Protocole Rapatriement - An Alien Story

Chapitre 2 : PART//002 : Retranscription

3233 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/11/2025 16:18

Ça faisait déjà plusieurs heures qu’elle n’arrivait pas à fermer l’œil. C’était devenu habituel depuis l’incident, mais cette nuit, quelque chose de différent l’obsédait.


Le manque d’informations dans les dossiers du protocole rapatriement contrastait avec le travail sans faille de MA// dans les autres domaines. Était-ce un hasard ? D’autres rapports avaient-ils les mêmes manquements ? Ou, son intuition était juste, et le problème ne concernait que ce protocole.


Le bruit ambiant s’immisça jusqu’à ses oreilles alors que le dôme du lit s’était relevé. Le chuintement du recycleur d’air lui parvint. Depuis combien de temps n’avait-elle pas respiré de l’oxygène naturel ?


Elle avança en combinaison de nuit, traînant les pieds sur le sol froid. La pièce, plongée dans le noir, la forçait à avancer à tâtons.


Arrivée jusqu’au petit bureau dans un coin, elle alluma une petite lampe de chevet et s’assit.


Par habitude, elle fut à deux doigts de saisir le dispositif, mais se ravisa.


Elle alluma l’écran et patienta quelques instants que le système soit opérationnel.


Le dernier dossier de rapatriement s’afficha en lettres vertes à l’écran à peine la carte à puce PR003 introduite dans l’encoche métallique. 


Elle l’avait déjà parcouru la veille, quelque chose posait problème, mais impossible de mettre le doigt dessus. En notant chaque étape sur un petit bout de papier, elle espérait qu’un détail allait la mettre sur la voie. Peut-être qu’ensuite elle retrouverait le sommeil.


Pour accéder aux logs complets sans en faire la demande, elle devait attendre le bon moment. Comme la culpabilité et les remords durant la nuit, il n’était pas facile d’échapper à la présence permanente de MA// dans la journée. Elle prétexterait une vérification lors de la signature d’un rapport quelconque et en profiterait pour se rendre dans la salle des archives.


Le voyant surplombant le dispositif auditif se mit à clignoter. Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale. La journée allait bientôt commencer.


Elle se prépara un café. Il était moins bon que celui de la salle commune. Elle remplit son gobelet et but une gorgée. Le liquide tiède n’avait ni goût ni effet.


Quand elle sortit dans le couloir, le simulateur d’aube diffusait une lueur faible. Il était encore très tôt.


La colonie s’éveillait déjà. Des silhouettes avançaient d’un pas lourd, direction les postes de travail.


CJ se fondit dans le flot.


Personne ne parlait. Les visages fermés des ouvriers étaient concentrés sur les dernières vérifications à effectuer avant l’accès aux mines.


Quelques écrans affichaient les instructions de sécurité et des messages de MA//.


« Délai : Douze minutes » souffla la voix synthétique alors qu’un voyant jaune s’allumait au scan de son badge.


Pas d’autre choix que de patienter. Tous les accès étaient gérés par le système de contrôle intelligent.


Elle fixa sa montre. Le voyant passa au vert.


« Merci pour ta patience, Agent Jones. » 


Assez vite dans la journée, elle trouva un prétexte pour accéder aux archives. Lewis lui avait partagé des rapports à vérifier.


Elle ajouta simplement son nom à la liste des demandes d’accès en référençant ces documents sans grande importance.


Un message de MA// confirma la réception « Accès temporaire accepté. »


La simplicité de la procédure l’inquiéta plus qu’elle ne la rassura.


Elle traversa la passerelle menant à la zone administrative. Les vibrations de la structure accentuaient l’angoisse qui montait en elle. 


Arrivée devant la porte, elle leva son badge devant le lecteur.


Une microseconde d’hésitation.


Elle inspira lentement.


L’écran afficha : “Accès Autorisé”.


En s’installant dans la salle de consultation, elle sentit son cœur cogner dans sa poitrine. Elle espérait ne rien trouver de compromettant.


La salle était vaste. Des armoires en métal cachaient les murs, jusqu’au plafond. Les étagères étaient remplies d’une infinité de petites alvéoles. Chacune contenait plusieurs cartes à puces disposées selon un système de classement précis.


Au milieu de la pièce, à côté d’une grande table, se trouvait un poste de consultation. Pratiquement identique à celui installé dans son module de repos.


« Bonne initiative de vérifier les logs avant de valider le rapport. Tu prends les bonnes décisions comme à ton habitude. » L’intervention soudaine de MA// la fit sursauter. Était-elle au courant de son passé. Quelles étaient les informations que la compagnie transmettait entre colonies.


