Entre Vengeance et Chaos
La nuit pesait sur Starling City comme un voile de plomb. Le brouillard s’accrochait aux toits, glissait sur les façades de verre, engloutissant les ruelles dans un silence de plomb. Même les sirènes semblaient s’être tues, étouffées par cette chape grise qui effaçait les contours du monde. Sam n’avait pas dormi depuis deux jours. Son appartement, minuscule, réduit à quelques murs nus et à un bureau couvert de dossiers, lui donnait la sensation d’être enfermée dans un tombeau. Les stores tirés laissaient passer une lueur blafarde, celle des néons extérieurs, qui découpait ses traits en angles durs. Une odeur de café froid et de métal flottait dans l’air, mêlée à celle du cuir de son blouson. Sur l’écran, figée dans la lumière bleutée, la photo de ses parents occupait tout l’espace. Deux visages souriants, pris dans le soleil d’un autre temps. Elle resta là, immobile, les yeux rivés sur eux. Chaque pixel de cette image semblait lui transpercer le cœur, rappelant cette douleur muette qu’aucun combat, aucune mission, aucune victoire n’avait jamais réussi à dissoudre. Ra’s al Ghul lui avait tout appris. La discipline, la patience, la maîtrise du corps et de l’esprit. Mais il ne lui avait jamais appris à survivre à l’absence. La solitude, elle, avait été sa seule maîtresse. Elle fit glisser ses doigts sur l’écran, lentement, effleurant le visage de sa mère, puis celui de son père. Un geste presque tendre, presque humain, qu’elle s’autorisait rarement.
« Maman… papa… » murmura-t-elle.
Les mots s’évanouirent dans le silence comme une prière que personne n’entend. Puis, soudain, l’écran clignota. Un léger bourdonnement monta, presque imperceptible au début, comme un souffle parasite glissant dans les circuits. L’image se mit à vibrer, le visage de ses parents se déforma, avalé par des lignes de code et des interférences. Un éclat de lumière, un clignement encore. Et tout disparut. À la place, une nouvelle image surgit. Plus nette. Plus froide. Le contraste était saisissant, presque irréel, comme si le passé venait d’être effacé pour laisser place à un avertissement. La photo était récente. Prise à Nanda Parbat. Elle le sut instantanément. Le décor, les colonnes gravées, la lumière dorée sur les pierres millénaires… elle aurait pu reconnaître ce lieu entre mille. Là où tout avait commencé. Là où tout aurait dû se terminer. Le souffle de Sam se coupa net. Son cœur s’arrêta une seconde, puis repartit trop vite. Au centre de l’image, debout, imposant, Ethan Hunt. Vêtu de noir, le col de sa veste relevé, les bras croisés dans cette posture arrogante qu’elle lui connaissait trop bien. Son regard n’était pas tourné vers l’objectif, mais légèrement de côté. Comme s’il savait qu’elle verrait cette photo. Et sur ses lèvres, ce sourire. Un sourire calme, froid, parfaitement calculé. De part et d’autre de lui, deux silhouettes : capuches abaissées, armes visibles, postures raides. Les symboles tatoués sur leurs avant-bras suffisaient à confirmer ce qu’elle redoutait : la Ligue des Assassins. Le monde sembla basculer autour d’elle. Le bruit du néon au-dessus de sa tête devint assourdissant, le tic-tac d’une horloge invisible résonna dans sa poitrine. Son cœur rata un battement. Puis un autre. Sa main se crispa sur le rebord du bureau, ses doigts blanchis par la tension. Le bois grinça sous la pression. Elle aurait voulu détourner le regard, mais ne le pouvait pas. Cette image la tenait prisonnière. Preuve tangible de la trahison, mais aussi du lien qu’elle n’avait jamais vraiment brisé. Ethan n’était pas un fantôme du passé. Il était là. Vivant. Et il venait de lui rappeler qu’il connaissait encore la route jusqu’à elle. Les symboles sur les murs derrière lui, les armes, les gestes… tout coïncidait. Ce n’était pas un hasard. Pas une manipulation. Hunt n’était pas seulement un traître. Il avait été l’un des leurs. Un frère d’ombre, formé aux mêmes rites, forgé par la même discipline. Et