Particuliers

Chapitre 18 : Plonger dans le grand bain

1952 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 30/10/2025 17:12

Théo, Aldo et les prisonniers progressaient sans bruit vers la sortie, au bout du couloir des statues. Deux élémentaires portaient Balthazar tant bien que mal, la rigidité du mage ne leur facilitait pas la tâche. L'immortel avait un peu de mal à tenir debout, affaibli par plusieurs mois de mauvais traitement. Le paladin, concentré, avait récupéré son épée dans le laboratoire et la tenait fermement à la main, prêt à tuer le moindre individu suspect qui se présenterait.


— Il y a quoi derrière cette porte ? demanda-t-il à l'attention du ménestrel.


— Un couloir qui mène à la maison close, et un autre dans la cour du camp.


— Il y a des gens prisonniers dedans ?


— Malheureusement. Des jeunes demi-succubes, pour la plupart. J'ai vu passer des gamines de quinze, seize ans, rarement plus, chuchota-t-il.


Le guerrier hésita. S'il sauvait des demi-succubes, il se ferait moquer pendant plusieurs années par ses compagnons de route. Mais il aurait le sentiment d'avoir fait quelque chose de bien. Il se tourna vers les anciens prisonniers.


— Vous allez rester ici, et moi, je vais libérer les gamines.


— Tu es fou ! l'arrêta Aldo. Il y a les pires ordures du camp à l'intérieur.


— J'ai plus rien à perdre, grogna-t-il en pointant Balthazar de la tête.


— Je viens avec toi, alors, répliqua l'immortel. La cage empêchait la manifestation de mes pouvoirs. Je suis encore un peu faible, mais je peux essayer de t'aider.


Le paladin grogna, vaincu. Il ordonna aux autres de veiller sur le mage et se dirigea vers la porte du fond. Derrière celle-ci, un long couloir silencieux s'ouvrit à eux, couvert par deux rangées de portes face à face. Le guerrier en ouvrit une à la volée.


Enchaînée à un lit, une gamine d'à peine douze ans, nue, lui lança un regard de pure terreur. Elle tentait de cacher son corps maigre et couvert de bleus derrière une couverture miteuse. Tétanisé, le paladin se tourna vers Aldo, dans la pièce d'en face. Il s'avança vers lui avec des clés et une pile de vêtements.


— Il y a deux jeux de clés, pour les chaînes, et des vêtements dans la pièce derrière, expliqua le ménestrel. Je m'occupe des chambres d'en face.


Il posa le tas de vêtements sur le lit et sortit immédiatement. Théo se saisit des clés et se dirigea vers la petite. Elle se calma un peu quand il lui détacha les liens, avant de lui sauter dans les bras et de se mettre à pleurer à chaudes larmes en le remerciant. Théo, peu habitué aux marques d'affection, vira au cramoisi et secoua ses bras quelques instants, n'osant pas poser ses mains dessus. Elle finit par le lâcher pour s'habiller, le paladin la laissa et se dirigea vers la cellule d'à côté. Aldo allait beaucoup plus vite que lui, nullement gêné par la nudité des filles.


Dès qu'il ouvrit la cellule, une adolescente lui bondit dessus, visiblement déjà détachée. Elle donna un grand coup dans son entrejambe avant de serrer une chaîne métallique autour de son cou. Théo chercha à se débattre, mais elle lui maintenait fermement la tête avec ses jambes, tout en continuant à tirer. Paniqué, le paladin commença à chercher de l'air, les yeux écarquillés, avant qu'Aldo ne fasse irruption dans la pièce pour le libérer. Il plaqua la gamine contre le mur, la forçant à relâcher la chaîne. Le guerrier se releva et se mit à tousser bruyamment en se frottant le cou, choqué.


— Du calme ! Du calme ! hurlait Aldo. On est là pour t'aider, on ne va pas te faire de mal. On est là pour vous libérer.


