La Marée des Ténèbres

Chapitre 25 : [Spectre du passé] Pacte cousu de fil blanc

Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 05:49

Blue Moon
Quelque peu avant la fin du siège de Stellapolis


Ah, Blue Moon ! Une merveilleuse attraction touristique : ses montagnes pures, ses forêts enneigées, sa vodka, ses chocolats, ses sports nationaux, ses beaux monuments, ses femmes qui savent lutter de toutes les façons contre le froid... Et tant d'autres choses à afficher sur des des dépliants touristiques plus ou mois niais et/ou mensongers.
Mais comme tout le reste, la Grande Tempête gâchait quelque peu le tourisme, au degré zéro au niveau extérieur, et presque pareillement pour le niveau intérieur. Elle ne perdait jamais en puissance, n'en gagnait pas non plus, elle restait là, imperturbable, continuant à enserrer le pays dans son linceul blanc. S'ils savaient ce qu'il se passait au-dehors, peut-être préféreraient-ils rester bien emmitouflés ici, parfois, un moindre mal est à préférer.
On avait relégué quelques vieux du pays dans les chambres froides, et la panique n'osait toujours pas montrer le bout de son museau. Quel fier peuple que celui de Blue Moon ! Tous solidaires face à l'ennemi naturel, même si presque tous savaient que naturel l'ennemi n'était pas. Le véritable ennemi, pour le moment, se terrait bien confortablement dans sa nécropole, devisant avec un invité de marque. Enfilez votre parka, laiktheur, et allez vite les retrouver avant de vous faire emporter par une trop forte bourrasque de neige, je sens qu'il va se dire des choses importantes, et que vous n'auriez peut-être pas du savoir en premier lieu. Quelle veine !

Zagor reposa sa tasse de thé. Contrairement à ce que l'on peut penser sur les nécromanciens, du moins au moins pour ceux du standing de Zagor, ils ne se délectent point de plats infernaux, ne croquent pas de rats et ne boivent pas de sang (sauf pour les nécromanciens vampires, assez rares d'ailleurs). Le thé n'était pas connu en Aznhurolys, et Zagor avait fait là une découverte qui ravit son palais, et lui permit d'offrir une boisson presque universelle à l'intrus qui allait changer de costume pour devenir un allié. Zagor l'entendait plutôt comme devenant un pion, certes plus vivant que ses légions mortes-vivantes, mais un pion quand même.
Le problème, bien entendu, était que de son côté, fort aussi de cette habitude, K entendait également faire de Zagor son propre pion. Une rivalité intense de fourberie, l'avantage allait, visiblement, à Zagor, car si K possédait des talents extraordinaires en la matière, surtout pour son âge, l'archinécromant, lui, avait bien des décennies d'avance sur l'autre en la matière, et possédait bien avant lui des pouvoirs qui lui permettait de tromper son monde. Double avantage, puisque ce K n'était encore qu'imparfaitement adapté à cette nouvelle dimension des choses, truffées de nouvelles règles difficilement claires pour le néophyte.

Ils se jaugèrent un moment en silence, essayant l'un l'autre de décrypter les pensées du vis-à-vis.
L'un des deux allait forcément devoir se soumettre en partie, car ils ne pouvaient pas espérer coopérer profitablement autrement.
Ah ! Quelle lutte se dessinait donc entre ces deux trompeurs professionnels, dans ce ballet verbal fait de mensonges qui approchaient la vérité, de pièges à la raison et de semi-vérités...
K avait berné son monde pendant de nombreuses années avant de se faire finalement démasquer; Zagor, lui, s'embarrassait moins du secret, car en Aznhurolys, dès qu'il y avait quelque vilenie de force majeure, on se mettait toujours à le suspecter. Malgré cela, il trompait lui aussi son monde...
Depuis des décennies.
Difficile d'imaginer une alliance entre deux être pour qui importent le plus leurs idéaux et leur vie, à l'exception de tout le reste !
Mais on dirait qu'une telle alliance était en train se de forger, aussi claire-obscure, ambiguë et précaire qu'elle pourrait être. Ce fut le nécromant, qui après qu'ils aient échangés ces coups de sondes et appris un peu plus l'un sur l'autre, qui prit les devants.

" Une histoire intéressante que la vôtre, et elle ne peut être que véridique, puisque vous n'avez aucun intérêt à la falsifier. Pourtant, je me demande bien si dans cette aventure ce jeune homme au nom d'une seule lettre ne vous a pas demandé, si, dans votre vie, vous aviez jamais dit une seule fois la vérité ? Ah, je vois dans le frémissement imperceptible de vos yeux que j'ai touché juste. Même sans cela, je sais reconnaître un autre rusé comme moi, et après notre courte conversation, je suis même prêt à admettre que vous avec beaucoup de talents, vous savez indéniablement brouiller les cartes. Il est temps de jouer celles-ci sur la table, monsieur K : mettons les choses au point.
En dépit de toute la répugnance que vous aurez à l'admettre, admettez : nous avons des points communs. La fin justifie les moyens, hé ?
- Je vois difficilement comment vous pourriez me comparer moi, qui chercher à bâtir un monde parfait, et vous... Qui n'êtes qu'un criminel d'un type qui m'était inconnu, mais qui tue en masse sans remords.
- La belle chose ! rit Zagor. Vous n'avez pas tué en masse, peut-être ? Pour punir les criminels, vous n'aviez qu'une seule solution : en devenir un vous-même. Le seul qui puisse être toléré, puisque vous deviez vous considérer comme un dieu, n'est-ce pas ? Ici, vous n'en êtes pas un, K.
Vous pouvez cacher vos actes abominables derrière tout ce que vous désirez comme bel idéal, on ne créé pas un monde parfait en tuant. Vous n'étiez craint que parce que vous sembliez omniprésent et omnipotent pour tuer les gens. Moi, si j'ai comme tout le monde des méthodes qui doivent rester secrètes, je ne me cache pas et je ne me prétends pas quoi que ce soit d'autre que Zagor, le meilleur de tous les nécromants. Ah, mais vous ne pouviez pas, évidemment...
Passons. Il vous faut reconnaître immédiatement quelque chose, malgré votre égo qui se porte presque aussi bien que le mien : vous ne pouvez pas me tuer. Mais moi, je le peux. La nuance est subtile mais devrait vous intéresser. Ici, vous ne pourrez pas continuer à 'juger' les gens derrière votre cahier de la mort..."
K dénia de la tête.
" La méthode n’est plus là même, c'est vrai, et je vais devoir l'améliorer. Cependant, je ne suis pas prêt à reconnaître une telle chose : vous ne pouvez pas me tuer non plus.
- Hmpf ! C'est bien arrogant. Toutefois, c'est ce genre d'assertion qui ne peuvent être vérifiées qu'une seule fois pour être convaincantes. Je pourrais bien vous ramener à la vite ensuite, mais m'est avis que votre nouvelle forme ne vous plairez pas, et que votre cerveau en serait affecté. Bon, prenons alors ceci comme une égalité : nous sommes intouchables l'un pour l'autre. Entendu ?"