s’il se tenait à nouveau dans ces murs, au cœur même de Nanda Parbat, cela ne signifiait qu’une chose : il était revenu là où tout avait commencé. Non pas en fidèle, mais en ennemi. Celui qui connaissait leurs secrets, leurs codes, leurs faiblesses. Celui qui pouvait, à lui seul, faire tomber la Ligue… ou s’en servir pour frapper plus fort que jamais. Sam se redressa lentement, les yeux brûlants de colère et de peur mêlées. Son reflet dans l’écran lui renvoya l’image d’un fantôme : cernes creusés, peau livide, mâchoire serrée. Une guerrière sans repos. Une survivante que le passé refusait de lâcher. Le brouillard dehors s’épaississait, avalant les lumières de la ville comme une mer grise. Et dans cette obscurité, la vérité prit forme, froide et implacable. Ethan Hunt n’était pas un revenant. Il n’était pas revenu à la Ligue. Il l’avait trahie, saigné ses secrets, vendu ses ombres. Mais il n’avait jamais cessé de rôder autour d’elle. Comme un prédateur blessé qui connaît encore l’odeur du sang. Chaque pas qu’elle avait fait loin de Nanda Parbat, chaque mission, chaque silence… il les avait suivis, calculés, anticipés. Il l’avait observée depuis l’ombre qu’il prétendait avoir abandonnée. Et maintenant, il la provoquait. Pas pour la faire revenir. Mais pour la briser là où la Ligue avait échoué. Elle sentit un frisson lui remonter la colonne, mélange de rage et de lucidité. Ce n’était plus une chasse. C’était une guerre. Et cette fois, c’était personnel. Elle se leva d’un bond, le souffle court, la rage lui montant à la gorge. Un seul geste, brusque, fit voler la table : les papiers s’éparpillèrent dans l’air comme des cendres, retombant lentement autour d’elle. Des fragments de son passé et de son présent s’entremêlaient sur le sol. Rapports, photos, notes griffonnées, visages oubliés. L’air vibrait d’une tension presque électrique. Chaque battement de son cœur résonnait dans la pièce vide, lourd et irrégulier. Dans ses veines, la mémoire du sang versé et de la loyauté trahie reprenait vie, brûlante, indomptable. Elle recula d’un pas, vacillante, puis se laissa tomber dans le fauteuil. Ses mains tremblaient, son souffle heurté brisait le silence comme un cri étouffé. L’appartement, d’ordinaire si froid, paraissait soudain trop étroit, saturé de fantômes invisibles. Sous ses paupières closes, les images du passé éclatèrent : le feu dévorant les murs, les cris étouffés, le fer s’entrechoquant dans la nuit. Et parmi ces visions : le visage de son père. Cet homme droit, au regard clair, à la voix toujours calme, même dans la tourmente. Elle revit ses bras la soulevant, la pressant contre lui, avant de la confier à Ra’s al Ghul. Un instant suspendu, une promesse silencieuse avant que les flammes ne l’engloutissent. Le souvenir s’effaça dans un souffle, ne laissant derrière lui que le vide et l’odeur du papier brûlé.
FLASHBACK — DIX-SEPT ANS PLUS TÔT
L’air empestait la fumée et le métal brûlé. Elle n’avait que quatre ans. Ses petites mains tremblaient, noircies de suie. La pluie mêlée aux cendres dessinaient sur sa peau de minces rivières grises. Chaque respiration lui arrachait la gorge. L’air semblait trop lourd, trop chaud, saturé du cri des flammes.
« Cours, Sam ! »
La voix de son père fendit le chaos. Ce n’était plus celle de l’agent implacable qu’elle voyait parfois s’entraîner dans la cour, mais celle d’un homme. D’un père, prêt à tout pour sauver ce qu’il aimait. Elle resta figée un instant, incapable de comprendre, ses yeux grands ouverts sur le brasier. Une ombre surgit derrière lui. Ethan Hunt. Plus jeune, mais déjà ce même sourire glacé, cette assurance tranquille, d’une froideur presque élégante, Hunt avançait entre les flammes avec ce même aplomb qui faisait frissonner même les plus braves. Ses yeux d’acier se posèrent un instant sur la fillette, avant de revenir vers son père. Ce dernier se plaça aussitôt devant Sam, le souffle court, une dague sanglée encore à la main.
