Entre Vengeance et Chaos
La nuit s’étendait sur Starling City comme une cendre humide, étouffant la lumière et les espoirs. Des nappes de brouillard flottaient au-dessus des ruelles, mêlées à la vapeur s’échappant des bouches d’égout. Les enseignes clignotaient par à-coups, dessinant sur les murs ruisselants des éclats rouges et verts qui dansaient comme des signaux d’alarme mourants. Au loin, les sirènes de police hurlaient par intermittence. Un cri sans conviction, noyé dans le bourdonnement électrique de la ville. Starling ne dormait jamais, mais cette nuit, elle semblait épuisée d’elle-même. Sam avançait seule, la capuche rabattue sur son visage trempé. La pluie dégoulinait sur le cuir usé de son manteau, ruisselant le long de sa mâchoire. Ses yeux d’un bleu acier scrutaient chaque recoin d’ombre, chaque reflet suspect dans les flaques. Elle marchait avec la tension féline d’un chasseur. Celle d’une femme qui connaissait la frontière ténue entre la traque et la mort. Depuis trois jours, elle suivait la même piste : un convoi disparu, des transactions anonymes, un nom récurrent. Hunt Security Consulting. Tout la ramenait ici, à ce quartier oublié du port, où le vent charriant le sel et la rouille effaçait toute trace humaine. Les docks s’étendaient devant elle comme un cimetière d’acier : grues immobiles, containers éventrés, chaînes rouillées qui tintaient sous le vent. La pluie tombait sans relâche, froide et tranchante, transformant le sol en un miroir brisé où se reflétaient les néons d’un entrepôt encore éclairé. Son cœur battait au même rythme que les grondements du tonnerre.
« C’est ce soir… » murmura-t-elle, la voix à peine audible.
Elle resserra la sangle de son katana dans son dos, vérifia la dague restée à sa cuisse, la seule qu’il lui restait. Puis s’élança, sa silhouette se fondant dans les ombres mouvantes. L’entrepôt se dressait à la lisière du fleuve, immense, rongé par le temps. Les lettres effacées du nom d’une ancienne compagnie pendaient encore sur la façade, tordues par la rouille. À travers les vitres brisées, un courant d’air glacial s’engouffrait, portant avec lui une odeur âcre d’huile, de métal et de pluie stagnante. À l’intérieur, tout n’était que silence et écho. Le sol, couvert de poussière et de débris, craquait sous ses bottes. Chaque pas résonnait contre les arches de métal, amplifié par la structure vide. Sam sentit son instinct s’aiguiser. Cette tension sourde, ce frisson qui précède toujours l’attaque. Elle avança quand même. Une lampe suspendue oscillait faiblement, diffusant une lumière jaune qui découpait les caisses alignées en ombres massives. Sur certaines, le sigle HSC se distinguait encore, net, récent. Elle s’agenouilla, essuya du revers de sa main la poussière d’un dossier entrouvert. Des documents en vrac, des plans mécaniques, des transferts bancaires codés… et un mot en gras : Projet Aegis – Prototype de confinement humain. Ses yeux se rétrécirent.
« Qu’est-ce que tu fabriques, Hunt… » souffla-t-elle.
Mais elle n’eut pas le temps d’en lire davantage. Une ombre tomba du plafond dans un bruit sec. Le choc fut brutal. Sam roula sur le sol, l’instinct en alerte, sortant son arme dans le même mouvement. Une lame siffla, frôlant sa gorge. Elle para, le métal heurta le métal dans une gerbe d’étincelles. Son adversaire se redressa d’un bond. Une silhouette vêtue de noir, masque intégral, posture précise. Des techniques qu’elle connaissait trop bien. Des assassins de la Ligue. Un second surgit de l’obscurité, puis un troisième. Ils encerclaient déjà leur proie. Sam pivota, ses bottes glissant sur le sol mouillé, son katana traçant un arc d’acier. Le premier adversaire vacilla, touché, mais les autres se ruèrent aussitôt. Le combat se fit danse. Une danse mortelle où chaque coup tranchait l’air, où chaque respiration comptait. Le sang martelait dans ses tempes. La douleur naissait dans ses côtes à chaque impact, mais elle tenait bon, portée par la rage froide qui brûlait en elle. Puis un coup de pied la projeta contre une poutre métallique. L’air quitta ses poumons dans un cri muet. La douleur explosa dans son flanc. Elle posa une main sur la plaie, sentit la chaleur poisseuse du sang.
