La Marée des Ténèbres

Chapitre 34 : Frisson de la victoire

Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 03:31

Malgré les grandes tensions crées par cette marée des ténèbres, à l'annonce d'une éclipse totale de soleil, beaucoup de gens fourbirent les instruments usuels pour en profiter le mieux. Les pauvres moutons étaient bien loin d'ignorer que leur avenir se jouait en ce moment en plein océan, dans une bataille chaotique en stase pluvieuse. Et si certains le savaient, ils ignoraient quand même l'existence du projecteur et voulaient admirer ce spectacle unique pour se changer les idées.
Il y eut donc des millions et des millions de personnes sortant de leurs maisons pour se mettre à la position idéale; bien que tout le monde ne puisse pas en profiter, même si Wars World était considérablement plus petit que la Terre, et ne comportait que quelques continents peu vastes, sauf Omégaland qui atteignait une taille raisonnable.
On installa donc les télescopes et les lunettes spéciales, et on oublia les tracas du moment pour regarder le soleil noir auréolé d'une couronne de lumière, tout à peine un halo chétif qui flamboyait paresseusement. Les enfants étaient ravis du phénomène qu'on ne pouvait pas toujours voir ne serait-ce qu'une fois dans sa vie, les adultes aussi, d'ailleurs. Puis l'étonnement se mit à poindre un peu, doucement, les scientifiques n'avaient-ils pas dit que l'éclipse totale ne durerait qu'une dizaine de minutes ? Or, cela faisait près d'un quart d'heure qu'elle durait. Et elle semblait spéciale : une éclipse même totale ne peux pas plonger la planète entière dans l'obscurité. On aurait dit que la lune avait modifié son orbite pour que ce soit le cas.
Au début, on ne fit que se dire que les astronomes s'étaient une fois de plus trompés dans leurs calculs, ce ne serait pas la première fois. Puis les minutes continuèrent à passer, et la lune ne daignait pas bouger de sa place d'occultation, comme si elle avait cloué la terre ou le soleil à cet endroit. Et pourtant la terre continuait à bouger, et la lune avec elle, mais la lumière ne revenait pas.
Une frayeur commença à s'installer doucement, les scientifiques s'alarmèrent du phénomène, une peur panique débuta de se distiller chez les plus craintifs, les plus peureux, des milliers d'enfants pleurèrent. Parmi les plus futés, certains comprirent leur chance, et de nombreux vols furent commis, ainsi que d'autres délits, et des crimes, ceux-là qui peuvent être fait normalement à la faveur de la nuit, qu'il ne fasse pas nuit ne dérangeait pas : l'obscurité était là, on ne savait pas pour combien de temps, et il fallait en profiter avant que la véritable psychose ne s'installe.
Elle ne mettrait pas longtemps à venir, la lumière artificielle ne suffirait pas à repousser la peur atavique du noir, et le sentiment de bien-être qui se dégage lorsqu'on voit le soleil se lever après une longue nuit se ferait lointain. Si la situation se maintenait ainsi, il n'y aurait pas besoin d'attendre que la flore se flétrisse et que la faune agonise en devenant folle, en essayant de s'adapter peut-être; les humains se chargeraient très bien de créer un holocauste comme ils savent si bien le faire.

