Entre Vengeance et Chaos
La nuit s’était abattue sur Starling City comme une chape de plomb. Une nuit lourde, poisseuse, où la pluie tombait en nappes fines, sans éclat, effaçant peu à peu les contours du monde. Les rues désertes luisaient d’un éclat blafard, tachées de reflets mouvants venus des enseignes mourantes. Les néons clignotaient par intermittence, répandant sur les flaques d’eau des couleurs malades, verts acides, rouges blessés, bleus noyés, qui se mêlaient comme un sang urbain. L’air sentait la rouille, la poussière et l’électricité. Sam avançait seule, silhouette spectrale parmi les ruelles détrempées. Sa cape sombre, gorgée d’eau, épousait les mouvements rapides de son corps. Sa capuche, tirée sur son front, dissimulait les traits tirés par la fatigue. Seules ses mèches noires, collées à sa tempe, trahissaient le rythme effréné de sa respiration. Ses doigts crispés autour de la garde du katana tremblaient légèrement, plus à cause de la tension que du froid. L’arme reflétait par instants les lumières de la ville, jetant sur les murs une lueur d’acier. Autour d’elle, Starling City respirait à peine. Des papiers trempés collaient aux trottoirs, des grilles métalliques vibraient sous les bourrasques, et quelque part au loin, un chien hurlait, perdu dans l’écho. Les gratte-ciel, silhouettes sombres et muettes, semblaient l’observer depuis les hauteurs, témoins silencieux d’une guerre qu’ils ignoraient. Sam ralentit le pas à l’angle d’une ruelle. Son souffle court formait de petites volutes blanches dans l’air froid. Chaque expiration était un râle, une preuve qu’elle était encore là, encore debout. Malgré tout. Depuis plusieurs jours, elle ne dormait plus. Les cernes marquaient son visage, ombres violacées creusant ses yeux bleus autrefois brillants. Les voix revenaient, insidieuses, nocturnes. D’abord les visages : son père, sa mère. Les cris étouffés, les flammes, les chaînes. Puis Hunt, son regard d’acier, son sourire sans remords. Et enfin Oliver… son nom, murmuré dans le noir, comme un souvenir trop vivant pour être oublié. Mais au-dessus de tout cela, il y avait cette voix. Celle qu’elle n’arrivait plus à faire taire. Une voix basse, glaciale, qui parlait depuis la blessure même qu’elle portait dans le cœur. Une voix qui disait qu’elle était seule. Et qu’il était déjà trop tard pour échapper à l’ombre.
Ce soir-là, la mission avait mal tourné. Une simple infiltration, selon les plans d’Oliver. Un hangar, des trafiquants, une livraison liée à Hunt. Rien d’extraordinaire pour eux. Juste une autre nuit dans l’ombre. Mais quelque chose avait dérapé. Le hangar s’étendait comme une carcasse rouillée, rongée par le temps et la pluie. Les ampoules suspendues grésillaient faiblement, jetant sur les murs des halos jaunâtres où dansaient des insectes épuisés. L’air sentait la poussière, l’huile et le métal froid, un mélange âcre qui collait à la gorge. Des caisses éventrées jonchaient le sol, des traces de bottes s’effaçaient dans la boue que la tempête avait poussée jusqu’à l’intérieur. Chaque goutte tombant du plafond faisait écho dans l’espace vide, rythmé par le bourdonnement lointain d’un générateur à moitié mort. Sam avançait dans la pénombre, le cœur battant trop vite. Sa silhouette se fondait dans les ombres, sa respiration brève se mêlant au bruit de la pluie martelant la tôle. Sous la capuche, son regard flamboyait d’une rage contenue, d’une peur qu’elle refusait d’admettre. Les mots d’Oliver résonnaient encore dans sa tête : Pas de morts, Sam. Juste des réponses. Une erreur. Une seconde de trop. Et le sang avait jailli. L’homme n’avait rien d’un soldat. Pas d’arme. Pas d’intention hostile. Seulement la peur dans ses yeux, cette terreur brute qui traverse un instant avant la fin. Et Sam, aveuglée par la rage, avait frappé trop vite. Trop fort. Le katana avait sifflé dans l’air humide avant de trancher net. Le silence qui suivit fut pire que le cri. Le monde sembla s’arrêter. Le bruit de la lame tombant au sol résonna comme un glas dans le vide du hangar. L’odeur du sang chaud se mêla à celle du métal et de la pluie. Une buée rougeâtre s’éleva dans la lumière tremblante des néons, peignant la scène d’une lueur irréelle. Sam resta figée, les yeux écarquillés, la lame rouge encore dans sa main. Sa poitrine se soulevait à peine. Le goût du fer emplissait sa bouche. Elle fit un pas en arrière, puis un autre. Le corps gisait là, inerte, et tout sembla s’effondrer autour d’elle. La réalité devint floue. Les sons, les formes, tout se dissolvait dans un brouillard de culpabilité. Oliver entra à ce moment-là. Sa silhouette se découpa dans la lumière froide du dehors, trempée par la pluie. Le vent fit claquer la porte métallique derrière lui. Son regard balaya la pièce. Les caisses renversées, le sang, le corps. Puis il la vit. Ses mains couvertes de rouge, son arme encore à terre. Et quelque chose se brisa dans ses yeux.
