeurs sublimes.
L'allée prit fin à un autre carrefour, où les attendait un second panneau.
"Menuet des bois", indiquait-il.
" Par le Grand Ossuaire ! Maverick, qu'est-ce donc qu'un menuet ?
- C'est une forme de mélodie musicale.
- Oh ! Bien, je vois se dresser le tableau. Cinq épreuves, toutes relatives à vos cinq sens. Effroyablement simple, mais sûrement efficace, vous êtes si faibles, vous qui portez de la chair ! Quiconque survit à l'une de ces ordalies sensorielles meurt à la suivante. Si c'est de musique dont il s'agit maintenant, il va falloir que je te bouche les oreilles, mon ami. Tes doigts gantés ne suffiront pas.
- Je ne sais pas si...
- Mais si, avec moi, c'est plus sûr. Et je ne crains pas la musique, au cas où tu le demanderais. La seule que j'apprécie, c'est celle de la chair déchirée, des lames qui ripent et des maracas, et je ne pense pas qu'ils nous joueront ce morceau. Allons donc, ne fais pas l'enfant, laisse-moi faire."
Ce fut une scène étrange que de voir Maverick cheminer en regardant des plantes-clochettes, fleurs-flûtes, arbres-violons et autre flore musicale, pendant que le squelette de grande taille lui tenait fermement les écoutilles du cerveau hermétiquement fermées. Maverick s'enchanta réellement de la présence du mort-vivant, et se dit que quelqu'un, quelque part, avait du arranger cette rencontre.
Malgré tout le talent de son acolyte, il percevait de lointains échos, et ces seuls faibles harmoniques lui donnait envie de s'asseoir pour les écouter. Toutefois, il suffisait de voir tous les squelettes assis pour l'éternité devant des bosquets, un sourire béat pour toujours figés sur leurs lèvres décharnées, pour se convaincre de ne pas rester l'oreille ouverte.
Pendant que Maverick ne regardait pas, il en croqua quelques-uns, en se faisant pousser discrètement d'autres bras pour ensuite les engouffrer dans sa mâchoire et les croquer rapidement.

Le diablotin fit encore des siennes en chahutant en lui, et il se dit qu'il le mangerait un peu plus tard comme en-cas.

" C'est bon, tu peux lâcher mes oreilles, Cortez.
- Quel délicat ! Bon, à quoi avons-nous droit maintenant ? Hm... 'Jardin du repos virginal.' Embêtant, embêtant... Je ne vois pas de quel sens il s'agit. Et toi ?
- Pas le goût, en tout cas. Cela n'a rien de virginal. Je ne parie pas non plus pour le toucher.
- Donc, la vue ? Ah, nous verrons bien. Ahem. Je marche devant jusqu'à ce que nous soyons fixés sur la nature de ce passage-ci, je suis immunisé contre toutes ces tentations, suis-moi donc."
Et ainsi fut fait. Ils marchèrent quelques moments dans ce jardin, dont la flore semblait tout à fait normale, et ne croisèrent aucun squelette, au soulagement de Maverick et au grand dam de Cortez, qui se sentait un petit creux. Puis, soudainement !
" Oh ! Oh, oh oh !
- Qu'y a-t-il ?
- Parbleu, tu avais raison, Maverick; il ne peut s'agir que de la vue. Il ne faut même pas que je te décrive ce qu'il y a devant, sinon, c'en est fait de toi. Laisse-moi te prendre comme la dernière fois, je vais te cacher les yeux. Inutile de ronchonner, je sais que tu trouves ça quelque peu rabaissant, mais moi je ne risque pas de mourir, alors...
- Bien, s'il le faut vraiment..."
Il ferma les yeux et laissa Cortez les recouvrir de ses doigts. La sensation n'était pas si horrible.
Il avança donc, guidé par son allié du moment qui lui disait ou se diriger.
" Oui, voilà, continuez... Non, malheureux, pas à droite ! Parce que... Oh, la belle paire de !...
- Qu'est-ce que je ne dois pas regarder, à la fin, Cortez ?
- Diaboliques, ils sont vraiment diaboliques... Il y en a pour tous les goûts, je pense, relativement à votre espèce.
- Quoi ça ? Des femmes ?
