La Marée des Ténèbres

Chapitre 31 : Mise à mort

Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 02:03

Ah, palsambleu, ça tirait dans tous les sens ! A droite, à gauche, tout droit, en diagonal, en cloche, en tiré, en pointé, en haut, en bas, avec ou sans les mains, en largeur, en longueur...
L'affrontement entre la flotte d'Adder et celle de Blue Moon battait son plan. Olaf avait eu la prévoyance élémentaire de ne pas négliger la protection de leurs barges de débarquement, et en plus de la large force de cuirassés et de portes-avions que dirigeait avec brio Grit, qui mitraillait de très loin tout ce qui bougeait et qui n'était pas ami, des forces aériennes attendaient le moment propice pour surprendre l'ennemi et agir, tandis que plusieurs escortes de destroyer patrouillaient avec vigilance pour déjouer les attaques en force des sous-marins ennemis.
Cela n'était pas une tache aisée, car Adder semblait plus rapide qu'avant, et sans même utiliser son pouvoir. Il avait aussi gagné en puissance, et ils durent déplorer lors des premières escarmouches quelques pertes malchanceuses, principalement dues au fait qu'en face, on était très bien préparé à les recevoir. Olaf n'en attendait pas moins de ces démons de Black Hole, et n'en combattait par troupes interposées qu'avec plus de vigueur. Colin était mis en réserve, ses talents se trouvant très peu utiles lorsqu'il n'y avait aucune possibilité de déployer des unités. Les mauvaises langues diront que de toute façon, c'est un commandant moyen même en situation normale.
Le rapport de force n'était toutefois pas en leur faveur, et ils ne pouvaient tenter aucune action hardie au risque de dégarnir les rangs de protections des barges, et sans elles, en plus d'accuser des pertes terribles, ils auraient tout aussi bien fait de rester au pays à attendre que la situation se dégrade. Une flotte de débarquement sans troupes à débarquer manque singulièrement d'efficacité.
Pour le moment, aucun camp ne prenait d'avantage décisif. Le pouvoir s'accumulait de chaque côté, en frémissant d'être relâché dans une cascade de destructions. Et Adder aimait détruire, il avait même formulé une fois la sotte idée de vouloir la mer elle-même détruite, ce qui est assez difficile tout de même. Sauf si l'on se référait à l'épisode des obélisques qui aspiraient l'énergie de la terre et transformait les mers bleutées en étendues jaunes, sableuses et vides de vie.
Adder était tout à fait sûr de lui. Il recevait des renforts en permanence venant des industries sous-marines et des chantiers navals de cette merveilleuse nano-usine qui était la meilleure boîte à tout faire que l'on pouvait imaginer. Il ne pouvait pas perdre, il suffisait de les user... A petit feu.
Petit feu qui ne durerait toutefois pas plus de quelques heures, car il ne désirait en aucun cas que ce tas de ferrailles bipède s'attire toute la gloire d'avoir pris Yellow Comet, car l'Histoire parfois, et souvent en temps de guerre, est transfigurée : c'est le vainqueur qui la transforme à son avantage, modifiant celle du pays conquis jusqu'à ce que petit à petit elle ressemble à ce qu'il voulait, au fil des ans...
Ce serait tellement drôle de se donner le beau rôle dans cette conquête, de dorer son blason et de faire inscrire son nom dans les livres d'histoire de Yellow Comet, alors même qu'il n'avait fait que balafrer l'île et de massacrer allègrement nombre de ses habitants, pillant et brûlant sans pitié. Il n'avait pas pu se retenir : c'était si bon de voir le désespoir sur la face de Kanbeï, de savoir que tous les plans de Sonja ne pouvaient rien contre lui, d'arrêter net les offensives suicidaires de ce gros imbécile de Grimm, et de rabattre le caquet de ce vieillard éloquent de Senseï. Ah, ils pouvaient bien feindre la désinvolture, maintenant ! Le vent avait enfin tourné pour ceux qui méritaient de gagner, et la dernière partie libre de Yellow Comet se retrouverait bientôt sous leur joug. Le Seigneur Sturm serait fier de lui, verrait que cette boule pseudo-pensante de Jugger était trop dangereuse, toujours à calculer toutes sortes de mauvaises choses dans son coin, l'éliminerait, et il deviendrait alors le véritable bras droit de ce monde qui appartiendrait à Black Hole.