« Qu’est-ce que tu as fait, Sam ? »
Sa voix était basse, presque un murmure, mais chaque mot vibrait de stupeur et de colère contenue.
Elle voulut parler. Aucune phrase ne vint. Ses lèvres tremblaient.
« Il allait prévenir Hunt… j’en étais sûre… »
« Il n’était qu’un témoin ! »
Oliver fit un pas, les poings serrés, la mâchoire crispée.
« Tu devais l’arrêter, pas le tuer ! »
Le mot tomba comme un couperet. Tuer. Il sembla déchirer quelque chose en elle. Sam recula, le souffle court, le regard vide. Ses doigts s’ouvrirent et se refermèrent, cherchant un appui invisible. La pluie redoubla, cognant contre la tôle du hangar avec la force d’un tambour funèbre. Des fuites d’eau coulaient le long des murs, dessinant des sillons sombres sur le béton. Le corps, étendu entre eux, pesait plus lourd que tout ce qu’ils auraient pu dire.
« Tu crois que j’ai voulu ça ?! » hurla-t-elle soudain, sa voix se brisant sur les mots.
Ses yeux brillaient d’une colère désespérée.
« Tout ce que je fais, je le fais pour les morts que vous avez oubliés ! Pour mes parents ! »
Oliver planta son regard dans le sien, dur et triste à la fois.
« Et tu crois qu’ils seraient fiers de voir ce que tu deviens ? »
Il s’avança d’un pas, trempé, l’eau ruisselant sur son visage.
« Tu te bats pour eux, Sam, mais tu commences à ressembler à ceux que tu veux abattre. »
Elle resta silencieuse, le souffle coupé. Son regard glissa vers le sol, vers la flaque rouge qui s’étalait lentement autour du corps. Puis elle releva les yeux vers lui. Des yeux d’acier, blessés, presque inhumains.
« Tu ne sais rien d’eux. Ni de moi. »
Elle ramassa son katana. Ses doigts tremblaient, mais son dos demeurait droit. Sans un mot de plus, elle tourna les talons et disparut dans la nuit. La porte métallique grinça en se refermant derrière elle, avalant le silence et le remords. Dehors, la pluie tombait sans relâche, froide, impitoyable, lavant le sang… sans jamais effacer la faute.
Oliver resta seul dans le hangar, le regard rivé sur le sang au sol. La pluie, filtrant par les fentes du toit, tombait en minces filets argentés qui traçaient des lignes tremblantes sur le béton. La lumière des néons vacillait encore, projetant des ombres mouvantes sur les caisses éventrées, les outils abandonnés, les murs maculés de poussière et de rouille. L’odeur métallique du sang se mêlait à celle de la pluie, formant un mélange suffocant, presque tangible. Oliver ne bougeait pas. Ses gants, trempés, étaient tachés d’un rouge sombre. Son visage, tendu, semblait taillé dans la pierre. Une veine battait à sa tempe. Puis soudain, il frappa le mur. Une fois, deux fois. Le métal résonna comme une cloche funèbre dans le silence du hangar. La douleur lui monta jusqu’au coude, brutale, libératrice. Il la laissa venir, comme une pénitence. Le souffle court, il ferma les yeux. Les souvenirs jaillirent, violents : la première fois qu’il avait perdu le contrôle, la première fois qu’il avait senti le goût amer du sang sur ses mains. Il savait ce que c’était. Cette fracture silencieuse, cette limite qu’on franchit en croyant pouvoir revenir. Mais on ne revient jamais. Il rouvrit les yeux. Le sang au sol avait commencé à s’étaler, se mêlant à la pluie infiltrée. Une traînée rougeâtre serpentait entre les fissures du béton, comme si le lieu lui-même saignait. Oliver sentit la colère s’effondrer en lui, remplacée par un vide froid, un poids qu’il connaissait trop bien. Et dans ce vide, un visage s’imposa : celui de Sam. Son regard avant qu’elle parte. Ce mélange de peur, de rage et de désespoir. Exactement celui qu’il avait eu, autrefois. Il porta une main tremblante à son oreillette, la voix rauque.
