La Marée des Ténèbres

Chapitre 28 : La fin de l'hiver

Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/10/2009 09:10

C'était arrivé tout d'un coup- exactement comme cela avait commencé des jours plus tôt. Le vent était tombé sans crier gare (ce qui est de toute façon assez peu vraisemblable pour du vent), les nuages avaient migré ailleurs, la neige s'était volatilisée. La glace qui retenait les bateaux à quai fondit sans dommages; le verglas qui recouvrait les routes disparut en un souffle, le givre se fit la malle sans laisser d'adresse.

Comme si l'on avait appuyé sur un bouton, toutes les communications se rétablirent en un instant, la lumière revint dans tous les foyers qui avaient été privés d'électricité, le soleil étendit ses rayons sur une Blue Moon libérée. Les vieux du pays eurent beau caqueter en affirmant que tout cela participait du diable, on se contenta de les sortir des chambres froides pour les remettre sur leurs bancs fétiches, bien sec, sans aucune trace de neige.

Il n'y avait même plus aucune fraîcheur dans l'air, le temps revenait à ce qui était normal pour la saison. Et tout le monde allait pouvoir suivre de nouveau l'émission de télé-réalité en vogue en ce moment, c'était génial.

 

Dans sa nécropole, bien protégée dans les glaces, Zagor vit ces mêmes résultats par l'intermédiaire d'un espiœil. Qu'ils se réjouissent donc ! Il n'avait pas besoin de maintenir cette chape surnaturelle plus longtemps, il avait atteint son quota. Pour ce qui était de l'attaque en elle-même, il avait de nouveaux plans. Il regarda avec amour le petit artéfact où il avait stocké le surplus d'énergie divine accordée par Dma'llum, et le rangea précieusement dans une de ses poches,il avait conjuré de façon éclatante le contre-coup pour en faire un avantage à fourbir au moment adéquat.

Venait maintenant un des moments qu'il préférait : la grande parade nécromantique. Il s'aspergea d'un peu d'eau de Freshwood (non pas qu'il dégageât une quelconque odeur de putréfaction : il ne l'aurait pas supporté. Toutes ses légions mortes-vivantes ne possédaient aucune odeur infecte non plus, grâce à des sortilèges massifs de Nodeur, car il aurait trouvé cela dégradant), et sortit hors de la bâtisse. Dès qu'Hegwalz le vit, il fit donner le signal à l'orchestre, qui entonna le[url=http://fr.youtube.com/watch?v=_t83qtSZbR4]chant adéquat[/url]

Il monta à bord de la calèche noire dans laquelle l'attendait Lyly, et le Nozelar se mit à côté du cocher, une longue page à la main. Le cocher donna un coup de fouet, et le véhicule se mit à avancer entre les rangées interminables de ses cohortes sombres.

A chaque fois qu'ils passaient devant les 'soldats' correspondants, Hegwalz déclamait une partie de sa liste, qui contenait des chiffres plutôt impressionnants.

 

" Ma chère demoiselle, vous ne semblez pas particulièrement heureuse, nota Zagor pendant qu'ils cheminaient au sein de toutes ces horreurs.

- Comment voudriez-vous que je le sois ? Comment voulez-vous que je puisse être heureuse alors que vous plastronnez comme un coq devant tous mes compatriotes que vous avez réduits dans cet état lamentable ?

- Allons, soyez raisonnable ! Que sont-ils pour vous ? En avez-vous connu beaucoup ? Y a-t-il des proches, des parents ? J'ai donné ordre de sauver tous ceux de votre village, dans ma grande bonté.

Depuis combien de temps avez-vous perdu votre humanité ?"

Zagor parut réfléchir sérieusement à la question.

" Ah ! Je n'arrive plus à me souvenir de la date précise. Pourtant, à l'échelle de ceux de ma profession à laquelle je me place sans vergogne au sommet, je suis encore bien jeune : à peine plus de 150 années standards ! Mais c'est vrai que l'humanité, enfin, au sens où vous l'entendez, c'est à dire une stupidité qui vous contraint moralement à ne pas commettre certains actes, je l'ai perdu dans ma prime jeunesse. Une histoire d'une banalité extrême ! Mon père présentait un masque respectable de droiture en société, mais c'était un véritable démon qui nous séquestrait en permanence dans notre maison, allez savoir pourquoi, je n'avais pas encore de notions de psychologie pour le dépister, je ne pouvais que le subir. Il me battait constamment en me reprochant mes penchants, et violait ma mère, car à partir de ce niveau de violence, on ne pouvait plus appeler cela des relations entre femme et mari. Depuis tout jeune j'avais une véritable passion pour la magie noire, si occulte, si fascinante, qui offrait tellement de promesses à ceux qui ne s'encombraient pas d'un éthique dérangeante. Le premier sort de Mort que je lançais fut pour mon père, je l'ai assassiné, et je n'ai aucun regret à ce sujet. Ma pauvre mère n'était plus que l'ombre d'elle-même; je la transformais en vampire pour tenter de la sauver. Je revois encore ce regard triste au fond de ces yeux...