Il n'avait plus qu'à remporter une bataille navale gagnée d'avance, et puis à déclamer l'oraison funèbre des généraux jaunes pour que cette douce vision devienne réalité.
Ah ! Décampez donc, soldats de Blue Moon... Il est encore temps pour vous de rentrer au bercail et de ne plus vous opposer à vos nouveaux maîtres, et vous aurez notre clémence quand viendra le temps de réclamer votre lopin de terre enneigée. Cette pensée lui parut si bonne qu'il hésita à en faire un ultimatum à l'armée ennemie, puis il se résigna à ne pas y procéder : ce serait se montrer trop généreux. Grit avait déjà eu sa chance, il l'avait rejeté idiotement, inutile de compter sur la conversion de Colin, qui était stupidement dévoué à ce gros minable arrogant d'Olaf, et pas de pitié pour Sacha, la fille. Elle ferait très bien la paire avec Sonja dans le palais qu'il se ferait construire à Yellow Comet.
Plouf, plouf, plouf ! Encore plus amusant que ce stupide ridicule jeu de société. On savait au moins où les navires ennemis étaient, et une seule torpille pouvait largement suffire. Torpilles, ou mines sous-marines obligeamment posées par des petits drones discrets et rapides, largués à distance depuis les submersibles. Tout simplement diabolique.
Tout ce fatras naval de Blue Moon qui n'avait pas pu évoluer pendant la courte période de repos après la fin de Von Bolt ne faisait vraiment pas un pli. Il s'attendait d'un moment à l'autre à recevoir une belle tempête de neige, qui signerait le désespoir final de ses ennemis. Il ne pouvait pas encore donner le coup de grâce, mais ça allait venir, ça allait venir. Ils avaient de plus en plus de mal à lui rendre pour coup, à cause de la nécessité de sauvegarder le plus possible leurs barges. Auraient-ils la prévoyance de les laisser bien à l'arrière pour se concentrer sur le véritable combat...
Mais non. Peut-être avaient-ils pensé qu'il fourbirait une petite fourberie de son cru, ce qui aurait été encore bien possible. Ce sur quoi ils comptaient le plus pour en venir en aide à Yellow Comet allait leur creuser une tombe lointaine, anonyme, froide et mouillée. Il en frissonnait presque, heureusement que c'était eux qui allaient boire la tasse et non pas lui. La mer ne serait pas propre, et pourrait déposer des saletés sur son visage si magnifique.

Ah ah ! Les heures passaient, sans qu'il ai de nouvelles de Jugger qui devait réussir de toute façon, puisqu'il n'avait jamais échoué lors de cette invasion éclair, et la neige ne fouettait toujours pas les vagues. Pourtant, il avait bien essuyé un coup dur, la ligne de mire de Grit l'avait surpris au moment où il ne s'y attendait pas et avait prévenue la destruction par ses soins d'un bon contingent de transports de Blue Moon. Il avait assez joué avec sa proie, il était temps de la mise à mort. Un joli coup du Grand Adder, qu'il porterait dans les annales. Ils auraient tout le temps de savourer une délicieuse terreur juste avant qu'il ne frappe partout sans pitié, les envoyant tous dans le fond d'un coup d'un seul. Dommage qu'il ne pourrait pas voir cette peur délectable dans leurs yeux... Il détestait les batailles ennuyeuses qui perduraient trop longtemps.
" Euh, Seigneur Adder...
- Hm ? Qu'y a-t-il ? Je ne veux pas être dérangé au moment époustouflant où je vais déclencher dans un bain de sang et d'explosions dans une grande vague obscure, mes habilités implacables. Ils ne pourront que se prosterner devant une telle beauté destructrice, et faire leur prière avant de mourir. Ne trouves pas cela merveilleux, troufion ? Leurs dernières pensées seront pour moi !
- Euh, oui, c'est tout à fait magnifique, général... répondit le soldat sans le penser le moins du monde. Je dois toutefois attirer votre attention sur un fait préoccupant...
