Particuliers
Chapitre 23 : Une course contre la mort
2308 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 19/11/2025 19:13
Plusieurs mercenaires faisaient face à Théo, Shinddha et Mani. Le paladin se défendait bien, malgré ses trois adversaires qui cherchaient à le déstabiliser. Mani se battait au corps à corps de l'autre côté de la pièce, soutenu par Shinddha qui tirait ses flèches aux points stratégiques : genoux, mains, beaucoup de guerriers se repliaient déjà. L'elfe était plus en difficulté. La fatigue accumulée ces dernières semaines affectait ses réflexes et il avait déjà pris un coup de poing dans l'épaule qui lui avait fait bien plus mal qu'à l'accoutumée. Il savait qu'il ne tiendrait pas longtemps, mais faisait son mieux pour ne pas le montrer à ses deux adversaires.
D'un coup d'épée d'une violence inouïe, Théo trancha le bras d'un de ses assaillants. Il recula en hurlant de douleur, ce qui déconcentra les deux autres. Le paladin profita de la diversion pour assommer l'un d'eux avec son bouclier pendant qu'il transperçait sans problème l'armure de cuir du second, au niveau de la poitrine. Débarrassé de ses assaillants, il se tourna vers ses compagnons.
— Mani, ta garde ! hurla-t-il.
L'elfe ne l'écouta pas. Un violent coup de hache le surprit derrière lui et il fut propulsé contre le mur. Il ne parvint pas à se redresser, trop affaibli. Shin prit le relai. Il créa une dague de glace et la planta dans la carotide de son adversaire, pendant qu'il se tournait vers le guerrier. Le dernier mercenaire voulut se replier, mais Théo jeta son bouclier à travers la pièce. Le bout de métal s'encastra dans la tête du pauvre homme qui s'effondra au sol, sonné.
Shinddha rangea son arc et se rapprocha de l'elfe, toujours au sol. Il se tenait l'épaule, les dents serrées. Le demi-élémentaire poussa sa main et regarda un peu son état.
— C'est déboîté, dit-il calmement, en se rappelant douloureusement ce que ça faisait. Tu devrais retourner dans le camp pour te faire soigner.
— Non, s'il te plaît. Je vais… Je vais combattre à une main. Je veux l'affronter.
L'archer poussa un soupir et se tourna vers Théo, qui réfléchissait. Il finit par secouer la tête.
— Je suis désolé, tête d'andouille, mais tu vas nous ralentir. C'est déjà assez chaud pour qu'on surveille nos arrières, on pourra pas te couvrir si tu te fais blesser plus sérieusement. Retourne au camp.
— Non. Je peux… C'est rien. J'ai même pas mal, mentit-il. Je… Je dois le tuer moi-même. Pour les centaines de gamins qui ne l'ont pas fait jusqu'ici. Vous avez vu la décharge. Les corps qu'on croisait, je les ai côtoyés pendant un moment avant qu'ils ne meurent de fatigue ou sous les coups de fouet de leurs bourreaux. Certains par ma faute. Je dois le faire. Pour eux.
Shin comprenait parfaitement son envie de vengeance. Elle l'avait animé, lui aussi, après le massacre de son peuple. Ses amis lui avaient prouvé qu'il avait tort de l'entretenir. La mort ne règle rien. Le demi-élémentaire s'accroupit à son niveau.
— Je te propose un marché. On va faire ce qu'on peut pour maintenir cette enflure en vie, et tu reviendras l'achever. Et si jamais on réussit pas à le garder en vie…
Il attrapa une de ses machettes.
— Je m'assurerai personnellement que c'est une de tes machettes qui le poignardera en plein cœur.
Mani lui sourit. Il poussa un soupir et s'avoua vaincu. Shin l'aida à se relever et l'elfe se dirigea vers la sortie. Théo l'arrêta.
— Dis à Victoria de faire entrer une unité à l'intérieur, pour sécuriser les lieux.
Il hocha la tête et continua sa route. Le paladin fit signe à Shin de le suivre. Ils pénétrèrent plus en profondeur dans le manoir, dans un grand salon. La pièce était déserte, mais la table couverte de papier. En posant la main sur un fauteuil, Shin s'aperçut qu'il était encore chaud.
— Il était là il y a peu de temps, dit-il à son complice. Je vois pas d'autres sorties dans la pièce. Il est peut-être encore ici.
Théo jeta un coup d'œil aux murs. De nombreuses bibliothèques entouraient les fauteuils luxueux. Il se mit à les arpenter, méfiant. Shinddha s'était installé sur le fauteuil et inspectait les papiers. Il tira une grimace en lisant le premier de la pile.
— Un problème ? demanda Théo.