Elle me remerciait, mais ne pouvait pas supporter de survivre dans cet état qui lui faisait horreur, après tout, elle avait été l'épouse d'un prêtre du Bien !

C'est la première et unique fois où j'ai vu un mort-vivant mourir comme cela. Même sans se nourrir de sang, elle aurait pu résister de longs jours, mais elle s'est éteinte en une nuit. Sale histoire, c'est là que j'ai du perdre mon humanité, non ?

Mademoiselle Mistalker, réfléchissez-y donc à deux fois lorsque vous rencontrez quelqu'un comme moi. Ceux qui font le mal, 'mal' selon votre acception limitée, ne sont pas toujours nés comme ça !

Ah, mais rassurez- vous, je n'ai aucune intention de me disculper. Cet épisode fut un point de départ, mais tout le reste, je l'ai fait sciemment, et je le referais si l'on m'amenait en arrière dans le temps.

- Mais pourquoi ? Pourquoi tout cela ? Pourquoi mon pays ? Pourquoi-

- Cela fait trop de 'pourquoi' dans une seule phrase. Je n'ai absolument rien contre ce monde, et encore moins en particulier contre Blue Moon, qui paraît intéressante, ce n'est pas ma faute si ma proie s'y est réfugiée. Quelqu'un de bien plus horrible que moi, à tout point de vue."

 

Lyly fit une moue dubitative, doutant franchement qu'on puisse trouver dans toute la Galaxie quelqu'un de plus bouffi de sa propre importance et de plus maléfique que cette caricature d'humain.

" Vous doutez ? Pourtant, c'est la vérité. N'est pire monstre que celui qui se cache sous le masque du juste ! Moi, je m'affiche tel que je suis, sans concessions, sans honte. Je me ne cache pas derrière une cause-étendard, j'ai les moyens de réaliser mes ambitions... Et je le fais avec plaisir, car c'est pour moi la consécration à laquelle devraient aspirer les gens raisonnables; pouvoir réaliser ses envies, ses désirs, ses projets sans se laisser marcher sur les pieds par des moralisants enfarinés dans leur conception étriquée du monde.

C'est aussi simple que cela. Que feriez-vous à ma place, Lyly, si vous disposiez d'un pouvoir si énorme ?

- Je changerai le monde, en mieux répondit-elle sans hésiter. Pour qu'il ne connaisse plus jamais la guerre et tout ce genre d'horreurs inutiles."

Zagor rit gaiement.

" Voilà encore bien une preuve de la naïveté des mortels, et de leur manque de sens des réalités ! Travailler en philanthrope est le plus sûr moyen de gâcher sa vie. On vous remerciera, et alors ? Ce n'est pas avec des remerciements qu'on se sent bien ! Vous ne passerez que pour une bonne poire. Oh, vous trouvez que c'est suffisant ? Vous êtes vraiment charmante. Et même, arrêtez les guerres... Ne sont-elles pas un des moyens les plus efficaces de régulation de la population ? Bha. Ne vous inquiétez pas pour votre Blue Moon. La tempête est passée.

- Vous l'avez arrêtée ? demanda-t-elle avec surprise.

- Bien sûr ! Je n'en avais plus besoin. Il ne faut pas croire que j'avais quelque chose contre votre pays, c'est tombé sur lui, pas de chance. Maintenant que j'ai ce que je voulais, pourquoi m'acharner ?

- Ce que vous vouliez ? Cette armée macabre ? C'est tout ce que vous vouliez ?

- Oui, c'est 'tout' ce que je voulais. Une légion suffisamment puissante pour venir à bout de ma cible.

- J'ai appris bien des choses étranges avec vous, dont beaucoup que je n'aurai jamais voulu savoir... Mais je n'arrive pas à imaginer quelqu'un plus terrible que vous qui nécessite autant de ces... choses... Pour être vaincu ! Et qui mérite d'être tué de cette manière...

- Je prendrai cette remarque comme un compliment, ronronna le nécromant. C'est un être réellement formidable, ce Deshtar, bien qu'il n'ai en fait que très peu de mérite. On lui a tout donné sur un plateau d'argent, moi, j'ai monté ma propre puissance à la sueur de mon front, au fil de longs efforts. Je mise tout sur l'effet de surprise et cette attaque en nombre. Il n'y a plus qu'à attendre qu'il tombe dans mon filet."