" Je t'en prie, Maverick, assied-toi, à moins que tu ne préfères rester allongé ? A ta convenance. Je dois dire que tu as une bonne droite, mais que mon coup de poing est meilleur. Détends-toi et profite bien de ce qui passe dehors... Toutefois, tu devras te contenter de l'imaginer en idées, car il est impossible de voir quoi que ce soit, c'est toute la beauté de la chose."
Maverick se releva, épongeant le sang qui perlait des commissures de ses lèvres. Cela se passait exactement comme il l'avait prévu.
" Mais je peux t'aider à décrire ce qui se passe... Tu n'as pas peur du noir, toi, n'est-ce pas ? Ce ne doit pas être le cas de beaucoup de tes frères biologiques au-dehors. Je n'ai pas besoin de voir leurs faces dissimulées par les ténèbres pour savoir qu'elles vont passer d'un ravissement puéril à une peur sordide. C'est tout enfantin. En fait, c'est très simple de provoquer ce genre de terreur au sein d'une communauté humaine. Les braises de vos vices sont toujours présentes en vous, il ne faut pas souffler bien fort pour attiser leurs flammes et créer un bel incendie qui brûle tout sur son passage. Le chaos va bientôt se répandre sur Wars World, plus sûrement encore qu'après mon invasion éclair. Personne, en-dehors peut-être de votre armée perdue dans l'obscurité et les vagues d'eau sombre, ne peut savoir que c'est ici d'où je maintiendrais cette chape qui engouffre la planète dans une ombre délicieuse. Et vous, petits Alliés...
Vous ne pouvez rien faire. Rageant, n'est-ce pas ?
Tout s'est déroulé comme je le voulais. Lorsque le chaudron que va devenir votre monde misérable sera chauffé à point, j'irai ouvrir le couvercle, et je viendrais presque en libérateur, apportant une fausse lumière... Toutes mes unités sont équipées de façon idoine à un combat dans ces ténèbres, mais ce ne sera pas le cas des quelques pauvres milices qui pourraient encore s'opposer à moi sur la terre ferme.
Toi et moi, Maverick, nous sommes les seuls à pouvoir goûter pleinement la saveur de cette situation. Les seuls à pouvoir apprécier à sa juste valeur ce chapitre unique de ce monde. C'est pour ça que je t'ai laissé venir ici. Même le bon Regnag, qui n'a pas réussi à vous éliminer, ne serait pas capable d'apprécier à sa juste valeur ces moments précieux. Mais quel est ce regard ? Tu ne t'amuses pas ?
- J'ai vraiment... Pitié de toi, Sturm."
L'entité à la nature inconnue, ou incertaine du moins, se gaussa.
" Pitié de moi, Maverick ? Toi ?! Quel est donc cette émotion si sensible et si risible qui s'est infiltrée en toi ? Je ne t'aurai jamais engagé sous la bannière de Black Hole si j'avais pensé que tu était capable de montrer de la pitié...
- Je ne suis plus la machine à tuer que tu as recruté pour assouvir tes penchants grotesques, Sturm. Au contraire de toi, j'ai su évoluer en autre chose qu'un meurtrier.
- Oh, tu as 'changé' ? fit l'autre avec une ironie mordante. Cela doit être pour ça que tu n'as pas su frapper assez fort. Pour cela aussi que tu te dresses contre moi alors que je suis ta seule chance de survie. Pour cela que tu as perdu ce qui te rendait si précieux à mes yeux !
- Aies la bonté de ne pas me prendre pour un de tes anciens pions. Je savais ce que je faisais en rejoignant Black Hole, et j'avais prévu depuis le début de te trahir au cas où tu présenterais une faille. Ce n'était même pas une trahison... Le monde se portait très bien sans toi. Dis-moi, Sturm, qui est derrière tout ça, qui t'as ramené à la vie ? Je n'ai pas survécu aussi longtemps sans pouvoir discerner à coup sûr sur si mes victimes sont bien mortes ou non. Et je n'avais aucun doute à ton sujet.
-Je peux te retourner la question, Maverick... répartit Sturm en le raillant. Comment as-tu pu survivre à la destruction de ce blob ridicule, ce mortium géant, en emportant ce vieux fou ridicule de Von Bolt avec toi ? Qui a bien pu vouloir te donner une seconde chance ? C'est bien étonnant..."
Leurs regards se croisèrent, emplis d'une émotion indéfinissable, scrutant l'autre avec profondeur.
" Il est dommage que tu m'aies trahi, Maverick, assura Sturm d'une voix calme. Tu avais le meilleur potentiel de tous ces minables. Qu'es-tu devenu maintenant, pour joueur aux héros d'opérette, le mauvais qui devient bon ? Tu peux bien avoir trompé tes 'amis', je vois que ta motivation profonde n'a pas changé au fond de ton cœur. Qui t'as donné ces nouveaux pouvoirs, que Regnag a observé avec douleur avant de s'enfuir de la centrale de téléportation ? Wars World cache peut-être un secret intéressant, finalement...
- Ce qui fait la différence entre toi et moi, Sturm, c'est que je ne suis plus seul. La solitude peut mener à bien des péchés... Toi, tu es tout seul. Dans tes peines, et dans tes joies, personne pour les partager... Ce Regnag n'est qu'un faire-valoir, n'est-ce pas ? Tu es une aberration égocentrique. Les aberrations sont faites pour être éliminées, Jugger serait d'accord avec moi.
- Maverick... souffla-t-il. Je ne pensais jamais entendre de tels mots sortir de tes lèvres. Que racontes-tu comme sornettes ? Toi et moi, nous sommes pareils... Nous combattons pour nos propres buts, pour notre propre plaisir. Tu es simplement devenu incapable, par manque de volonté et de puissance, d'aller jusqu'au bout de tes ambitions ! Moi, je ne me laisse pas fléchir par vos stupides sentiments humains... Je n'ai pas d'éthique ou de morale pour me freiner, et en cela, je vous suis supérieur. Ceux qui ne sont pas capables d'obtenir ce qu'ils veulent alors qu'ils sont en puissance de le faire, sont pires que des faibles, des sous-minables. Est-ce vraiment ce que tu es devenu, Maverick ? Une lavette pusillanime qui se dote de bons sentiments ?
- Tu n'arriveras jamais à comprendre quoi que ce soit sur ce sujet, Sturm; tu n'es qu'un monstre arbitraire, qui ne vit que pour lui et qui peut détruire tout un monde pour sa satisfaction. Comment vouloir raisonner avec quelqu'un comme toi ? Tu te délectes de ce que tu fais subir à Wars World, la plonger dans une nuit sans fin... Je reviens de ténèbres plus profondes que celles-ci, et j'en suis devenu plus fort.
- Sûrement pas si tu n'es plus 'seul', le contredit Sturm en se levant tranquillement de son siège noir. Tu as ouvert la porte à la faiblesse.
N'est-ce pas toi qui disais que de faire confiance aux autre s'était s'inoculer une petite mort potentielle ? Que l'amitié est une faiblesse ? Le pouvoir suprême est solitaire, et tu le sais bien, Maverick. Tout au plus les solitudes peuvent se croiser de temps à autre dans un éclat... Car, dans la fin, on réalise ne peut compter que sur soi. Mais pourquoi perds-tu du temps à bavasser avec moi alors que la porte qui mène aux commandes du projecteur est juste là-bas ?
- Me prends-tu pour un imbécile ? ragea froidement le général de Black Sun en tournant autour de son ancien supérieur. Seule ta mort pourra apporter un point final à cette symphonie de mort que tu as déclenchée.
- Au contraire ! rit Sturm (ce qui sonnait vraiment très mal aux oreilles). Je n'ai rien laissé au hasard, aucun couplet, aucun refrain qui ne soit inscrit sur ma partition. Il n'y a pas de portes de secours, Maverick ! Si jamais tu arrives à me tuer, cela déclenchera la destruction de la base, et avant ceci, le lancement de plusieurs missiles à ogives nucléaires. Il m'a fallu du temps pour les rassembler, ces matériaux radioactifs, voudrais-tu offrir ce bouquet final à tes compatriotes ? Tu n'as plus le choix qu'entre différentes morts si tu ne peux pas m'être utile."
Maverick arrêta sa ronde et le fixa d'un regard aigu.
" Tu bluffes.
- Tu paries ?" demanda Sturm du tac au tac.
Pour toute réponse, il lui décocha un petit jet d'énergie noire qui le frôla. Sturm contempla son manteau qui fumait légèrement après cette attaque, et soupira audiblement.
" Bien, je pense maintenant qu'il est inutile de vouloir te faire partager ma vision des choses... Je pensais que tu étais le seul à pouvoir le faire. Tant pis, t'exécuter pour tout le dommage que tu m'as causé et que tu me causes encore suffira à me donner de la joie pour un moment ! Approche...
Minable à moitié mort."