- Qu'est-ce qu'il y a ? Il ne peut plus rien nous arriver d'affreux maintenant...
- Siiii !
- Qu'est-ce que cette voix de femmelette, dit donc ?
- Excusez-moi, général. Une impulsion. Je vous prierai de bien vouloir regarder cet écran.
- Oh, au diable ! Je ne jette qu'un coup d'œil.
- Un coup d'œil sera bien suffisant.
- Hé bien alors, quoi ? Il y a de la brume qui se lève à l'est de notre position... Attends, qu'est-ce que ça ? C'est un véritable musée de la navale qui vient vers nous, ma parole ! On dirait qu'ils ont tous passé des années ou bien plus encore bien au frais au fond de l'océan d'être ramenés sur son dessus par je ne sais pas quelle façon ! Qu'est-ce que c'est, une sorte de flotte fantôme pour nous effrayer ? C'est surprenant, mais je n'ai pas de temps à accorder à ce genre de diversion minable.
- Monsieur, implora le soldat, regardez plus précisément... Ils arrivent très vite sur nous, et voyez bien ce qui leur sert d'équipage !
- Tu commences à... Quoi ?! Des squelettes et de drôles de formes transparentes ? Allons, je ne sais pas qui a fait cette farce, mais c'est la pousser un peu loin que de mettre tous ces mannequins...
- Général, je crains que cela ne soit pas des mannequins ou quoi que ce soit de factice... Ils bougent dans tous les sens sur les ponts et ils on l'air plutôt agités !
- Psssh, qu'est-ce que cette voix toute tremblante ? Les fantômes, ça n'existe pas. Ils doivent vraiment être désespérés pour tenter un coup comme ça... Ils ont poussé le réalisme jusqu'à blinder certaines parties de ces navires de faux os !
- En toute impartialité, ils ont l'air diablement vrais !
- Psssh ! Ce n'est que de l'illusion, une pauvre ruse pour me détourner de moment heure de gloire. N'y faites donc pas attention.
- C'est que, général, ils se rapprochent à une vitesse stupéfiante pour des vieilles bicoques, les squelettes dansent sur les ponts en jouant avec des sabres, et ils pointent leurs canons vers notre flanc gauche !
- Bon, bon, bon, se rendit Adder avec un geste emporté de la main. Envoyez donc un détachement pour aller à leur rencontre, et ne me dérangez plus avec ça. Je n'ai pas le temps pour de telles sottises, je vais tout de suite mener le reste de la flotte à la victoire.
- Bien, général, je m'en charge..."
Et le sous-fifre partit, tout en réservant discrètement une place sur une chaloupe à moteur. Juste au cas où.

" Higgins !
- Oui, Capitaine ?
- Vous qui êtes un autochtone et dont le corps n'a pas été nettoyé par les poissons il y a bien longtemps, est-ce que vous pourriez m'indiquer lequel de ces disgracieux rafiots est leur navire amiral ? Ceux-là dont les bateaux sont peints en bleu ne sont pas au plus fort, et ils ont l'air d'avoir toutes les peines à contenir les noirs. Ne perdons donc pas de temps et coupons tout de suite la tête, le corps s'éparpillera ensuite !
- A vue d'orbite, je dirais qu'il s'agit de celui qui a une proue en forme de tête humaine très moche, avec des cheveux violets. Il est bardé d'appareillages extérieurs inutiles. Son capitaine ne doit pas être quelqu'un de très brillant, cliqueta Higgins.
- Nous n'aurons pas le temps de faire connaissance, Higgins. Prouvons à ces malotrus quelle est la valeur des pirates de Cortez dans une bataille. Higgins, faites signe au Deathbringer et au Fleshless de nous accompagner, nous allons faire une percée droit vers ce vaisseau à la proue qui aurait même pu faire peur tellement c'est laid à ma bisaïeule, qui n'était pourtant pas une tendre, c'est elle qui m'a élevé. Yoho oh ho, en avant !
- Capitaine, il semblerait que l'ennemi ai enfin daigné nous remarquer. Il envoie une flottille à notre rencontre.