K fit signe que oui, et but une gorgée de thé.
Il pensait : c'est parfait si tu crois cela pour le moment, je trouverai bien un moyen de te tuer, tu ressembles à un homme, tu dois pouvoir mourir. Je devrais peut-être utiliser le morceau de Death Note caché dans ma montre, même si l'un des côtés comporte encore le nom incomplet de Near...
Mais non, pas pour le moment. Je n'ai aucune certitude que cela marchera bien sur lui, je préfère le réserver pour le plus puissant être de ce monde, et ce doit être Voïvode. Une fois lui éliminé, je tuerais alors tous ceux qui sont plus puissants que moi : je deviendrai alors le nouveau dieu de ce monde pourri par les guerres. Quand ce moment sera venu, il n'y en aura plus...

Et Zagor pensait : pauvre blanc-bec ! Tu as sûrement quelque protection maintenant, mais je sais bien plus que toi ce dont il peut s'agir, et dès que j'aurai découvert sa nature, je la briserai grâce à ma science. Je vais t'utiliser comme espion, et si jamais tu dévies de mes intentions, tu pourras pour de bon. Se croire, un dieu, bha batasta ! Même moi mes ambitions ne vont pas si loin.
Aucun indice de ces pensées assez peu amicales ne transparaissaient à la surface de leur visage.
Zagor lissa pensivement son bouc bien lustré, puis reprit la parole.
" Bien, voici donc un point clair entre nous. Le second concerne nos buts respectifs. Je ne chercherai pas à vous convaincre en quelque endroit, ils ne vont vraiment pas dans la même direction. Vous voulez un monde parfait ? Pourquoi pas. Votre maître, vous-même, les habitants de ce monde, une autre puissance inconnue, vous pouvez tous monter votre commerce ici, ça ne changera rien pour moi. Je ne veux qu'une seule chose : la tête de Deshtar. Il doit sûrement être dans votre entourage, sans que vous le sachiez. Et croyez-moi, c'est un grand criminel, de classe intermondiale. Vous auriez tout intérêt à le 'juger', mais c'est moi qui m'en chargerais. Je veux donc que vous découvriez quelle identité il a prise dans ce monde, et que vous me donniez le moyen de me mettre la main sur lui. Après cela, je partirai de Wars World, et vous ferez ce que vous en voudrez, peu m'importe.
- Je vois, fit K, sans émotion. Je me désintéresse assez de votre vendetta, et s'il est un criminel, il mourra comme les autres jusqu'à ce que cette planète soit purgée. Qu'avez-vous à offrir en échange de mon espionnage ?"

Zagor se frotta les mains sans se cacher, il allait sortir une proposition que l'autre ne pourrait nullement refuser, il en aurait mis sa main au sani-broyeur.
" Soyons francs, j'ai l'habitude, afin de limiter les dépenses superflues, d'offrir la vie sauve et une autre bagatelle à ceux que je man.., hm, que j'emploie. C'est épineux, puisque je ne peux pas brandir cette menace pour vous, qui est pourtant l'une des plus vieilles mais aussi des plus stimulantes motivations pour accomplir sa tache. J'ai en fait deux choses à mettre en jeu. La première, c'est l'aide de mes légions pour tuer ceux qui vous gênent ici, et même ma propre aide pour un temps limité, car une fois Deshtar tué, il faudra que je tombe comme une hécatombe sur le monde d'où je viens.
L'autre chose, je crois, vous captivera : je vous propose un aller simple pour la Terre."
K n'arriva pas à retenir ses yeux de s'arrondir très légèrement de surprise. Il avait bien entendu pensé à une telle éventualité, mais y penser sans savoir comment la concrétiser et se la voir donner en échange d'un service est une toute autre chose. Dans sa tête se succédèrent des images délicieuses, nanti de ses nouvelles capacités, il ne pourrait plus jamais être arrêté sur la Terre où les shinigamis et leurs Death Note constituaient la seule forme de pouvoir surnaturel. Il regarda le visage goguenard de son interlocuteur : cet enfoiré savait que cela l'intéressait plus que de rester à Wars World. Son esprit logique le reprit bien vite, qu'est-ce qui lui prouvait qu'il était capable d'un tel prodige ? Il disait venir d'un autre monde...
Pas question d'accepter un marché avec ce type avant de savoir s'il pouvait réellement voyager entre les mondes.
" Votre proposition a de quoi intéresser. Pour peu qu'elle ne soit pas de la poudre aux yeux.
- Bien sûr, bien sûr, un petit tour gratuit ? J'y songeais. Restez donc assis et finissez votre thé. Je vais devoir vous faire patientez quelque peu, mais, quoi ? Voyager entre les mondes requiert un sortilège qui n'est pas des plus simples. Heureusement je connais déjà le chemin de la Terre, je m'y suis même déjà rendu une ou deux fois, à l'occasion."