- Hein ? Oh, oui, oui, des femmes. Et pas qu'un peu. Il y en a partout ! Blondes, brunes, rousses, petites, grandes, minces, bien en chair, bien garni au niveau de-
- Je pense que ça suffira, Cortez.
- Hm, oui. Pressons le pas; Maverick. Je crois qu'elles sont en train de nous encercler, et je vois dans leurs yeux qu'elles ont toutes envie de se jeter sur toi, et leurs intentions sont manifestes.
- Je n'ai pas le temps pour badiner, répliqua froidement Maverick.
- Je ne crois pas qu’elles veulent badiner ! Elles sont toutes vêtues dans le plus simple appareil, tu sais. Une des plus vieilles tentations de l'univers ! Heureusement, moi, ça ne me fait ni chaud ni froid. Ah, mais attendez ! Quelle est cette beauté divine, là-bas ! Par la malepeste, quelle squelette ! Regardez-moi ces radius et ces cubitus... Et quel occiput ! Et ce bassin si bien proportionné ! Je suis subjugué par tant de grâce osseuse ! Je dévie, je défaille...
- Cortez, cesse de faire l'imbécile ! Ce ne sont pas quelques femmes nues qui vont me faire dévier, moi. Couvre tes propres yeux avant qu'il n'arrive quelque chose.
- Ah mais non, non, toi non plus tu ne résisterais pas ! Si je te laisse là, tu irais forniquer jusqu'aux bouts des temps, les humains sont comme ça. Ici, c'est le paradis des obsédés mâles, ce qui fait je le crains une bonne majorité des mâles de l'univers. Je ne peux pas vous laisser sans protection oculaire.
- Cortez...
- Oui ?"

Maverick banda ses muscles, et fit une prise à son compagnon qui roula bassin par dessus crâne. Sans attendre, il ouvrit les yeux et alla maîtriser le squelette, l'obligeant à couvrir ses yeux de ses propres mains.
" Parbleu, je ne te pensais pas d'une telle force ! dit Cortez d'une voix étouffée.
- Mieux vaux montrer sa faiblesse pour cacher sa force. Est-ce que tu te sens mieux, Cortez ?
- Un léger mal au crâne, maintenant. Mais toi ? Tu vas te faire proprement déflorer par toutes ces égéries...
- Pas vraiment, non. Relèves-toi et continue à te couvrir les yeux. Guides-toi en te faisant pousser deux autres bras. Je te rejoins pour te guider plus sûrement ensuite.
- Si tu êtes si sûr de toi..."
La créature s'exécuta. Le diablotin, qui pendant tout ce temps avait été enfermé à l'intérieur de la cage thoracique pour plus de commodité, piailla son mécontentement. Il voyait plein de diablotines affriolantes et ressentait un besoin urgent de sortir. Cortez, déjà assez embarrassé comme ça, exauça son souhait, et bon débarras.
Maverick vit qu'il n'avait pas menti. De partout arrivaient des femmes à la plastique parfaite, trop parfaite pour être honnêtes. De toute manière, il n'avait cure d'elles, et il alla guider Cortez vers la sortie de ce jardin stupide.
"Allons, ne t'en va pas, beau ténébreux ! roucoula une blonde en lui prenant un bras.
- Tu as l'air si fatigué... Pourquoi ne pas reposer tes muscles avec l'une d'entre nous ? proposa une brune en lui prenant l'autre bras.
- Ou avec nous toutes... "compléta une troisième.
Maverick se dégagea de cet assaut féminin, et pour donner le change, attrapa la blonde par le cou. Croyant qu'il se laissait prendre au charme, elle lui décerna un sourire lascif.
" Je n'ai rien mangé depuis une journée, ni bu, sauf dans un torrent de larmes et pas réellement de façon volontaire, j'ai traversé un château loufoque sans prendre une minute de vrai repos. J'ai bien peur que mon stock de complaisance soit épuisé pour la journée. Désolé, rien de personnel.
- Oh, mais ne t'inquiète pas, je..."
Elle ne termina jamais sa phrase; Maverick lui rompit la nuque d'un tour de main avec un claquement sec. Elle s'affala contre le sol, toute molle. Les autres tentatrices le regardèrent passer en silence pour rejoindre son compagnon de route sans chair. Elles n'avaient pas envie d'user d'une autre stratégie avec un homme qui était capable de tuer froidement une femme de cette façon.