— Ouais. Ces connards m'ont vendu à l'Église de l'Eau. C'est le contrat de vente.
Il l'arracha d'un geste sec et le balança derrière lui. Il attrapa d'autres feuilles qu'il commença à examiner avec attention.
— Il s'appelle Frank de Mont-Rouge, lâcha Shinddha.
— Qui l'a anobli ?
— Le roi des terres de l'est. Et plus intéressant, c'est lui qui a demandé la construction de ce camp, pour avoir un espace d'influence sur l'ouest. Apparemment, ils manquent d'esclaves à l'est, ils ont une pénurie de naissances de non-humains. Ils les ont anéantis au point qu'ils n'en trouvent plus. Ils essayent de s'emparer de ceux présents ici. Des traîtres se cachent sans doute à Castelblanc, vu ce que disait Mani, il faudra en informer Victoria.
— Ouais, ouais. D'abord, on coince cette ordure.
Shin reposa le papier et en prit un autre. Son regard s'écarquilla.
— Oh merde.
Théo se tourna vers l'archer.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Il a envoyé un rapport sur nous aux terres de l'est. On est officiellement fichés comme terroristes et notre arrestation vaut un certain prix. Il faudra rajouter ça à la liste des endroits où l'on a plus le droit d'aller sous peine de crever, dit-il en riant.
Le paladin leva les yeux en l'air et reprit son inspection des étagères. L'une d'elles attira son attention. Les livres paraissaient discordants, comme s'ils étaient faux. Le guerrier ouvrit la bibliothèque, dévoilant un passage qui s'enfonçait dans les souterrains du manoir. Un sourire illumina son visage.
— Tiens, tiens. Le rat s'est enfoncé dans sa tanière.
Les deux aventuriers se lancèrent immédiatement à sa poursuite.
**********
Confortablement installé dans les restes d'un fauteuil en cuir, Grunlek méditait le regard perdu sur le corps inconscient de Balthazar. Il réfléchissait aux conséquences que la libération du camp aurait sur toutes ces pauvres âmes. Pour l'instant, l'adrénaline les poussait à aller de l'avant, mais une fois les événements terminés ? Combien d'entre eux vivraient traumatisés de ces mois d'enfermement ? Combien pourraient vaciller du mauvais côté juste par crainte des hommes ?
Il avait bien vu le regard de Mani. L'elfe avait perdu son insouciance légendaire. Il était toujours sur ses gardes, presque nerveux, et le moindre mouvement brusque le faisait sursauter. Il l'avait même vu se couvrir instinctivement le visage plus tôt, lorsque Shinddha s'était étiré. Mani n'allait pas bien. Mani souffrait.
Combien de Mani se trouvaient dans ce camp ? Grunlek craignait que leur nombre soit beaucoup plus important. Les adultes pourraient s'en remettre avec le temps, mais les enfants ? Beaucoup d'entre eux ne connaissaient que ça. La nurserie était pleine de petits demi-diables et demi-élémentaires en devenir à qui il allait falloir trouver une famille capable de les aider à évoluer sereinement. Fort d'Acier restait la meilleure solution. Les murs solides de la citadelle des nains permettrait de leur donne l'illusion d'un sentiment de sécurité pendant quelques mois. Encore fallait-il que son peuple accepte un tel flux migratoire…
Il poussa un long soupir et s'allongea plus confortablement dans son siège. Il n'avait pas dormi depuis deux jours et la fatigue commençait sérieusement à se faire sentir. Il ferma les yeux et s'assoupit quelques instants avant que des bruits de pas ne résonnent derrière lui. Il se retourna. Renard attendait à la porte, mal à l'aise, son sac dans les mains.
— Désolé, Maître Nain, je ne voulais pas vous déranger.
Grunlek lui sourit chaleureusement.
— Tu ne me déranges pas, entres.
— Théo m'envoie vous rendre votre sac. Il dit qu'il y a des gemmes de rechange dedans, pour votre bras. Il m'a aussi dit de rester ici jusqu'à la fin de la bataille.
Il joignit le geste à la parole et déposa le sac à ses pieds. Grunlek lui pointa un deuxième siège en cuir, qui traînait près de la porte et qui avait survécu à l'explosion. Renard le tira et s'installa près de lui.
— Les gemmes sont dans la première poche, à l'intérieur, dit le nain. Je les aurais bien récupérés moi-même, mais avec une seule main, difficile de retirer les lanières.
Renard commença à tirer les morceaux de cuir, tout en lançant des regards curieux à son bras métallique. Il ne résista pas longtemps avant de poser une question, dévoré par la curiosité.
— Il vient d'où votre bras ?
— C'est un ami mage qui l'a fabriqué, répondit l'intéressé avec bienveillance. Je suis né avec un seul bras, ça me rendait triste et il a tout fait pour me redonner le sourire.