Et Zagor se mit exécuter le sortilège de transdélocalisation dimensionnelle fractale à matrice convergente. L'opération était en effet délicate, K le vit bien à la mine concentrée de son exécuteur, et ne le dérangea pas pendant tout le temps que cela lui prit; il était bien incapable de retenir tout ce rituel et ne devait sûrement pas posséder les capacités pour l'exécuter. Finalement, il apparut une sorte de miroir à la surface liquide, qui ne reflétait en rien la pièce, mais montrait dans un halo des paysages de son Japon natal qui défilaient devant ses yeux. K se leva pour voir de plus près, il n'aurait pas pensé éprouver une telle nostalgie. Zagor s'aperçut de son émotion et lui attrapa la main pour le faire toucher la surface de ce portail. L'image devint floue, puis afficha sa maison, où vivaient seules sa mère et sa sœur, qui n'avaient jamais su la vérité à son propos. Son domicile s'envola pour laisser place au building qui avait autrefois servi de quartier général quand il avait intentionnellement perdu la mémoire. D'autres lieux s'exhibèrent à son regard, tous liés à son ascension vers le pouvoir ultime.
" Ce petit tour d'horizon vous picote le cœur, n'est-ce pas ? Vous aimeriez certainement visualiser ça de plus près, hm ? Pensez fortement là vous désirez aller, et c'est là que nous atterrirons. Oui, je sens bien que vous n'aimez pas le contact de ma main, mais je vais devoir vous accompagner, juste par précaution, n'est-ce pas ?"
Ce type... Enfin, c'était évident, il ne le laisserait pas partir comme ça. Les idées s'enchaînèrent dans sa tête, il devait trouver un moyen de profiter de cette aubaine pour préparer son retour. Juste un petit quelque chose qui annoncerait qu'il n'était pas mort...
Qu'il serait bon de mettre cette pression sur les enquêteurs de la police japonaise et sur Near !
Near...
K montra un de ces sourires dont il avait le secret.
" Alors, nous décidons-nous ? demanda Zagor avec une once d'impatience. N'espérez pas monter un plan pour m'échapper, je ne vous quitterai pas d'une semelle.
- Loin de moi cette idée, répliqua machinalement K qui avait déjà délégué le nécromancien aux oubliettes de sa mémoire. Me permettriez-vous d'abuser de votre temps ? J'aurais une certaine chose à faire.
- Hm ? Pourquoi pas. Le principal, c'est que vous soyez convaincu."
K se retint de soupirer d'aise. Non... Il devrait se retenir aussi de tuer Near tout de suite. Il n' y avait pourtant que quelques lettres pour que sa mort soit scellée. Il voulait aussi tester si elle pouvait tuer là-bas de cette nouvelle manière, dont il se contenterait avant de remettre la main sur une Death Note. Il savait qu'il y avait une manière de tuer les shinigamis... Qu'il ne pourrait mettre à profit, bien entendu. Mais s'il pouvait aussi obtenir leurs sabliers de vie ? Ou juste voler un carnet d'un des dieux de la mort... Il ne voyait pas comment en obtenir autrement, car ceux résidant dans le monde des humains avaient forcément du être détruits par les bons soins de N. Et aucune chance d'en retrouver des pages quelque part. Sauf si...
Il concentra fortement ses pensées sur l'endroit où il avait chu après que Voïvode l'eut tiré hors des griffes de la mort, mais ne réussit pas à le faire apparaître. Il se contenta d'une autre destination dans le monde normal. Lui et Zagor y passèrent un court laps de temps, pour que K s'occupe de la besogne qu'il s'était assignée avec joie, puis, tous deux satisfaits, ils rentrèrent dans la nécropole.

" J'aime à croire que vous avez maintenant toutes les preuves que tout cela était bien réel ?
- Oui... C'est parfait. Je crois que nous pourrons finalement arriver à une entente temporaire pour que chacun d'entre nous remplisse son objectif.
- Que ces mots sont doux à mes oreilles ! Je savais que vous sauriez vous raisonner. Asseyez-vous donc, je vais maintenant vous donner des détails sur Deshtar. Ne croyez pas pouvoir retourner à votre monde d'une autre façon que par mon truchement... Deshtar pourrait le faire, mais ne le fera pas, et votre maître dont j'ignore le nom non plus, mais moi, c'est différent, je n'ai aucun scrupule. Vous avez même ma bénédiction, malgré nos différences, je trouvai votre grand-œuvre pour le moins intéressant ! Et cela m'est bien agréable d'imaginer le sort de cette Terre quand vous y reviendrez. Bon, mais avant cela, il vous faudra donc me permettre de retrouver Deshtar.

