La Marée des Ténèbres

Chapitre 15 : Le Palais du Crépuscule

Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 05:12



" On les laisse entrer ?
- Je ne sais pas si c'est bien prudent, Myrlaift. Le grand Patron n'aime pas qu'on prenne le Palais pour un refuge destiné aux soupirants de notre exquise petite angelette aux ailes dépareillées.
- Tu as raison, Myrraïgt. Celui-là a pourtant tout sauf la tête d'un prétendant. Il n’a pas l'air très heureux qu'elle le prenne par la main.
- Ah, si j'étais à sa place...
- Si tu es sage, un jour, je te donnerai un corps, Myrraïgt. Pour le moment, soyez gentils tous les deux et ouvrez la porte. Voïvode n'aime pas qu'on le fasse attendre, surtout que j'ai son invité qu'il attend avec intérêt.
- Qui ça ? Lui ? Si ce n'était pas ton soupirant, j'aurais cru qu'il avait été engagé pour quelque travail de gardiennage. Il serait parfait en épouvantail.
- Quoi qu'il en soit, il ne sert à rien de se hâter, précisa Myrlaift. Voïvode a eu un léger contretemps, et ne pourra pas être présent céans. Douce Miranda, à moins que vous ne nous redonniez corps tout de suite, souffrez de rester ici pour nous donner quelque compagnie. Les visiteurs font peu cas de notre présence.
- Si vous avez été transformés en heurtoirs, c'est pour une bonne raison, vous deux. Cessez donc de vous plaindre sans arrêt et continuez à assumer ce rôle, ingrat, c'est vrai. Vous serez bientôt libérés si vous continuez à vous comporter bien...
- Bha batasta ! grogna Myrlaift. On nous ressert toujours le même chorus. Franchement, qu'avons-nous fait pour endurer pareil châtiment ?
- Je crois me souvenir d'au moins une trentaine de chefs d'accusations, vous voulez que je vous les remette en mémoire ?
- Pfssss ! fit Myrraïgt. C'est d'une mesquinerie telle que je ne chercherai même pas à continuer à argumenter sur ce terrain. Ne pourriez-vous même pas un peu adoucir notre peine en nous envoyant un prisonnier ?
- Nous ne gardons personne dans nos geôles, Myrraïgt, et je crois que la détention au sein du Palais est bien plus douce que de rester à vous écouter palabrer des heures pour ne rien dire. Maintenant, ouvrez, sinon, je remets les anneaux dans vos bouches.
- Très bien, très bien, soupira Myrlaift. Menace et chantage, on en vient toujours là, de toute manière !
- Je connais bien plus cruelle punition que celle-ci, intervint Maverick. Quel est ce contretemps dont vous parliez ?
- Ah ah ! On nous conspue, on nous rejette, et voilà maintenant qu'on daigne nous demander des informations ? Que la douce Miranda reste ici pour attendrir notre tourment, et nous vous laisserons passer avec la donnée, étranger aux yeux bleus.
- Mmm, voyons, par lequel vais-je commencer ? se demanda Miranda en faisant tinter les anneaux.
- Il vient de m'apparaître dans un éclair de lucidité qu'il sera bien mauvais de ma part que de ne pas vous donner cette information gratuitement.
- A la bonne heure.
- Hé bien, selon tous les faits portés à ma connaissance, il est tout à fait probable qu'une possibilité se soit glissée dans la trame espace-temps pour faire apparaître, peut-être, l'hypothèse selon laquelle nous devrions éventuellement considérer qu'il y a des chances pour que notre seigneur à tous, en se fiant à un postulat étayé par un faisceau d'indices, ai pu rencontrer selon toute vraisemblance une impedimenta résultant d'une circonstance hasardeuse à multiples potentialités ralentissantes de ne pas être à l'heure selon un schéma aléatoire qu'il serait bien vain de vouloir vous présenter en quelques minutes.
- Donc, vous n'en savez strictement rien, conclut Maverick qui se n'était pas laissé abusé par le verbiage.
-'Rien', est un terme cru et barbare qui ne ne fait que refléter qu'imparfaitement la réalité, se défendit Myrlaift. Je préférerais plutôt la formulation selon laquelle..."
Excédée, Miranda les fit taire tous les deux en replaçant leurs anneaux. Muets, ils leurs lancèrent des regards courroucés. Elle en toucherait un mot à Voïvode, quitte à avoir des surveillants de la grande porte, au moins que ce soit quelque chose autrement plus efficace que ces deux phraseurs impénitents.
