Particuliers

Chapitre 22 : Tant que l'horloge tourne

1927 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/11/2025 22:17

L'obscurité gagnait du terrain dans la tête de Balthazar, mais sa menace paraissait avoir fait mouche. Le démon regardait autour de lui, nerveux, et battait en retraite. C'est alors qu'une lueur les éblouit tous les deux, provenant des yeux du mage. Un éclat de psyché traversa le corps du demi-diable et provoqua chez lui un sursaut d'orgueil.


La magie temporelle ne plut immédiatement pas au démon. Si Balthazar retrouvait ses facultés mentales, il pouvait dire adieu à la liberté. Il détourna son attention de sa proie pour attaquer les ondes magiques avec sa propre psyché. Les deux pouvoirs s'annulaient et Balthazar restait coincé dans une stase qui le mettait de plus en plus mal à l'aise. Plus le démon piochait dans sa psyché, plus ses capacités mentales faiblissaient. Il tenta en vain de s'interposer, mais le démon s'était constitué une coque impénétrable.


Impuissant, il ne put que regarder son côté sombre grignoter peu à peu sa force vitale, après avoir vidé l'intégralité de sa magie.


— Tu vas nous tuer ! cria-t-il en vain. Arrête, s'il te plaît !


Le démon ne l'écouta pas. C'est à ce moment-là que Balthazar aperçut une forme bouger près de lui. La douleur l'aveuglait et ne permettait pas de distinguer ce qui l'entourait. Après déduction, il pensa que Théo revenait pour l'achever. Désespéré, il prit brièvement possession du corps d'Aldo, pour faire passer son message. Quand il le termina, son esprit était sur le point de céder.


La partie humaine serait bientôt inconsciente et les dieux seuls savent ce que le démon ferait. Cependant, une source magique inconnue ébranla son corps. Le sort de son démon se coupa soudainement. Le mage écarquilla les yeux.


— Une gemme de l'abîme…


Il jeta un coup d'œil à son démon. Lui aussi l'avait vu. La pierre se créait lentement dans son esprit. Balthazar se jeta sur le démon, pour l'empêcher de la toucher. Les deux esprits absorbèrent la psyché et la pierre explosa sous leur impulsion.


Il fit tout noir.


*********


Théo enfonça la porte du laboratoire d'un grand coup d'épaule. Bloquée par les gravats, elle peinait à s'ouvrir. La pièce s'était effondrée sur elle-même après une grande explosion et le paladin commençait à craindre le pire. Une fumée noire épaisse flottait au-dessus de l'endroit.


— Shin !


Le demi-élémentaire se trouvait à ses pieds, inconscient. Théo le dégagea des gravats et le traîna dans le couloir. Légèrement blessé, il paraissait tout de même aller bien et reprenait ses esprits. Le paladin replongea dans les gravats. Il réussit à récupérer Mani, pas loin de la position de l'archer et le traîna lui aussi dans le couloir.


Les autres n'étaient pas visibles. Le guerrier se rappela mentalement l'agencement de la pièce et poussa des cailloux pour se faire un chemin plus ouvert. Contre le mur, il entendit des bruits de fracas. Grunlek ne tarda pas à émerger, Aldo contre lui. Les deux aventuriers avaient réussi à s'en tirer à bon compte, sans trop de dégâts.


— Balthazar est là-dessous, dit-il en pointant un tas plus imposant de graviers. Mais… Fais attention. Avant que ça arrive, il nous a dit qu'il avait une chance de revenir en démon.


Théo hocha la tête et commença à déblayer les rochers agglutinés autour de la table du laboratoire. La robe rouge du mage ne tarda pas à apparaître et il redoubla d'efforts. Baltazar avait les yeux fermés et sa peau avait moins l'allure de l'acier. Le guerrier le traîna hors des gravats et rejoignit les autres dans le couloir. Il posa doucement le corps du mage au sol et se tourna vers les autres.


— Qu'est-ce qui s'est passé ?


— Aldo n'avait pas assez de puissance pour ramener Bob, je lui ai donné la gemme de l'abîme de mon bras métallique pour l'aider, expliqua Grunlek. Elle a surchargé et explosé, comme tu as pu le voir.


Le nain tira péniblement son bras métallique vers lui et commença à élaborer une écharpe improvisée avec un bout de corde qui traînait. Shinddha, déjà debout, s'était rapproché de Balthazar, toujours immobile. Plus les secondes s'égrainaient, plus sa peau blêmissait, laissant craindre le pire à ses compagnons. Néanmoins, il respirait de nouveau, et même s'il se réveillait en démon, Grunlek avait l'impression de ne pas avoir fait tout ça pour rien.


— J'espère qu'on a réussi, souffla Grunlek.


Théo lança un coup d'œil au corps. Il serra les poings et détourna immédiatement le regard.


— Je suis désolé, murmura-t-il. Pour… tout à l'heure.


— C'est rien, répondit le nain en souriant. On est tous un peu sur les nerfs. Shin, Mani, vous voulez bien emmener Aldo au poste de soin pour qu'il se repose ?


Le demi-élémentaire jeta un regard circonspect à ses compagnons, mais s'exécuta en silence. Ils soulevèrent le vieux ménestrel, qui pouvait à peine marcher et le guidèrent vers l'extérieur. Grunlek referma la porte derrière eux.


— Je pense qu'il faut l'immobiliser, au cas où ça tourne mal, dit-il à voix basse, à destination de Théo. Il y a des cages dans les gravats derrière. Au moins par sécurité. Je ne pourrais de toute façon pas combattre, mon bras ne fonctionne plus, je veillerais sur lui.


— Pourquoi avoir écarté Shin ?


— Je… Je ne veux pas qu'il le voie si ça tourne mal.