« Pas maintenant… » gronda-t-elle, se relevant malgré le vertige.
Une autre silhouette se jeta sur elle. Sam pivota, lame levée, mais trop tard. Le choc fut sec, métallique, suivi d’une brûlure glacée qui lui transperça le flanc. Un souffle étranglé lui échappa. Le monde vacilla. La pluie tombait avec la régularité d’un tambour, martelant le métal rouillé des conteneurs. Le hangar, vaste et délabré, vibrait sous le vent, ses poutres grinçant comme une carcasse vivante. Des câbles pendaient du plafond, oscillant au rythme des bourrasques, projetant des ombres longues et mouvantes sur le sol inondé. Le sang se mêla à l’eau, traçant un sillon écarlate entre les flaques huileuses. Sam tomba à genoux, son souffle se brisant en hoquets. Ses doigts, trempés, cherchaient appui sur le béton froid et glissant. La douleur irradiait en ondes brûlantes depuis son côté, mais elle refusa de crier. Autour d’elle, les silhouettes masquées se rapprochaient en silence. Leurs pas lourds résonnaient dans la pénombre, rythmés, implacables. Les reflets des lames étincelaient brièvement dans les éclairs, avant de disparaître dans l’ombre. Ils avançaient comme des spectres sûrs de leur victoire. Puis, soudain, un sifflement aigu fendit la nuit. Une flèche. Le premier agresseur s’effondra dans un bruit sourd, une tige d’acier plantée dans la gorge. Le second tenta à peine de réagir qu’une autre flèche lui perça la clavicule. Une troisième siffla, rapide et précise, fauchant le dernier. Le silence retomba aussitôt, étouffé par la pluie. Seuls demeuraient le battement du cœur de Sam et le clapotement régulier des gouttes sur le béton. Des pas approchèrent, lourds, décidés. Sam leva la tête, la vision trouble, son souffle haché. Sous la lumière vacillante d’une lampe de chantier, une silhouette familière apparut. Capuche relevée. Arc à la main. Les reflets verts de sa tenue se mêlaient à ceux de la pluie. Oliver. Il décocha une dernière flèche dans le cou d’un survivant qui tentait de ramper, puis se précipita vers elle. Sam voulut se redresser, mais ses jambes cédèrent. Ses doigts glissèrent sur le sol détrempé avant qu’un bras solide ne la rattrape. La pluie ruisselait sur leurs visages, dessinant des lignes de lumière sur leurs peaux couvertes de sang et de boue. Leurs regards se croisèrent, l’espace d’une seconde suspendue. Entre la vie et la perte.
« Respire. Garde les yeux ouverts. »
La voix d’Oliver était ferme, mais son regard trahissait une peur qu’il ne laissait jamais paraître. Sam esquissa un sourire pâle, ses lèvres tremblant sous l’effort.
« Je pouvais… m’en sortir seule… » articula-t-elle dans un souffle brisé.
« Pas cette fois. »
Il la souleva sans un mot de plus. Son manteau se gorgea d’eau, collant à sa peau. Sam sentit la chaleur de son corps malgré la pluie glaciale. Elle tenta de protester, mais ses forces l’abandonnaient déjà. La pluie s’abattait comme une marée en furie, effaçant peu à peu les traces du combat. Le tonnerre grondait au-dessus du fleuve, faisant vibrer l’air. À chaque éclair, leurs visages apparaissaient fugacement. Le sien crispé par l’effort et l’inquiétude, le sien pâle, strié de sang. Oliver avançait vite, ses bottes s’enfonçant dans les flaques boueuses. Chaque pas résonnait d’une urgence silencieuse. Le sang de Sam traçait derrière eux une traînée sombre qui se perdait déjà sous la pluie.
