La Marée des Ténèbres

Chapitre 13 : Ange déchue

Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 03:02



Maverick s'éveillait lentement. Sa tendance involontaire à s'évanouir commençait à devenir une fâcheuse habitude, surtout pour quelqu'un de son standing et de sa carrure qui n'était pas censé défaillir à tout bout de champ.
Mais il avait une excuse : il était totalement à bout de force après avoir résolu les mystères tordus de Perdide. Et puis, de toute façon, il n'avait rien trouvé de mieux à faire que de perdre connaissance après avoir découvert ce qui les attendait, lui et Cortez, derrière le portail.
C'est à dire, rien.
Le vide, à des centaines de mètres au-dessus de la mer.
Pour peu que son souvenir brouillé par l'approche de l'inconscience soit exact, Cortez n'avait pas semblé particulièrement gêné par cette chute inattendue. Maverick supposait qu'il en faudrait beaucoup plus pour démonter cet excentrique personnage.
Il tombait donc dans les airs, comme une poupée noire inanimée. L'idée qu'il puisse mourir bêtement de cette façon si imprévue et arbitraire ne l'avait même pas effleurée, tant la fatigue prenait le pas. La dernière chose dont il se souvint avant que les ténèbres n'envahissent son esprit, c'était qu'une silhouette ailée l'attrapait dans ses bras avant le splash fatal...
Et le lâchait quelques secondes plus tard.
Il ouvrit les yeux. Le plafond était rocheux, il se trouvait dans une grotte plongée dans une semi-obscurité aux ombres dansantes, provoquées par le feu dont il entendait le pétillement proche.

" Déjà réveillé ? "
La voix était douce, féminine, et agréable à l'oreille. Encore groggy, il tenta de se redresser un peu pour voir quelle en était la source. Il aurait été sûrement choqué de ce qu'il vit s'il n'avait pas vaincu un jardin vivant en compagnie d'un squelette animé qui pouvait se transformer en spectre.
Maverick ne pensa pas "ange", en la voyant, même si cela la décrivait en partie, car de ces créatures, la mythologie ou les religions de Wars World n'en contenait point, et s'ils avaient existé dans le royaume de l'esprit, cela aurait été en créature vengeresses venues apporter la mort sur le champ de bataille. Le modernisme n'était pas réellement un bon terreau pour donner naissance à de nouvelles croyances, et ce qui restait des anciennes, peu pratiquées, ne contenaient pas tellement de bonté. La science avait finit par abjurer en tout ou partie la foi, et l'anticléricalisme avait été de mise.
Voïvode sait que les habitants de ce monde pourraient pourtant en avoir bien besoin prochainement... Même s'il s'agit d'un réconfort inutile, une illusion. Les fidèles sont toujours pour meurtris par l'objet de leur foi.
Or ces considérations hautement philosophiques, celle qui se tenait à côté du feu sur lequel brouillait une marmite format mini, occupée à préparer un quelconque brouet, n'était pas humaine. Ou plutôt elle était humaine, avec quelques spécificités. Tout d'abord sa peau était d'un bleu foncé tirant sur le turquoise, et ses yeux en amande n'avaient ni pupilles, ni iris, rien qu'un fond rouge uni. Ses cheveux étaient d'un bleu qui différent sensiblement de celui de son épiderme. Ses oreilles finissaient en pointes légères par des trous de son capuchon, et surtout, ce qui la faisait remarquer était ces ailes dans son dos, une noire et membraneuse telle celle d'une chauve-souris géante, l'autre, blanche et pure.
" Je pensais que vous seriez resté couché plus longtemps que ça, Maverick. Non, non, restez couché, ou pas plus haut que ça. Que cela vous plaise ou non, vous le devez. Vous m'avez glissé des mains juste après que je vous ai rattrapé en plein vol, et je ne pense pas que votre corps déjà à sa limite ai bien apprécié ce petit bain salé.
- Où sommes-nous ? "
La créature ailée secoua la tête.
" On me l'avait bien dit, vous ne pouvez vous empêcher de poser de telles questions qui sont d'une platitude éhontée. En voyant une belle femme comme moi, n'auriez-vous pas du plutôt me demander quel était mon nom, et si j'étais célibataire ?
- J'ai compris par moi-même que cette question-ci était également un peu trop ringarde, même si ce n'est guère ma faute si je rencontre des gens nouveaux toutes les heures en ce moment. Cela aurait été ma deuxième question, même si je préférerais savoir de suite si je me trouve dans un endroit aussi charmant que Perdide.
- Non, non, fit-elle, apaisante, tout en jetant des légumes dans le bouillon bouillant. Nous sommes juste sur une petite île sans histoire, trop petite pour avoir été cartographiée. Vous pouvez lui donner le nom que vous voulez Maverick. Et comme apparemment il va falloir que je le dise, je m'appelle Miranda.
- Je crois qu'il es inutile de vous remercier de m'avoir sauvé, Miranda, non ? Logiquement, cela avait du être parfaitement chronométré par votre maître.
- Pas parfaitement, malheureusement ! J'ai poireauté des heures à attendre que vous sortiez enfin de Perdide. Vous avez pris votre temps, hm ? Mais bon, c'est vrai, il avait prévu que vous ne puissiez sortir qu'aussi tard. C'est d'ailleurs le timing parfait pour faire votre apparition, Maverick. Après avoir été Marqué, bien entendu.
- On recrute du bétail, à Black Sun ? "
Miranda rit gentiment.
" Oh, non, pas du tout. Comme il a du vous le dire... C'est tout à votre choix que de vouloir ou non nous rejoindre. Dès que vous serez remis, je vous conduirai au sanctuaire. Vous pourrez lui parler, et décider si oui ou non vous désirez faire partie de l'organisation. Voïvode est très prévoyant, et il ne s'offusquera pas de votre refus."
Bien sûr, pensa Maverick. Pourtant, si je donne mon désaccord tout de suite, quelque chose me dit que je devrais ensuite trouver le moyen de quitter cette île tout seul... Que suis-je donc pour Voïvode ? Une sorte de jouet ? Et Wars World ? Une immense scène de théâtre ?