Je vais commencer par vous conter brièvement son histoire, continua-t-il de sa voix profonde et bien timbrée, histoire que peu connaissent. Je ne suis pas sûr qu'il sache qu'elle ne m'est pas inconnue. Oubliez toute la rationnalité de votre monde natal, et ouvrez votre esprit, vous en aurez besoin pour croire, comprendre, et aussi survivre ici. Il me déplairait que vous mourriez avant d'avoir exécuté votre tache. Je ne vous conte pas cela pour le simple plaisir de m'écouter parler.
Les racines profondes de son histoire remontent à bien longtemps- pour tout dire, vers les premières apparitions de la vie de l'Univers. Vous vous êtes bien évidemment rendu compte que la Terre n'est pas le seul berceau de la Vie dans le grand vide intersidéral, n'est-ce pas ? Bien. Ce qui suit est un peu affaire de mythologie, j'espère ne pas trop vous ennuyer avec cela, mais c'est pour vous donner une vision d'ensemble.
En Aznhurolys, le monde d'où je vient, on célèbre 21 cultes différents : ceux des sept Primats et de leurs quatorze auxiliaires. Toutefois, il y a une Déesse si omniprésente qu'elle englobe tout et que sa foi en Elle est considérée comme automatique, presque innée : il s'agit de la Toute-Puissance, qui se dit Mère de Toute Chose. Il faut bien toujours une de ces entités pour chapeauter toutes les autres.
Dans notre mythologie, il apparaît donc que cette Toute-Puissance, née de la Sphère Primordiale, se serait partagé l'Univers en deux avec une entité rivale. Dans son coin à Elle, Elle aurait alors instauré tout ce qui est essentiel : planètes, étoiles, astres célestes, le temps, tout cela... Sans aucun de ces Big Bangs dont aime à vous régaler la presse de vulgarisation scientifique.
Après d'innombrables expériences, constatant que cela n'était plus tellement passionnant, Elle choisit un monde pour héberger une nouvelle création : la Vie.
Ce monde, beaucoup ont oublié son nom, d'aucun se rappellent qu'il se nomme Aléphus. Je vais abréger la suite, pour en arriver au point important. Sur ce monde, elle créa une copie d'Elle-même, car Elle pouvait tout faire, mais pour ne point être menacée, elle scinda cette copie en trois entités, les Premiers, dont chacun possédait d'une manière limitée les trois O- Omnipotence, Omniprésence, Omniscience. Oui, posséder des pouvoirs infinis de manière limitée est paradoxal, je sais...

Xhénorr, Whënzel et Akerros. Je vous dirai simplement que le troisième créa le genre humain, que la seconde lui insuffla son esprit et que le premier l'orna de la plus perverse des choses : l'âme; que ces Premiers entrèrent en querelle, voulurent mettre à bas la Toute-Puissance, et se retrouvèrent mis à mal par les humains qui s'étaient échappés de l'Enclave qu'on leur avait réservée. Bon, ils furent donc chassés, mais pas vaincus, car Elle ne pouvait pas réduire à néant ceux qui étaient un reflet de Sa puissance, il y a quelques incohérences, je vous voit venir. Si la Toute-Puissance peut tout faire, peut-elle créer une pierre qu'elle ne peux pas soulever ? Peut-elle se détruire ? Etc. Jusque-là, tout va bien, si l'on veut.

Xhénorr, avant de disparaître, avait laissé un legs à la race humaine : des cousins de cette race, mais plus beaux, plus forts, plus intelligents, bref plus doués et légèrement supérieurs en tout point aux humains de base; qu'il avait fait mûrir en son château sous la montagne. Bien. Les deux espèces prospérèrent sous le regard critique de la Mère de Toute Chose, qui n'irait plus créer des copies d'Elle-même sans réfléchir auparavant.
Mais vous connaissez l'esprit humain, monsieur K ? Au bout de plusieurs générations, ils ne supportèrent plus d'avoir de pareils rivaux, rivaux, parce que les alliances entre les deux peuples étaient rares. Et cela, pas de la faute de cet autre genre d'humain, qui considéraient avec bienveillance leurs cousins moins évolués, non, ce sont bien les premiers humains, fruit des recherches d'Akerros, qui devinrent jaloux de leurs cousins, et convoitaient leur qualité.
Il advint qu'un jour le voile se déchira sur cette inimitié latente, et alors les humains demandèrent à la Toute-Puissance de les protéger de ces enfants de Xhénorr, qui, selon eux, malgré leurs bonnes apparences, les trahiraient un jour, car ils étaient l'engeance d'un être qui avait osé se rebeller contre Elle. Ils La supplièrent tellement bien qu'Elle en fut émue et donna naissance aux premiers Primats, pour que Son peuple élu ne soit pas sans surveillance pendant qu'Elle vaquerait dans d'autres coins de Son Univers pour tenter d'autres expériences. Et Elle chassa alors les démons, tel était le nom des cousins des humains, dans l'Inframonde d'Aléphus, et les condamna à se suffire de leur vanité supposée pour l'éternité, dans cet endroit où ils ne pourraient faire de mal qu'à eux-mêmes. Dans cet Inframonde régi par des règles strictes, qui possédait sa propre lumière, son propre air, sa propre nourriture, ses propres ressources et bestiaire et flore, ils durent s'adapter pour survivre. Ils mutèrent alors, parfois dans de bien vilaines formes, et développèrent les premiers la magie, qui était création de Xhénorr . Jamais ils n'oublièrent leur rancœur envers les humains qui les avaient enfermés si injustement, et ils ne désespéraient pas, un jour, de prendre leur revanche. Il y avait là un endroit de l'écorce terrestre d'Aléphus bien mince entre l'Inframonde et le monde du dessus, même si mince est un euphémisme, bien entendu, cela représentait des centaines et des centaines de kilomètre. Mais n'avaient-ils pas toute l'éternité devant eux ?


