Particuliers

Chapitre 17 : Danse avec le diable

1779 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/10/2025 17:13

Shinddha, roulé en boule dans sa couchette, profitait d'un sommeil bien mérité après toutes les épreuves qu'il avait dû affronter. Feuille en faisait tout autant, accrochée à lui comme un koala. La fillette ne l'avait plus quitté d'une semelle depuis son retour. De grands pansements avaient été posés un peu partout sur son corps.


Grunlek, quelques mètres plus loin, s'occupait maintenant des blessures de Mani, notamment sur son dos. Même si le nain ne disait pas grand-chose, l'elfe pouvait sentir sa colère dans les gestes un peu trop brusques à chaque fois qu'il désinfectait une plaie. Le télékinésiste baissa les yeux.


— Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda finalement le Golem, n'y tenant plus. C'est quoi toutes ces marques ?


— Tu veux la version améliorée ou la vraie ? répondit-il d'un ton amer.


— La vraie.


— Ces enflures ne vivent que par la souffrance des autres. Dès que tu montres que t'es faible, ils te tombent dessus et passent leurs nerfs sur toi. Mais… J'ai aussi cherché les ennuis. Le premier jour, quand je suis arrivé, ils étaient en train de fouetter un gosse, à peine huit ans, devant tous les esclaves. Il était dans ma chambre. Et il a crevé dans mes bras. J'ai juré qu'aucun autre gosse ne subirait le même sort. J'ai fait ce qu'il fallait pour que ça n'arrive plus.


Le nain poussa un soupir.


— Ils auraient pu te tuer…


— Je sais. Et tu sais quoi ? J'attendais que ça. Les premiers mois, t'as encore l'espoir avec toi. Quand l'espoir se casse, t'as plus que la mort. Je voulais mourir, plus que jamais auparavant. J'ai presque réussi, plus d'une fois. Mais ils m'ont retapé à chaque fois, pour me faire souffrir encore plus. Quand... Quand ils m'ont enfermé avec Shin, je m'étais pendu dans ma cellule. Mais ils m'ont trouvé avant que… Je suis vraiment trop con.


— Shin le sait ?


— Non. Il était mal en point, j'allais pas lui rajouter mes problèmes personnels sur le dos.


Mani se tourna vers son ami, qui le dévisageait, les larmes aux yeux. Il lui sourit maladroitement, dans une tentative maladroite de dédramatiser ses propos.


— Tes blessures sont infectées, ça risque de prendre un moment à disparaître.


— Tant pis, ça fera des cicatrices classes. Je pourrais rivaliser avec celles sur le torse de Théo comme ça.


Juste quand il mentionna le paladin, des bruits de sabots se firent entendre. Victoria déboula dans le camp, avec Lumière. La selle vide de la monture du paladin alerta immédiatement le nain.


— Où est Théo ?


Sa sœur ne répondit pas. Elle se laissa tomber contre un arbre, avant de donner un grand coup de poing dedans, de rage.


— On a été trahis, lâcha-t-elle. Théo s'est énervé et ils l'ont attrapé. J'ai pu m'enfuir avec la diversion. Ils étaient trop nombreux, j'ai rien pu faire. Je suis désolée.


Shin s'était réveillé et s'approchait d'eux, inquiet, Feuille dans les bras. Renard et Ours, alertés par les mouvements des aventuriers, suivirent le mouvement.


— Pourquoi Théo s'est énervé ? demanda-t-il immédiatement, nerveux.


— Ce n'est pas important.


Sa voix trahissait le mensonge. Grunlek fronça les sourcils et se releva, méfiant.


— Qu'est-ce qui s'est passé ? Je connais assez Théo pour savoir quand il ment, t'as la même tête que lui.


— Le Collectionneur a dit que…


Elle soupira, résignée.


— Il a dit que votre ami mage est décédé. Théo est devenu incontrôlable. Je ne sais pas s'il mentait. Il avait l'air sérieux. Je suis vraiment désolée.


Grunlek, abasourdi, ne sut pas quoi répondre. Shinddha fit demi-tour et partit se réfugier plus loin, le visage fermé. Quant à Mani, son regard semblait s'être éteint, ce qui n'échappa pas à l'ingénieur.


— Le Collectionneur ne ment jamais, dit-il à voix basse. S'il dit qu'il l'a tué… Mais… S'il a naturalisé Balthazar, il a sûrement prévu de le faire avec Théo. Son temps est compté.


— On a assez attendu, grogna Grunlek, rejetant l'idée. Mani, tu connais le camp mieux que nous. On doit les faire sortir de là. Tu as une idée ?


— J'en ai peut-être une. Mais ça va pas être de la tarte.


**********


Attaché dans un endroit clos, Théo de Silverberg ne comptait pas se laisser abattre. Ils avaient beau lui avoir retiré son armure et son épée, il restait un paladin bien entraîné et les liens ne mirent que quelques minutes à céder à force de contorsion. Se libérer, c'était l'un des premiers exercices qu'on apprenait à l'école de l'inquisition, ce ne fut pas très difficile.


La porte s'ouvrit sur un homme en blouse blanche, le paladin resta immobile. Il était accompagné de deux chiens de garde au regard sadique. Le paladin leur offrit un sourire hypocrite et attendit, patient.


— Il ne m'a pas l'air docile. Vous avez des sédatifs ? Après le carnage qu'a fait l'autre dans mon laboratoire, j'aimerais éviter une deuxième session de rangement.