- Quoi, seulement ça ? scanda Cortez avec fureur. Par tous les démons des mers, ils se moquent de nous ! Nous allons leur apprendre le respect, Higgins. Percée toujours, envoyez autant de vaisseaux croiser le feu avec cette délégation minable, et commandez au reste de notre armada de foncer pour prendre les noirs par derrière et couper leur ligne de renforts. Nous devons les faire fuir sur les bateaux bleus qui ont de gros canons, ils se feront mettre en pièces. Et nous, nous allons semer le chaos à l'intérieur ! Hardi moussaillons !"

Adder n'arrivait pas à y croire. Cela ne pouvait être qu'un cauchemar, un horrible mauvais rêve, et quand il s'en réveillerait, il verrait alors disparaître toutes ces reliques du passés, et toute la flotte de Blue Moon aura été coulée, pièce par pièce. Il se frotta beaucoup les yeux, fit de micro-siestes, se pinça, se concentra avec force, usa de toutes les méthodes connues pour se sortir d'un rêve, mais rien n'y faisait. Ces vieilles coquilles flottantes, vermoulue ou rouillées, étaient en train d'imposer leur loi à eux, qui représentaient le fleuron de la technologie et de la maîtrise navale de Black Hole, donc du monde entier !
Le détachement qu'il avait commandé d'intercepter ces rigolos, qui ne le faisait plus rire maintenant, avait été vaincu en trois passes. De simples boulets ou de vieux obus mouillés suffisaient à détruire leur blindage le plus résistant qui soit en ce domaine. Maintenant ils les obligeaient à une fuite en avant éperdue, qui les mettait sous le feu précis et impitoyable des cuirassés de Grit. S'ils s'éparpillaient pour tenter de se regrouper sur une position plus sûre, ils se feraient prendre de vitesse, même ces antiques galères traçaient plus vite que leurs navires les plus performants. Et ils ne pouvaient pas bifurquer tout d'un bloc vers la gauche ou la droite sans prendre le risque de se faire rattraper par une patrouille des ces damnés vaisseaux fantômes.
Le pire était ce trio de vestiges du passé, qui ne pouvaient tenir sur l'eau que par une force dont Adder ne préférait pas découvrir l'origine, et qui n'arrêtaient pas de foncer sur SON magnifique navire amiral, en prenant un malin plaisir à abîmer la représentation de son visage qui était sans conteste la plus belle partie du vaisseau.
Son armée se désorganisa en un clin d'œil, et c'est à ce moment que le blizzard se mit à rugir en pleine mer. Le froid les assaillit par surprise et ralentit leur mobilité, ils ne durent de ne pas être pilonné sur place que par l'activation du super pouvoir d'Adder, qui, au lieu de lui apporter la touche finale qu'il escomptait à son triomphe, ne leur accorda qu'un bref sursis. Les navires de Blue Moon, eux, n'avaient aucun mal à voir et à se déplacer à travers ces tombereaux de neige, et la flotte spectrale de Cortez ne se laissa pas longtemps ralentir par cette intervention non-naturelle.
Aucun dégât ne semblait pouvoir être infligé à cette flotte d'outre-tombe, et ils se riaient autant des mines sous-marines que des torpilles et des coups de canons. Ils dégommèrent bien quelques squelettes, maigre joie dans la débâcle...
Adder ne pouvait toujours pas admettre rationnellement qu'il était en train de se faire battre par ça, et que ces diables marins ne s'en prenaient qu'à eux. D'habitude, c'est Black Hole qui employait des méthodes inhumaines ! Où Blue Moon avait-elle trouvé un allié comme cela ? C'était... Impossible...
Mais vrai.
Toutes les issues étaient bloquées. Pas de lumière au bout du tunnel. Pas de renforts à cause des gardiens fantômes et de la tempête de neige. Juste la perspective entre une mort atroce ou une mort horrible. Il n'escomptait pas vraiment de pitié de la part de ces tas d'os trop vivants...