Alors ils creusèrent des siècles durant, jusqu'à arriver à une zone trop dure. Ils perdirent espoir, mais ils étaient guidés par le fantôme de Xhénorr, qui, des ténèbres où il était plongé, continuait à aider son peuple, qu'il savait être un jour son libérateur. Il leur dit de prendre patience, et leur annonça une époque encore lointaine, où naîtrait l'Elu qui ouvrirait la faille du Rift. Un grand classique, mais quoi de mieux que cette bonne dose d'espoir pour motiver un peuple prisonnier ?
Cet Élu, vous l'avez deviné, n'est nul autre que Deshtar Xallum. Il ne se révéla pas tel à sa naissance, mais on savait que l'Elu devrait naître à cette période, et comme il excellait en tout et montrait des prédispositions formidables à la magie, on plaçait beaucoup d'espoir sur lui.
Espoir qui ne fut pas en vain, car le 777eme jour après sa majorité, Xhénorr fit annoncer par ses hiérophantes qu'il était cet Élu, chargé de la destinée des démons. La liesse prit d'assaut tout le peuple maudit, et je crois que même les voisins d'au-dessus durent croire que des échos faisait légèrement osciller la terre : la plus grande fête et la plus grande orgie de tous les temps !
Tout fut rendu possible par des humains inconscients qui cherchèrent les secrets de la magie noire et apprirent à invoquer des démons hors de l'Inframonde, dans le plus grand secret, pour assouvir leurs desseins égoïstes. Peu à peu, à force de jouer les serviteurs zélés et loyaux, les démons apprirent l'existence du sceau qui avait été apposé sur la faille du Rift, et le moyen de le briser.

Aléphus connut son apocalypse lorsque la protection s'écroula, selon les récits, il n'y eut pas un seul démon, même enfant, même vieillard, qui resta en arrière : ils sortirent tous pour assouvir une vengeance plus que millénaire. Une véritable marée des ténèbres tomba sur la surface, ravageant tout sur sa surface, sans pitié, sans considération du temps passé. Les démons avaient toutefois le sens de l'honneur, et on dit qu'ils épargnèrent les combattants défaits, ainsi que les enfants trop jeunes qui ne méritaient pas d'être inclus dans le massacre; ceux qui leur avait permis de se libérer, les manieurs des arcanes noires, furent sauf également.
L'humanité d'Aléphus aurait été radiée en encore plus grande partie si les Sept Éminents n'avait fait construire un portail interplan, et voyant très clairement qu'aucune médiation n'était possible ni aucune moyen pour stopper les démons ivres de colère, ils firent évacuer leur peuple en aussi grand nombre qu'ils le purent.
Deshtar ne pouvait admettre que les descendants des tortionnaires de son peuple fuient devant lui et échappent à son courroux. Il alla jusqu'au portail, défit ses gardiens, et aveuglé par la colère, le franchit pour faire aller le châtiment jusqu'au bout. Aucun de ses compagnons démons ne put le suivre, car ce cas de figure avait été prévu, et le portail se détruisit sous l'effet d'un sortilège qui réagissait à la signature de l'aura du Roi des démons. L'explosion du portail eut des effets bizarres, que je n'indiquerai pas pour le moment.
Piégé dans le monde refuge de cet exode, Deshtar se retrouva face aux Sept Eminents. Je le hais cordialement, mais je dois reconnaître quelque chose : il a du répondant. Des Sept, seuls trois survécurent : l'un parce qu'il simula parfaitement la mort, le second parce qu'il s'était enfui devant la mort de ses confrères, le dernier parce qu'il eut raison du Roi en lui enfonçant en plein cœur la seule arme qui pouvait traverser son armure, don de Xhénorr, il s'agit de la lance bénite de Benezalkos, Ulicelf. Lance qu'il eut le plaisir de réduire en miettes bien des ères après !
Car il n'était pas mort, la vieille baderne, réduit à l'état d'esprit désincarné et à la mémoire flouée peut-être, mais toujours existant. Il attendit longtemps le moment de son retour à une forme matérielle, quand les dieux, dans leur éternelle recherche de divertissement, lièrent son âme et son esprit à celle d'un jeune garçon qui descend directement de l'Eminent qui l'avait tué, pour rajouter à l'ironie. Il accepta toutefois le marché, et de la fusion de ces deux êtres naquit celui que l'on nomme le Gardien, qui maîtrise tant bien l'ombre que la lumière.
Il devait être profitable à Aznhurolys, cependant, Deshtar, lui, ne supportait pas cette nouvelle prison encore plus étroite, et reprit parfois le contrôle de con colocataire spirituel, infligeant de graves menaces au Monde Scindé, et comme je le sais, c'est lui qui tient les rênes depuis un moment. Étrange qu'un tel être, vu sa nature, ne se soit rangé à mes côtés, mais, hé ! Peut-être est-ce parce qu'il m'a tué par trois fois avant que je n'échoue sur Aznhurolys que nos relations ne furent pas des plus chaleureuses. Elles allèrent de mal en pis, puisque nous sommes en bisbille depuis plus de plusieurs décennies."

Il fit une pause, laissant le temps à son auditoire unipersonnel de digérer toutes ces informations, K lui fit signe de continuer, il avait feint l'attention, mais tout cela ne l'intéressait qu'à moitié. Son attention avait été plutôt tournée vers ses prospections d'avenir lorsqu'il serait de retour sur la Terre.
" Un adversaire formidable, ce Deshtar, je ne peux lui dénier cela. Et pourtant, avec votre aide, je signerai son épitaphe. Je suis certain qu'il fait partie de cette organisation qui prends vos services, Black Sun, toutes ces choses qui vous paraissent surnaturelles le prouvent bien. Mais cela ne signifie pas pour autant que vous pourrez le trouver si facilement ! Il a sûrement recours à un enchantement pour camoufler sa véritable apparence, et sa perversité est telle qu'il pourrait être bien déguisé en femme. Il dégage toutefois une aura qui ne laisse pas indifférent, et si d'aventure vous trouviez un moyen de mettre à bas les masques, voilà ce à quoi il ressemble..."
Zagor sortit une bourse de ses vêtements, la délia, mit sa main à l'intérieur, puis, à l'étonnement de K, y plongea tout l'avant-bras, il semblait fouiller avec impatience un espace qui n'aurait normalement pas du exister. Il en retira finalement une feuille de parchemin avec un cri de victoire.
" Escarcelle à contenance illimitée, expliqua-t-il. Un objet très rare, mais très utile. Tenez, ayez un regard attentif à cette illustration, je ne crois pas qu'il y ai dans l'Univers d'autres représentations de son physique, sauf peut-être dans l'Inframonde. Oui, il ressemble à un homme, mais gravez cette silhouette dans votre mémoire."
K confirma que la donnée était bien ancrée dans son cerveau, et qu'il ne manquerait pas de le reconnaître s'il le voyait : il avait des traits tout à fait exceptionnels. Zagor lui présenta ensuite le verso du parchemin.