L'un des gardes s'approcha de lui. Théo ne le laissa pas approcher. D'un grand coup de pied, il projeta le soldat au sol et lui arracha son épée de la ceinture. Il embrocha le second qui se jetait sur lui, puis se tourna lentement vers le médecin, paralysé par la peur, qui leva les mains en tremblant, effrayé.


— Où est le mage ?! rugit le guerrier. Répondez pas « mort » ou vous risqueriez de mourir dans la douleur pendant de longues heures d'agonie.


— J'ignore de quoi vous parlez, répondit l'inconnu, froidement. On n'empaille que des animaux ici.


— Je sais que vous l'avez vu.


— C'est exact. Comme je viens de vous le dire, ce n'est pas un mage. C'est une hérésie empaillée qui méritait son sort.


La tête du médecin, coupée nette, tomba au sol sous l'épée du paladin. Le guerrier cracha sur son corps et se dirigea à grands pas vers la porte du fond. Il entra dans le laboratoire, méfiant. Dans les cages, les prisonniers s'étaient redressés. Théo fut surpris d'y croiser Aldo. Le ménestrel, choqué, resta un moment bouche bée.


— Il avait raison… finit-il par lâcher. Je suis tellement désolé, maître paladin.


— Où est Bob ? demanda-t-il, la voix pleine d'espoir.


Le regard du ménestrel s'assombrit. Il pointa un levier sur la droite. Théo l'activa et toutes les cages s'ouvrirent en même temps. Aldo sortit, une adolescente derrière lui, effrayée. Le ménestrel se tourna vers le groupe de créatures nouvellement libéré.


— Restez ici et ne faites pas de bruit, j'en ai pour quelques minutes. J'ai un plan pour sortir.


Il fit signe au paladin de le suivre. Les deux hommes entrèrent dans un long couloir silencieux. Dès les premières statues, le guerrier sentit son estomac se serrer brutalement. Des demi-élémentaires, des succubes, des nains aux expressions figées dans la douleur et aux yeux vides étaient exposés comme des trophées, dans des mises en scène grotesques. Le paladin sentit sa respiration s'accélérer quand le ménestrel se stoppa devant l'un d'entre eux, l'air triste.


Comme les autres, Balthazar se trouvait là, le visage tordu par la douleur. Son regard vide paraissait posé sur lui. Théo resta un long moment à le dévisager, impassible, avant de faire volte-face et de donner un grand coup de pied dans le mur en hurlant de colère et de rage.


Le ménestrel resta yeux dans les yeux avec le mage, silencieux. Puis il marqua une pause, stupéfait. L'espace de quelques secondes, il aurait juré voir une étincelle de vie dans ses yeux écarquillés.


— Théo, dit-il lentement. Balthazar m'a demandé de te dire qu'il est désolé.


Le paladin se retourna. Il attrapa le ménestrel par le col et le jeta dans les statues, furieux.


— Et toi ?! T'étais où, putain ?! Tu l'as regardé se faire tuer sans rien faire ?! Quel genre de connard se fait passer pour son ami et le regarde crever ?!


— Je ne pouvais rien faire, grogna le ménestrel en se relevant. Je comprends votre colère, mais je n'avais pas le choix.


— T'aurais pu essayer ! Va te faire foutre.


Il donna un nouveau coup de pied rageur dans le mur et s'éloigna vers le laboratoire, sans se retourner. Aldo poussa un soupir et se tourna vers le mage.


— Je suis vraiment désolé.


Il emboîta le pas du paladin.


**********


Assis dans l'obscurité, Balthazar regardait la scène, impuissant. Théo paraissait vraiment bouleversé par sa « disparition », ce qui le rassura autant que ça lui brisa le cœur. Il avait tout tenté pour bouger, hurler, montrer qu'il était là. Rien n'avait fait. De l'autre côté d'une vitre invisible, son démon frappait inlassablement pour attirer son attention. Même ça, on lui avait interdit. Il ne pouvait plus se transformer, son démon était coincé.


Le côté positif, c'est que le démon ne le laisserait pas mourir. Enfin… Positif… Il aurait préféré mourir vite plutôt qu'agoniser dans la même position jusqu'à mourir de faim et de soif. Il n'était même pas certain qu'il allait mourir. Au moins, il avait pu revoir Théo. Les choses s'arrangeraient dans ce foutu camp, au prix de sa vie. Il le vivait bien.


— Laisse-moi sortir ! rugit le démon, d'une voix agressive.


— Je ne peux pas, tu le vois bien. Tu me donnes mal au crâne, arrête de hurler.


— Et alors, pauvre idiot ?! Tu vas juste nous laisser crever comme ça ?! T'es un démon ou un de ces chiens dégueulasse qui suivent leurs maîtresses ? Je te jure que si tu te bouges pas, je prends le contrôle et tu pourras me supplier à genoux d'épargner tes copains, ça changera rien.


Le mage fronça les sourcils, mais l'ignora copieusement, ce qui rendit fou sa partie non humaine, qui reprit son vacarme contre les frontières invisibles. Balthazar se coucha au sol et posa les mains sur ses oreilles, pour ne plus l'entendre.


— Ils vont me sauver, murmura-t-il. Je le sais. Ils vont y arriver.


Un bruit inhabituel le fit se redresser brutalement. Le démon l'observait à travers la vitre, satisfait. Et pour cause : une grande fissure venait d'apparaître sur celle-ci.


— Dégage de là, rit le démon, Papa arrive.

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