Maverick profita de l'occasion pour qu'elle ne lui prenne plus la main, car le contact était glacial en dépit de la présence de son gant, et il ouvrit la grande double porte avec une facilité qui le dépassait.
" Bien, bien. Maverick, si Voïvode est effectivement en retard, que diriez-vous d'un petit tour du propriétaire ? A moins que vous ne souhaitiez vous reposer dans une des nombreuses pièces prévues à cet effet... Il nous fera mander lorsqu'il sera de retour."

Maverick réfléchit à la proposition. S'il allait, comme tout semblait l'indiquer, devenir un membre à part entière de Black Sun, il pourrait visiter à loisir les lieux plus tard. Dans le même temps, il suspectait fortement Voïvode de le faire surveiller après, et s'il n'était pas là pour le moment, il pourrait profiter de la sympathie éprouvée par cette femme à peau bleue pour inspecter discrètement les pièces intéressantes et amasser le maximum d'informations. Une démarche qui ne porterait peut-être pas énormément de fruits, mais il ne lui en coûtait rien d'essayer.
" Pourquoi pas ? fit-il avec un similé-sourire. La bâtisse est plutôt... Surprenante. J'aimerai que vous m'en disiez plus sur elle pendant la visite guidée.
- Avec plaisir, dit-elle, les yeux luisant de plaisir (sans qu'il puisse s'expliquer pourquoi). Suis-moi donc."
Et il la suivit donc.
Par la taille monumentale des lieux, il se crut de retour à Perdide. Mais là où le château de l'île maudite faisait preuve d'un luxe obscène et d'une décoration bien entendu orientée médiéval, le Palais du Crépuscule respirait la richesse, mais d'une manière harmonieuse, et dans un style plus orienté beau manoir ancien. Contrairement à l'extérieur, il bénéficiait de plusieurs pièces et couloirs très éclairés, qui vous faisaient oublier que vous vous trouviez à l'intérieur d'une forteresse perdue dans les ténèbres.
Il n'y avait d'ailleurs aucune sensation tellement maléfique pour harasser Maverick. Ce Palais n'avait finalement pas grand-chose du quartier général d'une organisation plus secrète que secrète. On aurait plutôt dit la demeure initiale d'un mégalomane, augmentée et réaménagée au fur et à mesure pour correspondre à de nouvelles visées.
Contrairement à ce qu'il croyait, une véritable communauté vivait en ces lieux, avec des personnes d'apparence normale qui saluaient avec respect le duo quand leurs chemins se croisaient. Maverick ne voulait pas l'admettre, mais il se sentait étrangement bien dans cet endroit. Comme si le Palais du Crépuscule avait veillé de longues années en attente de son arrivée, et lui, vécu jusqu'à ce moment pour y pénétrer.
Voyant son émotion, après lui avoir fait visité quelques salles d'usage à priori normal, elle se décida à lui conter l'histoire du Palais du Crépuscule.
" Voyez-vous, Maverick, Voïvode avait longtemps réfléchit avant d'utiliser un tel repaire. Il disposait d'un autre antre sécurisé, mais croyant qu'à terme il serait découvert si même juste l'élite de Black Sun s'y réunissait de manière régulière, il voulait un lieu tel que nul, sauf les initiés, ne pourraient y parvenir. C'est le pourquoi du petit manège que nous avons fait tout à l'heure, et qui vous a tant agacé.
- J'avais bien compris cela, toutefois, pourquoi à chaque fois le pire chemin ?
- Tout simplement pare que pour quiconque n'y est pas invité, il s'agit du PIRE lieu qu'il pourrait rencontrer. Nous formons un cercle fermé qui ne doit connaître aucune fuite et aucune entrée non désirées, ou non planifiées. Ce n'est pas une prison pour autant, si vous le croyiez, je peux en sortir comme je veux. Tout le reste du personnel qui travaille pour Black Sun est ici de son plein gré, et sait qu'il serait vain de quitter les lieux. Pas avant, en tout cas, que notre travail soit terminé. Le moment venu, chacun d'entre eux sera libre d'aller où il le désire, même si je me doute que certains préféreront rester ici. C'est vrai que ça manque d'un vrai soleil, mais on y trouve presque tout ce que l'on peut désirer d'autre.