La jeune fille au regard de feu se calma peu à peu. Des écailles rouges recouvraient ses bras et ses jambes, sorties sous le stress intense. Elle finit par lever les mains, en signe d'apaisement.


— Comment tu t'appelles ? demanda le ménestrel.


— Saphir, répondit la jeune fille.


— Je suis Aldo Azur, voici Théo de Silverberg. On va vous sortir de là.


Elle attrapa les vêtements qu'il lui tendait, méfiante, mais obtempéra. Le ménestrel titra le paladin en dehors de la pièce.


— Ça va ?


— Elle… tenté… tuer, articula le guerrier, essoufflé.


— Ça a l'air d'aller. Allez, on a encore du travail. Les gardes font une ronde toutes les heures, on a plus que quelques minutes.


Sans plus de cérémonies, ils foncèrent tous les deux vers de nouvelles chambres.


**********


Les uns derrière les autres, Shinddha, Mani, Victoria, Renard et Grunlek se frayaient un chemin dans les hautes herbes de la forêt longeant le camp. D'un commun accord, ils avaient laissé Ours et Feuille au camp, pour assurer un point de repère si Théo parvenait à s'échapper de lui-même. En tête de groupe, Mani commença à exposer son plan.


— Il n'y a qu'une porte qui est toujours ouverte au camp et non surveillée, parce qu'ils savent que rien n'en sortira et que personne serait assez fou pour venir de là. Mas il faut un sacré courage pour s'y aventurer, ce ne sera pas une expérience agréable.


— C'est trop beau pour être aussi simple, grogna Shinddha, juste derrière lui. C'est quoi l'embrouille ?


— Eh bien.. En fait, c'est l'endroit où terminent les toilettes… Et les cadavres.


Il entendit le groupe se stopper net derrière lui. Quand il se retourna, ils le dévisageaient tous, stupéfaits.


— Tu as un sérieux problème avec la merde, lâcha le demi-élémentaire, malade rien qu'à l'idée de renifler cette odeur abominable une deuxième fois.


— Je vous ai dit que ce serait pas agréable.


Il haussa les épaules et reprit la route, comme si de rien était. Les aventuriers tirèrent une grimace de dégoût avant de le suivre.


L'odeur de la zone arriva bien avant qu'ils aient un aperçu visuel de l'abomination. La « décharge » s'étalait sur une immense plaine boisée. Les arbres y étaient morts depuis un moment et des morceaux indéterminés dépassaient ici et là de monticules bruns. La porte du camp se trouvait à presque une lieue de leur position.


— Haut les cœurs ! lança Grunlek. Ça ne peut pas être aussi terrible que ça.


— En fait si, répondit Mani. À la base, ici, c'est une vallée. Donc, il y a une pente.


— Elle est où la pente ? demanda innocemment Renard.


— Eh bien, quand on aura plus pied, on le saura ! répondit l'elfe, enthousiaste.


Shin tira une grimace éloquente. Il se tourna vers Victoria.


— Honneur aux dames !


— Quelle bonne idée ! répondit-elle d'un air mesquin. Pars donc devant !


Le demi-élémentaire s'engagea dans la plaine sur quelques mètres, en marmonnant dans ses dents, puis disparut de leur vue, englouti par la matière fécale. Le groupe exprima sa compassion d'un « Euuurk » général avant que le pauvre archer ne remonte à la surface, paniqué.


— C'est dégueulasse ! geignit-il. Putain, c'est encore pire que l'odeur de la pisse d'Eden !


— Attention, cria Mani, je crois que tu as trouvé la pente !


Shinddha lui offrit un regard noir, avant de foncer vers lui, avec un saut élémentaire, pour le jeter dans la bouillie quelques mètres plus loin. L'elfe poussa un cri de dégoût et s'empressa de rejoindre le bord, tel un chat jeté à l'eau. Les deux aventuriers, couverts de déjections, commencèrent à s'éclabousser de merde, sous le regard consterné de leurs amis.