Lyly n'en revenait pas.

" Vous allez simplement rester à attendre ici après tout le mal que vous avez fait ?

- Mais oui, pourquoi ? Non, en fait, vous avez raison. Que diriez-vous de me faire visiter le pays ? Ah, ah, ne vous mettez pas dans cette colère ! Je plaisantais, naturellement. Je ne suis pas dupe, je sais fort bien que vous ne me tenez aucune gratitude de vous avoir sauvée. Pourtant, seriez-vous reconnaissante si je vous annonçait que je pourrais vous permettre de revoir votre ami d'enfance ?"

La jeune femme s'agrippa subitement aux vêtements du nécromancien, le regard brillant.

" Vous savez où il se trouve ?

- Non, avoua l'autre. Mais je sais très bien comment le faire venir. Lorsque le temps sera venu, je vous relâcherai. Hé, quoi ? Vous croyiez donc que je vous garderai captive pour toute l'éternité ? Encore une erreur à mon sujet. Que c'est triste d'être mal considéré à cause d'une bagatelle, comme le rapt de centaines de milliers de personnes pour les transformer en morts-vivants. Réellement navrant, mais on s'y fait, au fil du temps. Par contre, pour cela, il vous faudra vous plier à un dernier caprice de ma part. Cessez de froisser mes habits comme ça, c'est plutôt gênant."

 

Lyly se rabattit sur son siège, méditant sur la question. Il y a quelques jours encore elle ne souhaitait que mourir, car c'était le seul moyen de fuir consciemment toutes ces horreurs autour d'elle (du moins le croyait-elle), et maintenant qu'elle s'était trouvée forcée à rester en vie, une nouvelle lueur d'espoir apparaissait. Elle lui jeta un coup d'œil en biais, essayant de deviner quelle pouvait être la nature de ce caprice. Heureusement, ce ne serait rien de sexuel (beurk !), car, elle ne pouvait que l'admettre, il l'avait traité avec la plus grande courtoisie, une courtoisie étrange pour quelqu'un qui passait son temps à massacrer son peuple pour le transformer en esclaves.

" Et de quoi s'agit-il, ce caprice ?"

Zagor quitta la fenêtre, et revint à elle.

" Oh, trois fois rien ! J'ai identifié cette aura qui vous entoure, à la lumière des connaissances que vous m'avez apportées sur Wars World, il s'agit du Don des généraux. J'ai élaboré une méthode pour le faire apparaître en vous, et avec le petit traitement que j'ai effectué sur vous, cela devrait donner des résultats intéressants. Cela ne vous plairait-il pas d'œuvrer vous-même pour construire ce monde meilleur ? Vous n'aurez pas ma puissance, mais ce sera déjà un début. Je ne mens pas ! Je n'ai aucune vue sur cette planète, dès que j'aurai attrapé ma proie, je partirais.

- Excusez-moi si je ne vous crois pas sur parole, votre voix est charmeuse, mais je la soupçonne de ne pas être souvent porteuse de vérité.

- Charmante, charmante, s'esclaffa-t-il. Que vous me croyez ou pas, cela ne changera pas grand-chose. Je vous ferai subir ce petit entraînement, et dans quelques jours, vous serez une nouvelle personne. Vous serez ensuite libre de retrouver votre Maverick. Bien entendu, aucune fuite sur ce qui s'est passé ici... De toute manière, qui vous croirait ?

- Personne... réalisa Lyly avec des yeux éteints.

- Parfaitement ! triompha Zagor en levant une main ironique. De ce que vous m'avez raconté, ce monde a subi bien des choses qui sortent de l'ordinaire, mais qui pourrait donc croire à ces contes de zombies et de nécromancien ? Quel dommage que je ne puisse pas vous amener à ma vision des choses, mais vous êtes un cœur pur, et je m'en voudrai de corrompre une telle rareté. Vous serez mieux libre dans le monde que sous la coupe d'un vieux routier de la nécromancie comme moi !

- Je n'arriverai décidément pas à vous comprendre. Vous voulez vous donner bonne conscience ?

- Bonne conscience ? Vous avez assurément le sens de l'humour. Je m'embarrasse autant d'avoir bonne conscience qu'un nettoyeur s'embarrasser à expliquer à une mouche pourquoi il va la gazer ! Mais nous arrivons bientôt au terme de notre parade, c'est un peu court, cette fois-ci, j'espère que cela sera suffisant."