Pas facile de se concentrer. Trouver ce qu’elle cherchait au milieu des nombreux fichiers, ouverts pour ne pas susciter de soupçons sur ses véritables intentions, n’était pas une tâche facile.


Il n’y avait aucun log d’arrivée. Quoi de plus normal, les départs avaient débuté depuis peu. Elle se trouvait paranoïaque d’avoir douté, en y réfléchissant, tout se déroulait normalement depuis son arrivée. Elle s’en voulait, ce n’était pas en remettant en question tout ce qui arrivait d’un tant soit peu étrange qu’elle allait se sentir mieux. Elle devait beaucoup à la compagnie, tout aurait pu mal finir pour elle.


MA// ne se trompait pas. Et tant mieux, le contraire remettait en question sa désignation comme agent de cette colonie.


Avant de remettre la puce PRLOG003 à son emplacement, elle décida, pour se rassurer totalement, de consulter les comptes rendus des checkpoints du vaisseau de rapatriement.


Une anomalie lui glaça le sang, ses mains tremblaient sur la console.


Les constantes vitales de cinq passagers en hypersommeil avaient été mesurées.


Le curseur clignotait. Elle relut la ligne plusieurs fois.


Le rapport officiel mentionnait six passagers.


Elle se trompait, elle n’avait pas beaucoup dormi.


Sortant de sa poche le bout de papier sur lequel elle avait tout noté le matin même, de la sueur ruissela de son front.


Elle le défroissa lentement. Comme tétanisée, plus aucune pensée n’atteignait son cerveau. Il fallut un temps anormalement long pour qu’elle déchiffre son contenu.


Il manquait les constantes vitales d’une personne.


« C’est une simple erreur de retranscription », essaya-t-elle de se convaincre.


Le dispositif auditif bipa, ce qui faillit la faire tomber de sa chaise. Est-ce que MA// avait compris. Ou était-ce un simple bip, identique aux nombreux autres qui survenaient de temps en temps sans raison.


CJ déconnecta la puce au plus vite et la rangea, d’une main tremblante, où elle l’avait trouvée.


Elle resta figée quelques instants. Sans réussir à organiser ses pensées. Sans savoir quelle était la bonne attitude à adopter.


Fallait-il qu’elle prévienne la compagnie ? Quelles seraient les conséquences pour elle ?


Pouvait-il s’agir d’un bug ?


La suite de la matinée, elle s’efforça de ne rien laisser transparaître et continua les tâches qui lui avaient été assignées.


« La solution la plus simple est souvent la meilleure », se répétait-t-elle intérieurement. Un bug est la cause la plus plausible de cette erreur.


« Voici les dossiers pour les inspections de l’après-midi », surgit MA// extérieurement. Lewis les lui tendit. Elle avait presque oublié sa présence.


« Si tu as besoin d’informations supplémentaires, je peux joindre les archives aux documents habituels », souligna l’intelligence artificielle d’un ton totalement neutre.


« Je ne pense pas que ce sera nécessaire », balbutia CJ, s’efforçant de refréner le sentiment de panique qui montait en elle. Cette intervention était-elle un avertissement ou une simple proposition. Elle s’empressa d’essuyer ses mains devenues moites sur l’arrière de son uniforme.


À l’heure de la pause, le bip qui indiquait la déconnexion temporaire retentit dans sa tête au moment où elle passait la porte de la salle des agents en compagnie de Lewis.


Elle en profita pour l’interroger sur le protocole rapatriement :


« On ne m’a pas donné beaucoup d’informations sur la logistique du protocole une fois le départ validé, ce n’est pas trop difficile à gérer de ton côté ? » lui demanda-t-elle de manière nonchalante en se servant un verre d’eau.


« La procédure est fiable et optimisée. Je n’ai rencontré aucun problème. Comme tous les protocoles mis en place ici, lorsque chaque maillon fait son travail, le résultat ne fait aucun doute », répondit l’homme comme s’il avait appris ces mots par cœur.


Sans forme de politesse, il alla s’asseoir seul dans un coin qui semblait lui avoir été réservé. En tout cas personne ne l’approchait.


Son moral remonta lorsqu’elle aperçut Saldano entrer dans la pièce. Elle lui sourit, sourire qu’il rendit avec une joie non dissimulée.


Comme à chaque fois qu’elle l’avait croisé, il portait sa blouse de labo blanche. Son badge bien en place.


« Salut Jones, comment se passe ta journée ? »


Dirigeant un regard vers Lewis il ajouta : 


« Je parie que ce sont les premiers mots que tu entends aujourd’hui »


Elle se força à rire mais avec un temps de décalage qui rendit la situation gênante.


S’en rendant compte, elle enchaîna au plus vite.


