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Chapitre 25 : Dérapage

1944 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 27/11/2025 16:47

Grunlek et Renard soutenaient Balthazar dans les couloirs de la maison close déserte. Le demi-diable peinait à marcher et poussait un grognement à chaque mouvement trop brusque. Il était parvenu à rétracter ses griffes pendant que ses compagnons ne le regardaient pas, et il espérait que le démon en reste là. Mais la douleur provoquée par son avancée réveillait un peu plus à chaque fois son monstre intérieur, qui tambourinait de mécontentement dans sa boîte crânienne.


— Tu es sûr que ça va ? demanda doucement Grunlek, en le voyant tirer une nouvelle grimace. C'est trop tôt pour remarcher, on aurait dû rester là-bas. Tu es tout pâle.


— Je vais bien… marmonna-t-il dans sa barbe, autant pour le rassurer que se rassurer lui-même. J'ai juste besoin de trois jours de sommeil, au moins. Où est-ce qu'on va ?


Le nain stoppa son avancée nette et se tourna vers lui.


— Tu commences à me faire peur, tu sais. C'est la troisième fois que tu me demandes où est-ce qu'on t'emmène. Balthazar, je sais quand tu me mens. Qu'est-ce qui ne va pas ?


— Trois… Trois fois ? lâcha-t-il, horrifié. Je…


Il cligna plusieurs fois des yeux, perdu. Il jeta un coup d'œil aux environs, puis sursauta quand son regard se posa sur Grunlek.


— Où est-ce qu'on est ? Où... Où est Théo ?


Le nain fit signe à Renard de l'asseoir. Il attrapa ensuite le bras de l'adolescent et l'entraîna un peu à part.


— Cours à l'infirmerie et demande à ce qu'on amène un brancard par ici. Et… Dis-leur de prendre des cordes, pour l'attacher, juste au cas où. Pars comme si de rien, je ne veux pas qu'il panique.


L'adolescent hocha la tête et s'éloigna calmement. Balthazar le regarda partir avec curiosité, avant de se reconcentrer sur Grunlek, qui s'assit à côté de lui. Il attrapa un des poignets du demi-diable, caché dans un pan de sa longue robe. Le mage résista et fronça les sourcils, mais l'ingénieur ne le laissa pas faire. Il accentua la poigne et dégagea sa main. De longues griffes avaient remplacé ses doigts. Balthazar les observa, perturbé.


— Je… Je ne les avais pas vues, je te jure…


— Bob, qu'est-ce qui se passe avec ton démon ? On est tout seuls, je ne dirais rien à Théo. Je veux t'aider, mais si tu ne me parles pas, je ne pourrais rien faire.


Le mage hésita. Ses mains se mirent à trembler et il baissa la tête.


— Je… Je ne sais pas. Je ne le sens plus. C'est comme s'il n'était plus dans ma tête, mais dans mon corps. Je… Je suis en train de perdre le contrôle, pas vrai ?


— Ne pense pas à ça. On va te soigner.


— Grunlek… J'ai… J'ai peur. J'ai jamais eu aussi peur de ma vie.


Balthazar s'écroula soudain contre lui. Le nain le rattrapa in extremis et le secoua, légèrement paniqué. Il venait de perdre connaissance sans signe avant-coureur et il savait que ce n'était pas bon signe.


— Bob ! Bob, réveille-toi !


Le mage se redressa maladroitement. Il resta immobile, le regard fixé sur le mur. Grunlek reconnut immédiatement le symptôme qu'il avait vu plus tôt. Il se releva le plus calmement possible et recula, pour lui laisser de la place. Des écailles rouge sang prenaient peu à peu la place de sa peau pâle.


— Enoch, écoute-moi, dit doucement Grunlek. Je ne sais pas si tu as pris le contrôle, ou s'il est très malade. Balthazar est affaibli, son corps ne te servira à rien. Si tu l'épuises, il va mourir et tu ne pourras rien faire.