Il se tut, et effectivement, la calèche s'arrêta quelques minutes plus tard, après avoir croisé le fleuron de cette armée- zombies géants fait de moultes pièces détachées, horreurs musclées anencéphales, et des sortes de squelettes géants bricolés, dont certains portaient des ailes, on eut dit des dinosaures.

Zagor mit pied à terre.

" Holà, Hegwalz ? Peux-tu me donner les effectifs complets de nos troupes ?"

Son sbire le regarda, dépité.

" Mais, Maître, je viens de vous en donner lecture tout au long du voyage !

- Ah ? Je n'ai du écouter que d'une oreille. Aie la bonté de répéter."

Hegwalz s'exécuta de mauvaise grâce.

" Merveilleux ! s'exclama Zagor en battant des mains. Avec cet impudent monsieur K comme rabatteur, une complète discrétion et la puissance à l'état brut, j'aurai ENFIN ma revanche sur Deshtar ! Ensuite, Aznhurolys tombera à mes pieds ! Ce n'est plus qu'une question de véos, car je devine que mon espion va prendre tout son temps, croyant certainement pouvoir me tromper plus tard.

- Un bon plan, Maître.", fit l'autre, qui ne se faisait guère d'illusions sur leurs chances de succès. Il avait appris à toujours hocher la tête au bon moment pour approuver son Maître, mais lui savait très bien que n'importe comment, quoi qu'ils fassent, même si toutes les chances paraissaient de leur côté, Zagor échouerait une fois de plus dans ses tentatives redondantes de tuer Deshtar. Enfin, ça lui faisait tellement plaisir d'essayer, il n'avait pas le cœur à lui dire que c'était inutile...

On ne peut pas vaincre quelqu'un qui est protégé des dieux. Zagor, bien entendu, n'admettrait jamais une telle évidence, dans la mesure où cela allait contre son ego.

" C'est la bonne tentative, Hegwalz ! itéra Zagor en commençant à se trémousser d'une façon assez peu digne d'un seigneur du mal. Je le sens dans mon corps, je sens que cette fois-ci c'est la bonne ! Comment dire... I [url=http://fr.youtube.com/watch?v=iWWgvkY8MTY]feeeel good[/url]!"

Et sous le regard blasé de son âme damnée, il commença à danser et à chanter pendant que l'orchestre philharmonique Radius et frères entonnait la musique adéquate.

Profitant de son inattention, Lyly alla se poster près d'Hegwalz. Il n'avait pas un physique très avenant (enfin, pour quelqu'un qui ne connaissait que les humains) : grand, chauve et dénué de toute pilosité, la peau violette et complètement lisse, voire écailleuse, il possédait une grande queue reptilienne, des mains aux doigts pointus dépourvus d'ongle, et seulement trois orteils à chaque pied.

Son visage n'avait pas de nez, simplement des fentes percées dans la peau, et ses yeux n'avaient ni pupille ni iris, d'une couleur jaune unie. Pourtant, à bien des égards, il lui inspirait plus de sympathie que Zagor qui avait forme humaine.

 

" Hegwalz...

- Mademoiselle ?

- Je me suis souvent demandé pendant ma captivité, en vous observant parfois... Pourquoi vous étiez au service de quelqu'un comme lui ? Vous ne semblez pas avoir d'attrait pour toutes ces... activités..."

Le Nozelar cligna brièvement des yeux, ce qui était assez dérangeant dans la mesure où il possédait une deuxième paire de paupières intérieures qui s'activaient pour remplir cette fonction.

" Je ne peux pas dire que j'aime passionnément mon travail, c'est vrai. Je ne peux pas dire non plus que cela me dégoûte radicalement. C'est un emploi sûr, bien payé, et qui permet des rencontres et des expériences intéressantes. Je suis là aussi pour essayer de le tempérer un peu, mais je ne viserais jamais à le changer radicalement. Il m'a sauvé la vie, il y a longtemps, et a rallongé l'espérance de cette dernière. C'est une situation très enviable, en fin de compte. Je vois que vous êtes déçue par mes paroles. Je suis franc avec vous, mademoiselle. Je ne me considère ni comme bon, ni comme mauvais... Je suis, c'est tout."

Tandis que Zagor opérait une chorégraphie discutable, Hegwalz embrassa symboliquement des bras tout ce qui les entourait.

" Bénissez plutôt la chance qui vous permet de vous tenir bien vivante à mes côtés plutôt que d'avoir rejoint leur rang. Même si vous trouvez cela horrible, même si vous auriez préféré une véritable mort. La vie est un cadeau, mademoiselle Mistalker. Utilisez-le à bon escient."

La jeune femme rousse hocha la tête sans rien dire. Elle pouvait le comprendre, en partie. Il ne paraissait pas ambitieux, et agissait de sa propre volonté pour servir son maître, ce qui amenuisait son capital sympathie à ses yeux. Comment pouvait-il rester neutre en pareille situation ?

