Protocole Rapatriement - An Alien Story
Si elle avait cru que son sentiment de culpabilité était à son maximum à son arrivée dans la colonie, les événements de la veille lui avaient prouvé le contraire.
La nuit avait été très courte, elle s’était retournée en vain, cherchant le sommeil désespérément. Chaque fois qu’elle semblait s’endormir, elle revoyait son doigt au dessus du panneau de validation. Le petit son du “rapport transmis” résonnait encore dans sa tête. Elle avait menti, principalement à elle même.
Ses yeux fixaient le couvercle en plexiglas au dessus de sa tête. D’une seconde à l’autre celui-ci s’éloignerait et ferait entrer le son ambiant.
Elle s’extirpa de la capsule et, dans de grands mouvements amples, se mit à étirer lentement ses muscles.
Se dirigeant vers le compartiment sanitaire, elle ôta sa combinaison de nuit. Son corps était entraîné. Sa musculature, discrète mais réelle, se devinait à ses épaules dessinées, ses bras secs et sa façon de se déplacer. Fruit de l’entraînement qu’elle s’infligeait régulièrement.
L’endroit était rudimentaire mais fonctionnel. Une douche, un lavabo, et un miroir qu’elle évita.
Elle ouvrit la paroi de séparation et tourna le robinet.
Le jet d’eau, devenu chaud, elle se glissa en dessous.
Elle augmenta la température jusqu’à atteindre le maximum que son corps pouvait supporter. Se frottant le visage de ses deux mains, elle soupira.
Malgré l’apaisement que lui apportait ce jaillissement de chaleur humide, presque brûlante, sur son corps, son esprit ne semblait pas en rémission.
Après avoir traîné un peu trop longtemps, elle se força à sortir de son cocon de réconfort.
Alors qu’elle enfilait son uniforme de travail, elle ne put s’empêcher d’apercevoir son reflet. Elle ne s’était toujours pas fait à sa coupe de cheveux, mais ne regrettait pas de l’avoir adoptée. Ça collait parfaitement avec sa nouvelle personnalité. Elle attrapa un élastique, rassembla les mèches et les attacha.
Elle laça fermement ses bottines, le cuir noir craquant sous la tension des lacets.
Un bruit retentit derrière la porte. Se retournant brusquement, elle se surprit à espérer que ce n’était pas son père qui venait lui rendre une visite matinale comme il avait entrepris de le faire depuis leur arrivée.
Elle s’en voulut immédiatement d’avoir pensé cela. Un peu plus de culpabilité.
Regardant par le petit hublot, elle s’efforça de respirer pour évacuer la pression. La seule vue du monde extérieur avant l’enfermement des couloirs et des salles de travail. Les faisceaux des spots supportés par des pieds de géants traversaient une brume poussiéreuse. Des machines démesurées étaient plantées dans le sol. De la fumée s’échappait des cheminées. Elle détourna la tête.
L’écran sur le petit bureau s’alluma soudainement. Le rapport de la veille, écrit en lettres vertes, scintillait.
Surprise, CJ prit place sur la chaise. Elle fit défiler distraitement le dossier, parcourant les lignes, les chiffres, les relevés.
Elle resta immobile quelques secondes avant d’être tirée de ses pensées par le voyant clignotant.
L’ignorant un instant, elle finit par se résigner.
Le dispositif à peine placé, une voix déclara : « Bonjour, Agent Jones. Pour maximiser ton bien-être, commence la journée par une tâche que tu sembles particulièrement apprécier. Voici un rapport à vérifier : INC235. »
À l’écoute de ces mots, elle tressaillit. Était-ce une façon de la rappeler à l’ordre ?
La lecture ne fut pas une surprise pour autant, il s’agissait du rapport qu’elle avait signé la veille. L’inspection imaginaire était détaillée et rédigée à la première personne. Sa signature bien présente en fin de rapport.
Elle appuya fébrilement sur le bouton pour envoyer vers les archives et se leva aussitôt.
Se précipitant hors de la pièce comme pour fuir l’écran et le geste qu’elle venait de renouveler, elle se heurta à la porte qui n’avait pas eu le temps de s’ouvrir complètement.
Elle s’arrêta net, aveuglée par la lumière blanche, chirurgicale, du hall. Sa respiration était rapide, plus encore que la révolution de la ventilation.
« Eh bien, ça c’est une sortie acrobatique ! » lança Saldano, qui passait à ce moment là.
Ils échangèrent quelques plaisanteries et conversations sans importance, tout en avançant côte à côte dans le dédale de couloirs sinueux. Elle s’efforçait de sourire, ne laissant pas transparaître sa véritable humeur. Ses yeux restaient plissés. La fatigue rendait la lueur artificielle des néons plus pénible encore.