Les yeux du demi-diable se braquèrent sur lui. Il pencha sa tête de manière étrange et resta yeux dans les yeux avec le nain. Ce dernier compris rapidement ce qui le gênait. Les pupilles noisette de son ami appelaient silencieusement à l'aide et des larmes qui n'appartenaient clairement pas au démon coulaient le long de son visage.


— Qu'est-ce que tu en sais, semi-homme ? grogna la voix déformée de son ami, bien trop grave. Que sais-tu du pouvoir des démons ?


— Relâche-le, s'il te plaît.


— Ou quoi ? Tu vas me planter une épée dans le cœur ? répondit-il de manière insolente.


Il se releva et avança de manière menaçante vers lui. Grunlek recula et serra le poing. Il ne voulait pas lui faire de mal et son cœur se serra. Mal à l'aise, il ne se rendit compte du piège que trop tard. Le démon l'avait poussé dans un placard. Il n'avait plus d'issue. Un sourire étrange déforma le visage de son ami.


— Bob, tu me fais peur.


Le demi-diable leva la main. Grunlek se retourna, dans un réflexe de survie et les griffes s'enfoncèrent comme des poignards dans son épaule, juste au-dessus de son bras métallique. La douleur lui fit grincer des dents, mais il relativisa. Ce n'était pas dans la poitrine, c'était le principal. Le visage du demi-diable perdit soudainement son sourire. Balthazar retira sa main et, tremblant, regarda le sang qui glissait entre ses doigts.


— Grunlek, je… Je…


— Bob, Bob, l'appela le nain, tout va bien. Regarde, je suis toujours en vie. Ce n'est pas de ta faute. Calme-toi.


— Non… Non… souffla-t-il, horrifié. C'est moi… Je… Je suis un monstre… Il faut… Je…


Il recula, puis partit en courant vers la sortie, juste au moment où Mani arrivait.


— Grunlek ? appela-t-il.


— Mani ! Rattrape-le ! Ne le laisse pas partir !


L'elfe s'élança vers la sortie au pas de course, bien décidé à ne pas rater cette nouvelle épreuve. Grunlek le regarda partir, la boule au ventre. Il se pencha ensuite sur sa blessure. Très profonde, elle saignait abondamment. Il lâcha un juron et se redressa, juste au moment où Renard entrait, accompagné de deux brancardiers.


— Maître nain, tout va bien ?


— Il a réussi à s'enfuir.


— Vous êtes blessé !


— Ne t'inquiète pas pour moi. Balthazar est tout ce qui compte, on doit l'arrêter. S'il se transforme, nous serons tous en danger.


********


Shinddha ne se débattait plus. Il haletait désespérément, à la recherche d'air frais. Théo ne bougeait plus, un filet de sang coulant le long de son crâne. Il ne pourrait pas le sauver cette fois-ci. Après tout, le demi-élémentaire avait trop joué avec la mort, peut-être qu'il le méritait. Dans un geste de désespoir, il mordit à pleines dents dans la main de son agresseur, qui ne fit que resserrer sa prise plus fortement, le rapprochant un peu plus de la mort. Un instant, il songea à tirer sur sa nuque, pour se faire un coup du lapin qui le tuerait sur le coup.


L'instant d'après, il fut propulsé au sol. Victoria de Silverberg venait de surgir dans le couloir et avait chargé le Collectionneur, bouclier en avant. Shinddha, sonné, toussa violemment. Le contact de l'air lui brûla fortement la gorge, comme s'il avait mangé toutes les horribles épices de Grunlek en même temps. Il roula sur le dos et haleta bruyamment, sous les bruits de combat.


L'aînée Silverberg se débrouillait bien. Elle avait surpris son assaillant qui battait difficilement en retraite. Mais ce ne fut pas suffisant. Le cri perçant retentit en écho dans le couloir. Le demi-élémentaire poussa un gémissement plaintif et se boucha les oreilles. Il ne lui fallut que quelques secondes pour rejoindre son ami paladin dans les ténèbres de l'inconscience.