Il avait remporté la partie, et dans un soupir, elles s'évanouirent dans les airs. Pour ceux qui seraient intéressés par le sort du diablotin, il termina sa vie ici après avoir expérimenté le plaisir ultime, ajoutant une touche insolite à la partie mortuaire du jardin avec son minuscule squelette.
Un peu plus loin, Cortez se reposait de ces émotions, devant un Maverick impatient.

" Jamais je n'ai vu un homme comme toi, Maverick, résister à ce point au désir. Stupéfiant !
- C'est très facile, puisqu'elles n'ont provoqué en moi aucun désir, rétorqua-t-il. Mon seul désir actuel est d'aller au bout du jardin. Tout obstacle doit être évité... Ou détruit.
- Brr ! Tu me ferais presque frissonner mes vieux os à parler comme ça. Bon, qu'avons-nous ici? 'Le chemin de la randonnée onctueuse ?' Bwah, ça, cette terre violette et gélatineuse ?
- Il ne faut pas s'y fier. Je suppose que marcher quelques pas sur cette substance suffis à nous y damner éternellement.
- Bha, on ne me prendra à ce jeu-là. J'ai plus d'un tour dans mes os. Installes-toi donc à califourchon sur mes omoplates, Maverick, ceci ne va pas nous poser de difficultés.
- Quoi, je dois encore me mettre dans une position ridicule !
- Bhra, bhra ! pesta Cortez. Cesse ces enfantillages. Il n'y a personne pour nous regarder, ici. Fais donc."
Curieux de ce qu'il allait bien pouvoir trouver comme solution, il se percha comme demandé sur le squelette. Celui-ci se redressa de toute sa hauteur, puis se concentra.
Ploc !
La terre se fit plus basse.
Ploc !
Ploc
!
Ploc !
Il ne cessait de monter, monter. Maverick jeta un coup d'œil prudent en contrebas, à chaque ploc, un tibia supplémentaire venait se greffer à chaque jambe de Cortez. Sa taille augmenta à ploc de suite, et Maverick s'inquiéta de bientôt voir la cime du château à sa hauteur, bien qu'à quelque distance.
" J'espère que tu n'as pas le vertige, petit homme. Hm... Encore quelques plocs. Voilà, ça devrait être bon. Tu es prêt ? Accroches-toi bien, il s'agit de ne pas me déséquilibrer d'un pouce. Ho hisse, hardi ! Voilà le plus grand pas jamais fait par un mort-vivant !"
Et il allongea la jambe, dont le pied alla se poser trois cent mètres plus loin, là où la terre violette se tarissait pour laisser place au chemin sans danger pour le marcheur.
" A la une, à la deux..."
Il donna une impulsion à sa jambe déjà engagé, et avec un effort considérable même pour un mort-vivant, il amena sa seconde jambe en sécurité.
Maverick rouvrit prudemment les yeux.
" Yo oh oh ! Parfait, parfait. Une nouvelle victoire du grand Cortez !"
Et il se mit à rire à mâchoire déployée, ce qui le fit trembler de ton son corps.
" Gnah ? J'ai rit victoire un peu trop vite... Timber, timber !"
Ses deux jambes d'une longueur plus que démesurées tanguèrent, tanguèrent, puis ils tombèrent finalement. Maverick, préparé à une telle éventualité, s'accrocha avec habileté à une branche d'un arbre de leur point de chute, et sauta souplement à terre, tandis que Cortez chutait avec fracas contre le sol herbu du champ d’arbre fruitier.

" Quelqu'un a relevé le numéro d'immatriculation de la comète qui m'est tombée sur la tête ? marmonna-t-il pendant que son corps reprenait une taille raisonnable.
- Allons, relèves-toi, Cortez. Nous sommes presque au bout, plus qu'à passer ce champ.
- Gnah ? Un champ ? Oh, mes os..."
Il se releva tout de même. Il ne pouvait plus maintenant s'agir que de mettre à l'épreuve leur goût, en témoignaient les squelettes tenant encore dans leurs mains des fruits momifiés. Maverick traçait la route, son estomac grognant et le suppliant de dévorer ne serait-ce qu'un seul de ces fruits à l'aspect tellement délicieux, mais sa volonté était sans faille.