- Et quand viendra donc ce moment ?
- Mais quand la paix sera établie de manière durable sur Wars World, évidemment. C'est notre mission. C'est le vœu que fait Voïvode pour ce monde.
- Pour ce monde... Il est manifeste que vous n'êtes pas d'ici. Pourquoi quelqu'un d'assez puissant pour ressusciter les morts et voyager entre les mondes s'intéresserait-il au nôtre, avec des intentions tellement pures ? Sturm venait aussi d'ailleurs."
Miranda lui lança un regard appréciateur. Le petit humain commençait à se faire à ce nouveau moule de la réalité où il était plongé, et restait perspicace.
" Pour cela vous, vous devrez lui demander vous-même, temporisa-t-elle.
- Vous ne vous occupez pas de savoir pour quelle vraie raison vous travaillez pour lui ?
- Ne prenez pas ce ton-là avec moi, Maverick. Je vous l'ai déjà dit, j'ai une dette à honorer. Et même si ce n'était pas le cas, je le servirais avec joie. Cessez donc de vous monter des films dans votre tête à propos de je ne sais quoi. Le pire qu'il puisse préparer, c'est l'unification certaine de Wars World. Non le pire qui pourrait se produire, c'est que notre organisation soit mise en échec.
Je crois en son idéal, et je veux également voir si il sera capable de le mener à terme, avec mon aide. Et la vôtre, sauf si vous doutez tellement de tout ce qui vous entoure.
- C'est avec une telle attitude que je suis encore en vie, dit-il d'une voix tranchante.
- Vous ne le seriez en tout cas plus sans Voïvode ! lui rappela l'ange déchue.
- Et je lui en suis reconnaissant à la juste valeur de son acte. Mais pas assez reconnaissant pour être aveugle une nouvelle fois et travailler pour quelqu'un qui sous des airs de philanthrope cache une autre espèce de Sturm.
- Il sera ravi de voir que vous faites preuve d'autant de méfiance, roucoula-t-elle. Mais n'oubliez pas que trop de méfiance va créer une atmosphère, qui, l'un dans l'autre, nous sera nuisible à tous.
- Peu importe, si jamais je tombe sur des bonimenteurs... Mais reprenez donc l'histoire du Palais."

Miranda fit la moue. L'invitation était un ordre déguisé, pour rejeter purement et simplement le sujet. Ce Maverick... Finalement, il n'irait peut-être pas avec elle. Elle reprit la parole, avec une once de chaleur en moins.
" Le Palais du Crépuscule est en fait une conquête de Voïvode. Il l'a pris à un ancien ennemi, qui voulait l'utiliser sur un autre monde pour plonger une Cité Eternelle dans l'aura du Crépuscule. Comme vous l'avez peut-être remarqué, les meurtrières continuent encore à déverser le fluide du Crépuscule, qui tombe dorénavant sans danger dans le gouffre de cette dimension miniature. Ici, personne ne sera jamais capable de nous trouver. Pas comme à Perdide où l'on peut pénétrer par erreur.
La sortie peut se faire beaucoup plus facilement, à condition d'en connaître le moyen, bien entendu. Nous concentrons ici toute la place, l'infrastructure, le personnel et le secret nécessaires pour mettre en place nos actions furtives et notre collecte de renseignements. On peut dire que jusqu'à maintenant, ça été un sans fautes. Votre venue parmi nous va peut-être un peu... Brusquer les choses. Mais puisque c'est Voïvode qui le veut, j'ai confiance. Il faut bien prendre des risques pour mener à bien un projet d'une telle envergure.
- Et des sacrifices ?
- Quand ils sont absolument nécessaires, et pour une cause supérieure, oui.
- Vous seriez prêt à donner votre propre vie pour l'avenir d'un monde qui n'est pas le vôtre ?
-Voyez-vous ça... fit Miranda en le regardant de biais pendant qu'ils continuaient à avancer dans le corridor. C'est vous qui deviez être testé, et c'est moi qui me retrouve mise en question ! Maverick, tant que je suis avec Voïvode, je ne crains pas la mort. Il ne fait jamais de sacrifices inutiles. Vous comprendrez très bientôt tout l'attachement qu'il porte à la vie. Pour l'instant, est-ce que votre curiosité a été satisfaite ?
- Amplement."