Il arpentait les couloirs, le regard vide et la démarche mécanique. Tout autour de lui, on entendait les échos des explosions, des cris d'affolement, puis le navire n'avança plus du tout; il venait de se prendre plus d'une vingtaine de grappins d'abordage. Les squelettes glissaient le long de ces grappins jusque sur le pont de son bateau, sabre dans la mâchoire, et massacraient sans vergogne toute résistance. On entendait leurs pas craquant se rapprocher de plus en plus des lieux situés dans le dedans du bateau. Ils ne craignaient pas les balles, ça non. La seule chose qui pouvait les faire reculer était un bon coup de bazooka, qui créait autant de victimes chez les mort-vivants que chez les mortels. Et encore, on voyait les os danser follement pour se reconstituer en squelettes entiers, quelque fois avec des erreurs en empruntant des morceaux au voisin...
Il n'était plus temps de s'interroger sur la nature de ce phénomène qui les dépassaient tous. Tout le monde criait, hurlait, cherchait à fuir, mais il n'y avait pas de chance de fuite, juste deux options : se voir passer une vieille lame rouillée au travers du corps ou mourir gelé dans le blizzard hurlant. Enfin, lui, il possédait une troisième option...
Il n'avait pas personnellement veillé à la construction de son navire amiral pour rien. Il n'était pas sot et avait inclus une capsule de secours dont l'emplacement était connu de lui seul; il s'y rendit, en marchant tout d'abord, puis, ne pouvant plus longtemps contenir sa panique, il y alla en courant comme un dératé. Il appuya frénétiquement sur la commande d'ouverture du sas secret, qui, pour augmenter un peu la pression sur ses fragiles épaules, mit quelques longues et mortelles secondes avant de s'ouvrir dans un chuintement plaintif.

Il s'engouffra à l'intérieur, et soupira de soulagement lorsque l'appareille se dégreffa du compartiment pour s'élancer dans les eaux, beaucoup plus calmes. Il n'y avait que quelque chefs de sous-marin qui osaient encore tenter quelques coups en traître, tout à l'honneur de Black Hole, mais la plupart des appareils submersibles rentraient diligemment vers la base, et ainsi faisait de même sa propre capsule automatisée. Il n'avait plus qu'à attendre peu de temps qu'il soit ramené sain et sauf, puis à disparaître tranquillement en espérant que Jugger n'ai pas prévu de piège pour l'empêcher de rendre son tablier en toute discrétion. Il n'espérait pas se montrer devant lui alors qu'il avait perdu, et préférait encore une possible vie sans pouvoir plutôt qu'une mort certaine.
Il ouvrit le mini-bar, et était sur le point de se servir un verre bien mérité lorsqu'il remarqua un drôle de cahier noir à l'intérieur. Intrigué, il s'en saisit. Bizarre, son nom était écrit sur la couverture. Il feuilleta quelques pages et ses yeux s'agrandirent de frayeur. Il jeta sur l'autre banquette le cahier et se tassa sur son propre siège, fébrilement. Il ferma les yeux et but à la bouteille de grandes goulées d'un alcool fort, et lorsque sa vision ne fut plus occultée par les fragiles paupières, il crut que le produit avait circulé un peu trop vite dans son système sanguin. Il avait l'impression de voir devant lui un grand type aux cheveux bruns-roux, habillé comme une sorte de prêtre et l'air très austère.
L'inconnu poussa une exclamation muette de dépit.
" Dire qu'une fois j'ai reproché au shinigami que son cahier était vraiment inutile... J'aurai retenu ces paroles si j'avais pu avoir la moindre petite chance de savoir que j'en finirai là. Écrire des milliers de noms était déjà assez fastidieux, il faut maintenant que je me charge de la sentence en mains propres.
- Qu'est-ce que vous racontez ? demanda Adder en descendant discrètement une main vers le bas de sa jambe droite, contre laquelle il gardait toujours caché dans un holster spécial une petite arme de poing.
- Il y en aurait tellement d'autres à juger ! continua K sans relever l'interruption. Et il n'y a plus aucune pression, plus aucun intérêt, ou presque... Je pourrai presque me montrer au grand jour. Mais un Dieu n'a pas à se montrer en pleine lumière, n'est-ce pas ? Il faut que sa main agisse depuis les ombres. Que personne ne sache qui il est, mais que tout le monde ai connaissance de son existence, et que sa volonté fasse loi sans discussion possible. Que les mauvais soient punis, que ceux qui contreviennent à sa volonté ne puissent plus s'y opposer."