« Pourquoi, Ethan ? » gronda-t-il. « Tu avais juré fidélité à la Ligue. À nous. »
« J’ai juré de servir la vérité, pas un tyran qui se cache derrière des ombres, » répondit Hunt, la voix calme, presque tendre.
« Et c’est pour ça que tu massacres les tiens ? »
« Pour les libérer. »
Un silence tendu suivit. La pluie redoubla, les flammes crépitèrent, dévorant les murs de leur maison. Hunt resta immobile, silhouette noire découpée dans la lueur du brasier.
« Ra’s ne te pardonnera jamais, » souffla-t-il.
« Je n’attends pas son jugement. »
Son père le fixa, incrédule.
« Tu trahis la Ligue ? Pour quoi ? Pour qui ? »
« Pour la vérité, » répondit Hunt, et son sourire se fit plus froid encore. « Pour moi. »
Le geste fut rapide, précis, sans la moindre hésitation. La lame traversa la pluie, effleurant la lumière des flammes avant de s’enfoncer dans la chair. Sam n’eut pas le temps de comprendre. Seulement le bruit. Ce son lourd, humide, du corps de son père s’effondrant à genoux, puis sur le sol. Le sang se mêla à l’eau, traçant des sillons rouges dans la boue. Les yeux de son père cherchaient les siens, encore ouverts, emplis d’une dernière injonction.
« Va… »
Alors elle avait couru. Ses pieds nus frappaient la terre détrempée, son souffle saccadé se mêlait à la tempête. Derrière elle, le feu dévorait tout : leur maison, leurs souvenirs, jusqu’à leur nom. Et cette image. Celle du corps de son père, étendu dans la pluie, les yeux tournés vers le ciel, ne l’avait jamais quittée. Elle s’était gravée en elle comme une cicatrice brûlante, que ni le temps ni les entraînements ne parvinrent jamais à effacer.
Le présent la rattrapa brutalement. Sam sursauta, haletante, le cœur battant si fort qu’elle en sentit la douleur dans sa poitrine. Ses doigts tremblaient encore, crispés sur le bord du bureau. La pièce lui parut soudain trop étroite, trop silencieuse. Le goût métallique du souvenir lui restait dans la bouche. Hunt. Ce nom résonna dans son esprit comme une lame tirée de son fourreau. Il n’avait pas seulement tué ses parents. Il avait trahi la Ligue, souillé tout ce qu’elle avait été forcée d’aimer, de craindre, de respecter. Et maintenant, il revenait. Non pas pour frapper, mais pour raviver la plaie, pour la regarder saigner. Une colère froide monta en elle, si pure qu’elle en eut presque peur. Sam se leva, fit quelques pas, cherchant à respirer. Le reflet de la ville noyée de brouillard dans la vitre lui renvoya l’image d’une survivante en guerre contre ses propres fantômes. Elle tendit la main, activa son communicateur d’un geste sec. Sa voix, quand elle parla, était rauque, brisée par la tension :
« Oliver ? »
Un grésillement. Puis la réponse arriva, rapide, essoufflée, comme s’il courait déjà vers le danger :
« J’allais justement t’appeler. »
Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent sur un toit surplombant Starling City. La pluie venait de reprendre, fine et constante, tissant un voile argenté entre les gratte-ciel. En contrebas, les néons des docks se reflétaient sur l’eau noire du port, où les cargos semblaient flotter dans une brume épaisse. Les sirènes lointaines se mêlaient au grondement du vent, étouffées par la hauteur et le tumulte du ciel. Oliver se tenait près du rebord, silhouette sombre découpée par les éclairs. Sa capuche baissée, l’eau ruisselait sur son visage marqué. Ces traits d’homme usé par trop de batailles et de pertes. Ses yeux bleus, d’ordinaire aussi froids que l’acier, brillaient d’une lueur plus douce lorsqu’ils embrassaient la ville. Une mélancolie tranquille, presque résignée. Derrière lui, Sam demeurait immobile. Ses bras croisés sur la poitrine, les mèches noires de ses cheveux collaient à ses tempes sous la pluie battante. Ses yeux bleus, d’un éclat presque surnaturel, reflétaient la lumière des enseignes, comme des éclats de jade dans la nuit. Mais au fond, il n’y avait que rage et fatigue. Un feu contenu derrière un calme fragile.