" Mais c'est le même personnage ! s'exclama K. Et pourtant, non, il est identique, et tout à la fois différent d'une façon énorme.
- Vous avez trouvé les mots, le complimenta le nécromant. Il peut aussi apparaître sous cette forme, c'est en fait celle de l'humain hébergeur. Il se peut que ce dernier reprenne le contrôle de leur corps parfois, mais doutez toujours, il est capable d'imiter l'autre avec précision, ils ont le lien le plus intime qui soit. Ne dirait-on pas des sortes de jumeaux ?
- A première vue, oui. Avez-vous d'autres informations ?
- Pléthore ! Mais je ne vais pas m'étendre indéfiniment. Vous êtes d'une intelligence rare, monsieur K : quelques indications sur son caractère et vous devriez pouvoir le débusquer, quelque que soit son costume. Tout d'abord, il a une grande confiance en lui, justifiée en partie. Il n'aime pas la grossièreté, et ne l'utilise que rarement. Il est malicieux, taquin, sardonique face à ses ennemis, il sait lire aisément dans le cœur des mortels et aime les mortelles. On a des fois du mal sur quel pied danser avec lui : tantôt il est sérieux, tantôt il se joue de vous, alors qu'on peut prendre facilement l'un pour l'autre tellement il a la langue bien pendue. Bien que son compagnon humain l'ai justement humanisé, il garde toujours un certain dédain pour ceux de votre espèce : essayez de le remarquer dans votre entourage. Il aime les défis, je crois que son pire ennemi est l'ennui, c'est en tout cas ce qu'il dit pour railler le monde. Il est astucieux, ne manque pas d'une certaine intelligence.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, c'est un ami fidèle, et sa confiance est une des denrées les plus rares de la Galaxie. C'est un être puissant, farouche, ne vous avisez pas de le défier : je suis l'un des rares qui puissent me mesurer à lui sans trop de dommages (et c'est une plaie dans mon cœur que de reconnaître quelqu'un plus puissant que moi !). Et pourtant en société il peut paraître le plus aimable et le plus charmeur des hommes, il aime à badiner.
S'il y a quelque chose de plus caractéristique chez lui, c'est son sourire, ou plutôt ses sourires : c'est à croire que toute sa vie il a peaufiné son répertoire, on lui en croit avoir plus de mille différents avec les plus petites nuances imaginables, pour chaque situation, chaque émotion. Je crois qu'il peut difficilement son empêcher et que c'est une porte ouverte vers son âme, ou cherchez encore dans le pétillement des yeux. Je pourrai vous en dire plus, monsieur K, cela devrai pourtant vous suffire. Pour l'œil exercé, il sera forcément reconnu tôt ou tard. Ne négligez aucun détail, ne vous épargnez aucune peine : je peux bien attendre des véos si cela permet d'en finir avec lui sur cette même terre.
Voici donc le marché, monsieur K. Prenez toutes les précautions nécessaires, faites-moi des rapports réguliers sur l'avancée de votre enquête, et à la clé vous pourrez retourner sur la Terre. Bien entendu, vous n'informerez pas votre maître ou qui que ce soit de ma présence sur Wars World.
Nous sommes d'accord ?"

K serra, avec un certain dégoût dissimulé, la main très pâle qui lui était tendue. Par rapport à ses précédentes enquêtes, et même si cela se passait dans un tout autre domaine assorti d'une foule de subtilités surnaturelles, il n'aurait pas de mal à trouver ce Deshtar qui ne supportait pas la race humaine. Ils échangèrent un dernier regard tacite, et il s'en fut, laissant Zagor à l'expression solitaire de sa joie pour cet heureux coup du sort.

Au Palais du Crépuscule...

Nekroïous sifflotait une petite chanson où il était question de cookies et d'os brisés tout en passant entre les innombrables rayonnages de la pièce. Il était apparu clair que sa présence hors de sa circonscription avait enclenché une perturbation dans l'Au-Delà de Wars World... Qui n'existait peut-être même pas auparavant. Alors, il s'était mis à recevoir sur la tête des cahiers de la mort, indicateur des probabilités de décès. Il en recevait tellement que le stockage devenait impossible, aussi Noïs lui avait obligeamment créé cette petite dimension qui ressemblait au département des archives de ses Lymbes, où étaient maintenant rangés tout ces fichus cahiers, dont il ne devait normalement pas se préoccuper. Mais il ne pouvait pas rester à s'en recevoir sur le chapeau toutes les minutes, aussi maintenant chutaient-ils dans l'endroit approprié. Il avait enchanté les centaines de milliers d'étagères pour attirer tout nouveau venu en cellulose afin qu'il se rangeât à l'endroit adéquat. A priori, cela ne lui était d'aucune utilité, même dans l'hypothèse où cela lui permettrait de savoir exactement qui résidait sur Wars World en ce moment. Il s'était aperçu que les cahiers suivaient ceux dont il portait le nom, pour preuve celui-ci, de monsieur K, celui-là, de Miranda, et d'autres. Il ne voulait pas fouiller tout cela par mesure de précaution, même si comme dans les Lymbes, dans cette dimension il avait le don d'ubiquité et de manipuler le temps, il n'avait tout de même pas quitté Aznhurolys pour se retrouver à faire le même travail ailleurs ! C'était ce qu'il craignait le plus : qu'un cycle de réincarnation soit lancé sur Wars World et que les âmes se mettent à débouler ici, avec lui comme seule personne capable et chargée de leur transit. Horrible !
Pour le moment rien de tel n'était arrivé, mais il restait sur la défensive.
Et ce fut là que ses craintes prirent forment : il vit une âme (une grosse, en plus), qui errait... Ben, comme une âme perdue entre les rayonnages. Elle n'avait pas l'air bien maline, avec son gros casque, ses lunettes et son torse de gorille (sans les poils). Soupirant, Nekroïous alla vers elle : c'était plus fort que lui.
L'âme fit un bond en la voyant.

