Rien comme prévu

Chapitre 2 : Rien comme prévu - Chapitre 2

2466 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2018 16:28

- Qu'est-ce qu'il s'est passé entre Nathaniel et toi ?

Peggy venait de débouler derrière moi, dans le couloir de chimie.

- Qu'est-ce que tu me veux ?

Est-ce qu'elle nous aurait vu hier soir, au parc ? Et si c'est le cas, quel genre de conclusion elle a bien pu tirer?

Elle vint se placer face à moi et attendit que le flot d'élèves disparaisse pour reprendre. Elle alluma l'enregistreur caché dans son sac et tendit un micro dans ma direction.

- Vous êtes les meilleurs ennemis du lycée, je me trompe ?

Sans même attendre ma réponse, elle poursuivit.

- Vous ne pouvez pas vous trouver à moins de cinq mètres l'un de l'autre sans vous sauter dessus ou vous insulter. Alors comment se fait-il que Nathaniel, notre délégué principal et meilleur élève du lycée, et donc par conséquent, ton ennemi juré, ait pris ta défense ? Comment peut-il te donner raison, te soutenir, et surtout : pourquoi ?

Là, elle rapprocha un peu plus le micro de moi.

- Mais enfin, de quoi tu parles ?!

Alors ce serait ça ? Elle nous aurait espionné... elle s'est cachée derrière un buisson ou quoi ? Et puis, je ne vois pas vraiment dans quel but. Même moi, je ne m'attendais pas à ce qu'il vienne me voir, surtout pour me dire ça.

Je comprenais maintenant mieux pourquoi Miss Scoop était si surexcitée. Les news people de Nathaniel et Castiel... quelle affaire.

- Nathaniel a pris ta défense devant la directrice, tout à l'heure. Tu dois bien y être pour quelque chose... Alors dis-moi tout ! De toute façon, je finirais par le savoir alors autant que tu dises la version qui t'arrange, conclu-t-elle, enthousiaste.

Je restais là, bloqué, les yeux écarquillés, incapable de sortir le moindre son.

- Tu... tu n'étais pas au courant ?

Je fis un léger signe de tête négatif.

- Mais enfin, tu ne t'es pas demandé pourquoi la directrice ne t'avait rien dit concernant ta mystérieuse disparition d'hier après-midi ?

- Je croyais qu'elle était absente...

- Bien sûr que non ! Alors là, je ne comprend plus rien ! Pourqu...

- Qu'est-ce qu'il a dit exactement ?

- Qu'en ce moment, beaucoup de monde était malade et que c'était ton cas hier aussi, sûrement une épidémie, blablabla. Il l'a pas mal baratiné et comme tu as rempli tous tes papiers comme il faut à temps, elle a dit qu'elle ne t'en tiendrait pas rigueur.

- Mais je n'ai pas...

Merde. Il valait mieux ne pas dire que je n'avais toujours pas fait de justificatif, ça amplifierait trop sa curiosité.

- Je ne savais pas. Mais bon, c'est la vérité, alors y a rien d'exceptionnel, il a juste fait son boulot.

- Mais comment expliques-tu d'être sorti précipitamment de cours ?

- Comme il l'a dit, j'étais malade. Je suis sorti vomir.

- Oh...

- Désolé pour ton scoop, intéresse-toi plutôt à sa sœur qui a réussi le pari impossible d'avoir un nombre de neurones négatif. Allez ciao !

Vexée, elle lâcha un dernier «fait chier» avant de s'éloigner.


C'était mon dernier cours de la journée. Je sortais donc rejoindre Lysandre, qui m'attendait devant le lycée. Il discutait avec Alexy, un nouveau, arrivé y a pas très longtemps avec son frère jumeau. Ils étaient dans notre classe tous les deux d'ailleurs. On les avait vite repéré. Surtout Alexy avec ses cheveux bleus clairs.

- Tiens, rebonjour Castiel. J'accompagne Alexy pour lui montrer la boutique de vêtements de mon frère, ça ne t'ennuies pas ?

- Aucun problème.

- Tu es sûr ?

- On a fait le trajet ensemble ce matin et on s'est vu toute la journée, je ne vois pas en quoi ça me gênerait.

- C'est cool, mec ! s'exclama Alexy. C'est juste que je suis accro aux fringues et j'aimerais bien voir ce que fait son frangin.

- Ça marche. Éclatez-vous bien. À demain !

- Salut !!!

On partit donc en direction opposées.

Pendant que je marchais, je me répétais en boucle les paroles de Peggy. Moi-même, je ne comprenais pas. J'comprenais plus rien. Déjà, le coup d'hier m'avait laissé sur le cul, mais là ! Enfin merde, il joue à quoi ?! Et puis, venant de lui, quelque chose clochait. À moins qu'il pense vraiment ce qu'il m'ait dit... Alors ce serait de la culpabilité ? Mmm...étrange. De sa part, je m'attendais au pire. Je lui faisais toujours des sales coups et il savait bien me les rendre. De façon très subtile même. Peut-être que c'était un de ses plans pour me faire un coup foireux ? Après tout, il avait toujours cherché à me faire virer. Et je faisais pareil d'ailleurs.