Maverick lui démontra très vite qu'il n'en était rien, et ils se combattirent avec vigueur. Il vit tout de suite que si Sturm excellait à tout comploter et manipuler depuis son fauteuil, et s'il était puissant sur le champ de bataille, il se montrait beaucoup moins impressionnant en affrontement singulier. Ses attaques étaient lourdes, et le corps entraîné de l'ancien général de Black Hole esquivait sans trop de peine ces coups de poings. Finalement, il ne semblait pas une machine à part entière, en tout cas, il ne fourbit aucun gadget douteux ni aucune arme cachée. Il s'agissait juste d'un duel mano à mano, où l'envahisseur utilisait parfois des bribes de son pouvoir pour donner plus de punch à ses directs, et où Maverick lançait ponctuellement des ondes noires, privé du secours de sa montre multi-fonctions. Il n'arriverait pas à le tuer comme la première fois, en se contentant de relâcher son pouvoir en pleine face. Pourtant, il se savait plus fort que lui. Son tatouage semblait pulser en harmonie avec son cœur.
Au cours de ce ballet mortel, la salle se retrouva en piteux état, les moniteurs, qui ne pouvaient de toute façon montrer qu'un écran noir, furent brisés, le fier trône de Sturm, coupé en morceaux (ce qui lui arracha un cri de rage). Aucun n'arrivait à prendre un avantage décisif sur l'autre, et ils étaient tous les deux aussi endurants. Maverick savait qu'il devait écourter le plus possible cet ultime combat pour la liberté de Wars World, qui pouvait subir des dégâts considérables en peu de temps, et il ne savait pas encore comment désactiver le projecteur gravifique. Ce qu'il savait, par contre, c'était que son ennemi mentait très certainement au sujet de ces missiles. Il se savait potentiellement vulnérable face à celui qui lui avait déjà donné la mort une fois...

" Amaterasu, ce n'est pas le moment !
- Mais c'est le noir total dehors, et personne ne peut nous voir !
- Ce n'est pas une raison... Je pense que tu as pris trop au pied de la lettre mon enseignement d'être relax : c'est l'Apocalypse dehors et tu m'obliges à participer à ce jeu de tapis de danse ?
- Ce n'est pas toi qui me disait que le jour où tu croirais mourir, tu voudrais absolument faire quelque chose que tu n'avais jamais pratiqué dans ta vie avant ?
- Allons, règle numéro un : s'abstenir de sauver le monde si ça peut vous coûter la vie. L'honneur a fait des milliards de morts, mais n'a jamais rapporté grand-chose, sinon de belles paroles en la mémoire des héros, des tombes et des récompenses posthumes. La belle affaire !
- La règle numéro un, ce n'était pas " Faire son travail sérieusement mais ne pas se prendre au sérieux" ?
- Je suis un lâche opportuniste pour l'occasion, je change l'ordre des règles. N'importe comment, il faut arrêter ça, si jamais je devais vraiment mourir là-dedans, je ne veux pas aller dans l'au-delà avec un corps complètement torturer par cette rythmique infernale !"
Amaterasu le battit facilement au jeu, et boudeuse, l'éjecta en-dehors du dance floor.
" Mais je m'ennuie, moi ! se plaignit-elle. Tu ne veux même pas...
- Ce n'est pas que je veux pas, c'est juste que ce n'est pas très correct... Au lieu de geindre, aide-moi donc. Je crois que c'est le bon moment pour faire une intervention théâtrale. Qui sait, nous allons peut-être décrocher une médaille ?"
La splendide femme l'accompagna de bonne grâce, car il y allait enfin avoir un peu d'action, et ensemble, ils joignirent leurs mains pour exécuter un autre rituel propre au trio solaire de Purple Dragoon. Ils avaient découvert une méthode autrement plus efficace que le pouvoir relais pour combiner leurs pouvoirs, en accord avec une méthode qui paraissait d'abord un peu mystique. Les dieux ne devaient exister que dans les traditions, mais s'il y avait bien une forme de pouvoir divin, c'est Amaterasu qui s'en rapprochait avec ses dons pour le lancer de foudre...
Et l'invocation de Fulgur, le dragon légendaire, qui surgit dans les airs, dissipant tout autour de lui les ténèbres artificielles maintenues par Black Hole. L'éclipse elle-même sembla muter de totale en partielle, mais même leurs pouvoirs additionnés ne pouvaient pas faire bouger la lune pour que la lumière inonde de nouveau Wars World, comme c'est tout à fait normal en pleine journée. Toutefois, cette bouffée de lumière ne passa pas inaperçue, contrastant tellement dans la nuit qui s'était abattue sur le monde, et beaucoup de monde levèrent les yeux avec espoir en la regardant, on la pointait du doigt en poussant des exclamations excitées. La tempête perdit soudain de sa vigueur, mais là où les nuages n'avaient fait que déverser l'eau dont ils avaient été gorgés par Drake le vrai et Drake le faux, le tonnerre gronda avec force, et les éclairs zébrèrent le ciel tourmenté.
La foudre s'abattit en crépitant sur les troupes de Black Hole, faisant couler nombre d'entre elles, tandis que la rage céleste commençait à frapper la station avec force. La structure, même d'une résistance folle et assistée par les nanobots pour la réparation, tenait bon avec difficulté face à cet assaut sauvage et électrique. La peur venait de changer de camp, en ce qui concernait le champ de bataille bercé par les vagues; elle venait s'accumuler presque entièrement sur Black Hole qui ne pensait plus vraiment tenir le haut du pavé depuis que tout cet imbriquement de phénomènes trop peu normaux se déroulait en si peu de temps, avec eux comme acteurs de moins en moins volontaires.