Quand il ouvrit de nouveau les yeux, le Collectionneur se trouvait près de lui. Il lui tenait la tête penchée sur le côté, fermement. Le demi-élémentaire se débattit, mais se rendit vite compte que ses poignets et chevilles étaient fermement ligotés. Théo et Victoria, dos à dos, inconscients, avaient eux aussi été attachés. Shin poussa un grognement, il ne pouvait pas parler plus, entravé par un bâillon.


— Quel dommage, murmura le Collectionneur. J'aurais pu me faire tellement d'argent en te vendant.


Plusieurs canines pointues commençaient à pousser dans la bouche du vieil homme. L'archer essaya en vain d'appeler Théo, mais le Collectionneur le maintenait fermement. Il lui caressait le visage de son autre main, ce qui le fit frissonner d'effroi.


— Je ne suis pas un méchant, chuchota-t-il. Je suis un survivant, tout comme toi. Leur énergie, celle que je vous retire, celle dans laquelle je puise lorsque vous êtes figés dans le temps… Elle me permet de vivre. Elle… Elle me fait me sentir bien. Elle me permet d'oublier comment vous autres, élémentaires, démons, immortels avaient détruit mon espèce aux origines du Cratère. Un monde nouveau, qu'ils disaient. Nouveau… Foutaise.


Les doigts fins se serrèrent sur sa nuque. Shin le vit sortir un fin couteau de sa poche. Les runes qui le parcouraient lui rappelèrent immédiatement celles présentes sur ceux de Balthazar. Il se tendit.


— Toutes les sources d'énergie sont en train d'être débranchées. Une à une. Toute l'énergie que je tire, elle provient de votre ami demi-diable. Votre psyché… Elle est différente. Elle a vu des choses qui devraient être perdues. Des choses que je voudrais. J'ai… J'ai fouillé sa mémoire, mais ça n'est pas suffisant. Il… Il faut que je sache où vous l'avez caché… Le Codex.


Il pointa le couteau sous la gorge de l'archer. Shin chercha à crier, à moitié étouffé par le bâillon. Il se débattit, et chercha à le frapper avec ses deux jambes, sans succès.


— N'aie pas peur, dit-il. Je sais que la mort fait peur. Mais ça ne sera pas long. Les… Les créatures de psyché sont plus réceptives à la douleur. Pendant que tu mourras, je récolterais les informations dont j'ai besoin. Et si ça ne suffit pas, eh bien… J'aurais tes amis, d'une manière ou d'une autre, je suppose.


Théo choisit ce moment pour se réveiller. Il secoua la tête, un peu perdu, avant de réaliser brutalement l'urgence de la situation. Il commença à se débattre, en grognant de rage. Shin, les larmes aux yeux, le regarda faire. Il arriverait trop tard, il le savait au fond de lui. Les yeux du Collectionneur prirent une couleur rouge sang.


Shin frémit quand le couteau de leva au-dessus de lui. L'arme se planta dans sa gorge. La douleur qui suivit ce moment fut plus terrible encore. Les yeux révulsés, le Collectionneur forçait l'entrée de ses barrières mentales, celles qu'il avait tant de mal à maintenir closes. Il poussa un cri de détresse, couvert par les hurlements de Théo, alors qu'il convulsait sous la main de son bourreau.


Un grondement sourd stoppa pourtant la manœuvre, stoppant net le paladin et le Collectionneur, qui laissa lourdement retomber le corps du demi-élémentaire au sol. Dans l'obscurité, une forme massive, mi-humaine, mi-animale titubait dans leur direction. Le dos voûté, d'immenses ailes rouges dans le dos, il paraissait se battre contre lui-même.


— Toi ! rugit la créature, en pointant le Collectionneur. C'est toi qui m'as fait ça ! Tu vas me le payer.


Il poussa un cri déchirant, à moitié-humain, à moitié-démon, et fonça droit sur le Collectionneur, qui chercha immédiatement à se replier. Épuisé, derrière lui, Mani émergea du couloir.


— Balthazar ! Arrête-toi !


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