" Vous devez être très seul, non ?"

Le Nozelar haussa les arcades sourcilières d'étonnement.

" Être seul ? Il est difficile de garder des relations régulières dans ce métier... Je n'ai pas un besoin fou de compagnie. Je ne m'attache pas aux choses, ou au gens, plus qu'il n'est raisonnable. Mon peuple est un peuple habitué à la mort; nous apprenons dès notre petite enfance que tout ce qui nous est cher finit toujours par s'en aller. Pourquoi se faire de la peine en créant trop de liens qui risquent à tout moment de se rompre ? Et puis, rassurez-vous, son ego est tellement gros qu'on ne se sent jamais vraiment seul avec lui."

Lyly rit gentiment à cette petite plaisanterie, s'attirant un regard mitigé de l'homme de main de Zagor. Il parut réfléchir intensément, puis fourra dans la main de l'humaine un petit objet. Elle l'interrogea du regard, il lui fit signe de ne pas parler; le nécromant venait de terminer son show.

" Alors, mon bon Hegwalz, comment as-tu trouvé cela ?

- Tout simplement épatant, répondit l'intéressé de son habituelle voix neutre et posée. Si votre sens du rythme et votre voix se rapportent à vos dons pour la nécromancie, vous êtes le Mickael Jackson de la zombification.

- Qui ça ?

- C'est un artiste terrien, Maître.

- Oh ? Je ne savais pas que tu t'intéressais aux chanteurs outremondains. Je prendrais cela comme une flatterie de bonne qualité. Et maintenant, cessons de nous amuser, il est temps de se préparer. Je te laisse carte blanche, entraîne-moi tout ça selon ton goût, je veux une armée opérationnelle dans les plus brefs délais, à défaut de faire confiance à ce K, je ne mésestime pas ses capacités, nous pouvons nous attendre à coincer Deshtar à tout moment. Ou peut-être ne seras-ce que dans plusieurs véos, ah, ah !

- Très bien, Maître. Les exercices vont commencer immédiatement.

- N'oublie pas de me faire des rapports réguliers, je suis toujours curieux de savoir comment se comportent les troupes laissées au seul guide du Contrôleur. Quant à nous, mademoiselle Mistalker, nous allons aussi commencer votre propre entraînement !"

 

Les rapports affluaient sur le bureau d'Olaf : dépenses effectuées en maintenance, dépenses de secours, moral de la population, dégâts matériels, état des voies de communications, ravitaillement, état des forces militaires, etc, et surtout, bilan des morts, des blessés, et des disparus.

Le second chiffre était très bas, ces messieurs du gouvernement allaient pouvoir s'en gorger à loisir. Tout le reste,d 'ailleurs, en questions de dépenses et de prévention, se trouvait être tout à fait bien pour remplir les critères de l'efficacité. Côté morts, il y en avait peu (étonnamment peu ?) pour une catastrophe de cette ampleur qui les avait maintenus enfermés à l'intérieur de leurs frontières.

Sauf qu'il y avait quelque chose d'énorme en ce qui concernant les disparus. Quelque chose de toute bonnement impossible, il avait refusé d'y croire en premier lieu, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus rien faire d'autre que d'admettre la terrible vérité.

" Deux pour cents de la population, répéta-t-il encore une fois. Deux pour cents... Bon sang, est-ce que quelqu'un arrivera à m'expliquer comment près d'un million de citoyens de Blue Moon ont disparus pendant la tempête, sans qu'on n'ai jamais été averti de rien, et qu'on n'ai retrouvé aucune corps ?"

 

Sans s'en rendre compte, il chiffonnait le papier qui contenait le chiffre en question, à la grande tristesse avait succédé une colère impuissante. Que ce soit Colin, Sacha ou Grit, aucun des trois ne trouva quelque chose à dire, tout bonnement parce qu'ils n'avaient aucune explication à ce sujet. Des recherches fiévreuses s'effectuaient dans toutes les zones touchées, on en attendait, au fond, aucun résultat viable. Les secteurs frappés par cette vague de disparitions étaient tous isolés, et dans certains villages, on avait retrouvé des survivants (survivants à quoi ?), presque uniquement des personnes âgées, des enfants et des adolescents, qui n'arrivaient qu'à bredouiller des choses dénuées de sens. La plupart des récits s'accordaient à dire que pendant la nuit des ombres lentes erraient dans l'obscurité, venant chercher la population et les emportant dans un souffle dans le froid et le vent neigeux. Des matériaux de constructions avaient aussi été pillés en de nombreux endroits, en plus de menus larcins dans d'autres domaines.