D'emblée, il ne lui faisait pas confiance. Peu importait qu'il l’a ramené à la vie. Ses paroles ne faisaient pas montre d'un sens de la justice... Il y avait quelque chose d'autre là-dessous. Il ne pouvait en apprendre plus qu'en suivant cette femme ailée, tout en gardant son esprit branché sur le canal "méfiance extrême".
" Oui, j'ai senti qu'il aimait avoir toutes les cartes en main. J'aimerai beaucoup le rencontrer.
- Vous en aurez l'occasion, Maverick. Il n'est pas du genre à se cacher plus qu'il ne le faut. Toutefois, ne croyez pas jamais savoir sa réelle identité, ou contre tout ce qu'il aura pu vous dire; il vous tuera... Il est plutôt chatouilleux sur la question, il est très dans son rôle.
- Rien que de très classique.
- Peut-être, mais l'anonymat est une chose importante. Que vous en manquiez aura aussi son importance.
- Hm... Mais ? Je suis complètement...
- Remettez donc cette couverture sur vous avant que la censure ne nous colle à la peau. Bien entendu, j'ai du vous déshabiller complètement, je ne pouvais pas vous laisser avec vos vêtements trempés. Ils auront bientôt fini de sécher. Allons, ne faites pas cette tête outrée ! pouffa-t-elle. Oh, vous, je devine que je suis la première femme à vous voir ainsi. C'est mignon... Et plutôt dommage. D'après ce que j'ai vu, vous pourriez en rendre plus d'une heureuse... Si seulement vous changiez votre style je-suis-une-armoire-a-glace-ténébreuse-qui-ne-sait-pas-aimer-
et-qui-cache-de-noirs-secrets, je suis certain que vous auriez du succès auprès des femmes.
- Rechercher ce genre de succès est bien la dernière de mes volontés. Rendez-moi mes vêtements. Peu m'importe qu'ils aient encore quelques gouttes."