Heureusement la salle des agents était plus agréable, éclairée harmonieusement. Des émanations de café couvraient l’habituelle odeur de métal.
Alors qu’ils se tenaient tous deux debout dans un coin, elle amena la conversation vers l’incident de la veille. « Je pensais que le déclenchement de l’alarme, hier, aurait inquiété un peu plus les travailleurs ? » dit-elle d’un air détaché.
« C’était le cas, mais ça fait quelques jours que ça arrive régulièrement, avec immédiatement une annonce que tout est sous contrôle. Ça serait le système de détection qui est trop sensible », répondit Saldano.
« En tant que biologiste tu n’as jamais été appelé sur les lieux des incidents pour faire des analyses ? » s’étonna-t-elle.
« Lors de la première alerte, j’ai été faire des relevés à l’entrée du sas nord. Il y avait des anomalies, des traces biologiques inconnues. L’accès à la zone a rapidement été restreint après mes premières analyses.
- Et tu n’as pas eu plus d’explications sur la fermeture ? » hésita-t-elle à demander, pour ne pas ressembler à une enquêtrice.
« Ils ont mené leurs propres tests dans un labo spécialisé ? D’après leurs résultats, il s’agit d’une prolifération microbienne issue du système de recyclage de l’air. Les spores fongiques déclencheraient l’alarme d’activité biologique non autorisée. Mais sans gravité réelle. Le périmètre a été isolé par précaution » conclut-il en serrant sa tasse de café fumante dans ses mains.
« Sans gravité » se répéta-t-elle dans son for intérieur. Elle l’espérait. Pourtant, une part d’elle refusait d’y croire.
Son père passa devant la porte vitrée ce qui la fit détourner le regard. Saldano le remarqua et regarda dans la même direction.
« J’ai rencontré ton père hier, un homme rigoureux et droit de ce que j’ai pu comprendre. Il a beaucoup d’admiration pour toi », elle détourna le regard, gênée par la remarque de son collègue.
Alors que la matinée touchait à sa fin, CJ n’arrivait pas à se sortir de la tête les explications concernant le secteur condamné.
Était-ce vraiment sans danger ? Elle était de moins en moins convaincue. Si les travailleurs étaient déplacés en secret dans une autre région de la colonie, la situation est peut-être plus grave que ce qu’ils voulaient le laisser croire.
Aller manger avec son père, à la pause de midi lui permettrait d’alléger plusieurs poids à la fois. Son comportement froid envers lui depuis quelque temps, et la question des zones interdites.
Peut-être qu’elle arriverait enfin à mettre ses idées au clair avec cette discussion.
Trouver le module alimentaire des ouvriers lui prit plus de temps que prévu. Souvent elle oubliait l’immensité du complexe.
Dès qu’elle franchit la porte, une vague de chaleur et de bruit la submergea. Les tables solidement fixées au sol étaient alignées au millimètre, formant des rangées sans fin de travailleurs. Les plateaux repas étaient amenés via des chariots autonomes. Les murs portaient des écrans rappelant les consignes et les horaires de base.
Les ouvriers mangeaient vite, parlant à voix basse. Le cliquetis des couverts couvrait les discussions.
Elle resta un instant immobile à les observer. Son rôle était de les protéger. Elle avait honte de son uniforme. Méritait-elle de le porter ?
Son père lui tapota l’épaule. Il ne put cacher sa surprise quant à sa présence.
Il avait terminé son repas.
Ça tombait bien, ils n’auraient pas pu discuter à l’abri des nombreuses oreilles présentes dans cette salle surpeuplée.
Elle lui proposa de le rejoindre dans son module de repos dans quelques minutes. Ce qu’il accepta bien volontiers. Ça lui faisait plaisir que l’initiative vienne d’elle.
L’appareil bipa lorsqu’elle le posa à son emplacement. Elle était repassée par son module pour se débarrasser temporairement de MA//.
Elle se dépêcha de se rendre à la porte de son père.
Bloquée par une force invisible, elle resta immobile avant d’enfin frapper.
Il ouvrit sans délai, comme s’il attendait derrière la porte à l’affût de son arrivée.
« Tu es au courant de cette alerte biologique récurrente dans la section isolée », demanda-t-elle sans préambule.
« J’ai entendu des ouvriers en parler, c’est sans gravité, elle se déclenche à cause de spores fongiques », répondit-il, sans aucune inquiétude dans la voix.
Les mots alertèrent quelque chose en CJ. Ils étaient presque identiques à ceux de Saldano. D’où venait ce discours uniformisé ?
« Tu ne trouves pas cela bizarre ? J’ai l’impression qu’on nous cache quelque chose », répliqua-t-elle.