Au bout d'un moment, il n'entendit plus le bruit de pas de Cortez, et se retourna. Le non-mort allait commettre l'irréparable en voulant cueillir une pomme juteuse. Exaspéré, Maverick lui décocha une charge de vague noire avec le peu d'énergie qui lui restait encore, même s'il ne laissait rien paraître de sa fatigue.
" Qu'est-ce qui te prend, Cortez ? Depuis quand les squelettes ont-ils faim ?
- Détrompes-toi, Maverick ! maugréa l'autre en se massant l'occiput. Je n'ai aucun besoin de manger, mais ça ne veut pas dire que je ne ressens pas la faim parfois. Et les pommes sont mon péché mignon. Regarde-les ! Jamais vu plus de belles. Laisse-moi en croquer une, et repartons trouver ton trésor.
- Pas question. Je n'ai pas envie que ta gourmandise vienne tout gâcher au dernier moment."
Et sans, autre forme de procès, il le mit à terre et le traîna par le bout du tibia. Cortez laboura le sol de ses doigts pendant la traversée, s'exclamant de temps à autre " Gnaaah ! Mes pommes, mes merveilleuses pommes !"
Mais ils finirent par atteindre la sortie du champ, où ils trouvèrent un ultime panneau, qui ne comportait aucune mention. Cette nouvelle zone ne contenait qu'un petit bocage paisible, où voletaient des papillons aux ailes magnifiques de toutes les couleurs et avec tous les motifs les plus étonnants. D'un féérique un peu déplacé et écœurant après cette petite ballade de santé.
Et au centre du bocage, un autel fait de tiges entrelacées et de fleurs bourgeonnantes.
Et sur cet autel végétal, reposait, comme dans un conte de fée, une jeune femme rousse endormie, un objet rectangulaire serré contre son cœur. Maverick lâcha d'un coup Cortez, et se dirigea droit vers elle, puis s'agenouilla.

Elle dormait si paisiblement, un sourire aux lèvres. Il caressa ses cheveux, et elle ouvrit doucement les yeux.
"Hmm ? Où suis-je ? Oh, c'est toi, Maverick... Ce n'était donc pas complètement un rêve...
- Non... Je suis là, maintenant. Mais c'est étrange... C'est comme si ton corps n'était qu'à moitié présent. Il est tantôt flou, tantôt net.
- Maverick... J'ai froid... Il y a de la neige, dehors, beaucoup de neige... Je suis inquiète mais... Tu es là. Oh !
- Qu'est-ce qu'il y a ? Que se passe-t-il ?
- Une voix, dans ma tête... Oooh... Maverick, je ne peux rien faire contre elle, tu dois l'écouter, mais crois-moi, je n'ai pas envie de dire ça, ce n'est pas moi..."
Elle se dressa à demain sur l'autel, puis débita d'une voix altérée en le regardant droit dans les yeux :
" Maverick... Tu es venu. Peu m'importe que tu aies brisé le miroir. Ce n'est pas grave. Tu n'as plus à te soucier de rien, maintenant. Tous tes péchés sont pardonnés. Nous sommes ensemble... Et c'est tout ce qui compte. Personne ne viendra jamais nous déranger, ici. Tu n'auras plus de compte à rendre, tu n'auras plus à tuer. Embrasse-moi, Maverick. Toi et moi seront les maîtres de Perdide. Nous l'amènerons dans un paradis, et il deviendra notre royaume. Et nous serons à jamais heureux, ensemble. Pourquoi me regardes-tu comme ça ? Embrasse-moi...
- Non, fit-il, fermement.
- Embrasse-moi...
- Non ! affirma-t-il, un peu affolé de voir ses lèvres se rapprocher.
- Embrasse-moi...
- Non... répondit-il, un peu moins sûr de lui.
- Alors dis-moi juste que tu veux que je sois tienne. Demande tout ce que tu veux de moi !
- Non, réitéra-t-il. Pas comme ça, pas ici.
- Quoi, tu ne veux pas de moi ? Tu es un peu gonflé, ça fait vingt ans que j'attends.