L'homme étrange ne le regardait même pas, il aurait bien pu être tout seul à débiter son monologue incompréhensible. Il prit fermement le petit pistolet qui aurait mieux convenu, selon les misogynes qui sont légions parmi les porteurs d'armes à feu, à une femme. Mais c'est vrai qu'en voyant Adder...
Le général de Black Hole pointa le canon sur le nouveau venu, sans que ce dernier prenne ce fait généralement préoccupant pour votre vie en compte.
" Sur ce monde encore plus pourri que la Terre, il y a déjà quelqu'un qui se prend pour Dieu; mais c'est un faux dieu. Comment pourrais-je cohabiter avec lui ? Il se cache sans cesse... Mais il ne partage pas mon idéal, ou le rabaisse à un simple moyen pour créer un monde parfait, du moins sa vision étriquée d'un monde parfait, pas comme une finalité. C'est un idiot. Je-"
Adder ne pouvait pas en supporter plus, même si l'autre ne montrait aucun signe d'agressivité, lui se trouvait dans un état nerveux tel qu'il ne pouvait pas supporter un autre événement surnaturel de plus. Alors il pressa sur la gâchette, et le son fut net et tranchant à l'intérieur du petit habitacle.
K porta la main à son cœur avec un demi-sourire, puis releva la tête pour fixer Adder qui se trouvait dans un état de peur proprement répugnant. Ce ne serait presque pas un crime de le tuer, lui. Pas plus que d'abattre une vermine.
" Ainsi, c'est ce qu'avait pu ressentir le dieu de la mort à l'intérieur du bus... dit songeusement le japonais.
- Aaaaaah !"
Cri un peu ridicule mais compréhensible. Adder tira frénétiquement sur cet homme, jusqu'à ce que l'arme ne rende plus comme son qu'une série de clics sinistres.
" Plus de munitions ? Bien... Finissons-en."
L'autre essaya de lui échapper de façon ridicule, il ne pouvait guère se cacher dans cet espace minuscule. Le général perdant pensa un moment à ouvrir le sas d'une quelconque façon, préférant encore se jeter dans l'eau froide et courir mille risques de morts plutôt que de rester en compagnie de cet être odieux.
K l'attrapa, les yeux méprisants, le retourna pour faire face à son torse, et lui plongea la main dans le cœur, lui en retirant un petit sablier noir et usé. Sans attendre, il en actionna la mollette pour que tout le sable s'écoule. Puis il empocha le compteur de temps, tout en décomptant à l'aide de sa fidèle montre. Adder ne cessait de crier et de s'agiter dans tous les sens comme une bête prise au piège.
" 38...39...40."
Dom-dom !
Adder émit un gargouillis infâme, et mourut enfin.
K releva sa manche.
" Au moins quelque chose qui ne change pas..." dit-il pour lui-même.
Puis, sa tache terminée, il s'en fut.

A la surface, le combat se terminait avec âpreté. Cortez fut bien déçu de ne pas trouver le commandant ennemi, pour le compte, il ordonna d'envoyer pour le fond tous les navires noirs qui étaient totalement désorientés avec la perte de leur général, sans exceptions et de ramener les cadavres des combattants les plus valeureux. On en enlèverait la chair, les organes, les muscles, le cerveau (le moment le plus rigolo, en l'extirpant par les narines), les yeux, pour obtenir de beaux squelettes bien propres et bon pour le service, à moins qu'ils ne veuillent rester des squelettes bien mort au fond de l'eau.
Du côté de Blue Moon, on s'étonna quelques temps d'une si drôle de cavalerie. Olaf aurait presque encouragé Cortez dans sa sauvagerie, car ces ordures de Black Hole qui avaient ravagé son pays trop de fois ne méritaient pas mieux à son sens. Lui comme la plupart des gens éprouvèrent de la frayeur à voir ces vaisseaux sortis tout droits des vieilles légendes et mythes de marins tailler en pièce l'armada ennemie, mais quand ils furent sûr de ne pas être sur la liste de ces pirates pour le moins singuliers, ils donnèrent avec cœur leur part de travail à la contre-attaque.
