Particuliers

Chapitre 11 : Sur la route

2345 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 30/09/2025 15:18

Un cri de guerre tira brutalement la fratrie Silverberg de son sommeil. Théo se redressa mécaniquement et saisit son épée juste à temps pour parer l'attaque d'un parfait inconnu. Le repousser ne fut pas bien plus difficile : dès le premier coup de botte, l'homme tomba sur les fesses, ce qui laissa juste le temps au paladin de poser la pointe de sa lame sur sa jugulaire.


— T'es qui, putain ? grogna le guerrier, de mauvais poil.


— Je… Je… Je…


— Parle où je laisse la louve te bouffer les entrailles.


Eden, qui se réveillait à peine, pencha la tête sur le côté, dubitative. Le paladin saisit l'inconnu par le col, d'une seule main, et le balança contre un arbre.


— Je suis désolé, je ne voulais pas… J'ai besoin d'argent et… Je savais pas que vous étiez paladin et… Enfin, voilà… Et… Je peux partir s'il vous plaît ?


— Barre-toi, tocard. Si tu reviens, mon épée, je te la plante dans le cul.


Le bandit lui offrit un regard de terreur pure et détala dans les buissons. Victoria, toujours confortablement installée sur sa couchette, affichait un large sourire. Théo fronça les sourcils.


— Quoi ?


— Dix ans dans l'inquisition et toujours incapable de respecter le protocole.


— Viens pas me faire la morale. Rappelle-moi qui a dû te couvrir pendant que tu fricotais avec les danseuses de la taverne d'en face pendant ta formation ? C'était dans le protocole ça, peut-être ? En plus, si je me souviens bien, l'une d'elles était une demi-élémentaire.


— D'accord, je m'avoue vaincue.


Le paladin gonfla le torse, fier d'avoir touché une corde sensible.


— Enfin, vaincue si on oublie le fait que tu fricotes avec un demi-diable et que tu as réussi à le faire blanchir de l'Église de la Lumière alors que son nom de famille seul pourrait le conduire directement au bûcher.


Théo fit la moue et partit ranger sa couchette, la tête basse, sous le rire moqueur de sa grande sœur. Ils patientèrent encore deux bonnes heures avant de voir les silhouettes de Balthazar et Grunlek se dessiner à l'horizon. Les deux aventuriers les rejoignirent rapidement.


— J'ai vu un bandit passer, signala le mage en descendant de cheval. Il pleurait et m'a supplié de ne pas le dénoncer aux paladins sur la route. Qu'est-ce que tu as encore fait, Théo ?


— Moi ? Rien. Je l'ai juste secoué. Et toi ?


— Partiellement brûlé. Il s'en remettra.


Victoria secoua la tête, fatiguée. Eden avait déjà rejoint son propriétaire, la queue battant l'air. Le nain lui gratta la tête en piaillant après son animal qui, très réceptive, tournait sous ses doigts pour qu'il gratte les zones voulues. Théo observa un moment la scène, avant de reprendre la parole.


— Du nouveau ?


— Pas vraiment, répondit le pyromage. Feuille avait quelques informations sur l'état de Shin, mais pas vraiment de pistes sur où il pouvait être. Grunlek avait fait un otage, un des ravisseurs de Shin, mais il est mort sans piper un mot. J'ai rien pu en tirer. On a préféré partir au plus vite pour vous rejoindre plutôt que de s'attarder là-bas. Loup veille sur le camp, je leur ai filé quelques sorts pour se défendre si jamais il y a une nouvelle attaque.


— Il a souffert ? Le ravisseur de Shin, je veux dire.


— Plus qu'aucun des glandus qu'on a interrogés jusque là.


— Bien.


Le paladin regagna son cheval sans plus de ménagement et signala le départ. Le camp fut levé en quelques minutes et le groupe se remit en route, dans la bonne ambiance.


Ils arrivèrent rapidement dans une petite clairière, couverte d'herbe. Des traces de charrette étaient clairement visibles au sol, ce qui rassura Théo. Il descendit pour inspecter les traces. Ses compagnons vinrent lui prêter main forte.


— C'est bien la charrette de Shin, lâcha le guerrier. C'est les mêmes traces. Ils sont passés par ici.


— Je pense que c'est là qu'il a fait s'échapper Feuille, lâcha Balthazar. L'endroit ressemble beaucoup à ses souvenirs.


— Il y a du sang, ici, compléta Grunlek, d'une voix grave.


Les aventuriers se retournèrent vers lui. Balthazar se rapprocha, pour examiner le liquide séché.


— Hum. Il y en a assez pour un sort de détection.


— Un sort de quoi ?