Miranda haussa les épaules, amusée par la réaction froide de celui qu'elle avait repêché, puis se tourna pudiquement pendant qu'il remettait cette fragile enveloppe de vêtements qu'il portait comme une armure pour l'aider à dissimuler ses sentiments et sa personnalité intime.
" Maintenant que vous êtes à nouveau un beau ténébreux en tenue décente, buvez-moi ça. Si vous refusez, je vous laisse ici sans autre forme de procès, je n'ai pas envie de perdre de temps avec les jérémiades soi-disant bourrues d'un homme qui n'a jamais connu les attentions d'une femme. Allez, allez, c'est mauvais, mais ça va vous remettre en forme. Requinqué ? Alors nous partons. Voïvode aime la ponctualité.
- Et moi j'aime en savoir plus avant de m'engager dans le brouillard. Peut-être que vous au moins daignerez répondre à mes questions.
- Pourquoi pas ? Vous n'avez pas faim, en attendant ? Je ne veux pas vous emmener jusqu'au point de rendez-vous si c'est pour que vous vous évanouissiez une fois de plus en plein chemin."
Maverick accepta de mauvais gré de grignoter le contenu d'un panier de baies et de fruits qu'elle avait cueillis pour lui. Il appréciait très modérément que quelqu'un, et encore plus une femme dont il ne savait rien sinon qu'elle faisait forcément partie de 'Black Sun', a pu le voir dans le plus simple appareil. Il se tempéra tout de fois assez vite, même si c'était une atteinte à son orgueil, il ne devait pas perdre une occasion d'obtenir plus d'informations.

Une fois rassasié, elle l'accompagna en-dehors de la grotte et refusa de parler avant qu'ils ne se retrouvent à un embranchement.
" Maverick, avant que vous ne me bombardiez de questions, je veux que vous en répondiez à une de ma part. Quelle est selon vous la pire destination de ce carrefour ?
- Qu'est-ce que cela-
- Répondez juste.
- Que voulez-vous que je vous en dise ? Je ne sais rien de ce qui nous attend d'un côté ou de l'autre, la sotte idée de vouloir déterminer si la droite est pire que la gauche !
- Cessez donc une fois de réfléchir froidement et laissez votre instinct seul juge. Spontanément.
- Spontanément ? A droite.
- Vous voyez, quand vous y mettez du vôtre ! Partons à droite, c'est aussi mon opinion."
Interloqué, il n'eut d'autre option que de la suivre. Il avait dit droite totalement au hasard, pour lui, les deux routes se valaient. Il n'y comprit rien, et sa perplexité ne fit qu'augmenter le long des cinq autre fois que le rituel prit lieu, toujours à un embranchement d'où il était bien entendu impossible de juger quoi que ce soit en terme de bon ou de mauvais chemin à suivre. Et elle refusait toujours de lui révéler quoi que ce soit, se contentant de l'exhorter d'avancer plus vite pour éviter tout retard.
Lorsque la septième croisée des chemins fut en vue, Miranda étira ses ailes et ses bras, et alla s'asseoir sur une pierre plate. Elle lui fit signe de faire halte comme elle.
" Nous sommes en avance. Posez-moi toutes les questions qui peuvent passer par votre esprit encore plongé dans le brouillard de l'incertitude, Maverick. Inutile par contre de me demander pourquoi je vous demande à chaque fois quelle est le pire chemin, vous en saurez la raison dès la fin de votre interrogatoire."
Les lèvres de Maverick se crispèrent. Il avait précisément compté lui poser cette question en premier.