Alors, descendant du ciel, Fulgur le porteur de lumière, le scintillant, Fulgur vola majestueusement vers sa proie, indifférent aux vents, à la pluie et aux ombres. Il était tout entier rempli de la volonté de sa maîtresse et de la puissance adjointe par Ash, et ne se laissait pas distraire par les sous-fifres qui fuyaient cette apparition éblouissantes.
Fulgur se posa avec fracas sur l'installation maritime qui entendait mettre à genoux tous les peuples de Wars World, et se mit à la déchiqueter férocement en émettant des éclairs de colère. Les tourelles de défense volaient en tout sens, totalement inoffensives pour la bête impériale, les lasers, les obus, les balles glissaient sur ses écailles frémissantes pour ne laisser que des blessures superficielles.
Puis, avec un feulement formidable dont l'écho se fit entendre jusqu'à Orange Star et Yellow Comet, figeant sur place ceux qui profitaient du chaos naissant, il engouffra une de ses immenses pattes avant au cœur même du complexe, détruisant de multiples pièces et tuant dans cette traversée à l'aveuglette de nombreuses personnes qui avaient beaucoup d'autres choses à faire plutôt que mourir.
Maverick, même si maintenant il avait acquis une certaine expérience des phénomènes surnaturels, resta immobile et légèrement ahuri en voyant cette main jaune dorée, griffue et crépitante, se saisir de Sturm aussi sûrement que si un œil s'était caché au creux de sa paume. Avec une exclamation étonnée doublée de colère impuissante, le chef suprême de Black Hole fut emporté hors de son repaire, et dans une impulsion, Maverick s'accrocha à ce qui devait lui servir de pied pour faire partie du voyage. L'ascension ne dura que quelques secondes pendant lesquelles il eut l'impression que son estomac n'allait pas se montrer assez ferme avec le peu de contenu qu'il avait ingéré.
Une fois à l'air libre, Maverick se dégagea de Sturm d'un souple saut et atterrit sans trop de dommage sur la structure extérieure de la station, trempée et couverte de débris métalliques. Il vit alors dans son entier la grande bête qui était venue réclamer vengeance. Il se demanda si ce n'était pas un nouveau rêve illusoire, comme lorsqu'il avait revécu toutes les morts qu'il avait commise plus ou moins directement sur la rivière des larmes. Ce temps lui paraissait bien loin, et même s'il n'avait plus compté les jours depuis sa résurrection, cela ne devait pas faire plus de quatre mois. Quatre mois très intenses.