— À partir du sang, je peux essayer de créer comme.... Une boussole. En gros, je vais créer une boule de sang, en mélangeant le mien avec le sien, et cette boule de sang va rejoindre le second émetteur. Il suffit qu'on suive la boule de sang, et on retrouvera Shin. Le problème…


— J'étais sûr que t'allais dire ça, grogna Théo. Qu'est-ce qu'il faut ? Qu'on sacrifie une vierge ?


— T'es con. Non, le problème c'est que je suis pyromage. J'ai quelques connaissances dans les arts mystiques liés au sang, mais, pour compenser mes manques, il faut que je fasse appel au démon. Et vous savez comme moi que ça peut déraper très vite. On ne peut pas attendre cela dit. Le sang risque de ne plus être efficace rapidement.


Il releva les yeux. Les deux paladins le dévisageaient avec méfiance.


— Je vais essayer d'y arriver avec juste la forme élémentaire. Si je sens que je me transforme, j'arrête, d'accord ?


— T'as intérêt, grogna Théo. Sinon, tu sais ce qu'il se passe.


— T'as une meilleure solution, peut-être ?


— Hum. Grouille-toi.


Balthazar le remercia d'un signe de tête, puis se dirigea vers son cheval pour récupérer le matériel. Il indiqua en avoir pour quelques heures, ce qui laissa tout le temps aux autres aventuriers pour se reposer un peu et manger. La journée risquait d'être longue.


*********


Cachée dans les buissons, Feuille épiait discrètement les aventuriers. Au cœur de la nuit, elle avait vu Balthazar et Grunlek quitter le camp, alors qu'elle s'était réveillée pour boire de l'eau. Elle avait profité de l'inattention de Loup pour s'éclipser avec sa poupée et deux gâteaux que Balthazar lui avait donnés quelques heures plus tôt. Elle avait eu beaucoup de mal à suivre le rythme des chevaux, mais elle avait croisé Ours en chemin, sur un poney volé à Castelblanc, qui avait accepté de la conduire à leur suite.


L'adolescent, peu habitué aux longs trajets de nuit, se reposait sous un arbre, près de sa monture en train de paître tranquillement. Il désapprouvait totalement l'escapade nocturne de sa cadette, mais n'avait pas pu résister à son regard suppliant et larmoyant. Une chance pour elle.


Elle n'osait pas encore se montrer, de peur qu'on la mette à l'écart. La petite était fermement décidée à retrouver Shinddha, même si ça impliquait de se mettre en danger. Elle se dévoilerait quand elle serait sûre que les aventuriers ne pourraient plus la ramener au camp. Cependant, rester trop longtemps au même endroit ne lui plaisait pas. Si Loup se mettait à sa recherche, il y avait de grandes chances qu'il finisse par la récupérer. Elle laissait pour l'instant le doute au destin.


Lentement, elle recula et partit s'allonger près d'Ours. Le mage avait parlé de plusieurs heures de recherche, elle pouvait donc se permettre de faire une sieste.


*********


Les heures s'écoulaient et se ressemblaient fortement dans la petite cellule du camp de prisonniers. Shinddha pouvait désormais marcher et ne s'en privait pas, tournant encore et encore entre les deux murs sales. Mani, roulé en boule dans un coin, dormait profondément, épuisé, sous le regard de Renard, toujours perdu.


Le demi-élémentaire finit par s'installer à côté de lui. L'adolescent lui jeta un regard triste et recroquevilla ses genoux contre lui.


— Tu as peur ? demanda l'archer, d'une voix calme.


— Pas pour moi. Pour Rivière et Saphir. Et pour Feuille. Elles sont toutes seules, là-bas, face à ces… monstres.


— Elles savent se battre, non ?


— Oui, mais…


— Alors ne t'en fais pas pour elles, elles vont s'en sortir. Saphir est une battante, elle a un sale caractère et elle est agile. Elle me rappelle beaucoup une de mes amies à son âge. Elvandra, elle s'appelait.


Renard leva des yeux interrogateurs vers lui.


— Qu'est-ce qui lui est arrivée ?


L'archer baissa les yeux, mal à l'aise.


— Les colons de Castelblanc l'ont tuée, comme toutes les personnes de mon clan, il y a plus de sept cents ans. Je n'ai pas pu l'aider. Je n'ai pu aider aucun d'entre eux, pas même ma propre famille. Quand j'ai rencontré mes amis, j'étais plein de haine, je ne pensais qu'à les venger. Mais ils m'ont montré que j'avais tort. On ne peut pas sauver les morts. En revanche, on peut protéger ceux qui vivent encore. On va les sortir de là.


L'adolescent, les yeux brillant, ne répondit pas immédiatement. C'était comme s'il redécouvrait l'archer pour la première fois.


— Tu as plus de sept cents ans ?