La flotte fantôme très hétéroclite se retira bientôt dans la brume, ne laissant derrière elle que des épaves, des cadavres, des mourants pour seules preuves de son passage, et le chemin libre pour la force de débarquement de Blue Moon.
" Mais... Qu'est-ce que c'était, général Olaf ?
- Je n'en sais bougrement rien, Colin ! Quoi que ce soit, cela nous a donné la victoire, et s'en est allé, comme si la mer elle-même, dégoûtée que Black Hole la souille, avait envoyé ses émissaires régler le problème..."
Le plus jeune général de la contrée froide grimaça, peu convaincu de cette explication un peu mystique, et alla se préparer un chocolat chaud pour se remettre de toutes ces émotions, pendant qu'Olaf remerciait le ciel que ces choses ne s'étaient pas liguées contre eux.

" Capitaine !
- Kiyattil, heuigiifns ? fit Cortez avec une diction difficile, car il était en train d'engloutir copieusement une cuisse charnue d'un vice-amiral bedonnant.
- Quelqu'un demande à vous voir, monsieur. Un bien drôle de personnage, si je peux me permettre.
- Qui peut bien nous avoir trouvé dans cette brume, garçon ? questionna la créature démoniaque dus sixième cercle en s'essuyant les dents d'un revers de métacarpes. Fais-le donc attendre, j'ai encore une de ces fringales ! Je suis émoustillé de ne pas avoir mit la main sur le chef ennemi.
- C'est que, capitaine, il dit que c'est très important et que c'est en relation avec le terrestre Maverick.
- Quoi ça ? Amène-le moi."
Higgins hocha le crâne et aller chercher leur invité spécial. S'il avait eu des sourcils, Cortez les auraient haussé en voyant approcher la silhouette quelque peu ridicule de cette vieille défroque de Nekroïous.
" Par le Grand Ossuaire ! s'exclama le mort-vivant en mettant les poings sur les côtes flottantes. Si je m'étais attendu à te voir une seconde fois, vieille carne !
- On ne souhaite généralement pas que ça arrive, puissant Cortez. Il est rare que je puisse laisser repartir un client sans que ce soit pour une nouvelle incarnation.
- Yo oh ho ! Je ne pense pas que vous m'auriez laissé partir pour quelque forme que ce soit, pas vrai, vieux roublard ?
- Au risque de vous décevoir, si... Il est bien rare que nous enfermions quelqu'un dans le Lloxyth.
- Puisque tu le dis... Que me vaux l'illustre honneur ? Je croyais que tu ne pouvais pas bouger de ta caverne, à faire passer des millions d'âme chaque jour que les dieux font par la case réincarnation ?
- Ne m'en parle pas ! répliqua le Régisseur avec une moue douloureuse de métal qui s'affichait sur son masque. Je suis bien content d'avoir des vacances. Le travail est ici beaucoup plus plaisant ! Est-ce que tu ne pourrais pas dire la même chose, maintenant que tu es libéré de Perdide ?
- Diable oui ! fit Cortez en ricanant. Ce n'est même pas du travail, mais de la plaisance. Une vraie chance que Maverick soit venue me tirer de ma torpeur sanglante et m'ai emmené loin de cette fichue île perdue et mouvante.
- Alors, que dirais-tu de lui prouver mieux ta reconnaissance en t'associant mieux à lui ?
- M'associer ? Nous sommes déjà partenaires, je ne vois pas ce qu'il pourrait y avoir de plus ! Ce petit homme a déjà toute ma confiance et ma reconnaissance.
- Hé bien, il s'agirait de parachever tout ceci. Je suis en fait venu pour te demander de rejoindre l'organisation dont fait parti Maverick. Ainsi, tu serais sûr de ne jamais le perdre de vue, et tu pourrais l'aider plus efficacement.
- Il ne faut pas être très observateur pour voir que je ne suis pas du genre à porter un collier, Nekroïous ! Ne crois-tu pas que c'est un peu osé de venir me demander de prêter allégeance à je ne sais quoi ou je ne sais qui ?