" Bien... dit-il, déçu mais pas découragé. Je vais commencer par une qui manque de finesse, vous voudrez bien me pardonner. En quoi consiste Black Sun ?
- Vous n'avez jamais ressenti la désagréable impression d'être surveillé à des moments incongrus, Maverick ? Nous sommes ce regard qui vient des ombres. Nous sommes la société secrète ultime de ce monde, qui se cache bien loin derrière toutes les autres. Même Purple Dragoon qui se croit le maître en la matière fait figure d'amateur comparé à nous. Eux aussi, sans le savoir, ont agit selon notre aiguillon. Particulièrement cet Ash Twilight, qui croyait tellement avoir fait preuve d'une initiative fracassante, qui, à terme, réunirait les nations ! Le doux rêveur. Il n'a fait qu'agir selon nos plans. Et encore maintenant, il danse comme le veux Voïvode. Je veux vous enlever tout de suite une mauvaise idée qui pourrait naître dans votre esprit paranoïaque, Maverick, nous ne manipulons pas le monde comme des montreurs de marionnettes. Nous faisons seulement en sorte qu'il se diriger vers un avenir meilleur, et pour cela, nous ne pouvons pas nous montrer, car nous nous ferions justement taxer de manipulateurs. C'est étonnant le nombre de choses qui passent comme une lettre à la poste après une certaine période !
Le moment viendra bientôt où notre intervention sera non seulement nécessaire mais inévitable. Pour que les feux de la guerre qui ont été les vrais maîtres de Wars World depuis le début de son histoire finissent enfin de ce consumer avec l'apparition de ce dernier ennemi, cette dernière résurgence de Black Hole.
- Black Hole ? s'étonna l'ancien général de cette armée. Comment est-ce possible ? Von Bolt est mort. Je suis pratiquement certain qu'aucun autre officier n'aurait pu émerger pour prendre à sa tête les restes de l'armée. Et sûrement pas un des trois incompétents recrutés par le vieillard.
- Vos déductions sont justes, Maverick. Il ne s'agit pas du tout de cela. 'Mais de quoi, alors ?' allez vous me demander tout naturellement. Hé bien, on dirait que vous n'êtes pas le seul à renaître de vos cendres ! "
Il en eut la respiration coupée un bref moment. Il n'y avait pas grande possibilité,et une fois l'impossible éliminé, compte tenu des choses qu'il avait expérimentées, le reste, aussi étonnant que cela puisse paraître, ne peut être que la vérité.
" Sturm, dit-il dans un souffle.
- Bien ! Vous aurez un bon point, Maverick. Du moins, il semble selon nos sources qu'il s'agit bien de lui. Il est encore possible que ce soit un imposteur, ou une réplique. L'idée qu'on puisse vouloir créer un doublon de ce genre d'individu peu recommandable qui n'aime rien d'autre que la guerre et la conquête est assez effrayante, remarquez... Et pourtant. Au moment même où je vous parle, ce néo-Sturm a lancé sa première offensive en revenant sur l'ancien lieu du crime, là où avait été installé l'usine qui avait servir à l'invasion de Green Earth. Votre usine, Maverick. N'est-ce pas ironique ?
Croyez-moi, cela n'est que...