La chose finirait par être sue du reste de la population, on ne pouvait pas passer sous silence quelque chose d'aussi énorme. Mais aucun des quatre, et sûrement pas le gouvernement, ne souhaitait faire d'annonce publique, alors qu'ils n'avaient aucune explication à ce désastre humain. Cela aurait conduit à déclencher tout de suite une terreur noire, car rien ne fait plus peur qu'une menace arbitraire, qui frappe sans pitié, sans que l'on sache pourquoi, et sans que l'on sache rien d'elle. Qui pouvait dire si elle n'allait pas de nouveau se mettre en mouvement ? Était-ce cette main invisible qui avait déclenché la tempête ?

Un silence mortuaire régnait dans le bureau. Sacha compatissait sans bruit à la douleur d'Olaf, et même Grit arborait une triste mine, la chose était d'une telle ampleur qu'il n'imaginait aucune répartie capable de le dérider lui-même, alors dérider les autres... Il souhaitait tout d'abord ne pas être sur la liste de cette Faucheuse.

On frappa à la porte, Colin se dressa comme un piquet et alla ouvrir. Un soldat lui remit un dossier, que lui-même déposa sous le nez de son supérieur, espérant qu'il s'agissait de bonnes nouvelles. A mesure qu'Olaf avançait dans sa lecture, ils n'osèrent pas le déranger, tellement son visage restait sombre et morne. Une étincelle de colère continuait à pétiller au fond de ses yeux. Puis, en concluant sa lecture, il lança un cri triomphant qui les surprit tous.

" J'ai trouvé le coupable, annonça-t-il, la voix chargée d'une intonation qui laissait présager de ce qui allait attendre le fautif.

- Sans blague ? fit Grit sur un ton primesautier. Oh, excuse-moi, mister Freeze, c'est juste que c'est un peu inattendu, ça...

- Écoutez ça ! Ce dossier est un résumé de ce qui s'est passé entre-temps à l'extérieur, dont nous venons tout juste d'apprendre la teneur maintenant que nos communications sont rétablies. Black Hole a de nouveau frappé !

- Black Hole ? s'étrangla Colin.

- Comment ça ? dit Grit en fronçant les sourcils. Ils n'étaient pas censés être complètement hors-jeu depuis que Maverick avait mis le paquet pour tuer Von Bolt ?

- Il faut croire que non ! répliqua Olaf, la barbe frémissante d'indignation. Nous avons essuyé un coup dur, mais ç'a été encore pire sur le reste de Wars World. Personne n'a été épargné. Green Earth a subi de lourdes pertes après une attaque menée par Zak, qui est mort maintenant, et sa 'nano-usine' a aussi été envoyée aux clous.

- Nano-usine ? fit Sacha.

- Leur nouveau dispositif d'invasion. D'après ce que j'ai compris, il s'agit d'une usine améliorée, qui n'a plus besoin de conduites de ravitaillement et qui est auto-suffisante, elle prend toutes les ressources dont elle a besoin dans le pays attaqué pour s'étendre, construire de nouveaux emplacements de productions et de nouvelles unités, tout ça grâce à sa matrice qui décompose n'importe quelle matière au niveau moléculaire pour en faire quelque chose d'autre. Ils parlent aussi de nanobots capables de produire des unités d'une finition inégalée, et de les réparer en plein combat en-dehors d'une propriété. Une autre nano-usine a été défaite à Omégaland, mais rien n'est encore sûr. Nos voisins d'Orange Star ont subi une invasion massive initiée par Helmut, et leur capitale a failli tomber sous la bannière de Black Hole."

Olaf leur donna encore quelques détails sur ce qui s'était passé; ces révélations ne gommèrent pas la douleur causée par la propre tragédie de Blue Moon, mais ravivèrent leur dégoût pour Black Hole.

" Et tu crois que c'est Black Hole qui nous a joué ce tour, c'est bien ça ? questionna Grit.

- Nanomachins, nouvelles armes, brouillard noir, téléportation... Je ne vois rien d'étonnant à ce qu'ils puissent réussir une atrocité comme ça chez nous ! grommela le chef militaire de Blue moon.

- Tu n'as pas totalement tort, mais nous n'avons aucune preuve.

- Je n'en ai pas besoin ! tempêta l'autre. Ce n'est pas parce que leur opération s'est subitement arrêtée que je vais les laisser en paix. Black Hole a été repoussé sur tout les fronts, sauf un : Yellow Comet est toute entière prise dans ce brouillard insalubre. Si nous ne trouvons aucune présence de Black Hole ici, il faudra bien conclure qu'ils contrôlent les événements d'ailleurs. Je ne sais pas si je trouverai la réponse en allant aider Kanbeï; mais je ne vais pas rester assis ici pendant que toutes les autres nations de Wars World ont déjà payé leur tribut à la guerre. Blue Moon ne restera pas inactive alors que la guerre frappe Wars World !