Rien n'était plus faux. Elle n'avait fait que le balader de pièce en pièce, lui faisant voir des choses certes belles mais inintéressantes, éludait ses questions sur certaines autres qui l'avaient intrigué, et passait outre des sections entières du Palais qui semblaient pleines de promesse. On ne lui lâcherait pas la bride tant qu'il n'aurait pas gagné leur confiance. Si jamais Black Sun s'avérait être une nouvelle menace après Black Hole, il serait le mieux placé pour la contrecarrer. Non, mieux (enfin, pire, c'est selon) : il serait le seul à pouvoir le faire. Et Voïvode le savait pertinemment. Ce qui voulait dire qu'il ne pouvait pas être mauvais et que ses doutes le taraudait trop... Ou bien le contraire. Maverick ne savait plus où donner de la tête.
" Maîtresse Miranda ? appela quelqu'un qui ressemblait fort à un majordome
- Qu'y a-t-il, Jeeves ?
- On m'a prié de vous annoncer, ainsi qu'à Monsieur Maverick, que sa Seigneurie allait arriver sous peu et qu'elle vous recevrait dans le petit salon. Elle prie également Monsieur Maverick de bien vouloir agréer ses plus formelles excuses pour ce défaut de mise en scène, qui, a-t-il, " Ne devrait en aucun cas donner quelque mauvais sentiment au Champion de Perdide sur l'attention que je lui porte".
- Bien. Vous pouvez disposer, Jeeves."
Le serviteur fit une révérence, et partit avec une distinction qui paraissait toute britannique.
" Vous allez enfin avoir droit à d'autres réponses à vos incessants tiraillements, Maverick, le moqua Miranda. Quoi que 'enfin' soit un peu exagéré, vous n'aurez pas mis tellement de temps avant de le rencontrer. Du moins, peut-être...
Venez, le petit salon dont il parle est dans cette direction. N'espérez pas musarder ailleurs, vous vous perdriez bien vite dans le Palais !"
Il ne le savait que trop bien, et n'avait aucune intention de faire reculer plus longtemps le moment du face à face avec son mystérieux commanditaire.
L'ange déchue la mena comme annoncé dans un petit salon, dont l'apparence le rendait tout à fait comparable à...

Un petit salon. Normal, quoi. Peut-être un peu trop normal pour Maverick étant donné la teneur du lieu dans sa globalité. Mais ici, il ne trouva que ce qu'on devait y trouver : fauteuils et canapés moelleux, table prête à recevoir le five-o-clock tea, divers meubles de rangements sur lesquels étaient posés des bouquets de fleurs ou autres ornements, un feu qui flambait en bâillant dans une cheminée proprette, des lampes tamisées, des tableaux de bon goût, des tapis persans...
Ceux qui occupaient l'espace, par contre, étaient nettement moins normaux, même si Maverick avait appris à réviser récemment sa conception de la normalité. En train de croquer des cookies (il avait donc des dents ?) se trouvait Nekroïous, assis en face d'un jeune homme au faciès asiatique, les cheveux brun roux. L'inconnu leva les yeux à l'arrivée de Maverick, et leurs regards se croisèrent aussi longtemps qu'un coup de tonnerre.
Ces yeux...
Des yeux de menteurs. Maverick voyait clairement à travers, et ce qu'il apercevait derrière le voile avait quoi de le faire frissonner, même lui.
Des yeux de tueur. Pas ceux d'un simple tueur occasionnel- ceux de quelqu'un qui tuait froidement, sans émotion, pour faire avancer ses buts, et qui ne regardait pas au nombre. Et ce nombre devait être tout simplement impossible pour un être humain normal. Qu'était-il ?
L'échange oculaire cessa, l'homme baissa le regard et sirota sa tasse de thé.
En retrait, dans un coin de la pièce, se tenait une personne qu'il ne pouvait identifier comme mâle ou femelle, toute drapée d'une robe noire-grisée à capuchon.
" Oh, Maverick ! le héla le Régisseur des Lymbes en l'apercevant. Je vois que vous avez finalement triomphé de la paradisiaque île de Perdide. J'espère que vous avez pu vous gorger d'utiles et nombreuses expériences là-bas.
- Pour cela, j'ai eu mon comptant. Une leçon importante : les morts ne sont pas forcément plus digne de confiance que les vivants.
