Particuliers

Chapitre 19 : L'appel de la vie

1813 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/11/2025 12:26

Collé contre un des murs entourant la porte de sortie, Théo guettait le moindre bruit. Derrière lui, une longue file de jeunes femmes et de prisonniers fatigués patientait en silence. Saphir, ravie d'avoir retrouvé Rivière, tenait fermement l'adolescente contre elle, méfiante. Aldo, après s'être assuré que tout le monde tenait le coup, se rapprocha du paladin.


— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? chuchota-t-il. On passera jamais les portes du camp, ils vont nous abattre à vue.


— Je sais. Est-ce que tu connais un endroit sécurisé pour les cacher le temps de trouver une solution ?


— J'ai pas eu l'occasion de me promener. En revanche, il y a cet elfe.... Nami, Mani, quelque chose comme ça…


— Mani le Double ?


— Oui, lui. Il est ici depuis plus longtemps que n'importe lequel d'entre nous. Si on le trouve, il pourra nous aider.


Le guerrier tira une grimace.


— Le gars qui s'occupe du camp a dit qu'un elfe s'était tiré avec Shinddha avant qu'on arrive. Je pense qu'ils sont loin d'ici. Un autre plan ?


Le ménestrel réfléchit un instant, avant de relever le regard vers son compagnon.


— Mes pouvoirs reviennent peu à peu. Je peux tenter de figer le temps pour vous laisser le temps de trouver une cachette. Mais ça prend beaucoup d'énergie, je ne pourrais pas suivre le mouvement. Vous n'aurez que quelques minutes.


— Hors de question, on part tous.


— Ce n'était pas une question.


Théo poussa un soupir, vaincu.


— Il te faut combien de temps ?


— Pour retrouver mes capacités intégralement, deux bonnes heures. Mais disons que je pourrais commencer à les utiliser dans quelques minutes. Mais vous aurez moins de temps. Je peux vous offrir dix minutes, grand maximum.


— On reviendra te chercher.


— J'espère bien.


Théo se tourna vers les survivants du camp. Saphir pointa immédiatement le mage, couché contre le mur, les yeux grands ouverts.


— Et lui, qu'est-ce qu'on en fait ? Il va nous ralentir.


Le paladin s'approcha du mage et poussa un soupir. Toujours immobile, le regard éteint, son visage criait l'horreur de l'instant où il avait été figé. Théo s'abaissa à son niveau et chercha un pouls, en vain. Et s'il était mort ? La gamine avait raison. Il ne voulait pas infliger cette vision à ses compagnons, s'ils venaient à les secourir.


Aldo posa une main sur son épaule.


— Je veillerai sur lui tant que je le peux.


— Tu penses qu'il est… ?


— Je ne sais pas. Je ne veux pas te donner de faux espoirs.


Le guerrier renifla bruyamment et détourna le regard pour regagner la porte, résigné. Le ménestrel se concentra et enclencha la préparation du sort.


— À ton signal, déclara Aldo.


— C'est parti, grogna le guerrier.


*********


Shin, Victoria, Grunlek, Renard et Mani venaient d'entrer dans le camp. Ils longeaient les barrières, en file indienne, en direction du village des esclaves. L'elfe avait en tête de libérer quelques personnes pour les aider à faire diversion. La tâche s'avérait ardue : depuis l'échappée spectaculaire du télékinésiste et de l'archer, les gardes paraissaient plus attentifs.


Après quelques minutes à tenter en vain d'entrer sans se faire voir, ils se rendirent à l'évidence : il fallait se débarrasser des trois gardes qui rôdaient dans les parages. Cependant, là aussi, ne pas alerter l'ensemble du camp s'avérait compliqué.


Alors qu'ils discutaient à voix basse, Mani décida de faire cavalier seul. Il s'éclipsa du groupe et s'approcha d'un garde qui urinait tranquillement dans les buissons. Il attrapa un gros caillou, et le claqua derrière la tête du pauvre homme, surpris, qui s'effondra lourdement à terre. L'elfe l'attrapa sous les bras et le tira vers ses compagnons. Il perdit son pantalon en route, mais le télékinésiste n'eut pas le temps de retourner sur ses pas, un autre garde venait de ramasser le vêtement.


— Marc ? appela-t-il. Putain, si t'es encore en train de baiser un elfe dans les buissons, je te jure que je te coupe les couilles ! J'en ai marre de te couvrir moi.


Caché derrière un arbre, le corps de « Marc » dans les bras, Mani paniqua intérieurement en voyant l'homme arriver. Il gonfla les joues et embrassa sa victime à pleine bouche quand le garde le découvrit.


— Putain, t'es dégueulasse, Marc ! Et qu'est-ce que…


Mani se retourna et lui mit un coup de pied à la tête, le mettant KO.


Le reste du groupe arriva bientôt près de lui. Grunlek lui lança un regard suspicieux en voyant l'homme cul-nu dans les bras du télékinésiste.


— C'est pas ce que vous croyez.


— Je veux même pas savoir, grogna Shin. Renard, viens avec moi. On va les balancer dans la merde. Occupez-vous du dernier.


Les demi-élémentaires saisirent les assommés, après avoir volé leurs épées, et disparurent rapidement de leur champ de vision. Grunlek avait déjà repéré le troisième garde, qui criait sur une jeune femme qui peinait à se relever, deux énormes sacs de grains sur le dos. Dès qu'il leva la main pour la frapper, le nain bondit des buissons. Il déclencha son poing mécanique qui se décrocha et s'encastra avec force dans la poitrine de l'homme qui suspendit son geste avant de s'écrouler, mort sur le coup.