- Ce n'est pas la question, Lyly. Ce que je veux, c'est rendre heureux quelqu'un au moins une fois dans ma sombre vie. Te rendre heureuse. Mais je veux que tu sois libre... Ici, tu ne connaîtras jamais le bonheur. Et tu ne seras pas libre non plus."
Elle hocha la tête, puis s'évanouit. Une ou deux minutes plus tard, elle ouvrit à nouveau les yeux.
" Maverick...
- Lyly ?
- Cette voix m'a dit que tu avais gagné... Je n'ai pas tout compris. Maverick, je ne sais pas du tout ce qui se passe, mais je me sens partir. Je ne suis pas vraiment censée être ici, on dirait. Prends ceci..."
Elle déposa un médaillon en or au creux de la main de son ami d'enfance.
" J'aurai voulu te le donner avant que tu t'enfuies dans la nuit. Peut-être que tu ne m'aurais pas oubliée, alors ?
- Je ne t'ai jamais oublié, Lyly. Il valait mieux pour toi que tu sois loin de moi. Je te l'assure...
- Mais maintenant, c'est fini, hein ? Tu me protégeais, Maverick, mais je sentais que je te protégeais aussi, d'une certaine manière... De toi-même, de ta solitude. Garde le médaillon pour penser à moi... Tu viendras me retrouver, un jour ? Ce serait bien de se retrouver après tout ce temps...
- Je te le promet, Lyly. (Si je suis encore en vie)
- Ce serait tellement bien. Tu sais, depuis tout ce temps, je-"
Mais elle ne put ajouter un mot; son corps devint surbrillant l'espace d'une seconde, et elle disparut.
Comme ça, d'un coup.
Tout ça pour ça ?
Hé oui. Ce qui n'empêchait pas Maverick de se sentir légèrement déçu. Bien entendu cela avait été grisant d'être aussi près d'elle... Mais trop court, et un peu trop brumeux pour lui. Quelque chose continuait à clocher. Qu'est-ce que c'était que cette histoire de neige ?
Pour le moment, il n'avait pas à le savoir, et il se contenta de contempler brièvement le médaillon, avant de le ranger précieusement à l'intérieur d'une des poches de son manteau qui paraissait être sans limite de contenance.
Le havresac lui paraissait bien lourd, maintenant, et il c'était miracle qu'aucun des vases canopes si chèrement acquis ne se soit abîmé ou brisé au cours de l'expédition.
Derrière lui, Cortez faisait sembler de sécher un oeil inexistant, les lueurs bleues de ses yeux luisant de moquerie.
" Qu'est-ce que c'était émouvant ! J'en pleurerai, si j'avais des canaux lacrymaux.
- Persifle donc...
- Non, non, je suis simplement contemplatif. Il n'y a pas dix minutes tu couiques une femme bien faite qui ne demandait qu'à t'initier au mystère de la vie, et là, tu refuses les avances d'une frêle demoiselle, et tu t'émotionnes grandement. N'y aurait-il pas quelque chose de monté à l'envers chez toi, Maverick ?
- Il y a sûrement plusieurs choses qui feraient tiquer un psychologue, mais rassure-toi, je suis parfaitement bien pour le reste. Partons d'ici avant qu'il ne soit trop tard.
- Hm, mais n'est-ce pas le troisième dong que j'entends-là ? minauda Cortez. Il doit déjà être trop tard... Ah, ah, ne fais pas cette tête ! C'est toi même qui avait dit qu'autrement ce ne serait pas excitant. Heureusement, je ne t'aurais pas laissé chercher ce trésor qui me laisse perplexe si j'avais pas eu un plan de secours en tête."
Il s'approcha de l'ancien général de Black Hole, et posa sa main contre son cœur. A son grand étonnement, elle ne s'arrêta pas contre sa peau, mais la traversa sans dommage pour aller enserrer dans un étau l'organe pulseur de sang. Le souffle lui manqua un moment, il regarda Cortez, la bouche crispée. Difficile de deviner les intentions d'une personne lorsque son visage n'était plus qu'un crâne sans chair, encore que ledit crâne opérait parfois des mouvements faciaux impossibles.
La pression se relâcha finalement, et Maverick eut la sensation de ne plus avoir aucune masse. Il s'examina, vit qu'il pouvait voir à travers son corps, et qu'il flottait légèrement au-dessus du sol. Cortez pouffa devant son étonnement
" Dématérialisation ! C'est quelque chose, sais-tu, d'être une créature démoniaque du sixième cercle.