« Tiens bon. On y est presque. » murmura-t-il, sans oser la regarder.
Mais dans sa voix, il y avait plus qu’une promesse. Une supplique, étranglée par la peur de la perdre.
Le bunker sous l’usine les avala comme une gueule froide : des murs de béton suintants, striés de traces d’humidité, des lampes fluorescentes qui grésillaient par à-coups, et une odeur âcre de désinfectant mêlée à celle, plus tenace, du métal chauffé et de l’huile rance. La lourde porte blindée se referma derrière eux dans un claquement métallique qui résonna longtemps, comme le dernier écho d’un monde extérieur désormais tenu à distance. L’espace exigu vibrait sous le grondement constant d’un groupe électrogène. Au fond, une rangée d’écrans projetait des lueurs bleutées sur des caisses empilées, sur des câbles serpentant au sol, sur la poussière en suspension qui dansait au rythme des pulsations lumineuses. Une goutte tombait régulièrement d’un conduit, son ploc récurrent se mêlant au bourdonnement électrique et au souffle humide des tuyaux. Diggle les attendait déjà, debout près de la table métallique. Sa stature imposante occupait presque toute la largeur du couloir. Sa veste encore humide portait des éclaboussures de pluie, et ses bottes traçaient sur le sol des empreintes sombres. Son visage, sous la barbe, exprimait une inquiétude qu’il tentait de masquer derrière un calme professionnel. Ses sourcils froncés, la tension de sa mâchoire, trahissaient pourtant la peur sourde qu’il avait ressentie à la vue d’Oliver portant Sam.
« Merde, qu’est-ce qui s’est passé ? » lança-t-il, la voix coupée par l’urgence, répercutée par les parois du bunker comme un écho nerveux.
Oliver ne répondit pas tout de suite. Il déposa Sam sur la table comme on pose une chose à la fois précieuse et fragile. Le métal glacé lui arracha un frisson. Ses vêtements, gorgés de pluie et de sang, collaient à sa peau. La plaie, bandée à la hâte, suintait encore. Sa respiration était courte, mais maîtrisée ; elle refusait la faiblesse. La capuche rabattue cachait à moitié son visage, mais quand elle leva les yeux, la lumière crue accrocha l’éclat de ses iris bleus. Un feu obstiné, contenu, qui résistait encore à la douleur.
« Une embuscade. La Ligue. Et Hunt n’était pas là, » répondit Oliver, sa voix basse mais tranchante, chaque mot porté comme un constat de guerre.
L’eau tombait encore de ses cheveux sur le béton. Ses yeux, d’un bleu dur, ne lâchaient pas Sam. Diggle s’agenouilla aussitôt, mains sûres et gestes rapides. Il ouvrit un kit de premiers secours : scalpels, compresses, désinfectant, fil chirurgical, le tout soigneusement ordonné. Il braqua une lampe sur la blessure. La lumière, crue et blanche, découpa la peau, révéla la plaie. Large, profonde, presque belle dans sa brutalité. Le cliquetis des instruments résonna dans la pièce close, entrecoupé du souffle régulier du générateur. Sans un mot de trop, Diggle désinfecta, recousit, banda. Chaque geste témoignait d’années passées à sauver des vies sur le terrain. Son calme n’était qu’un vernis sur une peur maîtrisée. Sam, les traits crispés, serra les dents. Sa main se referma sur le bord de la table, les jointures blanchissant. Elle refusait de crier. Refusait de montrer qu’elle pouvait flancher. Quand Diggle eut fini, elle chercha le regard d’Oliver. Et ce qu’elle y lut, ce n’était pas la compassion, mais la même rage froide que la sienne, celle de ceux qu’on a trahis trop souvent.