" Qu'est-ce que vous êtes, vous ? Qu'est-ce que je fais ici ?
- J'aimerai bien avoir la réponse à la seconde question ! Mais je ne peux que vous indiquer que la première, il semblerait que je sois le régisseur temporaire de l'au-delà de Wars World. Voïvode me préserve qu'il se mette tout à coup à pleuvoir des millions d'âme ici.
- Ah, euh, ouais, ouais...
- Vous n'avez rien compris, n'est-ce pas ?
- Ben, pour être tout à fait franc, non.
- Bon, bon, bon, fit Nekroïous avec humeur. La nouvelle va certainement vous choquer, mais vous êtes mort, Helmut.
- Comment est-ce que vous savez mon nom ?!
- Là, regardez, ce cahier. Il est à votre nom, et il indique que la probabilité de décès pour aujourd'hui était de 80%. Mauvais ratio !
- Ah, qui est le lâche qui m'a fait ça ! J'ai rien senti du tout ! J'allais tout leur raconter en espérant que le seigneur Sturm irait pas me rattraper pour me punir, puis j'ai senti tout d'un coup mon cœur qui claquait et que je ne pouvais plus respirer ! Bon, maintenant, qu'est-ce qui se passe ? C'est quoi le plan ?
- Là, vous me prenez au dépourvu, Helmut. J'avoue que je ne sais pas trop, j'avais espéré que ça n'arrivait pas. Je ne sais pas quelles sont les règles en vigueur ici, et mon code juridique est muet à ce sujet, je le sais bien, je l'ai rédigé en grande partie. Bha, comme l'on dit, interpretatio cessat in claris, mais justement, c'est tout à fait obscur : à moi donc de faire le législateur, et de créer jurisprudence. Quoi que... Cela vous embêterait beaucoup de rester quelques mois ici, Helmut ?
- J'suis pas du genre patient ! Et là, j'ai une grosse envie de cogner, en plus.
- Hm; oui, bien sûr. Bon. Qu'est-que vous diriez de vous réincarnez ?
- Quoi ça ?"
Nekroïous essaya de lui expliquer le plus simplement possible le système de la métempsychose.
" Aaaah ! fit-il. Je veux pas entrer dans une autre barbaque comme ça ! C'est que ça veut dire que je recommence tout de zéro, dans la peau d'un bébé ? Que je ne me souviendrais de rien de rien et que je vais redevenir un gamin ?
- En substance, oui, Helmut, répondit le régisseur qui se sentait très las. Cela ne vous convient pas ?
- Pour ça non, je veux tuer l'enflure qui m'a tué.
- Hm, ça peut toujours se faire. A vous de le trouver, par contre. Je crois que vous aurez quelque mal à le faire... Mais cette personne devrait mourir au moment convenu. Tenez, j'ai une idée, Helmut. Faisons un marché. Je vois que votre âme est encore saturée d'une drôle d'énergie, ça doit être l'aura de pouvoir de général. Je prends vos pouvoirs de général, et en échange, je vous ramène à la vie, dans le même état. Qu'en dites-vous ?
- Comment est-ce que je ferai pour tout casser sans mes pouvoirs ?
- Vous trouverez bien une solution. Ou demandez à Maverick, c'est lui qui vous a promu général, il doit bien savoir quelque chose.
- Quoi, Maverick est toujours vivant ? s'étonna le défunt.
- Si fait. Vous aurez certainement l'occasion de le rencontrer, nous avons besoin de bras, ici. Marché conclu ?
- J'aime pas trop ça, mais c'est toujours mieux que de moisir ici ! Tope-là, gars au masque ! Redonne-moi de la bonne chair.
- Bien, parfait, faisons cela vite et sans cérémonie. Helmut Apeman, par les pouvoirs qui me sont conférés en tant qu'avatar de la mort et Régisseur des Lymbes d'Aznhurolys, je vous ramène à la vie contre vos pouvoirs."
Il prit une petite sphère de verre qu'il plongea au plein centre de l'âme d'Helmut. La sphère se remplit progressivement d'une indéfinissable matière rouge, qui ne semblait ni liquide, ni solide ou gazeuse. Lorsqu'elle fut pleine, il la retira, et l'ancien homme de main de Maverick possédait de nouveau, qu'il pinça pour être sûr de ne pas avoir filouté.
Nekroïous le conduisit hors de la salle des cahiers, le laissa aux bons soins de Jeeves qui n'éprouva pas un bonheur fou à se voir confier un personnage si rustre, puis alla rendre visite à Céréphyrym.