- Bien parlé, chef ! approuva Colin avec ferveur.

- Ohlà, ohlà, grand barbu, tu ne vas pas nous mettre tout de suite en campagne alors qu'il vient tout juste d'arrêter de neiger ? Il faut laisser un peu de temps aux hommes pour se remettre, et aux bateaux de ...

- Rien du tout, Grit ! Tu es le pire tire-au-flanc que j'ai jamais rencontré. Si je te laisse du temps, tu vas encore aller te planquer quelque part pour paresser. Nous allons attendre une seule journée pour que tous les préparatifs soient terminés, ensuite, ces monstres de chez Black Hole iront payer pour leurs crimes ! J'irai venger les disparus de Blue Moon, et tu feras partie du voyage, Grit !"

Ce dernier grimaça discrètement. D'accord, il était affreusement désolé pour toutes ces victimes présumées, mais pourquoi diable fallait-il que Black Hole lance une nouvelle offensive en plein milieu de ses RTT ?

 

Malgré ce manque d'enthousiasme, l'armée de Blue Moon se mobilisa très rapidement. Les navires, après examen, n'avaient subi presque aucun dommage provenant de cette tempête du siècle, et se trouvaient prêt à transporter les troupes. Un communiqué quelque peu arrangé pour que la culpabilité de Black Hole ne puisse faire aucun doute fut diffusé sur toutes les chaînes et toutes les fréquences de radio, et Olaf sentit sur lui la bénédiction de tous ses compatriotes lorsqu'il embarqua sur le vaisseau amiral, le Ice Fist. Grit l'y suivit avec un peu moins d'allant, on ne pourrait pas se passer de ses talents de tireur d'élite. Colin compléta le trio : ses compétences pour le déploiement rapide serviraient certainement, une fois qu'ils auraient pris pied sur Yello Comet. Seule Sacha resta en arrière pour ne pas laisser la patrie sans défense, et pour continuer à enquêter de son côté sur les mystérieuses disparitions.

 

[ A Purple Dragoon...]

 

Stan termina son service en sifflotant, et salua au passage ses compagnons de travail. Il continuait à travailler normalement pour donner le change, mais il n'avait plus besoin du salaire dérisoire que lui fournissait la société. Il avait chez lui une véritable poule aux œufs d'or, qui presque sans contrainte, lui permettait de recevoir à intervalles réguliers de coquettes sommes.

Stan n'était pas marié, et c'était l'une des raisons pour laquelle il avait été embauché pour ce boulot. Celle-ci, en plus de son avidité évidente pour tout ce que pouvait procurer l'argent, son absence totale de scrupules ainsi que son ignorance de la vie politique de son pays. Et c'était parfait comme cela, il se préoccupait uniquement de sa petite personne.

S'il n'avait pas d'épouse, cela ne l'empêchait pas d'avoir beaucoup de relations avec les femmes; il devait juste veiller à ne pas se faire remarquer et qu'elles ne découvrent rien sur son petit secret. Son employeur avait été bien clair sur ce point : si quelqu'un découvrait le pot aux roses, plus d'argent, et surtout, il pouvait dire adieu à une tête bien plantée sur les épaules.

Stan avait donc déménagé pour aller dans un endroit plus isolé, afin de minimiser les risques. Cela ne le dérangeait pas, il pouvait obtenir tout ce qu'il voulait à distance.

Il rentra chez lui, avec la même allégresse que chaque soirée de cette nouvelle vie qui lui était offerte. La dernière gâterie qu'il s'était offerte était un écran plasma haute définition, et un lot de films qui allaient avec. Mais point de détente tout de suite : il allait, selon un rituel maintenant bien établi, devoir s'occuper de son pensionnaire en traitement.

Il posa ses clés sur la table près du téléphone, et sortit celle de la cave qu'il conservait toujours sur lui. Puis il se dirigea dans le petit salon, et usa d'un truc classique : il retira un certain livre de la bibliothèque, qui coulissa à gauche, révélant l'entrée de la dite cave. Un petit mécanisme éculé qu'avait fait installer lui-même celui qui l'employait.

Il repensait encore à la fois où ce type était venu le voir. Il s'en était méfié tout de suite, il avait de drôle d'airs, avec ses yeux si verts. Mais quelques verres plus tard, il avait constaté que c'était un chic type. S'il avait comme lubie de faire enfermer un autre type, ce n'était pas ses oignons, ils avaient été très d'accord l'un et l'autre sur ce point. Tout ce qui comptait, c'était qu'il payait bien. Le reste, Stan n'en avait rien à faire.