- Ah, pour cela, je ne puis que vous approuver ! Si vous saviez toutes les âmes crapuleuses que je reçois d'ordinaire dans les Lymbes... Ceux qui gardent une enveloppe charnelle ne sont pas mieux, bien entendu. La mort n'est pas source de sagesse pour beaucoup de monde ! Et c'est pourquoi on oblige les mortels à la vivre encore et encore jusqu'à la fin des temps... Tiens, pendant que je parle de ça, je crois que vous avez égaré ceci."
La créature non-humaine lui lança un cahier noir, celui sur lequel son nom était inscrit. Maverick le réceptionna avec surprise. Il avait complètement oublié l'existence du livre, et le rangea soigneusement à l'intérieur de son imperméable fourre-tout. Il avait du le perdre pendant sa chute hors de Perdide... Mais comment Nekroïous l'avait-il récupéré ?
" Je sais où se trouvent chacun de ces cahiers, Maverick. Gardez-le sur vous, faites bien attention de ne plus le perdre. Ce sera notre petit secret, entre les personnes de cette pièce.
- Secret d'autant mieux gardé qu'il n'y a que vous qui semble en connaître l'usage, fit Maverick.
- Très juste, très juste ! Vous le découvrirez quand vous le jugerez opportun, vous verrez que ça peut être... Intéressant. Ou détruire complètement votre raison mentale, cela dépend de vous.
- Nekroïous, il faudra que tu m'expliques un jours pourquoi le Régisseur des Lymbes, plus mort que la mort elle-même, aime dévorer ces affreux gâteaux. N'as-tu aucun goût ?
- Je n'y peux rien, ma mère me forçait à en manger quand j'étais petit, et cette manie m'est restée, répondit-il en transformant son masque en face rigolarde.
- Ta mère ?
- Ah ah ! Quelle tête tu fais, petite ange ! Vous voyez, Maverick, même ceux qui sont habitués peuvent toujours se faire rouler dans la farine. Beaucoup d'êtres que l'on croit monstrueux ou si éloignés de l'humanité étaient des humains, et ont subis une métamorphose. C'est en tout cas ce qui m'est arrivé, même si cela fait bien longtemps que j'ai perdu toute trace tangible de mon passé de mortel ! On raconte que même les dieux étaient des humains à l'origine.
- Et Voïvode, de quel genre est-il ? en profita Maverick.
- Ce serait vraiment très peu amusant si nous vous le disions. Avec Mysthra, je pense être le seul à connaître sa véritable nature. Je vous laisse entièrement juge de ce qu'il est.
- Mysthra ?
- C'est celui qui se tient dans le coin, là. Ou celle, allez savoir. Tant que 'cela' sera à portée de vos paroles, je vous conseille de les surveiller pour ne rien dire de mal sur Voïvode. Enfin, ne faite cela seulement si vous voulez éviter des souffrances aussi vives que rapides.
- Je tâcherai de m'en souvenir..."

L'ancien général de Black Hole considéra l'assemblée ici présente. Il trouvait de plus en plus bizarre qu'on puisse se servir de telles personnes pour apporter la paix à un monde, qui, même si dans la période du modernisme commençait à tendre vers moins de sanglantes batailles, pouvait très vite se retrouver embrasé à nouveau par la guerre. Cette histoire d'autre monde le dérangeait un peu, et tout ce qu'il voyait jusqu'à présent pouvait tout aussi bien servir à pacifier, certes, mais de manière plutôt agressive. Avait-il vraiment sa place au sein d'un tel cercle de personnages étranges ?
Soudain, ils furent tous sous l'effet d'un signal invisible. Miranda porta la main entre ses seins, Nekroïous sursauta en remettant son chapeau judiciaire en place, Mysthra frissonna, et l'inconnu qui n'avait manifesté aucun intérêt à la réunion ne put empêcher son pied droit de trembler.
" Il vient, annonça Nekroïous, le visage redevenu un masque sérieux qui seyait mieux à son rôle.
- Il veut vous voir seul, Maverick, ajouta Miranda. C'est un grand honneur pour quelqu'un qui n'a pas encore gagné sa confiance."
Et ils partirent sans ajouter un mot. Nekroïous lui fit un clin d'œil avant de quitter la pièce, Miranda lui souffla un baiser par la main, l'asiatique l'ignora carrément. Le personnage qui se faisait nommer Mysthra sortit en dernier, non sans pointer vers lui l'ombre de son capuchon, dans laquelle on ne pouvait rien discerner. Il soutint ce regard aveugle jusqu'à ce que l'être, considérant que sa menace silencieuse était suffisante, daigna s'en aller.