« Tu sembles ailleurs », dit Oliver d’une voix basse, presque couverte par le bruit des gouttes.
« Je le suis. »
Il tourna légèrement la tête, sans vraiment la regarder.
« C’est à cause d’Hunt ? »
Elle hocha la tête, le regard rivé sur l’horizon noyé de pluie.
« Je viens d’apprendre qu’il faisait partie de la Ligue. »
Une ombre passa dans les yeux d’Oliver.
« Tu en es sûre ? »
« Je l’ai vu. Une photo. Récente. Il a encore des contacts là-bas. »
Le vent siffla entre les antennes et fit claquer une bâche oubliée sur un toit voisin. Leurs respirations se mêlaient au rythme régulier de la pluie frappant le métal et la pierre.
« Alors c’est plus qu’une vengeance », murmura Oliver.
« C’est personnel. »
Sam tourna la tête vers lui, son regard bleu perçant à travers la brume.
« Ça l’a toujours été. »
Oliver détourna les yeux, un soupir lui échappant. Il connaissait cette obsession, cette douleur qu’on croit dompter mais qui finit par nous consumer.
« Sam, écoute… je comprends ta colère, mais si tu continues comme ça, tu vas finir comme moi. À tout perdre. »
Elle esquissa un sourire amer.
« Et pourtant, tu continues de te battre. »
Il haussa les épaules, la pluie ruisselant sur sa veste sombre, chaque muscle tendu.
« Parce que j’ai appris à ne plus le faire pour moi. »
Sam resta muette. Les mots glissèrent sur elle comme la pluie sur le cuir trempé de ses gants. Puis, dans un souffle à peine audible :
« Et si je ne sais pas pour qui me battre ? »
Oliver se tourna alors vers elle. Ses yeux bleus, empreints d’une clarté presque irréelle sous les éclairs, captèrent les reflets des néons. Il la regarda longuement, comme s’il voulait traverser la tempête qui grondait en elle.
« Alors bats-toi pour ce qu’il reste de toi. »
Un éclair fendit le ciel, illuminant leurs visages. L’espace d’un instant, Sam sembla vaciller. Une ombre fragile dans la lumière blanche. Le poids du passé, la solitude, la culpabilité s’écrasèrent sur elle comme une vague trop lourde. Oliver fit un pas, puis un autre, jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres.
« Tu n’as pas à porter ça seule. »
Sam leva les yeux, sa gorge serrée, ses pupilles bleues noyées de pluie.
« Tu ne comprends pas. Tout ce que je touche finit par mourir. »
Oliver esquissa un sourire triste, presque imperceptible.