"... Le début, Regnag. Le début de la marée des ténèbres. L'effet de surprise sera total. Tous ces minables des nations Alliées ne sauront plus où donner de la tête. Ils seront débordés de toute part. Pendant qu'ils courront de tout côté pour essayer de colmater les brèches, je n'aurai plus qu'à surgir au moment adéquat pour porter le coup de grâce.
- Seigneur, si je puis me permettre, même avec les nouveaux pouvoirs dont ils disposent, les nouvelles infrastructures et armements, les incompétents gardent leur nature. Il est tout à fait probable que nous nous fassions battre dans plusieurs pays, voir même sur tous les fronts, comme cela s'est toujours produit pour Black Hole.
- Je ne le pense pas, Regnag. Ils seront tellement désarmés face à cet assaut que le temps qu'ils se ressaisissent, plusieurs seront tombés entre mes mains face à ces frappes éclairs. C'est la puissance du 'rush', comme tu l'appelles.
- Certes, Seigneur, mais le rush a un inconvénient majeur. C'est le principe du quitte ou double. Si faire assaut de rapidité et de violence ne suffit pas à soumettre l'ennemi, il est très difficile de retrouver un second souffle, et nos bases d'opérations seront vulnérables face à une contre-attaque, d'autant plus que vous ne voulez pas envoyer de renforts.
- C'est là toute la beauté de mon plan. Les précédentes guerres n'étaient que l'ouverture du menu de gala que je donner en leur honneur, un menu rempli de sang, de ruines, de cadavres, de fumée et de flammes, de peur et de tristesse. Même dans le cas où tous les cinq échoueraient, Regnag, je sortirai gagnant. Si les Alliés parviennent seulement à réaliser cet exploit, ce ne sera que pour réaliser avec amertume que la vraie défaite les attend juste après.
- Je vois... Vous misez donc tout sur la station.
- Que la première partie de mon plan échoue ou réussit, elle me permettra de rafler la mise. Mais assez parlé de ça, à moins que tu n'y trouves quelque faille ? Au contraire de ces minables, Regnag, ton conseil peut être utile. Éventuellement.
- Puisque vous le me le demandez, Seigneur, je dirais que tout semble parfait. Vous paraissez garder une carte dans chaque manche pour parer à toute éventualité.
- Je n'aime pas quand tu utilises les verbes 'sembler' et 'paraître'. Sois tout est pour le mieux, soit il y a un risque, auquel cas il faut l'écraser. Je ne veux plus connaître l'échec à cause d'éléments défaillants.
- Aucun plan ne peut comporter aucun risque, Seigneur Sturm. Mais celui-ci avoisine les chances de réussite aux alentours de 99%. Je ne peux pas me montrer plus élogieux envers votre génie maléfique, pour moi, il n'y a jamais de 100%.
- Cette appréciation, venant de ta part, suffira donc, déclara le chef de guerre, magnanime. Assez discuté de cela. Regarde plutôt la carte stratégique. Tu la verras bientôt recouverte de noir...
Quant au reste, qu'en est-il de Purple Dragoon ?
- J'ai fait en sorte que les choses bougent le moins possible au Sénat, et j'ai pris des dispositions pour saboter l'envoi des renforts. Nous devrions pouvoir envahir Wars World sans craindre une ingérence de leur part avant qu'il ne soit trop tard pour sauver les meubles.
- Et le général qui est venu ici pour leur apporter un coup de main... Comment s'appelle-t-il, déjà ? Ash Twilight ?
- C'est cela, Seigneur. Mes sources m'indiquent qu'il a débusqué, par un hasard malheureux, l'effet de la bombe N que nous avons lancé sur Green Earth. Il est à craindre que toutes les nations soient informées d'une potentielle menace dans les plus brefs délais; si ce n'est pas déjà le cas.
- Déplorable, en effet... Mais nous n'y pouvons rien, même s'il est étonnant que notre tactique ai été si rapidement détectée hors de Green Earth. C'est tout ce qu'il a fait ?
- Non, Seigneur. Il s'est dirigé tout de go vers Green Earth, dans un appareil dont je n'ai pas pu retrouver la trace par la suite.
- Comment cela ? Tout seul ?
- Il est à croire qu'il a emmené la commandante Nell également.
- Pffa ! fit Sturm avec mépris. Pour qui se prend-il ? Il peut s'agir que d'un idiot pour foncer tête baissée en plein milieu de notre première frappe. Transmet la nouvelle à qui de droit. Nous allons faire une belle prise, inespérée même. Il pourra nous servir comme levier de pression par la suite.
- Si je puis me permettre une suggestion, il vaudra mieux également aviser notre envoyé de prendre des précautions extrêmes. Ash Twilight est un monument de nonchalance, mais quand il devient sérieux, le pire est à craindre.
- Allons, ne soit pas si alarmiste. Que peut un homme seul, ou pratiquement seul s'il est accompagné par une femme, contre toute une armée ? Je ne crois pas en ce genre de héros solitaire qui vainc toute une cohorte à lui seul, Regnag. Il ne mourra pas à cause de sa stupidité car il vaudra mieux vivant en tant que source d'information ou de monnaie d'échange. Bien, maintenant, pars rejoindre ton poste. La prochaine bombe N sera bientôt lancée. Et n'oublie pas de me tenir immédiatement au courant lorsque tu en auras l'occasion. Je veux être prévenu dès que le moindre accroc est susceptible de faire varier le plan.
- Il en sera fait comme vous le désirez... Seigneur."