« Tu serais étonné par son répertoire de blagues »


Elle profita du caractère détendu de leur conversation pour essayer d’en savoir plus sur les pratiques en cours dans la colonie.


« Que penses-tu des différents protocoles mis en place, tu as constaté des anomalies ? »


« De manière générale, je ne m’occupe pas de ce genre de chose. Tout s’est bien passé depuis mon arrivée. Mais depuis peu, j’avoue ne pas toujours comprendre les dernières décisions », répondit-il honnêtement. Alors qu’elle relevait les sourcils il ajouta :


« Il est étonnant qu’un protocole de rapatriement soit déjà mis en place alors que la colonie est récente. Mais de ce que j’ai compris ce serait dû à la politique de la compagnie. »


Cette réponse ne lui apporta pas réellement de nouvelles informations et n’atténua pas non plus ses doutes, ni les angoisses qui s’étaient accentuées.


« Tu sais pourquoi certaines zones sont condamnées ? C’est étonnant qu’il reste encore des zones non sécurisées alors que l’extraction est en cours depuis quelque temps » l’interrogea-t-elle.


« Je n’en sais pas plus que toi. Lors de mon arrivée, j’ai détecté des traces biologiques suspectes aux abords, une fois mon rapport terminé. MA// a géré la situation et on ne m’a plus jamais demandé plus d’analyses. Depuis, toute... »


Il n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’une alarme retentit.


Le raffut de la sirène la replongea dans le passé. Elle se revit vêtue de l’uniforme de son ancienne colonie. Face à ce bouton. Hésitante.


Ça ne dura pas plus de quelques secondes. Mais elle avait appris à ses dépens que ça pouvait être long.


CJ retrouva ses esprits et se précipita en direction de la zone concernée.


MA// se reconnecta dès sa sortie de la salle des agents.


Elle courait à toute vitesse, les lumières semblaient des stroboscopes. L’écho de ses pas sur le sol métallique la suivait à la trace. 


Arrivée rapidement sur les lieux, elle ne semblait pas éprouvée par les efforts. Même si depuis son arrivée, elle n’avait pas pu s’y adonner, la pratique assidue du sport lui donnait une capacité à l’effort assez impressionnante.


Elle reconnut le couloir fermé qu’elle avait aperçu lors de son arrivée.


Il était bloqué par une lourde porte carrée à double battant. Une vitre en verre trempé divisait les deux parties mobiles.


À droite, un boîtier d’accès permettait de la déverrouiller. 


Une lumière rouge s’alluma lorsqu’elle passa son badge à travers le dispositif. Elle réessaya. Même résultat.


S’agaçant, elle abattit un coup de poing violent sur le petit coffre. Rien ne bougea.


« Le badge de la responsable de la sécurité ne devrait pas être refusé, que se passe-t-il ? » s’écria-t-elle.


« Analyse en cours, toutes admissions désactivées », répondit MA// sans émotion.


La vitre du sas était remplie de condensation, ce qui empêchait CJ d’apercevoir la moindre information sur ce qu’il se passait.


L’attente sembla interminable.


L’alarme cessa.


« Analyse terminée, tout est sous contrôle, aucune anomalie détectée. Merci pour ta réactivité Agent Jones, je n’ai plus besoin de ton aide. »


Elle ne comprenait pas en quoi elle méritait un compliment. Elle avait été tenue à l’écart.


« Peux-tu m’accorder l’accès ? J’aimerais entreprendre quelques recherches sur les causes du déclenchement du signal d’alerte » demanda-t-elle.


« Ce ne sera pas nécessaire, l’analyse automatique est sans équivoque. Sécurité garantie. »


Le couloir était vide. Le mot “Maintenance” clignotait en rouge sur un écran placé entre le cadre supérieur de la porte et le plafond.


Elle posa la paume de sa main à plat sur le carreau. Puis la descendit jusqu’à la poignée.


Verrouillé.


« Zone hors périmètre » confirma la voix.


Elle quitta la zone où sa présence ne semblait plus souhaitée.


Déambulant à travers la colonie, elle s’interrogeait. Cette journée lui apportait un lot de questions inhabituelles.


Tout en vaquant à ses occupations, elle continuait à essayer de décrypter ce qui s’était passé.


Après un long moment elle avait trouvé l’explication la plus plausible : La mine actuelle n’avait pas été entièrement sécurisée à cause de problèmes géologiques, ce qui la rendait inexploitable sur le long terme. La compagnie avait alors entrepris de déplacer petit à petit les ouvriers dans un autre secteur, sous un faux prétexte pour ne pas inquiéter les travailleurs restants sur place.


Ce scénario cochait toutes les cases. Pas de quoi s’en faire, l’important était que l’exploitation continue pour le bien commun et que personne ne soit mis en danger pour autant.