« Digg… »
Un léger grésillement répondit avant que la voix grave de Diggle ne filtre à travers le canal.
« Oliver ? Qu’est-ce qui s’est passé ? »
Oliver inspira, son souffle résonnant dans le vide du hangar. Ses mots tombèrent, lourds.
« Elle a franchi la ligne. »
Un silence s’installa, pesant. Puis Diggle reprit, hésitant :
« Tu veux dire… ? »
Oliver leva les yeux vers la porte d’où Sam était partie. Une bourrasque s’y engouffra, apportant avec elle l’écho lointain des sirènes et la rumeur sourde de la ville. La lumière clignotante d’un néon dessina un instant le reflet de son visage fatigué, vieilli par le remords.
« Oui. »
Il se pencha lentement, le souffle encore rauque, et ramassa la dague qu’elle avait laissée tomber plus tôt. Le manche, gravé d’un motif ancien, était tiède. Couvert de sang séché et d’eau de pluie.
Ses doigts se refermèrent dessus, se crispant jusqu’à en blanchir les jointures. L’arme lui paraissait lourde, presque vivante, comme si elle conservait encore la rage de celle qui l’avait maniée. Oliver resta un instant immobile, le regard fixé sur la lame ternie. Une lame forgée pour la justice, mais souillée par la vengeance. Un reflet bref, doré, dansa sur le métal avant de s’éteindre sous la lumière tremblante du néon. Il releva la tête, et son regard se figea sur le corps inerte, prisonnier de l’ombre, comme un rappel silencieux de tout ce qu’ils avaient perdu. Le sang s’écoulait lentement vers les fissures du béton, traçant des rivières sombres qui disparaissaient dans la poussière. Il inspira, lentement. Sa voix, lorsqu’elle s’éleva, était à peine un murmure, rauque, étranglée par la fatigue :
« Et je crois que Hunt le savait. »
Il resta là, debout dans le silence, les doigts toujours serrés sur la dague. La pluie s’infiltrait à travers le toit brisé, goutte après goutte, lavant le sol sans effacer la tache. Ses yeux se levèrent vers l’obscurité du hangar, vers les chaînes suspendues qui tintaient doucement au vent. Puis il ajouta, plus bas, comme une certitude qu’il n’aurait jamais voulu prononcer :
« Il voulait que ça arrive. »
Le vent s’engouffra à nouveau dans le hangar, faisant vibrer les chaînes suspendues et gémir les poutres. Oliver resta un moment immobile, la main toujours sur sa flèche, le regard perdu. Dans la distance, l’orage grondait, comme un avertissement. La guerre qu’il croyait contenir venait de changer de visage. Et cette fois, c’était Sam qui en portait la marque.