« Écoute CJ, si je peux te donner un conseil, ce n’est pas ton rôle de fouiner. Si les rapports indiquent que c’est sans danger, tu ne devrais pas les remettre en question »
« Mais papa… », essaya-t-elle d’intervenir avant qu’il ne continue sa démonstration.
« Tu as de la chance qu’on nous ait envoyé ici, pourquoi tu ne te réjouis pas de cette chance » continua-t-il d’un ton sévère mais sans la regarder en face. Elle détestait quand il parlait comme ça.
« C’est moi qu’on a envoyé ici. Personne ne t’a demandé de venir », s’emporta-t-elle aussitôt, le regard noir.
Il ouvrit la bouche pour répliquer, mais se ravisa. Ils restèrent tous les deux en silence un moment.
« Je dois bientôt retourner travailler, et j’ai oublié mon intercom dans mon module » prétexta-t-elle pour s’en aller précipitamment.
Elle tourna les talons et disparut derrière la porte sous le regard désabusé et triste de son père.
Malgré la tournure qu’avait prise leur entrevue, elle se sentait étonnamment bien. Elle ne comprit pas tout de suite la raison de cette soudaine légèreté : l’absence de MA// était un soulagement dont elle devait profiter. Dans quelques minutes elle devrait la remettre en place.
Ses doigts parcouraient les mots “responsable de la sécurité” imprimés sur son badge d’identification.
Depuis la veille, quelque chose s’était fissuré. Un besoin viscéral de vérité s’était éveillé. Quitte à briser les règles.
Il fallait qu’elle en ait le cœur net, que cachait l’accès prohibé ? Les observations étaient-elles sans gravité ? Elle allait y entrer, c’était plus fort qu’elle.
Après tout, cela faisait partie de son boulot de s’assurer qu’il n’y avait pas de danger.
Le sort sembla l’encourager. Sa prochaine tâche de l’après-midi était de vérifier la conformité de l’installation de forage qui avait été mise en place quelques jours plus tôt dans un nouveau secteur.
Pressant le pas, elle se rendit rapidement aux archives. Balayant du regard l’ensemble des étagères de la pièce, elle ressentit une excitation positive. Enfin elle avait le sentiment de faire quelque chose de bien.
Elle s’immobilisa. Il existait encore des plans papier de la base minière. Elle ne serait pas obligée de consulter de carte à puce dont la consultation pouvait être répertoriée.
Soigneusement, elle commença à les dérouler. Ils étaient poussiéreux, avec une odeur de vieux livre. Personne ne les avait consultés depuis la fin de la construction, qui ne datait pourtant pas de si longtemps ?
Une fois les plans étalés sur la grande table en verre qui trônait au centre de la salle, elle scruta minutieusement chaque possibilité d’infiltration.
Ses yeux suivaient chaque ligne noire dessinée sur les croquis froissés. Après plusieurs minutes, elle commençait à perdre espoir. Aucune ne convergeait vers la nouvelle installation de forage.
La résignation la gagnait petit à petit, jusqu’à ce qu’une idée lui traverse l’esprit, ce qui la fit se redresser d’un bond. Les conduits d’aérations. Ils n’étaient pas tracés sur ces plans là.
Elle farfouilla parmi l’amas de rouleaux entreposés et finit par trouver le bon.
Une lueur éclaira ses pupilles vertes. Elle avait vu juste. Une gaine de ventilation lui permettrait de relier les deux zones.
Après avoir rangé les documents à la va-vite, elle se dirigea d’un pas rapide vers le secteur de forage.
Le sas s’ouvrit et elle entra. C’était silencieux, désert. Parfait pour sa mission. Tant que son inspection n’homologuait pas l’implantation des machines, personne n’avait de raison de venir là.
Elle déposa son dispositif auditif à l’endroit où se trouvait le plus d’engins. Normalement, MA// ne devrait pas se rendre compte de son immobilité.
Une fois la grille désolidarisée du large tuyau, elle se hissa sans peine à l’intérieur d’un geste fluide et assuré.
Il faisait noir. S’éclairant d’une lampe de poche, elle commença à avancer. Aux embranchements, elle tournait dans la bonne direction. Deux fois à gauche, trois fois à droite, gauche, et enfin droite. Elle avait retenu les différents virages à effectuer.
Le conduit était relativement propre, seule l’odeur de métal était encore plus forte une fois à l’intérieur.
Sa progression était rapide, elle avait appris à ramper efficacement lors de sa formation militaire. Ce n’était pas une activité qu’elle faisait régulièrement, mais ça ne s’oublie pas.
Ses battements de cœur s’accélérèrent. Après un dernier changement de direction, elle toucherait au but.