Fulgur lorgna sur lui avec un de ses yeux immenses, d'un violet intense et dérangeant, puis reporta son attention sur la victime qui gigotait entre ses griffes. Sturm poussait exactement le même cri que lorsqu'il l'avait frappé de plein fouet avec son orage noir, et n'en menait pas large. Il devinait presque ses pensées pendant cette période de lourdes souffrances. Lui, le grand Sturm, sur le point de remporter la victoire finale contre ces insectes de Wars World, allait mourir étouffé, broyé, carbonisé par une créature de légende surgie de nulle part ?
Lui-même avait du mal à y croire, et admettait mal de ne pas être le bourreau du monstre. Mais il ne pouvait pas non plus s'opposer à cet adversaire quelque peu hors de proportion avec lui. Il resta là, les cheveux agités par le vent et le visage battu par la pluie glacée, contemplant la fin de Sturm.
Quoique...
Il entendit un grand sifflement, et vit un point rouge s'embraser très loin au-dessus de sa tête. Ses sens aiguisés par des années de survie ayant commencé dès son enfance, il identifia tout de suite la chose comme n'étant pas bonne s'il tenait à continuer sur sa lancée. Il courut comme il put sur le sol glissant, s'éloignant le plus possible du lieu de la bataille inégale.
La comète chuta quelques secondes plus tard sur le dragon de foudre, qui poussa un cri blessé, et relâcha sa proie tout en s'affalant lourdement sur la station. La force de l'impact l'avait ébranlée toute entière, et Maverick crut bien valser en-dehors d'elle. Au lieu de cela, il se releva en faisant mine d'évacuer un peu d'eau de ses épaules, et fit le chemin inverse pour s'assurer que Sturm avait bien été anéanti dans ce dernier show de puissance.
Avancer devenait vraiment pénible avec les éléments qui se déchaînaient, et il était obligé de mettre sa main en visière pour ne pas trébucher contre un morceau arraché de la station. La lumière qu'émettait Fulgur allait s'affaiblissant, comme s'il allait vraiment mourir. Remarquez, il aurait été juste pour n'importe quelle créature vivante de périr après une telle attaque, mais le dragon merveilleux dégageait une telle aura de puissance que Maverick peinait à réaliser qu'il puisse passer l'arme à gauche de cette manière. Il devinait à quelque signe que c'était là l'œuvre de Purple Dragoon, en trouvant l'intervention un peu déplacée en ce qui le concernait.
Arrivé près du corps de la créature protectrice de la Nation Oubliée, là où la lumière était encore la plus forte, il fouilla partout les environs, sans trouver trace de Sturm. Il se sentait un peu désabusé, sans trop savoir pourquoi, certes il s'était juré de le tuer lui-même... Mais que sa mort soit certaine sans que sa main se soit mise à l'œuvre, n'était-ce pas suffisant ? Il avait rempli sa part du contrat.
Pourtant, il n'avait toujours pas l'esprit tranquille. Il ne croyait pas pour mort quelqu'un dont il ne voyait pas le cadavre inanimé. Alors, il continua à chercher, jusqu'à entendre une respiration sifflante derrière lui, et une paire d'yeux verts luisant dans la pénombre environnante.
" Si stupide... croassa Sturm. Pourquoi est-ce que Regnag ne m'avait pas averti de l'existence... De cette chose ? fit-il en désignant Fulgur. J'aurais pris plus de temps pour éliminer ceux capables de l'amener en ce monde... Ou la corrompre...Rien n'aurait pu prévoir cela...
- Je suis content de voir que tu t'es tiré de cette surprise... J'aurai été vraiment déçu de ne pas porter le coup final moi-même. As-tu quelques dernières paroles pour la postérité ? Quoi que non, cela ne servira à rien... Pas d'expiation pour toi, et rien ne mérite de garder ton souvenir.
- Ce que vous appelez 'Mal'... Je l'incarne pour vous, non ? Je vais te confier quelque chose, Maverick; avant que tes yeux ne se ferment pour toujours... Le Mal ne meurt jamais...
- La plaisanterie a assez duré, Sturm. Contente-toi de mourir en silence."