Et l'espion disparut sans émettre le moindre traître son, ce qui horripila encore une fois l'envahisseur venu d'ailleurs.
" Jugger ?
- JUGGER==> MODE ECOUTE ATTENTIVE.
- Le mouchard placé sur lui fonctionne bien ?
- AFFIRMATIF.
- Parfait... Maintenant, pars, toi aussi. Tu recevras bientôt ta nouvelle affectation.
- BIEN COMPRIS."
Le robot sphérique s'en alla bruyamment sur ses pattes métalliques courtaudes. Sturm secoua la tête. La libération du sceau sur ce 'général' n'avait pas eu tous les effets escomptés. Il était manifeste qu'il avait gagné en puissance, toutefois, son élocution montrait clairement que le processeur ne tournait pas beaucoup plus rapidement et qu'il méritait dignement le titre de version électronique du cerveau d'Helmut, ce dont peu d'ordinateurs pouvaient se vanter, voire même aucun autre.
C'était moyennement gênant, il pourrait ainsi s'en débarrasser encore plus facilement, comme d'un outil recyclable.
Quant à Regnag, il ferait en sorte de l'éliminer si jamais il devenait trop gênant, ce qui pouvait être bien possible : il possédait un talent éminemment dangereux. Il avait décidé de miser tout sa confiance sur la personne qui était la plus apte selon ses critères à la mériter : lui-même.
Sturm se cala confortablement dans son fauteuil privé avec toutes options inutiles intégrées, et garda son regard fixé sur le tableau stratégique.
Bientôt, dans deux mois tout au plus, il montrerait son écrasante victoire sur ces nigauds d'humains, pour le ravissement de ceux qui se cachent dans les ombres astrales.


"... Voilà un peu près ce que nous savons actuellement, Maverick, et ce que nous sommes. Tout comme vous, que ce Sturm soit le vrai ou le faux, nous n'avons qu'un désir : le mettre en pièces détachées. Toutefois, tout comme Purple Dragoon, nous pratiquons une politique qui nous proscrit d'apparaître au grand jour, venus de nulle part.
Mais pour vous, Maverick, c'est différent. Vous avez gagné la confiance des Nations Alliées. Votre mort a doré votre blason. Vous êtes un héros dans Wars World, celui qui a débarrassé le monde de deux fous mégalomanes. Même si certains ne vous pardonneront jamais ce que vous avez fait, comme les généraux Max et Eagle... Vous êtes le mieux placé pour intervenir avec notre pouvoir et en notre nom.
- Je croyais que Black Sun cherchait l'anonymat ?
- Ce nom ne signifie rien pour 99,999% de la population, Maverick. Vous n'arriverez jamais à faire croire à personne que vous avez réunir tout seul les troupes que nous allons vous fournir, ainsi que les renseignements... Mais il ne sera pas nécessaire de révéler cette information avec longtemps.
Il vous suffira d'inventer quelque chose pour leur mettre la pression sur la situation, et ne pas vous étendre sur le moment sur notre organisation.
- De ce point de vue, Black Sun semble en effet être une précieuse aide pour le monde. A première vue... Miranda, il me tarde maintenant de voir votre sanctuaire. Mais j'ai une dernière question avant d'en arriver là.
- Je vous écoute, c'est ma tournée.
- Pourquoi combattez-vous pour Black Sun ? "
Le visage de l'ange déchue afficha la surprise.
" Une question bien personnelle, non ? Je ne m'attendais pas à ça de votre part. C'est une longue histoire, Maverick, et il vous manque encore beaucoup de clés pour la comprendre. Pour le moment, sachez juste que j'ai une dette envers Voïvode. Quand il aura fini ce qu'il veut entreprendre ici, sur Wars World, je reprendrai ma propre vie. Mais vous aviez déjà compris que tout comme Sturm, Voïvode ne vient pas de ce monde ?"
Le colosse hocha la tête, même s'il ne goûtait pas particulièrement la comparaison.
" C'est bien, approuva-t-elle avec un sourire. Je vois que vous nous ne serez pas complètement inutile. En route, à présent. Nous sommes presque arrivés. Quel est le pire chemin selon vous ?
- Sans conteste, celui d'en face.", répondit Maverick, qui ne le pensait pas du tout aussi radicalement.
Miranda ne dit rien et se mit en marche. Parvenus au carrefour, elle stoppa un moment, et prononça quelques mots dans une langue qu'il ne comprenait pas. Avec un plissement des lèvres mystérieux, elle l'invita d'un geste à reprendre la route.
Tout d'abord, Maverick ne vit rien de spécial. Puis, progressivement, en dégradé, par touches successives, le sol changea d'aspect. Il n'eut pas le temps de cligner des yeux pour réaliser qu'ils se trouvaient maintenant sur un grand pont de pierre grise et froide surplombant un abîme d'une noirceur infinie, parcouru par des spasmes d'éclairs violets.
Là où aurait du s'étendre paresseusement une portion de la périphérie de l'île, trônait maintenant à sa place une bâtisse pour le moins... Étonnante. Ou peut-être pas pour un tel monde où la magie faisait tout pour s'immiscer.
Comment le décrire avec justesse ? Cela se voulait être un Palais, et si la construction en était, d"un certain côté, formidable, cela ressemblait plus à un improbable agrégat de pierre noire qu'à autre chose. Il n'y avait pas une once de vraie clarté dans tout cela : le fort carré qui servait de base au monument était de granit noir ; et s'échelonnait graduellement en successions noires, comme une mauvaise parodie de pyramide Aztèque. Sombres étaient les trois tours qui étaient partie intégrante et ceignaient le bâtiment obscur , placées en un triangle équilatéral, leurs faces abruptes et garnies de statues fières et autres ornements impressionnants, leurs sommets pointus dominaient l'espace aérien. Cela n'était encore rien par rapport au faîte de la forteresse en elle-même, dominant tout, semblant vouloir transpercer le ciel de sa pointe noire effilée.
Noires étaient les constructions aux contours torturés qui venaient se greffer par endroits entres les élévations du bâtiments ; noirs étaient les vantaux de la double-porte d'entrée, immense, stoïque, dont nul ne devrait pouvoir les rabattre. Et noires encore étaient les gargouilles, disposées par intermittence, veillant sur les lieux d'un œil lithique et goguenard...
Avec de telles positions, le Palais ne semblait pas avoir besoin d'une quelconque protection outre-mesure. Pas de créneaux pour accueillir des soldats, pas de tours de guet, pas de douves protégeant l'accès au lieu, pas plus que de pont-levis ; la forteresse semblait se suffire à elle-même, arrogante. Quelques donjons altiers venaient s'ajouter à la bâtisse, serpentant immobiles dans l'air. C'est assurément quelque chose qui n'aurait pas du exister... Pas en ce monde.
Ceci, encore, bien que peu engageant, n'avait rien de particulièrement inquiétant en soi-même outre-mesure, si ce devait être le repaire de Voïvode, il s'en dégageait une certaine beauté bizarre.