- Et si je rajoutais qu'il s'agirait plutôt de ne pas faire certaines choses, et au final, d'être fidèle à Maverick plutôt qu'autre chose ? Une fois que nous en aurons fini avec ce monde, il est également possible, si tu réponds convenablement à nos demandes, de retourner sur Aznhurolys... Avec une amnistie."
Cortez le fixa, les orbites rondes et les lueurs bleues dansantes.
" Ne me prends pas pour une bille, veux-tu ? Qui voudrais me gracier, moi ?"
Nekroïous le lui dit.
" Hé bien ça alors ! s'exclama le squelette. Il est difficile d'avoir une meilleure garantie... Et puis, si je peux m'en remettre à Maverick et qu'il a jugé bon de faire partie de votre petite coterie, là... Bha, pourquoi pas ! Je ne peux encore rien vous promettre pour mes hommes, l'âme d'un pirate se défend de toute chaîne. Il n'y a pas un genre de vieux parchemin à signer avec son sang, nom ? Quoi que ça va être un problème pour moi..
- Rien d'aussi désuet. Pour les formalités, nous verrons cela plus tard, Voïvode n'est pas disponible pour le moment. Je te demanderai juste en attendant sa visite de ne pas faire trop de grabuge...
- Je pourrais tout de même tuer quelques mercenaires ? demanda-t-il avec espoir.
- Si cela peux te faire plaisir... Je n'ai rien contre. N'en tue pas trop, par contre, j'ai déjà assez de cahiers comme ça."

Et tandis que Cortez repartait écumer les mers un peu plus loin après avoir apporté sa contribution à la libération de Wars World, sans vraiment adhérer au concept, Blue Moon cheminait tranquillement vers la zone libre de Yellow Comet pour mettre enfin pied à terre, et rejoindre l'armée impériale de Kanbeï qui avait réservé ses troupes d'élites pour la défense de la capitale, mais qui maintenant, avec l'arrivée des généraux d'Orange Star, excepté Max qui avait accepté de frapper par derrière Black Hole en lançant un assaut aérien direct sur la nano-usine, tout en ne sachant pas sa localisation précise; partait en campagne.
C'était une coalition comme Wars World n'en avait encore jamais vu. Une armée formidable, dirigée par des généraux plus que déterminés à chasser une fois pour tout les faiseurs de mal qui sévissaient depuis bien trop longtemps sur un monde qui avait déjà connu depuis bien des ères les affres de la guerre. Tout s'était enchaîné très vite, trop vite peut-être, mais il était hors de question de laisser les choses traîner en longueur. Que l'un ou l'autre camp perde ici, et il n'aurait plus rien pour se relever.
Jugger était tout à fait conscient de cela. La défaite d'Adder avait déjà été prévue dans ses plans. Qu'il vive ou qu'il meurt n'avait maintenant plus aucune importance. Des deux, c'était lui qui avait été le maître, et non pas cet humain stupide et nombriliste. Il ne l'avait pas considéré mieux qu'un outil, alors que douce ironie, Adder le croyait lui être l'outil. Quelle erreur.
Maintenant que Blue Moon avait pris position avec les ennemis et que d'autres renforts adverses avaient surgis alors qu'il n'avait aucune donnée préalable, il se retrouvait forcer de changer ses plans. Face à la montée en puissance des Alliés, il s'était sagement replié dans le brouillard noir.
Des moustiques allaient bientôt tourner autour de sa nano-usine, et il se retrouvait seul pour faire face à deux fronts. Il y en avait un, bien sûr, qui était prioritaire à l'autre.
Tout cela ne présentait guère de problèmes : il avait déjà érigé un nouveau plan qui lui assurerait le genre de succès qu'il... Il avait encore du mal à 'penser' cela, déjà que les pensées étaient un tout nouveau objet de réflexion. Mais oui, il arrivait presque à croire que tout ce pour quoi il allait œuvrer dans le dernier clash provoqué par Black Hole était la concrétisation d'un 'désir'.
Et ce désir allait faire encore bien des dégâts avant la fin.

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