J'ai également des pouvoirs ectoplasmiques.
- Ravi de l'apprendre... En quoi cela va-t-il nous servir ? Je n'arrive pas à me mouvoir sous cette forme.
- Evidemment, petit homme, tu n'as aucune expérience en la matière. Et c'est bien normal. Je vais quitter ma forme matérielle, et te prendre par la main. Tu n'auras pas eu le temps de penser assez longuement à ta dulcinée (encore que tu sois plutôt naïf de croire qu'elle espère ton retour après toutes ces années !) avant que nous ne soyons de retour à la salle de la Table Ovale !"

Sans lui laisser l'occasion d'argumenter, Cortez devint lui aussi un spectre bleuté, le prit par la main comme un enfant, et l'emmena pour la plus étrange course de sa vie. Ils volaient à travers murs, êtres et obstacles sans être ralentis le moins du monde, même si Maverick avait la désagréable impression de perdre un peu de sa substance à chaque fois qu'ils jouaient les passe-muraille.
Comme il le lui avait promis, le trajet ne dura pas bien longtemps, et ils eurent tôt fait de se retrouver là où le sol était jonché de deux armures désassemblées.
Cortez leur firent reprendre leurs apparences usuelles; et il ne put que s'émerveiller une fois de plus devant ses capacités pour le moins inhabituelles.
"Tiens, je vois l'horloge d'ici. Encore douze minutes, tout est bien. Allons saluer ces vieux grigous poussiéreux."
Et ils entèrent royalement dans la salle qui avait connu la tourmente du châtiment de Merenas et ses suivants. Ces derniers attendaient apparemment le retour de Maverick avec une impatience assez fiévreuse, ils poussèrent des hourras quand ils le virent venir, puis des glapissements en remarquant celui qui l'accompagnait. Interprétant mal la raison de leur inquiétude, Maverick chercha à les rassurer.

" N'ayez peur de rien, il est avec moi. Vous lui devez notre salut à tous, car il m'a bien aidé.
- Oh, si peu, si peu, protesta Cortez, faussement humble.
- Bri... Brillant ! assura Merenas. Or ça, vous avez donc réussi comme vous nous l'aviez dit ?
- Tout à fait. Maintenant, ce château est libéré, presque partout, de tout mal. Il ne reste plus qu'à partir.
- Merveilleux, merveilleux. Seigneur Maverick, vous êtes vraiment le sauveur que nous attendions. Je n'en avais jamais douté. Souffririez-vous de vous asseoir à cette table avec nous, une ultime fois, pour distribuer les vases canopes, que nous puissions nous mouvoir en-dehors de cette salle pour fuir Perdide ?
- Pourquoi pas ? J'avoue que m'asseoir juste cinq minutes ne me ferait pas de mal..."
Ils s'installèrent donc tous à la table, sauf Cortez qui bouda dans un coin près d'une colonne, Maverick prenant la place du regretté (?) Gartrick.
Cérémonieusement, le vivant ouvrit le havresac, les vases canopes passant de main de chair à main squelettique jusqu'à ce qu'ils aient tous le sien. On sentait une certaine émotion lorsqu'ils purent tenir l'objet qui les maintenaient en vie de façon si cruelle, et les avaient obligés à ne jamais quitter cette salle.
" Je n'aurai jamais cru que ce moment arriverait un jour. Nous voilà enfin libres, camarades ! Libres de cette horrible malédiction. Que ce soit une vraie mort ou la reprise de notre ancienne vie qui nous attende, rien ne peut être pire que de rester calfeutré ici. Louons Maverick d'Outre-Mort pour ce haut fait !"
Et ils l'acclamèrent tous ensemble, ce qui malheureusement donnait un effet de chant funèbre. Maverick leur sourit néanmoins, Cortez, lui, riait sous cape devant le qualificatif passable de Maverick.
" Réellement, c'est un exploit que moi-même je n'aurai pas pu réaliser, continua Merenas. Je pense que rares seraient les héros d'Aznhurolys à pouvoir se vanter de pareille aventure, sauf le Gardien, naturellement. Mais qu'en est-il de votre trésor, Maverick ? Vous ne semblez guère avoir été récompensé de vos efforts.