Décidé à tirer cette histoire au clair, je me dépêchais de rentrer afin de le croiser. Je voulais avoir une discussion avec lui.

Malheureusement, en observant attentivement devant chez lui, il semblait n'y avoir encore personne. Il était sans doute resté au lycée pour travailler... Sérieux, mais qu'est-ce qu'il peut bien trouver à cet endroit ? C'est un bahut chiant, avec des profs chiants, une directrice chiante, ...enfin tout pour vouloir y passer le moins de temps possible ! Heureusement qu'il y a le coin avec le banc près du jardin et le sous-sol pour traîner un peu. Franchement, je vois pas où est le confort... Rien ne vaut mon bon vieux canapé ! :)

En parlant de lui, j'étais rentré chez moi et m'étais étalé dessus.

J'élaborais mon plan. Un peu plus tard dans la soirée, je retournerai chez lui. Enfin, pas exactement «chez» lui. Sa voisine de gauche est une vieille complètement sourde et son «voisin» de droite est une ancienne fabrique abandonnée. Le toit y est plat et je peux aisément y grimper. À moins qu'il ne s'effondre sous mon poids, j'aurais une bonne planque pour observer Nathaniel dans sa chambre. Ainsi que les principales pièces de la maison d'ailleurs. Je le sais car j'ai surpris une conversation d'Ambre une fois. Elle râlait parce qu'elle n'avait pas sa chambre à l'étage, contrairement à celle de son frère. Puis ses caniches l'ont réconforté en disant qu'il valait mieux être au rez-de-chaussée car au moins, elle n'était pas voisine de celle de ses parents, donc plus d'intimité, et qu'elle n'aurait pas à supporter les odeurs de cuisine qui remonteraient.

Pathétique comme vision des choses, je confirme. Mais bon, que voulez-vous : des cons, il y en a partout ! Et puis, ça doit être de famille !

En tout cas, de mon repère, je pourrais observer le comportement de mon cher délégué et voir si quelque chose cloche. Et s'il prépare un sale coup, je serai aux premières loges !


Après avoir discuté de tout et de rien avec Lysandre pendant près d'une heure au téléphone, je pris une douche et me fis des sandwichs. Je remplis mon sac avec et pris aussi mon appareil photo, au cas où j'aurais besoin de preuves.

La soirée allait commencer.


Je marchais tranquillement le long des trottoirs, mon sac sur le dos et ma musique à fond dans mon casque. Au loin, j'observais le soleil, qui se couchait.

Arrivé près de chez Nathaniel, je pris un petit sentier afin de passer par derrière.

Des briques entassées, des poubelles et des grosses caisses de bois empilées formaient une sorte d'escalier jusqu'au toit. Je grimpais donc sans trop d'encombre.

Le toit était le lieu idéal. Je voyais tout sans être vu de personne. Même l'horizon semblait plus beau d'ici. Je me jurais de faire de ce lieu ma planque et de revenir dès que possible.

En observant la maison de ce crétin, elle était cohérente avec les nombreuses descriptions faites par Ambre, et l'image que je m'en étais faite. Enfin, du moins, du côté où je me trouvais. Je devinais que la chambre quasi vide et sans décoration exceptée la pile de livres posée sur le petit bureau était celle de Nathaniel. Et effectivement, la cuisine se trouvait juste en dessous et la chambre parentale, juste à côté de la sienne.

Sa mère venait d'ailleurs d'entrer dans la cuisine et semblait réfléchir à ce qu'elle allait faire comme repas. Elle appela quelqu'un. Moins de cinq secondes plus tard, Nathaniel arrivait. Un vrai toutou... C'était même très bizarre. Il ne regardait jamais sa mère dans les yeux et accompagnait ses signes de tête (toujours positifs) d'une légère inclinaison du buste. Je pouvais l'imaginer d'ici dire des «oui, mère» et la vouvoyer.

C'en était presque pitoyable, son air de chien obéissant.

Il commença à mettre la table. Je ne fus surpris qu'à moitié de ne pas voir Ambre. Après tout, la vaisselle, c'est dangereux.

Quand ils passèrent à table, je sortis mes sandwichs.


Je les observais maintenant depuis à peine plus de vingt minutes et j'étais de plus en plus curieux. Je faillis renoncer à mon plan, ayant la vague impression de me transformer en Peggy. Mais je finis par me faire une raison. Moi, c'était complètement différent ! Et surtout totalement légitime ! Il faut bien se défendre, s'il prépare un mauvais coup...

Bref. Je finissais donc de manger tranquillement dans mon coin en ne les observant que de temps en temps. J'essayais de comprendre cet étrange personnage que je détestais tant.