L’appartement était plongé dans la pénombre. Une ampoule nue pendait du plafond, oscillant légèrement sous les courants d’air qui s’infiltraient par la fenêtre fendue. Le papier peint se décollait par endroits, dévoilant des pans de mur grisâtres. L’odeur d’humidité et de rouille se mêlait à celle du sang séché sur les gants abandonnés dans l’évier. Sam était assise au bord du lit, les coudes sur les genoux, fixant ses mains lavées cent fois, toujours tachées dans sa mémoire. La lumière vacillante découpait les contours de son visage. Creux, tiré, ravagé par l’insomnie. Ses cheveux noirs, encore humides de pluie, collaient à sa peau. Elle ne pleurait pas. Pas encore. Elle n’en avait plus la force. Chaque battement de son cœur résonnait comme une sentence. Elle se revoyait à Nanda Parbat, à genoux sur la pierre froide, le souffle retenu devant Ra’s al Ghul. La promesse. Le serment. Ne jamais tuer par colère. Ne jamais se laisser consumer. Et elle venait de trahir ce serment. Un grondement sourd secoua la vitre. Le vent charriait la pluie contre les carreaux, et la ville dehors semblait lointaine, déformée par la lueur des néons. Puis, soudain, une ombre se dessina dans le reflet du verre. Droite, immobile. Sam se redressa lentement, le souffle suspendu. La porte s’ouvrit sans bruit. Talia entra. Vêtue d’un long manteau noir trempé, les mèches sombres collées à son visage, elle portait cette même élégance implacable, presque royale, qui faisait taire les pièces autour d’elle. Ses bottes traçaient sur le sol humide une traînée de pluie. Son regard, clair et perçant, se posa d’abord sur Sam, puis sur le katana posé sur la table, dont la lame reflétait encore les néons du dehors. Un silence dense s’installa, presque sacré. On n’entendait plus que la pluie, battant le rythme de leur passé.
« Tu as fait ce que tu ne devais jamais faire. »
Sa voix était calme, mais tranchante comme une lame de cérémonie.
« Il allait parler, Talia. Il savait des choses sur Hunt. »
« Et maintenant, il ne dira plus rien. »
Talia fit un pas vers elle, la silhouette se découpant dans le halo tremblant de l’ampoule. Ses yeux ne laissaient paraître ni colère ni pitié. Seulement cette discipline froide, héritée de son père.
« Tu crois que tuer un innocent te rapprochera de la vérité ? Tu crois que c’est ça, l’enseignement de mon père ? »
Sam détourna le regard, les mâchoires serrées. Sa voix n’était plus qu’un souffle.
« Je n’ai plus de maître. »
Talia s’approcha davantage. Une main, gantée de cuir, se posa sur son épaule, ferme, presque fraternelle.
« Non, mais tu as encore une conscience. Et c’est ce qu’il essaie de briser. »
Les mots résonnèrent dans l’espace vide, entre les murs défraîchis. Talia inspira lentement, son regard se durcissant.
« Hunt n’est pas qu’un fugitif, Sam. Il a fondé une faction. Une branche dissidente de la Ligue. Ils veulent reprendre le pouvoir, à leur manière. »
Sam releva la tête, ses yeux sombres brillants d’un mélange d’incrédulité et de peur.
« Tu veux dire… qu’il travaille encore pour eux ? »
Talia secoua doucement la tête. Une mèche humide glissa sur sa joue, sans qu’elle s’en soucie.
« Non. Pire. Il les dirige. »
Le silence tomba brutalement, lourd, suffocant. Même la pluie semblait s’être tue. Les mots de Talia flottaient dans l’air, comme un poison lent. Sam sentit la nausée monter, ses doigts trembler légèrement sur ses genoux. Tout s’effondrait. Tout ce qu’elle croyait savoir. Tout ce qu’elle pensait maîtriser. Talia se redressa, son ombre glissant sur le mur écaillé.
« Oliver ne te comprendra jamais, Sam. Tu devras choisir ta route seule. »
Mais Sam ne répondit pas. Son regard se perdit vers la fenêtre, vers la ville qui étouffait sous la pluie. Son reflet, pâle et tremblant, la fixait depuis la vitre. Et dans ce miroir de fortune, elle comprit ce qu’elle devait faire. Elle avait déjà pris sa décision.
Quelques heures plus tard, la pluie n’avait toujours pas cessé. Starling City semblait engloutie sous une chape de brouillard et de néons noyés. L’orage grondait au loin, roulant entre les immeubles comme un avertissement. Oliver gravit les marches de l’immeuble en silence. Chaque pas résonnait dans le couloir désert, ponctué par le bourdonnement lointain d’un néon fatigué. L’air sentait le métal humide et la poussière rance. Il s’arrêta devant la porte de l’appartement de Sam, entrouverte, battant doucement sous les rafales. Il sut, avant même de franchir le seuil, que quelque chose n’allait pas. L’intérieur était plongé dans une semi-obscurité. Le vent faisait claquer les voilages déchirés, soulevant les papiers éparpillés sur le sol. Une lampe renversée projetait une lueur vacillante sur les murs défraîchis, révélant le désordre brutal d’un départ précipité. Les tiroirs béaient, vides. L’armoire éventrée. Les traces d’eau sur le parquet menaient jusqu’à la fenêtre ouverte, d’où la pluie s’infiltrait, ruisselant sur le bois usé. Sur la table, au milieu du chaos, une seule chose demeurait : une feuille de papier, trempée, gondolée par l’humidité. Oliver s’approcha lentement, son manteau dégoulinant traînant derrière lui. Il prit le papier entre ses doigts. Ses gants laissaient une empreinte sombre sur le bord. Les mots étaient tracés d’une écriture fine, maîtrisée, presque apaisée. Quelques mots seulement.