Ce qui était un tant soi peu dérangeant, c'est l'aura de corruption qui s'en dégageait, due sans nul doute aux meurtrières percées sur chaque mur du Palais, déversant des flots de ténèbres liquides, perlées d'éclats rouges dorés, tombant dans le néant et se répandant dans l'atmosphère environnante. Les cieux étaient gorgés de nuages ténébreux, le sol, stérile par plaques devenait maudit par endroits, se transformais parfois en marais, accueillait des arbres morts hantés par le souvenir d'une vie, une végétation devenue nécrophage ou transfigurée par la poigne du Crépuscule, les pierres elles-mêmes semblaient devenir mauvaises et se teintaient d'un noir abyssal, les animaux, s'ils n'étaient corrompus par cette puissance, avait déjà fui loin d'ici cette dimension douteuse. Bref, ça empestait la magie noire à des lieues à la ronde, l'atmosphère gorgée de mana noir corrupteur. Et cela semblait se répandre lentement, doucement, en direction de nulle part.
Tel était le Palais du Crépuscule, venu d'on ne sait où, et construit on ne sait comment.
Maverick songea qu'il ne choisirait pas vraiment l'endroit comme résidence secondaire.
" Tourne sept fois par les chemins qui les plus mauvais te sembleront, prononce les mots de l'incantation, et vers le Palais du Crépuscule, tu auras amené tes petits petons, chantonna gaiement Miranda.
- Hm... Ceci explique cela. Un brin prétentieux, non ?
- Attendez de voir l'intérieur, Maverick !"
Elle lui prit alors la main, sans qu'il ai demandé cette délicate attention, et l'entraîna jusqu'aux portes d'entrée de la bâtisse improbable.

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