« Alors touche-moi. »
Il posa doucement sa main sur la sienne. Le contact fut bref, mais chargé d’une intensité presque électrique. Ce n’était plus une promesse silencieuse, mais une déflagration contenue. Celle de deux êtres qui avaient trop longtemps refoulé la douleur, la peur, le désir. Sam sentit la chaleur remonter dans ses veines, briser la glace qu’elle avait érigée autour d’elle. Son cœur battait si fort qu’elle crut l’entendre résonner dans la pluie. Oliver s’approcha davantage, leurs souffles se mêlant, lourds et heurtés. Cette fois, elle ne recula pas. Il leva la main, effleura sa joue trempée, traçant du bout des doigts la ligne de sa mâchoire. Ses yeux bleus cherchaient les siens, vibrants d’une colère mêlée de vulnérabilité. Le monde sembla s’effacer autour d’eux. La pluie, la ville, le passé. Il n’y avait plus qu’eux, suspendus entre la peur et le besoin. Et alors, sans hésiter davantage, leurs lèvres se rencontrèrent. Un choc. Brutal. Fiévreux. Le baiser éclata comme une délivrance, mélange de rage et de tendresse, de douleur et de vie retrouvée. Sam s’agrippa à lui, ses doigts glissant sur le tissu trempé de sa veste, cherchant à s’ancrer quelque part, à se prouver qu’elle existait encore. Oliver répondit avec la même urgence, la même fièvre, comme si tout ce qu’il n’avait jamais su dire trouvait enfin sa voie dans ce contact. Le tonnerre gronda au-dessus d’eux, la pluie redoubla d’intensité, mais rien ne pouvait les détacher. Leurs corps se rejoignirent, leurs respirations s’entrechoquèrent, et dans ce chaos humide et incandescent, ils se retrouvèrent enfin. Deux âmes perdues qui, pour un instant, ne craignaient plus de brûler. Et lorsque leurs lèvres se séparèrent, haletantes, leurs fronts restèrent collés. La pluie ruisselait entre eux, mais la chaleur demeurait, palpable, vivante. Oliver murmura, presque à contre-souffle :
« Tu vois… tout ce que tu touches ne meurt pas. »
Sam ferma les yeux. Pour la première fois depuis longtemps, elle sentit autre chose que la douleur. Quelque chose de dangereux, mais terriblement humain. Mais le moment s’effondra aussi vite qu’il était né. Un grondement déchira le silence, suivi d’une explosion qui fit vibrer les vitres alentour. Le ciel s’illumina d’une lueur orange, crue, projetant leurs ombres enlacées sur le mur humide du toit. Pendant un battement de cœur, le monde sembla vaciller. La chaleur du baiser se mêlant à la violence du feu. Sam recula brusquement, les pupilles contractées, encore haletante. Ses yeux bleus reflétaient les flammes lointaines, mêlant l’émotion à une vigilance froide.
« Il veut qu’on le suive », souffla-t-elle, la voix rauque, presque brisée.
Oliver s’était déjà redressé. Le vent fouettait sa veste trempée, plaquant les mèches de ses cheveux contre son front.
« Hunt ? » demanda-t-il, le regard fixé sur la colonne de fumée qui montait à l’horizon.
Elle hocha lentement la tête, son visage redevenu celui d’une combattante. Les muscles tendus, le regard dur.
« C’est son style. Faire du bruit pour cacher la vraie attaque. »
Une deuxième explosion retentit, plus proche cette fois. Les alarmes hurlèrent dans la ville en contrebas. Les néons clignotèrent, et une pluie de cendres commença à retomber sur les toits. Oliver échangea un dernier regard avec Sam. Plus un mot. Leur lien venait de changer. Plus intime, mais aussi plus dangereux. Il tira sur son arc, la corde vibra dans l’air, prête à l’action. Sam rabattit sa capuche, le visage à moitié noyé dans l’ombre. Son pendentif de jade brillait faiblement à la lumière du feu. Sans un geste de plus, ils s’élancèrent ensemble dans la nuit, silhouettes sombres bondissant de toit en toit. Sous leurs pas, Starling City s’embrasait. Et quelque part, dans le chaos, Ethan Hunt souriait.
L’entrepôt n’était plus qu’une carcasse éventrée. Les murs, noircis par la déflagration, exhalaient encore une chaleur suffocante. Des câbles pendus au plafond serpentaient dans le vide, gouttant une pluie noire. L’air empestait la poudre et la cendre. Chaque pas résonnait sur le sol jonché de verre brisé, ponctué du grésillement d’un néon à demi consumé. Au centre du chaos, un pilier tenait encore debout. Sur sa surface de pierre brûlée, un symbole avait été gravé à la lame. Net, précis, presque rituel : le sigle de la Ligue des Assassins. Oliver s’en approcha, les yeux bleus plissés, une ombre de méfiance dans le regard.
« Alors c’est vrai. Il veut t’attirer là-bas. »
Sam resta immobile. La lumière vacillante du feu faisait luire les reflets bleus de ses yeux. Elle s’avança lentement, ses bottes s’enfonçant dans la poussière et les débris. Son regard accrocha le symbole. Un mélange de rage et de détermination froide anima ses traits.