« Tu n’aurais pas dû venir, » souffla-t-elle.
Oliver essuya le sang de ses doigts d’un geste brusque avant de répondre.
« Si je n’étais pas venu, tu serais morte. »
Un silence s’abattit. Seuls le bourdonnement du générateur et la pluie sur la tôle rythmaient le temps. Le son de leurs respirations emplissait la pièce comme une autre forme de tension. Diggle, conscient de ce qui se jouait, s’éloigna de quelques pas, feignant de vérifier du matériel. L’intimité s’installa. Lourde, presque palpable. Oliver s’approcha lentement. Son ombre s’étira sur le mur derrière elle. Sa voix, quand il reprit la parole, n’avait plus la froideur du justicier, mais la gravité d’un homme fatigué de perdre.
« Tu crois encore que la vengeance te sauvera ? Tu fais exactement ce que Hunt attend de toi. »
Sam détourna le regard, haletante. Sa mâchoire se contracta, ses doigts tremblaient à peine.
« Je ne cherche pas à être sauvée. Je veux juste la vérité. »
Oliver resta un moment silencieux, puis demanda, d’un ton plus doux, presque résigné :
« Et quand tu l’auras ? »
Elle baissa la tête, les paupières lourdes.
« Alors, peut-être, je pourrai arrêter de courir. »
Dans la lumière vacillante, Oliver la contempla longuement. Sous la surface dure et contrôlée, il voyait la fracture : la douleur, le vide, la peur de ne plus exister qu’à travers la colère. Il posa sa main sur la sienne. Un geste simple, hésitant, mais d’une chaleur inattendue. Sam eut un léger sursaut, puis, lentement, elle ne retira pas sa main.
« Tu n’es pas seule, Sam. Pas cette fois. »
Les mots flottèrent un instant dans l’air avant de retomber, lourds et sincères. Ses yeux s’humidifièrent, reflets d’argent sous la lampe. Elle murmura, dans un souffle rauque :
« J’ai peur de ne plus savoir qui je suis. »
« Alors laisse-moi t’aider à te souvenir. »
Le silence qui suivit n’était plus celui du bunker, mais celui de deux êtres sur le fil. Leurs mains restèrent jointes un instant de trop. Assez pour qu’un lien fragile se forme, entre deux blessures qui se reconnaissaient. Quelques heures plus tard. Sam dormait enfin, la peau pâle sous les pansements, les traits apaisés dans une torpeur que la douleur tenait à distance. Son souffle régulier contrastait avec le bourdonnement mécanique du lieu. Oliver, lui, restait éveillé, appuyé contre la console de surveillance. Ses yeux fixaient les écrans qui défilaient sans fin : données, images thermiques, relevés d’activité. Un signal clignota. Un message, court, glacé.
“On ne tue pas le passé, Samantha. On l’achève, ou il te consume.” E.H.
Oliver serra les poings. Le métal craqua sous la pression de ses gants. Hunt frappait toujours juste. Pas dans la chair. Dans l’âme. Il se tourna vers Sam. Sous la lumière froide, elle semblait paisible, presque fragile. Mais il savait que ce calme n’était qu’une façade. Sous cette immobilité dormait une force brute, un feu contenu, prêt à tout brûler. Il murmura, plus pour lui-même que pour elle :
« On le terminera ensemble. Cette fois, je ne te laisserai pas tomber. »
Dans un recoin de la ville, au sommet d’un immeuble balayé par la pluie, Ethan Hunt observait les mêmes images sur un écran portatif. Autour de lui, la pièce était nue : béton brut, câbles suspendus, odeur de tabac froid et de métal humide. Les reflets bleus de l’écran sculpter son visage en angles durs. Il esquissa un sourire sans joie.
« Qu’ils essaient donc. Les cendres sont tout ce qu’il restera. »
Dehors, le tonnerre gronda, et la pluie, encore, battit les vitres comme un tambour de guerre.