Il alluma la lumière de l'escalier et descendit tranquillement ceux-ci.

" Ohé, garçon ! C'est l'heure de la soupe du soir."

Pas de réponse. Tout à fait normal, il l'avait bâillonné, son commanditaire lui avait dit que c'était un type potentiellement dangereux, et qu'il essaierait peut-être de se donner la mort. Or, il y avait un point capital à respecter : il devait rester en vie. Pas forcément la belle vie, ce qui aurait été difficile dans une cave plongée dans la pénombre, mais en vie quand même, sinon il pouvait encore dire adieu à sa tête.

Stan, qui n'avait autrement pas un si mauvais fond (selon lui), essayait de rendre la captivité de son prisonnier aussi agréable que possible, mais dans ces conditions, c'était plutôt ardu. Il espérait que l'autre ne lui en voulait pas, si les places avaient été échangées, il était sûr que la canaille ligotée en profiterait également.

 

Stan sortit un plateau tout fait du frigo car il n'avait pas envie de se tracasser ce soir, et l'apporta à son prisonnier, lorsqu'il s'aperçut que ce dernier demeurait complètement inconscient. Il le titilla un peu du bout du pied, sans résultat. Même chose s'il tapait franchement. Légèrement affolé, il laissa tomber le plateau-repas et tâta le pouls de l'homme, qui ne battait que faiblement.

Bon sang ! Il ne pouvait pas permettre à ce gars de claquer, sinon plus de pépettes. Il ne pouvait pas non plus prendre le risque de l'amener à l'hôpital, ou encore d'appeler un médecin.

" Allons, mon gars, me fait pas un truc comme ça !" se lamenta-t-il en le secouant de tous les côtés. Il lui releva la paupière, l'œil ne réagissait pas à la lumière ni à ses gestes. Il ne simulait pas. Stan se rongea nerveusement les ongles.

" Chaud... Sec..." croassa le ligoté à travers le bâillon..

Il renifla. C'est vrai que c'était plutôt humide par ici, une autre condition imposée par son employeur. Il ne comprenait pas pourquoi, et s'en moquait, mais voilà que le type se mettait à ne plus supporter ça. Est-ce qu'il serait en danger s'il le sortait juste un moment de la cave ?

Ah, bordel ! Il ne pouvait pas le laisser traîner là, on dirait qu'il pouvait clamser à tout moment. Stan prit son courage à deux mains et empoigna son gagne-pain pour l'amener péniblement dans le salon où il le posa allongé sur le sofa. Il monta le chauffage à fond, et l'observa avec anxiété. L'autre semblait reprendre un peu de couleur. Qu'est-ce qu'il pourrait bien faire de plus pour améliorer son état ?

Une grosse ampoule lumineuse surgit au-dessus de sa tête : il avait l'idée. Rien de tel qu'un bon coup de gnôle du terroir pour se remettre sur pied, selon lui ! Il courut à la cuisine remplir un verre d'une boisson forte et transparente, et débaîllona le type pour lui faire boire à petites gorgées. Il toussa à pleins poumons, et Stan rigola.

" Ah, ça débouche les artères, pas vrai, fils ?"

Pour toute réponse, Sonny continua à tousser, puis s'écroula sur le tapis.

" Oh ! J'y serais p'têtre allé un peu trop fort ? Hé, va pas te faire du mal !"

Il se pencha sur le malheureux et le retourna du bon côté, pour mieux tomber sur deux yeux qui le fixaient en toute lucidité et très froidement. La main de Stan trembla, et l'instant d'après, il prenait en pleine face un coup de boule rotatif pas piqué des hannetons, qui l'assomma net.

Profondément soulagé par cet acte de violence, Sonny passa ensuite aux détails pratiques. Il fit tomber le verre contre la partie carrelage, le faisant se briser en divers morceaux coupants. En se tortillant laborieusement, il attrapa l'un d'eux dans ses mains, et à force de patience et de mouvements réguliers, il coupa ses liens. Le bon Stan fit mine de revenir des brumes de l'inconscience, et Sandwalker lui décocha un coup de pied bien senti pour la peine. Puis il rafistola les cordes pour ligoter son ancien tortionnaire, et alla le placer à l'intérieur de la cave, tout en refermant derrière lui. Il irait le faire chercher plus tard... Vraiment pas dans l'immédiat.

Tout en savourant un vrai repas en regardant une quelconque émission pour se changer les idées, il se dit qu'il aurait du faire ça depuis longtemps.

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