Sturm était en très mauvais état. Les griffes avaient labouré son corps de part et part, et il portait trace de nombreuses brûlures. L'un de ses yeux clignotait en alternance, sa casquette était fendue, et sa belle cape qui le recouvrait si bien était noircie en partie, autre partie étant en lambeaux. Il acheva de la déchirer, et poussa un cri métallique. Une fente s'ouvrit dans sa poitrine, libérant le canon d'une petite arme secrète. Le pistolet intégré cracha plusieurs fois, et Maverick n'arriva pas à éviter une des balles qui pénétra le gras de sa hanche. Il ne sentit presque pas le choc, envoya à terre le plus grand meurtrier qu'ai connu Wars World dans toute son histoire, et boucla la boucle en lui décochant un coup à pleine puissance de sa tempête noire, regagnant quelques forces de cette manière. La chute de la comète sur le dragon avait déséquilibré l'assiette de la station, et pendant qu'il observait le corps de Sturm voler dans les airs dans une impression de ralenti, il le vit glisser le long du sol, pourtant encore peu en pente. Il l'y suivit en dépit de sa blessure, et arriva à temps pour voir la dépouille tomber dans les flots impétueux de l'océan.
Il resta à cet endroit, au risque de chuter à son tour sans appel, contemplant songeusement les eaux furieuses. A un certain moment, il crut voir les yeux inhumains le fixer à travers l'eau, moqueurs. Il éprouvait un étrange sentiment de vide... Comme s'il avait manqué quelque chose à ce dénouement prévisible. Il ne savait pas bien quoi. A moins que ce ne soit la fin de sa tache qui l'emplisse de vacuité ? C'était idiot... Il n'allait pas gâcher la chance de sa résurrection juste parce qu'il avait enfin terminé un travail qu'il avait cru fini avec Von Bolt.
Un tremblement le chassa de son introspection, et il se retourna en levant les yeux. Fulgur se dressait de nouveau dans le ciel à une vitesse incroyable, pour au final exploser dans un grand feu d'artifice et de foudres qui retombèrent en déluge pour châtier quelques autres membres de Black Hole pour faire bonne mesure. Maverick devina ensuite que d'un bout à l'autre du champ de bataille on avait senti que cette explosion saluait quelque chose d'important, et les pouvoirs des généraux Alliés se déclenchèrent en même temps dans un dernier assaut de violence pour braver les ténèbres.
Puis, il distingua une voix impersonnelle qui essayait de percer le fracas de la tempête.
" vis.........nel.....mminente.....itter la station... issiles.... ancés...."
Le discours était complètement haché, cela lui suffit néanmoins pour comprendre qu'il ne s'agissait pas d'une bonne nouvelle. Il se mit en route pour faire le chemin inverse pour la dernière fois, jusqu'à croiser un Jugger méditatif qui attendant paisiblement sous la pluie.
" OH, MAVERICK. JE... XFM.... TERME ENCORE INCORRECT... PENSAIS ? QUE VOUS N'AURIEZ PAS ÉTÉ OBLITÉRÉ. VOS APTITUDES A LA SURVIVANCE SONT PLUS QUE CORRECTES. AVEZ-VOUS ÉTEINT LES BATTERIES DE STURM ? SON SYSTÈME EST-IL HORS-SERVICE ?"
Maverick ne put s'empêcher de rire devant les termes choisis par le dernier général en 'vie' de Black Hole, du moins peut-être avec Candy, et ne serait-ce que pour accuser le relâchement de tension.
" Oui, Jugger, dit-il d'une voix étrange. Sturm est hors-service.
- BIEN, pépia l'autre avec des gazouillis électroniques approbatifs. LE PLAN A DONC FONCTIONNÉ. JE VIENS DE RENDRE INOPÉRANT LE PROGRAMME D'AUTO-DESTRUCTION DE LA PLATE-FORME. IL Y AVAIT AUSSI UN LANCEMENT DE MISSILES PRÉVU... JE... GZZ... PENSAIS QUE CELA SERAIT MIEUX POUR VOUS SI JE LE DÉSACTIVAIS AUSSI. IMPOSSIBILITÉ RÉCURRENTE D'ARRÊTER LE PROJECTEUR GRAVIFIQUE. DES CRÉATURES CRÉANT UNE SURCHAUFFE DANS MES CIRCUITS DE COMPRÉHENSION DE PART LEUR NATURE RATIONNELLEMENT IMPOSSIBLES ONT OUVERT UNE BRÈCHE DANS LE COMPLEXE ET ONT DÉBUTÉ L'EXTERMINATION DES OCCUPANTS. J'AI BESOIN DE VOUS, CAR LEUR DIRIGEANT SEMBLE ÊTRE CETTE CRÉATURE DONT VOUS DISIEZ AVOIR GAGNÉ LA SYMPATHIE. IL SUFFIRA D'ARRÊTER LE COMBAT, PUIS D'ANNONCER LA MORT DE STURM : ILS TENDRONT A SE PLACER SOUS VOTRE COMMANDEMENT. NOUS NOUS OCCUPERONS ENSUITE DU PROJECTEUR. MAIS JE VOIS QUE VOTRE ENVELOPPE CHARNELLE A SUBI UN DÉGÂT EXTERNE. JE VAIS LE TRAITER."
Avant que Maverick n'ai eu le temps de temps de dire quoi que ce soi, le robot qui approchait de la co-sentience fit sortir un instrument chirurgical de sa carcasse, et s'en servit pour extraire avec célérité la balle qui s'était introduite dans les chairs de l'humain. Il l'examina, puis la rejeta, et cautérisa la plaie pendant qu'il retenait des exclamations de douleurs.
" CES NOUVELLES OPTIONS DONT J'AI DOTÉ MON CORPS SE RÉVÈLENT UTILES. MAINTENANT, SUIVEZ-MOI... LE TEMPS DÉPENSÉ ICI EST AUTANT DE DÉGÂT CAUSÉ PAR LA PEUR ILLOGIQUE DE VOTRE ESPÈCE DU NOIR EN PLEIN JOUR."
Maverick regarda avec dépit sa hanche qui ne serait plus aussi gracieuse avant bien du temps, et laissa son médecin d'urgence le précéder jusqu'à une écoutille.