Malheureusement, après quelques minutes de recherche, les aventuriers ne parvinrent pas à trouver un autre chemin et se jetèrent tous dans la piscine de matière fécale. Malgré leurs prières pour que ça ne dure que peu de temps, ils pataugèrent pendant deux bonnes heures, bien plus pour Grunlek qui peinait bien à se maintenir à la surface, avant d'atteindre l'autre rive. Eden, quant à elle, abandonna lâchement les aventuriers dès qu'ils se lancèrent dans les crottes. Hors de question qu'elle ne trempe ne serait-ce qu'une patte là-dedans.


Épuisés et sales, mais toujours déterminés, il ne leur restait plus qu'à s'infiltrer. Le plus dur ne faisait que commencer.


*********


Balthazar se sentait nauséeux. Trimballé d'une pièce à l'autre par les prisonniers du laboratoire, parfois la tête en bas, il commençait à ressentir un besoin urgent de vider son estomac. Et sa vessie également, par ailleurs. Pourtant, toujours figé, il ne pouvait que geindre pour lui-même et son démon, toujours occupé à frapper sur cette vitre invisible, en le menaçant.


Le mage avait vu Théo et Aldo quitter son champ de vision quelques secondes plus tôt et il angoissait déjà. Au moins, le paladin avait eu assez d'intelligence pour l'emmener avec eux. Si le bourrin le pensait déjà mort et enterré, le ménestrel avait tendance à le regarder longuement dans les yeux, comme s'il suspectait qu'il soit toujours là. Il avait déjà tenté de les contacter mentalement, tous les deux, sans succès.


— Je vais te buter ! hurla une nouvelle fois le démon. Tout ça, c'est de ta faute, espèce d'incapable. Si t'avais hérité du corps de ta mère, on n’en serait pas là !


Balthazar pinça les lèvres, blessé dans son amour propre, mais l'ignora malgré tout. La fissure sur la vitre s'était nettement élargie et la partie humaine qui logeait dans ce corps paniquait de plus en plus. Même s'il réussissait à briser la barrière mentale, le problème restait le même : il était paralysé. En revanche, le démon pourrait bien le tuer en essayant de s'échapper. Plus les heures passaient, plus il se sentait faible, physiquement comme psychologiquement. Le démon le sentait, et il savait qu'une part de son excitation provenait également de là.


— Tu vas nous tuer, répondit la partie humaine, amère. Tu bousilles nos forces pour rien, tu ne pourras pas t'échapper. Tu le sais, non ? Alors pourquoi est-ce que tu t'acharnes ?


— Au moins, je fais quelque chose ! rugit le démon. Ton Théo, il ne connaît que dalle à la magie. Il va nous laisser crever. Fais quelque chose !


— La connexion mentale ne fonctionne pas. J'ai déjà essayé tout ce que je pouvais. Rien ne fonctionne. Rien. Tout ce qu'on peut faire, c'est attendre.


— Laisse-moi le contrôle !


— Pour faire quoi ?! Tu ne pourras pas te transformer, tu entends ce que je dis ?! On est figé dans le temps !


Le démon se jeta une nouvelle fois sur la vitre, ce qui fit sursauter Balthazar.


— Regarde ça. Tu hausses la voix, chantonna-t-il, mais tu trembles rien qu'à l'idée que je me libère. Ton père a raison, tu es une déception.


— Et si tu changeais de refrain ? Ça fait trente ans que tu me sors la même vieille rengaine. Tu radotes, mon vieux. Je te rappelle que tu ne possèdes pas la moitié de mon cerveau.


Il se leva et s'approcha de la vitre. Il posa sa main sur celle-ci, la fissure se répara.


— Ce que tu oublies, cher démon, c'est que, tant que je serais là, tu n'auras pas la moindre influence sur moi.


— Tu as raison. J'ai été bien trop gentil pendant trente ans. À partir d'aujourd'hui, je vais te faire vivre l'enfer que tu mérites.


— Alors, amène-toi. Je t'attends.


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