La porte se referma toute seule derrière eux.
Flash !
Un jet de lumière conique plaça dans un cercle scintillant un fauteuil.

" Je t'en pris, assied-toi, mon bon Maverick. Je te promets que ce siège-ci ne comporte aucune piège pour t'envoyer dans de sombres oubliettes.
- Rassurant. Si je peux me permettre, est-ce que vous pourriez arrêter un peu ces extravagances lumineuses ? Je croyais que j'allais vous rencontrer en personne."
La Voix ne cacha pas son amusement.
" Est-ce quelqu'un a jamais dit que tu allais me voir en chair et en os, Maverick ? Ta tête me dit que je joue sur les mots d'une manière qui t'es indécente et que je tourne autour du pot, toutefois, Maverick... Je suis là. Ne sens-tu pas ma présence ? Que te faut-il de plus ? Oh, je vois, tu aimerais certainement un support physique pour mieux appuyer ma présence ? C'est d'un primitif...
- Je croyais bien qu'il n'y avait que les êtres comme les dieux pour pouvoir se passer de corps physique. Ou d'autres créatures fantaques dont je n'ai pas connaissance.
- Encore ça ? Je ne suis pas un dieu, Maverick, une fois pour toutes. Un dieu ne s'embarrasserait pas avec tous les détails qui moi me ravissent. Allons, je vais être obligé de te faire languir. Tu n'as aucun besoin à l'instant présent de connaître ma forme physique. Et nul besoin de le demander aux autres, ils ne te répondront pas. Quant à être une créature fantasque, je laisse cette appréciation à ton bon jugement !
- Et vous voulez que je fasse confiance à quelqu'un qui n'ose même pas se montrer ?
- Ne soit pas stupide, dit la Voix avec des accents grondants. Tes piques ne me feront pas changer d'avis, et sont bien puériles. Je ne cherche pas ta confiance, sais-tu. L'épisode de Perdide a du la fragmenter encore plus. Je me contenterai d'une absence d'hostilité ouverte et d'une trêve bienveillante. Je ne reprendrais pas ce que j'ai donné, à moins que tu ne fasses tout pour. Nous sommes d'accord sur ce point ? Bien.
En gage de ma bonne volonté, alors que je ne te dois rien d'autre que ce qui est nécessaire que tu saches, je t'accorde une question à laquelle je promet qu'il te sera répondu par la vérité."

Maverick se mit en posture du penseur. Il était désappointé de devoir encore parler à une Voix qui venait de nulle part, mais seulement à moitié. Une société plus secrète que secrète se devait d'avoir un chef suprême insaisissable... Jusqu'à un certain point.
En attendant, quelle question pourrait-il poser ? Il avait formulé cela comme si d'ordinaire ses paroles étaient cousues de fil blanc, ou paraphrasées si finement que la vérité 'véritable' se retrouvait dissimulée derrière maints écrans de mots.
Il brûlait d'envie de savoir ce qu'il était vraiment, ce Voïvode, mais devait penser plus loin que son propre intérêt. Miranda lui avait donné sa version, maintenant, il aurait celle de la bouche même (pour peu qu'il en eut une) de celui qui se cachait dans les ombres des ombres.
" Bien... Si je n'ai droit qu'à une seule cartouche, je vais utiliser celle-ci, en attendant d'en gagner d'autres. Voïvode, ou quel que soit ton vrai nom, je veux connaître la raison de ta venue ici, et ce que tu comptes faire de ce monde."
La Voix ne dit rien tout de suite après. Maverick devina qu'il avait du choisir juste.
" Une question simple, mais excellente, que n'auraient pas posé dans pareils cas beaucoup d'autres personnes, mêmes parmi les généraux des Nations Alliées. En te creusant un peu la tête, tu aurais pu déduire que mes connaissances s'étendaient loin, et que je pourrais te divulguer des secrets, tel que l'immortalité, ou rendre parfaitement heureuse une personne de ton choix, la technique pour réussir sans faillir la mayonnaise, et tellement d'autres choses... Tu es toujours sûr de ta question ?
- Je ne vais pas tomber dans un piège si grotesque. Il suffit de se souvenir de Von Bolt pour voir que la vie éternelle ce n'est qu'un rêve idiot. Réponds-moi.