« Ne me cherche pas. »
Le papier trembla entre ses mains. Un éclair éclata, projetant la pièce dans une lumière blanche, éphémère. Le tonnerre suivit, brutal, faisant vibrer les vitres. Oliver resta là, figé au milieu du silence qui reprenait sa place. Ses yeux parcoururent la pièce une dernière fois. Le katana manquant, le vide qu’elle laissait derrière elle. Sur le rebord de la fenêtre, une seule trace : une empreinte de main, fine, à demi effacée par la pluie. Il la toucha du bout des doigts, sans rien dire. Son souffle forma un nuage de buée devant lui. Et dans ce souffle, il comprit ce qu’il avait perdu. Pas seulement Sam. Mais la part de lumière qu’elle avait réussi à ramener dans ce monde brisé. Un nouvel éclair lacéra le ciel. La feuille s’envola de ses mains, portée par le vent vers la nuit ouverte. Oliver la suivit du regard, immobile, jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans les ténèbres de la ville. Il sut, à cet instant, qu’il venait de la perdre.
Dans un lieu inconnu, quelque part à la périphérie de Starling City, un léger bourdonnement brisa le silence. Un écran s’alluma dans l’obscurité. Le visage d’Ethan Hunt apparut, baigné par la lumière bleutée des moniteurs. Autour de lui, la pièce était presque entièrement plongée dans les ténèbres. Les murs de béton suintaient d’humidité, décorés seulement de câbles, d’écrans, de cartes punaisées et de dossiers ouverts. Une lampe rouge clignotait par intermittence, projetant sur son visage des éclats de sang artificiel. Des ombres glissaient sur ses traits anguleux, accentuant le froid qui émanait de lui. Sur l’écran principal, les images tremblantes d’une caméra de surveillance défilaient : Sam, dans la ruelle, silhouette solitaire sous la pluie battante. Sa capuche collée à son visage, son katana sur le dos, la ville se reflétant dans les flaques à ses pieds. Chaque pas qu’elle faisait semblait s’éloigner un peu plus du monde qu’elle avait juré de protéger. Ethan la regardait sans un mot, ses yeux d’acier brillant d’une curiosité malsaine. Le tic-tac régulier d’une horloge mécanique résonnait dans le bunker, se mêlant au crépitement des écrans. Un sourire discret étira lentement ses lèvres, presque imperceptible.
« C’est bien, petite Reilly… » murmura-t-il, sa voix grave se perdant dans le vrombissement des machines.
Il se pencha légèrement vers l’écran, son reflet se superposant à celui de Sam, comme une ombre prête à la dévorer.
« Laisse la colère te guider. Le reste viendra. »
Sa main glissa sur le bureau métallique, caressant machinalement la lame d’une dague posée à côté d’un dossier frappé du sceau de la Ligue. Un mince filet de sang perla sur son doigt lorsqu’il en effleura le tranchant, mais il ne broncha pas. Au contraire, son sourire s’accentua. Derrière lui, des silhouettes à demi masquées se tenaient dans le silence, immobiles comme des statues. L’air sentait le métal, la cendre et l’ozone. Une pluie fine martelait le toit de tôle au-dessus, rythmant la scène d’un tempo sinistre. Ethan releva les yeux vers l’écran, où Sam disparaissait enfin dans l’obscurité de la ville. Son reflet se déforma dans la vitre, avalé par l’ombre, tandis qu’il éteignait lentement le moniteur d’une pression du doigt. Le noir revint, total, étouffant. Seul subsistait le murmure d’un homme qui venait d’ouvrir une guerre qu’elle ne savait pas encore devoir mener. La guerre psychologique venait de commencer.