— C'est ce que m'a dit un mage. Mais avant il y a environ vingt ans, quand je suis revenu en demi-élémentaire, je l'ignorais. Je pensais qu'il ne s'était écoulé que quelques heures, quelques jours tout au plus. Et toi, qu'est-ce qui t'est arrivé ? On ne meurt pas à seize ans.


Renard sourit amèrement.


— Je suis issu d'une famille nombreuse, j'étais le cadet. Alors que je venais de fêter mon sixième anniversaire, mon père m'a conduit en forêt, pour couper du bois. La dernière chose dont je me souviens est qu'il m'a abattu sa hache sur le crâne. Quand je suis… revenu, j'ai pas tout de suite compris ce qu'il s'était passé. Je suis rentré chez moi, comme si de rien était. Deux jours plus tard, mon père me vendait à l'Église de la forêt, en disant qu'on ne voulait pas d'hérésie dans sa maison.


— Tu t'es échappé ?


— Oui. Au premier campement, j'ai profité que les prêtres dormaient pour m'enfuir dans la forêt. Ils m'ont poursuivi longtemps. Et un jour, ils ont attrapé Loup. Je n'ai pas pu l'abandonner. Je l'ai libéré, on a tué les prêtres, et on a fini par construire un camp, pour héberger les enfants comme nous. Pour éviter que ça ne se reproduise.


Shinddha posa une main sur son épaule.


— C'est très courageux, ce que tu as fait. J'aurais aimé avoir autant de sang froid à ton âge.


— Et lui, comment tu l'as rencontré ? demanda Renard en pointant Mani.


L'archer sourit légèrement.


— Ah, c'est une longue histoire. C'est un informateur de l'Église de la Lumière. À notre première rencontre, il nous a conduits dans un piège pour détruire un parchemin qu'on nous avait mandé de récupérer, mais qu'il fallait en fait détruire. Et ensuite, il a voyagé avec nous, on a appris à le connaître…


— À la base, on devait vraiment le récupérer ce parchemin, intervint une voix derrière eux, ensommeillée. Mais il se trouve que j'ai manqué de mourir brûlé et que ça a brûlé le parchemin avec…


Mani se redressa en serrant les dents. Il s'appuya sur leurs épaules pour se rapprocher d'eux.


— Mais Shin a raison, t'as l'air courageux comme gamin. On pourrait avoir besoin de toi. Est-ce que tu sais où l'on peut trouver des renforts ?


— Bah… Castelblanc est pas loin, répondit Renard, un peu perplexe.


— C'est un peu loin, mais ça fera l'affaire. Tu vas aller là-bas, tu vas rentrer dans l'Église de la Lumière et tu vas demander après Victoria Silverberg. Et ensuite, ramène-les jusqu'ici, avec une délégation.


— Je veux bien, mais… On est enfermés.


L'elfe sourit malicieusement.


— Shin et moi le sommes, toi, t'es assez fin pour passer.


— Passer où ? demanda l'archer, tout aussi décontenancé.


Le télékinésiste se dirigea dans un coin et donna un grand coup de pied dans le sol. Un passage se dégagea rapidement.


— Bon, le seul problème, c'est que j'ai pas eu le temps de creuser jusqu'à la sortie la dernière fois que j'ai été enfermé. Mais c'est très simple, tu dois aller tout droit. Tu finiras par tomber sur une galerie plus grande, ce sont les souterrains du camp, tu risques d'y croiser des enfoirés, donc fais attention. Ce tunnel mène directement à la sortie, t'as une écurie juste à l'entrée, vole un cheval et file.


Renard se leva et se pencha au-dessus de la fosse.


— Mais, et vous ? Pourquoi vous n'y allez pas ? Je ne vais pas vous abandonner !


— Shin et moi, on va faire diversion, expliqua Mani. Ce passage, c'était juste une porte de sortie supplémentaire, au cas où. Par contre, tu vas être plongé dans le noir, on va devoir refermer derrière toi. Dépêche-toi.


— Merci beaucoup. Je reviens vite, je vous décevrais pas.


L'adolescent plongea dans la fosse, Mani se hâta de remettre les briques en place. Quand il se retourna, Shinddha le dévisageait.


— Quoi ?


— Qu'est-ce que tu oublies de dire ? Je te connais, Mani, il y a quelque chose qui ne va pas.


— Ouais. Il y a quelque chose. Ce n'est pas le premier que j'envoie. Pour l'instant, aucun de ceux que j'ai fait sortir n'est revenu. Aucun. Il n'y a presque aucune chance qu'il ne parvienne à quitter le camp. Mais il a l'air motivé, il a un but, tu l'as encouragé à combattre. Moi, j'y crois.


— Ce n'est pas comme si on avait le choix, de toute manière.


— C'est ça.


— Bon, cette diversion, t'as une idée ?


— Ouais, et elle va pas te plaire.


Le demi-élémentaire poussa un soupir. La journée allait être longue.

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