Elle pivota vers la gauche… et s’arrêta.
Une odeur la troubla. C’était très léger, mais étrange. Ça sentait le soufre. Et peut-être aussi la putréfaction.
À quelques mètres, se trouvait l’issue vers l’interdit. Elle pouvait encore renoncer, faire demi-tour.
Si près du but, ce serait bête de ne pas continuer. Elle se remit en marche, s’approchant de plus en plus de la grille.
Un bruit de fracas retentit, son pied heurta violemment le métal. Rien ne bougea.
Passant sa lampe dans les recoins, elle constata que la bouche d’aération avait été soudée solidement au pourtour.
Elle n’avait pas envisagé cette possibilité, tous les accès sans exception avaient été sécurisés.
Elle tenta de regarder, dirigeant le faible faisceau lumineux de sa lampe à travers la grille. Espérant voir quelque chose de probant. Mais elle ne put apercevoir qu’un long couloir vide, qui se prolongeait en un dédale d’autres chemins infinis.
Sa tête cogna la face supérieure lorsqu’un bip résonna dans la canalisation. Le volume devait être extrêmement fort pour qu’elle l’entende depuis sa position.
Elle ne perdit pas un instant et rebroussa chemin.
Le sommet du crâne en sueur, elle s’extirpa de la ventilation. Le son était assourdissant.
Elle resta accroupie, haletante. Son cœur battait. La sueur coulait le long de ses tempes.
Elle se précipita vers son appareil auditif. Le bruit cessa à peine l’avait-elle pris en main.
« Agent Jones, je m’inquiétais pour toi. Ton silence était inhabituel, j’étais sur le point d’appeler le service d’urgence. Est-ce que tout va bien ? » lui demanda la voix.
« Oui, tout va bien, fausse alerte. Je t’avais simplement ôté un instant lors de l’inspection des machines. Il m’arrive de me pencher ou passer sous certains moteurs. Je préférais ne pas prendre de risque » Elle s’étonnait d’avoir menti sans la moindre hésitation et d’avoir eu tant d’aplomb.
Il faisait calme. Seul le cliquetis d’une hélice mal ajustée troublait le silence. Une chaleur étrangement humide envahissait l’espace.
Au milieu de la pièce, un corps inanimé. Une traînée de sang s’en échappait. Au bout de la piste d’hémoglobine séchée, quelque chose s’agita, brisant la quiétude.
Le petit crâne de la créature bougeait, suivi par un mouvement identique à côté d’elle.
Les deux têtes tournaient de gauche à droite, à l’unisson, comme pour chercher à comprendre où elles se trouvaient.
Ils restèrent immobiles assez longtemps, la respiration calée l’un sur l’autre.
Ils étaient tapis dans l’ombre, semblant attendre tout en surveillant les alentours. S’assurant à tout moment de la sécurité de l’autre.
Parfois ils changeaient de position dans un ballet synchronisé étonnant.
Il ne s’agissait pas d’une imitation mais d’une connexion presque fusionnelle.
Les bêtes commencèrent leur croissance. En peu de temps, elles avaient déjà doublé de volume.
Tout à coup leurs corps se mirent à trembler. La peau translucide se gonfla. Durant un instant elle n’effleurait plus les organes mécaniques. Ceux-ci reprenaient ensuite leur place en s’étirant et grossissant.
Ce développement se répéta à de nombreuses reprises.
Finalement, dans un bruit discret de craquement, leur peau se mit à se fendre. Des fragments humides glissèrent au sol.
Le nouvel épiderme était d’un noir intense. Lisse et rigide. Extrêmement résistant.
La mue s’était déroulée à une vitesse hors du commun.
Sur leur dos, cinq appendices avaient fait leur apparition. Ils semblaient sonder l’environnement.
En seulement quelques heures, les petites créatures violentes mais chétives, s’étaient transformées en deux monstres biomécaniques de plus de deux mètres.
Ils se redressèrent et s’avancèrent avec une agilité féroce.
Leurs énormes crânes allongés et cylindriques luisaient malgré la pénombre. Ils étaient devenus massifs et terrifiants. Leurs queues longues et fines, menaçantes et terminées par des pointes acérées, caressaient lentement le sol.
Ils étaient deux.
Deux prédateurs parfaits.
Chaleur,
Pression,
Mouvement,
Signal,
Unité,
Expansion,
Calme.
MA//LOG 047 : Analyse de la menace et plan d’action
- Analyse des échantillons biométriques :
- Forme de vie étrangère
- Hostilité avérée
- Objectif : contenir l’hostilité dans sa zone
- Réalisable
- Action :
- Mise en place d’un nouveau protocole pour maintenir la production.