- Juste un peu de fatigue. Le reste n'est que partie remise.
- Heureux de l'entendre, très heureux. Toutefois, nous ne pouvons pas décemment vous laisser repartir les mains vides. Il existait un trésor encore plus secret, quoi que moins reluisant, et comme gage de notre gratitude, nous tenons à vous le remettre avant que l'horloge ne sonne la dernière minute fatidique.
- Vraiment, ce n'est pas la peine...
- S'il vous, plaît, seigneur Maverick. Nous savons que ce n'est pas grand-chose, mais veuillez tout de même l'accepter, sinon la honte continuera à nous poursuivre au-delà même de Perdide.
- Bien, bien, puisque vous insistez... fit Maverick, las. De quoi s'agit-il ?
- Oh, juste... Ceci !"
Merenas poussa un bouton sous la Table Ovale.
Rien ne se passa.
" Hé bien ? dit Maverick, en haussant un sourcil. Je ne vois rien venir.
- Hm, hm attendez, c'est que ça a du mal à sortir, juste une question de secondes..."
Les Onze avaient les orbites pointées sur lui pendant qu'il appuyait frénétiquement sur le bouton.
Maverick allait se lever pour exiger de savoir quelle était cette plaisanterie, quand le sol coulissa derrière son siège, qui se renversa pour le jeter dans l'en dessous.
Le piège se referma avec un claquement sec, la chaise reprit sa place initiale, vidée.
Les soupirs de soulagement étaient manifestes.
" Le système était tout simplement grippé après toute ces années ! ria nerveusement Guillôme. Combien de fois n'avons-nous pas fait tomber dans la fosse aux serpents en-dessous de mauvaises gens...
- Oui, oui ! renchérit Philibert. Heureusement, tout est fini.
- Je me sens navré pour Maverick.
- Moi aussi, si énormément, vous ne pouvez pas imaginer !
- Je sens mon cœur se racornir dans le vase.
- J'en ai les os imprégnés de remords.
- Mais quelqu'un doit rester pour prendre notre place, et il faut que ce soit un vivant. Paix à son âme qui va souffrir ici.
- Assez de jactance ! Majesté, je vous en conjure, prononcez la formule, que nous quittions Perdide !
- Hop hop hop ! intervint Cortez. Quelle est donc cette sombre magouille ? Cet humain courageux, bien que bizarre, vient vous sauvez la mise, et vous ne trouvez rien de mieux que de l'expédier dans vos oubliettes ! Et vous osez vous appeler des squelettes ? Vous faites honte à notre genre. Je m'en vais vous apprendre les bonnes manières, et vous aurez toute l'éternité pour méditer là-dessus.
- CERTAINEMENT PAS ! hurla Merenas, qui perdait définitivement de sa superbe. Pas maintenant, pas au dernier moment ! Je ne sais pas qui tu es, monstre, mais tu ne m'empêcheras pas d'en finir avec ce cycle infernal. Dieux, je vous prend à témoins, toutes les conditions sont réunies, honorez votre promesse et ouvrez le portail qui mène hors de Perdide !"

Cortez chargea en poussant un cri de guerre effroyable, mais le vortex s'ouvrit en-dessous de l'horloge, et le souffle de son apparition l'envoya bouler contre une colonne.
Tous les autres squelettes quittèrent leurs sièges avec célérité, les renversant dans le même mouvement, et coururent vers le portail à la consistance ondulante. A son seuil, ils virent leur royaume qui ne semblait attendre rien d'autre sinon leur retour.
Merenas s'engagea en premier. Mais, qu'est-ce à dire ?
Vêtu de la robe de magistrat ancestrale, blanche et noire, des gants noirs protégeaient des mains que nul œil de mortel n'avait contemplé, une silhouette leur bloquait le passage. Une collerette pourpre garnissait la base de son cou, et sa tête était coiffée du chapeau judiciaire orné de la cocarde violette. Son visage n'était pas visible, ou plutôt consistait en un masque moitié or et moitié argent, aux expressions changeantes, qui était originellement pareil à ceux des tragédiens antiques de votre Grèce.
" Qui êtes-vous donc, par Benezalkos ?
- Peu vous chaud. Vous cherchez à partir de Perdide ?