Les esclaves, inquiets, sortirent prudemment la tête des petites cases qui bordaient le chemin terré. Des murmures commencèrent à s'élever dans leurs rangs avant que quelques courageux n'osent approcher. Grunlek sentit la colère monter en lui en les découvrant. La plupart étaient squelettiques, couverts de bleus et de blessures infectées, certains avaient des doigts coupés ou le visage brûlés. Des « R » gigantesques avaient été tatoués sur chacun d'entre eux, au fer rouge.


Mani s'avança au milieu de la foule, saluant les différentes personnes qu'il avait appris à côtoyer pendant longtemps. Il avait aidé la plupart d'entre eux et il les savait redevables. Grunlek prit la parole.


— Je sais que vous avez tous vécu des jours difficiles et que vous avez peur. Nous sommes là pour vous aider. On n'est pas beaucoup, vous l'avez remarqué, mais avec votre aide, on pourrait bien changer les choses.


— Il a raison, reprit Mani. Je vous ai promis que, si je m'échappais, ce serait avec vous tous. Je suis revenu spécialement pour ça. On le fera peut-être pas tous, on risque même de tous se faire tuer…


— Mani, chuchota Grunlek, c'est pas ce qu'ils ont besoin d'entendre…


— Même si on meurt tous, au moins on mourra libre ! Bon, on sera quand même mort, mais pas en esclave. Enfin, bref, on y va !


Les esclaves se regardèrent les uns les autres, nerveux, avant que l'un d'entre eux acclame le nom de l'elfe, suivi par ses camarades. Rassuré, Grunlek poussa un soupir de soulagement. Il se tourna vers l'elfe.


— Et maintenant ? On peut pas y aller comme ça, aucun d'eux n'est armé.


— Je sais. L'armurerie est juste à côté. On s'occupe des gardes et on fout le bordel.


— Alors c'est parti.


Le groupe se mit en marche vers son futur.


*********


— Tu penses qu'il est…


— Je ne sais pas. Je ne veux pas te donner de faux espoir.


Balthazar sentit son cœur se briser quand Théo détourna le regard. Il avait choisi de l'abandonner. Bien qu'il comprenne sa décision, l'idée de se trouver de nouveau seul le terrifiait. Certes, il y avait Aldo, et son démon, mais ce n'était pas un entourage qu'il qualifiait de stable.


— Oh, ton paladin vient de te lâcher ! Quel dommage ! chantonna le démon, comme pour lui rappeler son existence. Génial. Maintenant on est coincé avec un barde. Je te jure, s'il se met à chanter, je l'égorge.


Le diable s'approcha de la barrière, bariolée de fissures. Ce n'était plus qu'une question de minutes avant qu'elle ne cède. Malgré les tentatives du mage pour le contenir, Enoch revenait encore et toujours, de plus en plus fort, de plus en plus violent. Les fissures ne se refermaient plus et il se sentait de plus en plus oppressé. De temps à autre, le démon l'attaquait mentalement, le plongeant dans un état de stress intense avant qu'il ne reprenne temporairement le contrôle.


Depuis sa dernière tentative, il faisait de son mieux pour l'ignorer. Il se contentait d'observer Théo partir, avec la peur terrible de ne plus jamais le revoir. Même s'ils réussissaient à le ramener, si le démon prenait le contrôle, il savait qu'il n'y survivrait pas.


— As-tu peur de la mort, Balthazar ? demanda Enoch d'une voix étrangement calme.


— Non, mentit le mage. Mais toi, tu le devrais. Tu te rappelles de ce que Théo a promis ? Même si l'on s'échappe, tu n'iras nulle part. Et je mourrais avec la satisfaction que tu crèveras comme le lâche que tu as toujours été, « papa ».


— Tu dis ça comme si tu avais un jour été courageux. Le vrai lâche, de nous deux, c'est bien toi. Ne t'y trompe pas. Rappelle-moi qui t'as sauvé les fesses quand tu crevais de faim après avoir fait le coq et fui l'Académie des Mages ? Qui t'as sauvé du froid pendant que tu te laissais crever dans la neige ?


Le mage poussa un grognement et lui tourna le dos.


— Aurais-je touché une corde sensible ? Tu crois que ça me fait plaisir de vivre avec toi ? De supporter tes crises d'égocentrisme permanentes et ton arrogance feinte ? Tu oublies trop facilement que je peux te couper l'alimentation de tes pouvoirs. Et qu'est-ce qu'il te restera alors ?


Balthazar secoua la tête et se tourna vers lui.


— Il me restera mes amis. Si je ne suis plus rien pour toi, je sais que c'est faux à travers leurs yeux. Je sais aussi qu'ils me connaissent assez pour savoir ce que je veux si tu t'en prends trop violemment à moi. Je préférerais mourir que de te laisser regarder détruire ce que j'aime. Et si tu contrôles mes pouvoirs, n'oublie pas que je contrôle encore mon corps. Si tu deviens trop insistant, je me ferais un plaisir de me jeter sur l'épée de Théo.


Le démon piaffa, avant de se jeter sur la vitre. Il y eut un craquement sinistre. Balthazar se releva, humble, et se prépara. La fissure s'intensifiait. Il leva la main, une boule de feu commença à se former. La vitre céda brutalement. Le mage poussa un cri de rage et jeta le sort sur le démon.


Un combat venait de s'engager. Une seule issue devenait possible : la mort de l'autre parti.


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