- Ah... Quelle assurance merveilleuse. Heureusement que viendra après le temps de l'action, Maverick, car même si je loue ton intelligence et tes capacités, il ne faut pas non plus trop en demander. Pour ton propre bien, crois-moi...
Alors revenons-y. Ce que je fais ici, et le plan d'avenir que je voit pour ce monde ? Veux-tu aussi le numéro de mon coiffeur ?
- Voïvode...
- Je le reconnais, ce n'était pas la meilleure, mais ta chevelure me faisait penser que ce ne serait pas un mal que de te donner gratis cette autre information. Bien ! Sois attentif, je ne répéterai pas. Après cela, tu devras choisir si tu veux intégrer Black Sun... Ou si tu préfères rester sur la touche.
Lorsque mon autre fonction ne m'accapare pas, Maverick, je suis un grand dilettante. J'aime à me distraire, et faire de nouvelles expériences pour rompre la monotonie que peux prendre pour certaines périodes une vie, même la mienne.
J'ai visité bien des mondes, et j'en ai sauvé plusieurs, en-dehors du mien. Ne feins donc pas la perplexité, car je t'ai promis la vérité, et je suis quelqu'un d'honneur, contrairement à ce que tu pourrais penser.
Toutefois, je n'ai jamais vu de monde comme Wars World. La modernité ne m'est pas inconnue, car je l'ai rencontrée ailleurs, comme sur cette drôle de planète appelée Terre sur laquelle, chose incroyable, des milliards de gens croient à des dieux qui ne se manifestent jamais de manière à ce qu'on puisse sûr que ce soit eux, ni même qu'ils existent, mais Wars World m'a surpris; et j'aime les surprises.
Sur aucune autre planète je n'ai vu une histoire si tourmentée, si tournée vers la guerre ! Une telle aberration m'a laissé pantelant d'une mauvaise perplexité. Comment cela se pouvait-il ? J'examinais votre passé avec grand intérêt. Les batailles me connaissent, la guerre un peu moins, et en ce domaine, j'ai des siècles d'avance sur toi, Champion de Perdide. Je voyais qu'il y avait quelque chose, une essence qu'on ne trouve nulle part ailleurs, qui imprégnait l'âme des gens de ce monde. Sa période de Modernisme l'a enfoui au plus profond d'eux, mais elle reste toujours présente, assoupie, une lueur rouge qui n'attend qu'une étincelle pour embraser le corps, l'esprit et l'âme.
Sturm a allumé cette étincelle, alors même que son stratagème était trop superflu, et vois comme Cosmo Land est si facilement parti en guerre, alors même que l'ère du Modernisme avait commencé par plusieurs lustres d'une paix fragile, chose que l'on n'avait encore jamais vu auparavant. La seconde apparition de Sturm, plus offensive, a permis d'effacer ces erreurs passées. La troisième guerre contre Black Hole a donné naissance au résultat qui a demandé des millénaires : une Alliance globale. C'est le premier pas pour ce que j'envisage pour ce monde.
Car je suis venu ici pour réaliser un vieux rêve. Je voulais savoir s'il était possible de métamorphoser ce monde si guerrier en un parangon de paix et de prospérité, de faire troquer l'épée pour le rameau. C'est un défi utopiste que je me suis lancé, et je vais toujours jusqu'au bout de mes idées, jusqu'à ce que la victoire me sourie ou que le spectre de la défaite me hante. Je veux être capable de faire taire les feux de la guerre sur un monde entier qui était destiné à l'opposé.
Je veux bâtir un véritable joyau, depuis les ombres. Mais une nouvelle ombre, tout autrement maléfique se dresse, comme tu le sais...
Il est temps pour Black Sun de briller et d'apporter au grand jour la preuve de sa contribution à ce rêve. Jusqu'à ce que Wars World devienne une terre de paix, repos qu'elle mérite amplement.
Et pour cela, j'ai besoin de toi, Maverick, car même si du fait de la rapidité de Sturm, la tache ne sera pas longue, il me faut des personnes compétentes comme toi.
Toutefois... Toutefois, tu n'as aucune obligation. Tu peux t'en aller maintenant. Si tu fais cela, aucun mal ne te sera fait, même si je me retrouverai forcé d'effacer tes souvenirs concernant le Palais du Crépuscule. Oui, je suis capable de cela, aussi, mais rassure-toi, pas juste en claquant des doigts. Je ne voulais pas te mettre la pression...