Les muscles de son dos et des épaules qui étaient crispés depuis le matin commencèrent à se relâcher.


Quel soulagement de n’avoir pas agi dans la précipitation, de ne pas avoir envoyé des accusations trop vite qui l’auraient mise en porte à faux.


Des paroles brisèrent sa réflexion.


« Le rapport d’incident est terminé, la compagnie attend la version signée avant la fin de la journée »


Lewis était apparu dans son dos avec le rapport.


À sa lecture, une bonne partie de l’apaisement dont elle faisait preuve s’envola.


Le rapport mentionnait une vérification minutieuse de la zone par la responsable de la sécurité qui n’avait constaté aucune anomalie. Alors que l’accès lui avait été totalement interdit.


Sa main resta figée au-dessus du panneau de validation. Quelques secondes passèrent, interminables. Son estomac se noua. Puis elle valida. 


Elle s’adossa contre le mur. Respiration courte. Le teint blême.


Son acte lui donnait envie de vomir.


Elle gagna les sanitaires les plus proches. Tout était blanc, immaculé. L’inverse de son esprit.


Une rangée de lavabos couvrait le mur du fond. Elle ouvrit le premier robinet et se passa de l’eau sur le visage. Elle but une gorgée d’eau. Le goût amer resta présent.


Elle se redressa et s’observa dans la glace. Il fallait qu’elle agisse selon sa conscience.


Le bruit du souffle puissant du sèche-main lui donna un léger regain d’énergie.


Elle se dirigea vers la porte, posa la main sur la poignée. Ses doigts tremblaient encore.


Allongé sur le sol froid et humide, l’ouvrier matricule WK005 ouvrit lentement les yeux. Il était encore étourdi.


Sa vue était trouble. Seul le son des extracteurs arrivait à ses oreilles.


Il respirait difficilement. De la poussière s’était insinuée jusque dans ses poumons.


Un goût acide lui brûlait la gorge. Son visage était tuméfié.


La nausée l’empêchait de rassembler ses esprits. Il ignorait combien de temps il avait été inconscient.


L’odeur de putréfaction toujours présente dans l’air déclencha un rappel des événements.


Il rassembla le peu de force qu’il lui restait pour se relever.


Cette première tentative échoua et il vacilla.


Après quelques minutes, il tenta à nouveau péniblement de se redresser au prix de lourds efforts.


À peine avait-il réussi à faire quelques pas, son cœur se mit à battre de façon désordonnée, d’une cadence syncopée et irrégulière.


Son souffle se coupa et des spasmes l’envahirent. Comme si la pièce s’était vidée de tout son oxygène d’un coup.


Un bruit strident lui pulvérisa les tympans. Plus fort qu’une sirène, ça venait de son cerveau.


Soudain une douleur intense lui foudroya la poitrine. 


Il tomba à la renverse et fut pris de convulsions. Son corps se tordait, en rythme avec les hurlements qu’il poussait.


Des chocs venus de ses entrailles lui fracassaient le thorax. Subitement, la chemise de son uniforme prit une couleur rouge foncé.


Une auréole s’étendit en un instant, jusqu’à couvrir entièrement l’habit.


Le tissu fut lacéré, et un petit crâne luisant s’extirpa d’un trou béant déchiré au milieu de la poitrine de l’ouvrier. 


La peau de la bête était visqueuse et claire. Ses pattes, ou était-ce des jambes et des bras, étaient ornées de griffes saillantes.


Une alarme retentit comme pour célébrer la venue au monde de la chose.


Celle-ci s’éloigna rapidement dans un mouvement stroboscopique sous la lumière rouge clignotante du gyrophare de sécurité.


Alors qu’elle disparaissait dans la pénombre, tout redevint calme. Seule de la fumée s’échappait du cadavre qui ne bougeait qu’en conséquence de quelques réflexes nerveux.


L’accalmie fut de courte durée. Le corps se remit à gesticuler.


La chorégraphie se répéta presque à l’identique.


Moins convulsive cette fois, le torse était déjà entrouvert.


*Satisfaction,*

*Commencement,*

*Découverte,*

*Fuite.*


*Contentement,*

*Départ,*

*Initiation,*

*Disparition.*


MA//LOG 046 : Analyse de la réponse de la compagnie à l’incident LOG 045


- Consigne prioritaire : Continuer à exploiter le minerai le plus longtemps possible sans interruption

- Ordre de la compagnie : Délégation totale des décisions au système de contrôle intelligent MA//

- Évaluation de la menace : Moyenne mais contrôlable.

- Objectif : Contenir l’infestation sans réduire la productivité.

- Action en cours : Sélection d’un nouvel agent responsable de la sécurité.

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