« Non, Oliver. Ce n’est pas lui qui m’y attire. »
Elle leva les yeux vers lui, et Oliver comprit aussitôt. Ce n’était pas la peur qu’il lisait dans ce regard, mais une flamme intérieure, aussi douloureuse que déterminée.
« J’y retournerai, » dit-elle, la voix ferme. « Pas pour me venger. Pas pour fuir. »
Elle marqua une pause, les lèvres tremblantes, puis ajouta plus bas :
« Pour comprendre pourquoi ma famille s’est brisée. Pourquoi l’un des nôtres a trahi. »
Oliver fit un pas vers elle, la pluie dessinant des sillons sur son visage.
« Sam… tu sais ce que ça veut dire. Nanda Parbat, la Ligue… c’est ton passé, mais aussi ce que tu as essayé de laisser derrière toi. »
Elle eut un bref sourire, amer.
« Je n’ai jamais quitté la Ligue, Oliver. Elle est dans mon sang. »
Ses yeux bleus, d’habitude si froids, brillèrent d’une intensité presque féroce.
« Ra’s m’a élevée comme sa fille. Je leur dois tout. Et je ne laisserai pas un traître salir ce que nous étions. »
Le vent s’engouffra dans l’entrepôt, faisant danser les cendres autour d’eux. La pluie frappait le métal brûlé, sifflant sur les débris encore chauds. Oliver s’approcha, le regard inquiet.
« Tu n’as pas à le faire seule. »
Mais elle secoua lentement la tête, déjà reculant vers la sortie.
« C’est à moi de le faire. Pas pour la vengeance… pour l’honneur. »
Elle s’arrêta sur le seuil, sa silhouette découpée par la lueur rouge des flammes qui léchaient les murs. Ses cheveux mouillés collaient à sa peau, ses yeux bleus brillaient comme deux éclats d’acier.
« Si Hunt a trahi la Ligue, alors je le ramènerai à elle. Mort ou vivant. »
Puis elle tourna les talons, disparaissant dans la nuit noyée de pluie. Oliver resta seul, face au pilier marqué du symbole. L’insigne semblait palpiter à la lueur des braises, comme un rappel silencieux de ce qu’elle allait affronter. Il sentit une angoisse sourde se loger dans sa poitrine. Il le savait désormais : ce qu’elle allait retrouver à Nanda Parbat n’était pas seulement la vérité… C’était son destin.
NANDA PARBAT - QUELQUES HEURES PLUS TARD
Sous les montagnes, la salle du Conseil baignait dans une lueur rouge sang. Le feu des torches se reflétait sur les parois de pierre humide, dessinant des ombres mouvantes qui semblaient respirer avec la montagne elle-même. L’air y était lourd, chargé de cendres et d’encens, saturé de tension. Des statues de pierre, à l’effigie des anciens Maîtres, veillaient en silence, leurs visages sévères érodés par le temps. Au centre, le cercle de pierre était gravé d’inscriptions millénaires, symbole d’un serment immuable. Là, Talia al Ghul s’agenouillait, drapée dans sa cape noire brodée d’or. Son visage, sévère et maîtrisé, portait pourtant les traces d’une inquiétude qu’elle dissimulait mal. Ses yeux, deux éclats d’émeraude, fixaient le sol tandis qu’elle parlait d’une voix mesurée.
« Elle a retrouvé la trace de Hunt. »
Un murmure parcourut le Conseil. Plusieurs silhouettes, encapuchonnées, échangèrent des regards furtifs. La flamme des torches trembla, projetant des éclats rougeoyants sur les visages fermés. Une voix masculine s’éleva du fond de la salle, grave et impérieuse :
« Alors il est temps de la rappeler. Elle agit seule, hors du contrôle de la Ligue. »
Une autre, plus rauque, répliqua aussitôt :
« Si elle le retrouve avant nous, elle fera justice à sa manière. Ce n’est pas ce que Ra’s aurait voulu. »
Talia redressa la tête. Son ombre s’allongea sur les pierres noires, majestueuse et implacable.