Théo voulut répliquer qu'il ne le souhaitait pas non plus, mais les mots ne passèrent pas la frontière de ses lèvres. Résigné, il souleva le corps du mage et, après avoir déblayé un espace jusqu'à une cellule, le plaça à l'intérieur. Les deux aventuriers placèrent des chaînes annihilatrices de magie autour de ses chevilles et de ses poignets, en mesure supplémentaire, puis fermèrent la porte. Au moins, si le démon sortait, il serait affaibli et retenu temporairement.


En fouillant un placard éventré, Théo trouva un peu d'eau et quelques biscuits. Grunlek les garda précieusement. Le mage n'avait pas mangé depuis un moment, et cela pouvait rendre grognon n'importe qui. Le paladin confia un des poignards que Shin avait abandonné en sortant, au cas où la situation dérapait, puis laissa le nain seul, l'esprit peu tranquille. Il avait une bataille à mener.


**********


L'explosion ne paraissait pas avoir empêché le bon déroulement des opérations. Victoria et Renard avaient terminé le tri, il ne restait donc que les personnes susceptibles de combattre avec eux. Théo en compta une centaine, il ignorait si cela suffirait. Il n'avait aucune idée de ce qu'ils affronteraient à l'intérieur et il craignait un nombre trop important de mercenaires.


Le paladin se rapprocha de Victoria. Elle tenait une plaque de métal dans ses mains qu'il reconnut immédiatement. Ses yeux s'écarquillèrent et un grand sourire illumina son visage.


— Mon armure ! cria-t-il, comme un gamin le jour de Noël.


— J'ai demandé à ce que les escortes la ramènent en revenant du camp.


Il ne l'écoutait déjà plus. Il avait jeté son épée rouillée au loin et enfilait les morceaux de métal avec force. Victoria secoua la tête lorsqu'il serra son bouclier contre lui, comme s'il s'agissait d'un gros chien qu'il retrouvait après quelques jours d'absence. Amusé, Renard leva un sourcil. C'était bien la première fois qu'il voyait Théo d'aussi bonne humeur. Une fois entièrement habillé, le guerrier reprit son air sérieux. Il gardait néanmoins cet air radieux sur le visage.


— Toutes les barricades sont dressées, lâcha sa sœur pendant qu'il faisait quelques moulinets avec son épée. Le manoir est cerné, tous les tunnels indiqués par Mani ont été bloqués. Ils n'ont plus qu'une sortie possible, la porte d'entrée.


— Très bien. Je vais partir en première ligne avec Shin et Mani, expliqua le guerrier. Garde les troupes motivées dehors et prêtes à réceptionner le flot de mercenaires paniqués qui sortiront de là-dedans. Ils vont chier dans leurs frocs, foi de Silverberg.


Victoria lui sourit. Elle lui fit un salut militaire et se dirigea vers un groupe d'esclaves. Quelques secondes plus tard, plusieurs personnes hurlaient de se rassembler à l'avant dans tout le camp. Théo se tourna vers Renard.


— C'est trop dangereux pour toi, gamin. Mais j'ai une mission très spéciale à te confier. Tu vois ce gros sac, là-bas, près des tables ? Il appartient à Grunlek, mon ami nain. Dedans, il y a des gemmes de rechange pour son bras métallique. Apporte-lui et reste là-bas jusqu'à ce que le combat se termine. Il te protégera.


L'adolescent tira une grimace, moyennement convaincu, puis finit par obéir. Il croisa Shinddha et Mani sur la route, qui revenaient de l'infirmerie. Le demi-élémentaire, armé d'un nouvel arc, lui sourit.


— Courage, c'est la dernière ligne droite, lui dit-il. Après ça, on fera la grosse fête et on te ramènera chez toi. File embêter Grunlek, c'est un vieux grand-père, il a besoin de compagnie.


Le garçon lui donna une brève accolade avant de partir vers le laboratoire. Shin espéra simplement qu'il ne répète pas ce qu'il venait de dire au nain. Il le regretterait sans aucun doute plus tard. Mani le suivit en silence, contrarié. Le demi-élémentaire le remarqua immédiatement.


— Quelque chose ne va pas ?


— Sans télékinésie, je vois pas à quoi je peux servir.


— Bah… Tu sais te battre au corps à corps, et tu sais plutôt bien viser. Balance tes machettes sans magie, ça marche aussi. Ou lance-leur des briques à la gueule.


Le télékinésiste fit la moue, peu convaincu. Shin posa une main sur l'épaule de l'elfe.


— Tu te rappelles Menki Dal ?


— Bien sûr.


— T'étais énervé, il y avait rien qui pouvait t'arrêter, même pas nous. Ces connards ont fait de ta vie un enfer pendant je ne sais combien de mois. Tu ne me feras pas croire qu'au fond de toi, il n'y a pas une partie de tes aptitudes d'assassin qui ont envie de se venger. Tu vas me faire le plaisir de te ressaisir et de leur botter le cul. Et puis bon, s'il y en a bien un qui devrait avoir l'honneur de faire sauter la tête de cette enflure de Collectionneur, c'est toi.


Mani baissa les yeux. Shin jura voir ses joues rougir l'espace d'un instant, avant qu'il ne relève la tête, l'air décidé. Il attrapa une de ses machettes, la lança dans les airs et la récupéra par la lame en catastrophe, s'écorchant la paume de la main au passage. Il essuya le sang sur son armure de cuir avant de sourire à l'archer, gêné.


— Ouais ! Allons leur botter les fesses !


Ils rejoignirent Théo. Après quelques minutes à parler de stratégie, les trois aventuriers défoncèrent la porte du manoir et se précipitèrent à l'intérieur, l'arme au clair. Le dernier combat venait de débuter.


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