Ses parents avaient une bien drôle d'éducation. Ils semblaient ne s'intéresser qu'à leur fille, se faisaient servir par leur fils et lui laissait toute la vaisselle à faire sans l'aider le moins du monde. En plus de ça, ils ne donnaient pas l'impression de se soucier de lui, le laissant manger en silence dans un coin de la table, et claquant du doigt ou criant un ordre quand ils avaient besoin de lui. Seule sa mère lui parlait de temps en temps lorsqu'ils n'étaient que tous les deux dans la cuisine.

Une vraie p'tite dictature...

J'essayais d'effacer cette pensée de ma tête. Elle me rappelait de bien tristes souvenirs.

Après tout, je voyais tout mais n'entendais rien. Je me faisais sûrement des idées.

Pourtant, malgré tous mes efforts, mon passé ne cessait de refaire surface. Ce soir particulièrement. Surtout lorsque je vis son père revenir dans la cuisine pour se servir des verres d'alcools, et sa mère, l'observant au loin, baisser la tête et ne rien dire.

Nathaniel, lui, était dans sa chambre et travaillait. Encore. À ce demander ce qu'il peut bien lui rester comme devs après le temps qu'il y passait au lycée et chez lui. À croire qu'il n'est pas bien efficace.

Au rez-de-chaussée, son père avait fini de boire et était complètement soûl. Je vis sa mère ouvrir la fenêtre. Sûrement pour dissiper l'odeur d'alcool.

Désormais, si je me concentrais, je pouvais entendre leur conversation. Enfin, si je faisais abstraction de la musique qu'avait mis Ambre en boucle dans la salle de bain, à en juger par le fait que j'entendais également l'eau couler et la voix d'Ambre crier par dessus un groupe qui faisait déjà des chansons de merde.

Je n'ai pas tout compris mais j'ai pu comprendre des bribes de mots tels que «travail», «fatigue», «ras-le-bol», «Nathaniel», «faute», etc. J'en conclus donc qu'il avait passé une journée bien chiante et que Nathaniel n'avait pas tout bien fait comme il faut.

Là, inconsciemment, je le sentais mal.

Je fermais les yeux et essayais de reprendre un souffle plus régulier, mais rien à faire. Des flashs de souvenirs défilaient devant mes yeux. Je me sentais ridicule.

Malheureusement, mes soupçons vinrent à se confirmer...


Nathaniel sursauta lorsque son père surgit dans sa chambre. Il titubait et s'avançait vers lui en jurant toutes sortes de choses. Nathaniel se colla contre un mur et glissa le long, comme à la recherche d'une sortie de secours. Il semblait tenter de trouver les mots justes pour calmer son père mais rien ne marcha. Il le prit par le col et lui envoya un énorme coup de poing à la figure. Nathaniel tomba à terre et tendit une main vers son père en signe de stop en criant quelque chose comme «pas le visage». C'est la seule chose qui sembla le calmer un peu.

Là je compris que ce n'était pas la première fois. C'était vraiment horrible.

Son père repris de plus belle en le martelant de coups de pieds dans le ventre et le dos. Puis, il lui attrapa les cheveux et le tira vers le haut pour qu'il se relève. Tout ça pour lui asséner un nouveau coup en plein estomac. Nathaniel cracha du sang. Une partie atterri sur le vêtement du père, ce qui le mit dans une colère encore plus noire qu'elle ne l'était déjà. Il jeta son fils par terre, tel un vulgaire déchet et sortit sa ceinture dans un mouvement brusque et rapide, puis finit par lui infliger une dizaine de coups.

J'étais paniqué, paralysé par la peur, recroquevillé sur moi-même en position fœtale. Mes larmes brouillaient ma vue.

Et je les entendis. Ces mots : «sous-merde», «céder», «obéir», «tu n'es rien».

C'en était trop. Je me levais et sautais du toit. J'atterris difficilement, mais je savais qu'à quelques mètres de moi, la douleur était encore plus insupportable. Pris dans mon élan, je fis tomber une poubelle et elle heurta le sol avec fracas. Ceci sembla inquiéter le père de Nathaniel qui ouvrit les fenêtres pour mieux voir. Je me cachais derrière un muret. De toute façon, dans son état, je doute qu'il voit très clair.

Puis il les referma et ce fut le silence. Peut-être avais-je attiré l'attention de son père et il en avait oublié sa colère ? Ça semblait se confirmer puisque la lumière de la chambre des parents s'alluma.

C'était déjà un «bon» point mais je ne pus m'empêcher de me demander comment il pouvait dormir après ça, alors que son fils était à même le sol, pleurant silencieusement en crachant du sang ?


Je ne pris pas la peine de continuer à réfléchir. Je courais. Je courais et je courais autant que je le pus jusqu'à arriver chez moi, en sueur et en larmes.

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