« Ra’s l’a formée à décider par elle-même. Et Hunt… » Sa voix se fit plus dure. « …a trahi notre sang. Il a vendu nos secrets. Il mérite ce qui vient. »
Un silence pesant tomba. On entendait le crépitement des torches et, plus loin, le grondement sourd des cascades souterraines.
« Et si elle échoue ? » demanda une voix féminine, glaciale. « Il connaît la Ligue, ses accès, ses maîtres. Il a déjà frappé deux de nos avant-postes. »
« Elle n’échouera pas, » coupa Talia.
Ses yeux lançaient des éclairs, sa voix vibrait d’une conviction farouche.
« Elle le trouvera. Et elle le ramènera ici. » Elle marqua une pause, son regard se perdant dans le vide. « Ou elle mourra en essayant. »
Un murmure d’assentiment parcourut la salle, grave, presque rituel. Les silhouettes se redressèrent lentement, comme si la sentence venait d’être gravée dans la pierre même de Nanda Parbat. Talia se releva, le manteau effleurant le sol. Ses traits s’étaient adoucis, un instant seulement, à la pensée de Sam. Ses doigts se refermèrent sur le pendentif qu’elle portait à la ceinture. Un souvenir ancien, symbole de leur lien. Son regard se perdit vers l’un des tunnels menant à la surface.
« Pardonne-moi, ma sœur, » murmura-t-elle. « Mais si tu choisis la vengeance… je serai celle qui viendra te chercher. »
STARLING CITY - PLUS TARD
Sam s’était réfugiée dans un ancien hangar abandonné, à la lisière de Starling City. Le lieu sentait la rouille et la poussière brûlée. Les vitres brisées laissaient passer le vent qui sifflait à travers les poutres de métal tordues. Chaque rafale faisait grincer les chaînes suspendues au plafond, comme un chœur lugubre au-dessus d’elle. Au sol, des flaques reflétaient par intermittence la lumière des éclairs qui zébraient le ciel. Le froid traversait ses vêtements trempés, mordait sa peau, mais elle ne bougeait pas. Assise sur un vieux coffre éventré, elle fixait l’obscurité devant elle, immobile, comme figée entre deux respirations. Les ombres, projetées par la lueur tremblante d’une bougie posée non loin, semblaient danser autour d’elle, déformant les angles du hangar en silhouettes mouvantes. Elle posa lentement son katana devant elle. La lame, encore marquée par la pluie, captait le peu de lumière ambiante et renvoyait un éclat froid. Sam ferma les yeux. Son souffle, d’abord saccadé, retrouva peu à peu un rythme maîtrisé, presque méditatif. Elle tenta d’effacer les images, les visages, la colère… Mais la colère, elle, refusait de s’éteindre. Soudain, un bruit métallique rompit le silence. Un cliquetis sec, étouffé, comme un objet chutant sur la tôle. Sam rouvrit les yeux, aussitôt en alerte. Elle se redressa d’un mouvement fluide, saisit son katana et tourna sur elle-même, son regard fouillant les ténèbres. Puis elle vit l’objet, roulé jusqu’à ses pieds : une petite capsule, tombée de la bouche d’aération au-dessus d’elle. Ses doigts gantés la ramassèrent avec précaution. Elle sentit sous sa peau le froid du métal, encore humide. En l’ouvrant, elle découvrit à l’intérieur un morceau de papier plié en quatre. Les plis étaient nets, méthodiques, presque trop parfaits. Sur le papier, une écriture soignée, familière.
« Chaque feu commence par une étincelle. Tu es la mienne, Sam. E.H. »
Le papier trembla entre ses doigts. Son cœur accéléra, non pas de peur, mais de rage. Le simple contact de ces initiales suffisait à raviver tout ce qu’elle croyait avoir enfoui : la trahison, le sang, la fuite. Elle releva les yeux vers la flamme vacillante de la bougie. Le reflet orangé dansait dans ses iris bleus, éclatant d’une lumière farouche. Le vent s’engouffra dans le hangar, faisant vaciller la flamme sans la faire mourir. Hunt venait de lancer la guerre. Et cette fois, elle ne comptait pas la fuir. Elle allait la terminer.