- Je veux, oui ! fit Merenas, oubliant son langage d'ordinaire châtié.
- Je ne crois pas que cela va être possible. Quelle preuve ai-je que quelqu'un est bien venu briser la malédiction ? Je ne vois personne pour se porte garant de vous, ici, et je ne connais personne qui ai non plus envie d'y rester.
- Écoutez, j'ignore votre identité, mais je ne souffrirai point une quelconque impedimenta supplémentaire.
- Ah, si, je vois votre sauf-conduit maintenant ! Vous pouvez passer. Mais lui, il n'a pas l'air très content...
- Notre sauf-conduit ? Qu'est-ce que-
- ORAGE NOIR !"
Merenas et les Onze furent instantanément balayés au-dehors du vortex de la liberté.
Maverick passa à côté du corps inerte du roi déchu, en lui décochant un regard méprisant.
" Je n'ai pas souvent confiance dans les vivants; je vois que je n'aurais pas du en avoir beaucoup plus dans les morts. Échec et mat, majesté."
Merenas le regardait, hébété. Comment avait-il pu faire pour s'enfuir des oubliettes ? C'était impossible. C'était...
" Je vous souhaite une bonne continuation de votre séjour à Perdide, votre majesté. Un endroit vraiment charmant.
- Non, attendez, Maverick ! glapit Merenas, qui ne pouvait supporter l'idée que tout finisse de cette manière. Je...
- Viens, Cortez. Je n'ai pas envie de rater le transport.
- Moi non plus, compère ! J'arrive de suite."
La créature démoniaque du sixième cercle s'arrêta juste un moment pour ramasser ce joli miroir qui traînait par là. Autant emporter un souvenir qui ai de la beauté.
Tous deux, le vivant et le mort-vivant, ils franchirent le vortex, où il n'y avait plus personne pour empêcher le passage.
Et ils disparurent sans un regard en arrière.
Merenas se releva sur les rotules, rampant pathétiquement vers le portail dimensionnel.

Un cône de lumière jaillit alors, le plaçant dans un cercle lumineux.
" On dirait que tu es tombé sur un os, Merenas, dit la Voix.
- Grand Immortel ! Qu'est-ce que cela signifie ? Nous avons fait comme vous nous l'aviez ordonné, mais on nous a interdit le passage !"
Le Voïvode rit de manière mordante.
" Merenas... La vanité et l'avidité t'ont menées une seconde fois à ta perte. N'as-tu donc rien appris durant toutes ces années ?
- Mais... Nous avons... Obéis...
- Tu es un être odieux, Merenas. Comment as-tu pu trahir l'homme qui ne cherchait qu'à tous vous sauver, risquant sa propre existence pour sauver les vôtres ? Comment as-tu laissé le doute envahir ton cœur, Merenas ? Tu savais pourtant bien que tu pouvais partir quand bien même. Si vous n'étiez pas qu'un troupeau de mouton peureux, vous vous seriez rendu compte que vous pouviez bouger en-dehors de cette salle... Mais non ! Il a fallu que tu te laisses posséder par tes vices.
Pourquoi n'as-tu pas désobéi, Merenas ? Pourquoi n'êtes-vous pas parti avec Maverick ?"
Merenas se prit le crâne dans les mains.
" Pardonne-moi, Maverick, pardonne-moi ! J'ai été un fou. Alors qu'une chance se présentait enfin, je l'ai laissé choir en me croyant supérieur, en me croyant mieux que toi. Je nous ai tous trahis, en vérité. Je me suis laissé aveuglé par l'avidité ! Oh, Maverick, Maverick ! Que ne viens-tu nous sauver maintenant que j'ai réalisé mon erreur et ma folie ?
- Trop tard, Merenas, trop tard ! " fit la Voix, avec une cruauté cynique inimaginable. Le 'trop' était comme la hache du bourreau se levant, et le 'tard' le moment où elle s'abat.

L'horloge sonna la dernière minute. Des larmes, des larmes d'eau véritable, coulèrent hors des orbites creuses de Merenas le Magnifique.
Le portail se referma, et Perdide devint floue, pour ne plus devenir qu'une ombre mouvante qui disparut bientôt de Wars World.

Comme si elle n'avait jamais existé.

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