Il le trouva en train de trafiquer il ne savait quelle invention de son cru, bizarrement équipée de lunettes de protection alors que ses yeux bioniques ne craignaient rien. Il lui tapota l'épaule, et le cyborg déchaussa ses lunettes, puis éteignit son outil.
" Oh, c'est toi, le Masqué ? Allons, ne baisse pas le sourire, je te taquine. Je me suis toujours demandé ce qu'il y avait sous ton chapeau.
- Tu préférerais ne pas le savoir, crois-moi. Comment se passe le traitement de notre pensionnaire très spéciale ?
- Tout à fait bien ! Les cellules sont bien stabilisées, ainsi que son ADN. Elle est maintenant tout à fait comme ce que voulait Voïvode, telle une succube. Tout de même, je suis tout entier voué aux nouvelles expérimentations, mais je demande bien si cette pauvre adolescente méritait un tel traitement ?
- Si nous ne l'avions pas prise en charge, tout comme pour toi, elle serait morte à l'heure actuelle. Ce sera la façon pour elle de payer nos bons soins.
- Puisque tu le dis. Pourquoi me demander des nouvelles d'elle ? Aurais-tu trouvé des Essences ?
- C'est cela même, regarde donc : j'en ai deux, de très bonne qualité, prises dans un état de fraîcheur remarquable."
Céréphyrym prit les deux sphères, la rouge et la verte, et les examine scrupuleusement.
" Hm, il restera toujours quelque chose d'insondable pour moi là-dedans... Je ne pense jamais comprendre rationnellement comment des humains peuvent acquérir ces pouvoirs ! Dis-moi, la verte est particulièrement vive par rapport à la rouge. Je vois que c'est toutefois un vert assez sombre.
- Son détenteur avait reçu une transfiguration de ses pouvoirs initiaux.
- Ah ! Ceci explique cela. Ma foi, elles ont l'air d'aussi bonne qualité que l'on pourrait être en droit de s'y attendre. Tu veux assister au début du processus d'imprégnation ? Selon mes estimations, cela ne se finira pas avant quelques semaines : il s'agit d'être très prudent, je ne voudrais pas qu'elle soit blessée. Cela, pour éviter tout effet secondaire du transfert, il ne faut pas que ce soit brutal.
- Et bien, voyons ça. A vrai dire, je ne l'ai jamais vue.
- Ton chapeau va faire un double salto arrière en la découvrant ! Une vraie perle. Tiens, si je n'étais privé de mes gonades..."
Nekroïous ne donna pas suite à ce sous-entendu graveleux, et suivit le cyborg noir jusqu'à une forme cylindrique recouverte d'une toile. Un moniteur était relié à cette forme par des câbles épais et, d'autres partais dans un coin différent du laboratoire de Céréphyrym.
Ce dernier ôta la toile, mettant à jour une cuve remplie d'un liquide vert parcouru de bulle, dans lequel flottait une jeune femme dans le plus simple appareil, les cheveux violets et l'épiderme d'un rouge qui ne paraissait pas organique. Un masque tubé était connecté à sa bouche, elle semblait en hibernation.
" Pas mal, hein ? fit Céréphyrym en donnant un coup de coude à Nekroïous.
- Je suppose que selon les standards humains elle est en effet très avenante. Le contenant importe toutefois moins que le contenu.
- Bha, quel prosaïsme ! Introduisons les sphères dans la machine."
Et il fit ainsi. Le liquide de la cuve se zébra de légers éclairs et s'agita sous une pression inconnue. L'imprégnation commençait.
" Voilà, dit simplement le responsable R et D du Palais du Crépuscule.
- Aucun risque pour les personnalités liées aux pouvoirs ne puissent l'influencer ?
- Ce n'est pas mon domaine, Nekroïous. Je marche en-dehors des sentiers connus, vous me demandez de vous préparer une nouvelle générale apte à recevoir des pouvoirs volés, je le fait, alors même que je ne vois pas quel besoin nous en avons. Pour le reste, ce que tu me dis est tout empreint de mysticisme. Ils sont morts, les anciens propriétaires, non ? Ou même vivants, je ne vois pas ce que ça pourrait changer.
- Hm, d'accord... L'important est qu'elle nous soit dévouée corps et âme.
- Pour le corps, pas de soucis, pour l'âme, c'est votre affaire. Je ne m'occupe pas de ces questions-là.
- Soit ! Je te laisse donc à tes expériences.
- Une chose avant que tu ne partes ! le retint l'autre. As-tu une idée de la prochaine fois où tu pourras m'apporter une Essence ?
- Aucunement, je ne tue pas, c'est une interdiction déontologique. Je ne fais qu'avoir le produit final des morts. Notre K semble en forme et parcours le monde, jugeant à la pelle, c'est grâce à lui que j'ai eu la verte.
- Hm, bon. Je croyais que j'aurais celle de Maverick d'ici quelques temps.
- Maverick n'est pas un outil jetable, Céréphyrym.
- Non, non, j'en conviens ! Et c'est une bonne chose, il a du talent, ce petit. Il m'a proprement ridiculisé au simulateur, alors même que je connais bien toutes les unités. Hé, ne serait-il pas un peu dangereux ? Je le soupçonne de ne pas jouer la carte de la loyauté à fond.
- Qui sait ? fit Nekroïous en haussant les épaules. Le Voïvode ne s'en inquiète pas, alors, nous n'avons point à nous faire de bile sur ce point.
- Tu as sûrement raison. Comme tu remontes, va donc sonner Jeeves et dit-lui qu'il faut renouveler mon stock de chocolat de Blue Moon. Je suis devenu dépendant !
- Je n'y manquerai pas." , dit l'avatar en quittant les lieux par l'ascenseur.

Céréphyrym passe une main languissante sur le verre de la cuve. Quelle beauté, vraiment ! Il ne comprenait pas pourquoi Voïvode voulait en faire une guerrière, il la voyait plutôt pour d'autres taches totalement différentes. Bha, ce n'était pas réellement son problème, tant qu'il avait tous ces merveilleux moyens à sa disposition, il marchait avec lui.
Et il retourna à ses bricolages.
Derrière lui, le corps de la jeune femme était agité de légers soubresauts...

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