— Ça doit être quelqu'un de bien.
— En effet. Je tiens beaucoup de lui, à dire vrai. Ni mon père ni mon oncle n'a été un grand modèle de paternité.
— Comme mon père, soupira l'adolescent.
Il tira deux grosses gemmes d'un rose luminescent du sac, qu'il tendit à Grunlek. Le nain remonta l'imposant bras métallique sur ses genoux et ouvrit un compartiment caché, sous le regard fasciné de Renard. Il plaça les gemmes à l'intérieur. Le bras émit un bruit mécanique, comme si des rouages se remettaient en route à l'intérieur, puis les doigts du nain s'étirèrent. Grunlek bougea un peu son bras, rassuré de ne plus avoir à le porter.
— Il n'est pas trop lourd ? demanda l'adolescent, sceptique. Je veux dire, vous allez avoir des problèmes de dos plus tard, non ?
— Ne t'inquiète pas pour moi. Quand il est activé, il ne pèse rien. C'est des secrets de la technologie naine.
Renard sourit avant de reprendre son récit, plus calme, mis en confiance par l'entrain du nain.
— Mon père m'a jeté à la porte quand je me suis transformé en demi-élémentaire. J'ai dû apprendre à me débrouiller très tôt. Quand j'ai rencontré Loup, j'ai su que ce n'était pas vraiment de ma faute. On a fondé ce camp à deux, on a élevé autant de gamins qu'on pouvait. Je crois que je veux être le père qu'ils n'auront jamais. Un peu comme vous avec les aventuriers.
Grunlek se mit à rire.
— C'est vrai que de temps en temps, ils se comportent comme des enfants. Mais tu as raison. Peut-être qu'au fond, n'avoir jamais connu l'amour du foyer fait de nous des gens meilleurs et plus compréhensifs. Quand tout sera fini, je peux vous trouver un foyer chez moi, à Fort d'Acier. On a de la place, je suis sûr que les enfants s'y plairont.
Renard secoua la tête.
— Je ne peux pas. Il y a encore beaucoup d'enfants comme nous à Castelblanc. Je veux les aider.
— Alors, tu peux au moins compter sur mon peuple pour te livrer de quoi créer des barricades et des habitations plus décentes. Je n'aime pas l'idée de vous voir livrés à vous-même.
Le garçon approuva l'idée. Il tourna la tête vers la cage.
— Maître nain…
Grunlek en fit de même et écarquilla les yeux. Balthazar se tenait assis, immobile. Ses cheveux masquaient son visage et lui donnaient une allure assez effrayante. Le nain se releva et s'approcha doucement, tout en ordonnant à Renard de rester en arrière.
— Balthazar ? Tu m'entends ?
Le mage sursauta légèrement.
— Grun… Grunlek ? demanda-t-il, hébété.
— Oui, c'est moi, tu vas b…
Il recula vivement quand le mage se jeta contre les barreaux de la cage pour essayer de le frapper avec un morceau de cailloux. Son visage, déformait par la haine, avait quelque chose de monstrueux. L'œil droit de Balthazar paraissait normal, l'autre était d'une couleur noir profond, qui fit frissonner le nain.
— Je… Je suis désolé, Grunlek, dit-il d'une voix déformée. Je contrôle ma voix, mais il contrôle mon corps… Je ne peux rien faire… Reste… Reste loin de moi, je ne veux pas te blesser.
Sa voix se brisa, il pleurait. Le cœur de Grunlek se serra. Il attrapa les mains du démon et les bloqua au sol. Instinctivement, le mage se débattit, mais ses yeux étaient plongés dans ceux de son ami.
— Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ?
— Je n'ai plus de barrières mentales, je ne peux plus les régénérer tout seul. Il me faut du temps. Si tu m'assommes, je pourrais avoir l'avantage, il ne contrôle plus mon esprit, seulement le corps. Il ne peut pas se transformer. L'inconscience le coincerait dans un état de stase. Mais…
Le démon dégagea ses mains et donna un grand coup de pied dans le ventre du nain, qui recula, essoufflé.
— Grunlek, tu vas bien ? demanda Balthazar.
— Oui… Oui, ne t'inquiète pas.
— Bien. Écoute-moi, maintenant, c'est très important. Si ça ne fonctionne pas, c'est que rien ne fonctionnera. Je ne veux pas que vous voir vous acharner sur moi. Si ça tourne mal, n'hésite pas une seconde et tue-moi. Ce n'est pas une demande, c'est un ordre.
Grunlek acquiesça, sans vraiment l'accepter au fond de lui. Il attrapa un rocher et frappa le crâne du démon. Balthazar retomba dans sa cellule, inconscient.