Tu as changé, Maverick, seulement, je ne sais pas si en si peu de temps j'ai réussi à faire de toi quelqu'un qui peut m'aider à sauvegarder ce monde du mal, alors qu'il n'y a pas si longtemps tu donnais un coup de main pour l'asservir.
N'oublie jamais, Maverick : le choix t'appartient tout entier..."
La Voix se tut., laissant la parole à l'ancien général de Black Hole.

Il se souvint de l'avertissement de Nekroïous, et des perches qu'aimaient tendre Voïvode. Il ne se sentait pas certain pour sa sécurité s'il refusait. Pas certain du tout. Et plus que tout, c'était sa propre survie qui lui importait. Pour ce qui était de se sacrifier, il avait déjà donné, et ne comptait pas recommencer.
Et puis, maintenant, quelqu'un l'attendait en ce bas-monde... S'il le sauvait, il la sauverait du même coup. Il avait perçu les accents de la sincérité dans le discours du maître de Black Sun, et même si tout n'était pas encore très clair, il ne pouvait pas dire que sa question n'avait pas été satisfaite.
Alors, il fit son choix.
" Très bien, Voïvode. J'ai apparemment bâclé mon travail; je veux être celui qui tuera Sturm. Définitivement.
- Une décision qui t'honore tout entier, fit la Voix, imperceptiblement moqueuse. Il reste une dernière formalité. Tu dois me prêter serment. Tu es prêt à l'entendre ?
- Dites toujours."
Maverick entendit clairement des sons de gorge, puis Voïvode se mit à déclamer sur un ton solennel :
" Maverick, toi qui servit autrefois un monstre extra-terrestre, toi que j'ai ramené à la vie, jures-tu de servir les intérêts de Black Sun, de venir en aide à tes nouveaux collègues lorsqu'ils seront dans le besoin, de ne jamais trahir nos secrets tant que tu seras l'un des nôtres, d'exécuter les ordres qui te seront donnés sans les discuter plus que de raison, de venir lorsque l'on te mande, d'œuvrer pour notre maître-plan, et d'accepter de risquer une punition selon ma fantaisie si tu cherches à détruire mon entreprise, et enfin d'accepter les tickets-restaurants comme cadeaux bonus de fidélité ?"
Nonobstant la dernière partie de ce serment qui se présentait bien plus raisonnable que ce à quoi il s'était attendu, Maverick donna son agrément.
" Parfait ! assura Voïvode, tout joyeux. Topons-là !"
Avant qu'il ne puisse rien dire sur une idée aussi ridicule, il ressentit l'effet d'une tape au creux de sa main droite.
" Tu vois ? Je ne suis pas qu'une voix venue de nulle part qui peut ressusciter les morts. Oh, j'allais oublier ! Il manque encore une dernière chose. Ouvre ton imperméable, et enlève le haut.
- Qu'est-ce que-
- Fais donc au lieu de discuter. Rassures-toi, il n'y a que les poitrines féminines qui m'intéressent."
Ruminant cette nouvelle facétie, Maverick fit ce qu'il lui avait demandé.
" Attention, ça va piquer..."
Les doigts de Maverick se crispèrent sur les accoudoirs, pendant que de très légers filets de fumée noire montaient depuis son pectoral gauche, superbement musclé. Il baissa les yeux, ne montrant aucun autre signe de douleur, et vit un soleil noir stylisé s'inscrire sur sa peau, à l'emplacement de son cœur.
" Et voilà, tu es Marqué. Ce signe prouve ton allégeance, et s'effacera quand tu ne feras plus partie de l'organisation. Il te seras utile plus qu'une gêne, crois-moi, son premier effet est de diminuer la quantité d'énergie qui sert à alimenter ton pouvoir. Tu seras encore plus efficace. Pour le reste, tu verras ses autres utilités. Je te promets que tu viens de faire le choix le plus intéressant de ta vie, Maverick !
Tu es ici chez toi. Familiarises-toi avec les lieux... Et laissons le temps amener à point le jour de notre prochaine rencontre. Ciao, bellisimo !"
La lumière disparut, laissant le sourire sombre de Maverick s'étendre à la lueur du feu.
Voïvode avait bien dit "quand" il ne ferait plus partie de Black Sun, et pas "si jamais"...

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