Si l'apparition du dragon emblème de la lointaine île avait dissipé la terreur chez les Alliés, ou du moins en partie, c'était toujours la loi du chaos qui prédominait à l'intérieur. Les dommages causés à l'installation étaient nombreux, et l'eau commençait à s'infiltrer en de multiples points. Maverick réussit toutefois à mettre rapidement la main sur Cortez, coupa court à la séance de retrouvailles joyeuses qui n'était pas vraiment de circonstance, et lui enjoignit fermement de cesser le massacre.
" Mais, Maverick, fit Cortez en enlevant un morceau d'intestin qui pendait du bout de son sabre, la fête ne fait que commencer ! Tu as l'air salement amoché par je-ne-sais-quoi, alors profites seulement du spectacle. Ce n'est pas ce que tu voulais ?
- Cortez, si tu continues plus longtemps à les tuer comme des lignes de fourmis, nous allons tous couler ici !
- Et alors ? ricana le semi-spectre, les lueurs bleues de ses yeux pétillantes. Moi et mes hommes ne craignons pas de faire trempette, et cela me crèverai les côtes de devoir les priver d'un peu de distraction. Tout ça parce que ce Nekroïous ne voulait pas que je fasse d'esclandre, et...
- Nekroïous ?" l'interrompit Maverick; en pensant au cahier que lui avait donné ce personnage.
Le mort-vivant lui conta rapidement sa rencontre avec le Régisseur, pendant qu'autour d'eux Jugger regardait sans bouger les pirates de Cortez continuer à étriper joyeusement les survivants de la base.
" Hé bien, si tu dois t'en remettre à moi, fais ce que je te dis, Cortez, par pitié ! Je t'achèterais des hectares entiers de pommerais, si tu le veux...
- Vraiment ? s'exclama l'autre avec gourmandise, les orbites s'arrondissant. Si tu me prends par les sentiments...
- Oui, vraiment ! le persuada-t-il. En attendant, j'ai de quoi t'occuper, tu pourrais me rendre un autre service ?
- Il faudra longtemps avant que ma dette ne soit soldée, camarade, et contre autant de pommes, tu peux bien même me demander de passer une nuit attaché dans un chenil !
- Parfait, parfait, assura Maverick avec des gestes encourageants. Détruis le projecteur qui trône au-dehors. Tu peux faire cela avec ton... Équipage ?
- Sans problèmes ! dit Cortez avec un sourire éblouissant, quoi que figé par la mort. Tu sais, ces garçons sont pour la plupart des gens simples, ils ont un bon fond, ils égorgeraient leur propre mère pour un bol de pudding si elles étaient encore vivantes. Alors, si tu veux qu'ils cassent ce gros canon, facile ! Higgins, cessez de vous amuser avec ces boyaux et écoutez-moi ! cria-t-il. Rassemblement général ! Nous changeons de programme !"
Maverick regarda, soulagé, la bande de joyeux drilles prendre le large et aller s'occuper de leur principal souci. Jugger ne fit pas de commentaires, et ensemble, ils allèrent rassembler pour leur part tous les combattants et le personnel de la station, répandant partout la nouvelle de la mort de leur chef. Même blessé et avec les fausses marques de meurtrissures, Maverick, ne jouant plus la comédie, inspirait un tel respect que cette opération de régulation de la panique ne prit pas autant de temps qu'on pourrait le croire. Il était étonnant, si l'on ne tenait pas compte de l'extrême flexibilité de la nature humaine, de voir tous ces gens rapidement changer de loyauté devant quelqu'un qui incarnait l'ordre et le calme au sein d'un cataclysme. Pendant que les coups pleuvaient au-dessus d'eux, la priorité fut donnée à la sécurisation de l'installation : il s'agissait de ne pas mourir bêtement après une si belle réussite. Même si pour Black Hole c'était le glas de la défaite qui résonnait aux oreilles, ils étaient bien d'accord sur le premier point de cette assertion. Jugger finit par demander à un des scientifiques présents s'il n'existait pas un moyen d'arrêter le rayon de gravité plutôt que de devoir le casser improprement.
" C'était toute l'affaire du seigneur Sturm... Nous ne sommes pas occupé des aspects fondamentaux de cet engin, ce sont des ingénieurs qui avaient une drôle d'allure qui s'en sont chargés. Le déclenchement du rayon avait été automatisé, je n'ai aucune idée du moyen de le stopper. Par contre ne me dites pas que tous ces coups sourds sont les échos... De ces choses qui le frappe ?
-Cela pose-t-il un problème ? questionna très calmement Maverick (qui n'avait plus qu'une hâte : que ça se termine). C'était la solution la plus immédiate, il ne peut y avoir que plus de morts si l'éclipse se maintient de plus en plus longtemps.
- Mais vous n'y pensez pas ! s'affola le scientifique. Si nous avons toujours ignoré les principes de base de ce rayon, je suis par contre sûr que de détruire le projecteur sans méthode peut avoir de très graves conséquences ! L'intensité du rayon, si elle est perturbée, pourrait modifier l'orbite de la lune ou l'expulser en-dehors de cette dernière !
- POSSIBILITÉ INCLUSE DANS MES CALCULS DE PROBABILITÉ, cliqueta Jugger, sans émotion.
- Pourquoi ne m'avoir rien dit ? s'emporta Maverick en fustigeant la sphère monoculaire d'un regard sidéré. A cause de vous, il est possible que...
- VOUS NE M'AVIEZ RIEN DEMANDÉ... ET CELA N'ENTRAIT PAS DANS MES PRIORITÉS."
Il ne répondit rien, une colère froide envahissant son esprit, qu'il retint en lui. Il réglerait plus tard ses comptes avec cette machine lunatique...
Un grand tremblement secoua la station toute entière, et pendant que les gens affectés se ressaisissaient du choc, Maverick avait disparu dans un coin sombre, emporté par une main ferme et gantée.

Pendant ce temps, à Blue Moon...

Hegwalz s'avançait à travers l'obscurité, bougie à la main. La nécropole, par nature, n'était pas un endroit pétillant de joie de vivre, et le soir tombé, aucune lumière ne restait, aucune torchère pour éclairer les couloirs. Et il se rendit compte que ses sens ophidiens ne lui étaient d'aucun secours pour se repérer dans les couloirs du repaire.
S'endormant presque tout en marchant sans retrouver son chemin, il buta assez mollement contre son Maître, qui revenait d'une même expédition infructueuse, avec la seule différence qu'il portait, classe oblige, un cierge dans un bougeoir argenté, cierge allumé d'une flamme violette, couleur habituelle des arts nécromantiques. Il était à peine plus réveillé, et ils mirent quelques secondes à se reconnaître l'un l'autre.
" Hegwalz ! tenta de s'exclamer Zagor d'une voix pâteuse qui ne lui seyait pas. Tu as traficoté une des mes inventions ratées ? Je n'ai rien contre le noir, mais je ne peux pas voir dans l'obscurité totale...
- Non, Maître, répondit le Nozelar sur le même ton peu éveillé. Je ne sais rien de ce qui se passe au-dehors.
- Par Mezizto, j'ai eu peur un moment qu'il s'agisse de Dma'llum qui revienne pour voir par lui-même si j'avançais dans la tenure de ma promesse...
- Je ne pense pas qu'il s'agisse rien de tel, si vous me permettez d'exprimer mon opinion. Par ailleurs, j'ai une mauvaise nouvelle à vous apporter, c'est pourquoi j'errais à votre rencontre.
- Que se passe-t-il ? demanda le nécromant dont les yeux reprenaient leur acuité coutumière. Ne me dis pas que le tapioca rampant zombie est sorti de la fosse et a encore boulotté un quinzième des cohortes de zombies troufions ?
- Non, Maître. Rappelez-vous, vous avez pensé qu'il serait plus amusant de le faire découper en cubes pour des essais gastronomiques ultérieurs.
- Ah, oui, oui ! fit-il avec de grands gestes de sa main libre. La mémoire me fuit parfois à force de s'étendre bien au-delà de toute capacité mortelle, je devrais reprendre un traitement d'aiguise-méninges, ou bien déverser les souvenirs superflus dans une sphère mémorielle... Bref, quelle est cette nouvelle ?
- Miss Lyly Mistalker a profité de l'obscurité qui est tombé de toute part pour s'enfuir, Maître. Et avant que vous posiez la question, j'ai bien vérifié partout pour en être absolument certain.
- Comment peux-tu être aussi catégorique ? Je lui ai donné un des liquides les plus précieux d'Aznhurolys, le sang du baron Nosférax, qui m'avait donné bien du mal, par ailleurs. Elle a tous les pouvoirs d'un vampire supérieur, et elle est assez maline pour les avoir découvert sans que nous nous en rendions compte. Elle peut très bien se cacher sous la forme de brume ou d'une chauve-souris !
- Sincèrement, je ne le crois pas, Maître. C'est très peu probable qu'elle veuille faire une partie de cache-cache avec vous. Elle a du trouver l'occasion trop belle pour rejoindre son village natal.
- Hé bien, je ne peux pas vraiment la taxer d'ingratitude, dit Zagor en haussant les épaules. Après tout, elle s'est déjà assez montrée à la hauteur de mes espérances ! J'ignore ce qui se trame dehors, mais cela doit avoir un lien avec le garçon de sa photo. Et quoi qu'il se passe en ce moment sur Wars World... Cela ne peut être que le prélude à autre chose, car peux-tu seulement imaginer une histoire où Deshtar est, se finir sans moi ?
- Il y a eu quelques cas, Maître... commença Hegwalz.
- Oui, bon, bon, c'est vrai. N'empêche, ne va pas me contredire ! Assez de mauvaises choses pour aujourd'hui; il est bien dommage qu'elle soit partie sans que je puisse lui implanter un relais au Contrôleur. Je sens qu'elle me sera importante dans le futur. Dis, tu ne sais vraiment rien d'autre sur sa disparition ? Tu as l'air tout drôle.
- Ce sont ces ténèbres impromptues, Maître. Elles me perturbent."
Zagor l'examina un moment, puis lui donna son congé, allant, fait rarissime, faire une sieste, il se sentait fatigué. Il allait devoir rester longtemps sur Wars World, des mois peut-être, au moins, il avait toute la tranquillité nécessaire pour mener ses recherches. Il se fiait à ses calculs ésotériques pour le reste : pour chaque journée passée sur ce monde, deux heures seulement s'écoulaient sur Aznhurolys. Et lorsque l'on savait que le jour du Monde Scindé comportait trente heures, il pourrait expérimenter à son aise sans crainte que Zéphyross ou l'Impérium de l'Ombre ne soit sous quelque mauvais coup pendant son absence.

Hegwalz retourna dans ses propres quartiers, posa la bougie sur une table, sortit une lettre légèrement chiffonnée et la relut.

" Monsieur Hegwalz,

Vous êtes vraiment un drôle de personnage. Je suis sûr que vous cachez des secrets plus profonds que ce que vous avez bien voulu me dire alors que votre maître s'employait à danser et chanter dans une langue inconnue. Je me demande si vous trouvez vraiment le bonheur à ses côtés. Je ne pourrais jamais lui pardonner tout ce qu'il a fait aux gens de mon pays...
Qui le pourrait, en fait ?
Mais il avait raison sur un point : mieux vaut être dans cette nouvelle forme de vie que parmi eux. J'ai bien compris pourtant qu'il veillait bien à ce que ça ne soit plus que des enveloppes vidées de leurs âmes qui sont seulement mues par la magie, mais ça ne rabaisse pas son péché. Je n'ai pas encore totalement tout compris à ce que vous étiez, et lui non plus, même si vous m'êtes un peu bizarre, je crois en vous et j'espère que vous le tempérerez s'il prenait la folie des grandeurs. Moi, je ne peux rien contre lui. Vous, vous pouvez faire changer les choses.
Je vous remercie pour l'objet que vous m'avez donnée, et pour l'entraînement que vous m'avez fait subir en parallèle à celui de votre maître. J'espère ne pas avoir à l'utiliser contre vous plus tard.
Oh, aussi, vous devez le savoir, mais de la façon dont il parle de ce Deshtar, je pense pas qu'il puisse le vaincre !
Je ne peux pas écrire plus, je ne sais pas combien de temps durera cette éclipse. Je sais qu'au fond de vous vous avez des élans de gentillesse, et que vous ne vous lancerez pas à ma poursuite. Ne m'en voulez pas de partir !
J'espère qu'un jour vous arriverez à briser le cycle dans lequel vous vous êtes engagé...

Lyly"

Suivait les marques au rouge à lèvre de ses lèvres. Le Nozelar sourit à la relecture de ce billet, puis le fit se consumer à la flamme de la bougie.
Elle se trompait : dans sa profession, il n'y avait pas de place pour la gentillesse.
La papier finit de se réduire en cendres, en émettant une fragrance étonnamment suave.

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