L'Oracle de Gotham - tome 1

Chapitre 18 : Heures sombres

5351 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/09/2025 09:41

Le lendemain, Julia préféra rester chez elle pour travailler, elle était encore ébranlée par les événements de la veille et la solitude lui permettait de gérer au mieux la multitude des émotions vécues en si peu de temps ; tôt dans la matinée, elle appela l’inspecteur Gordon afin de faire dans un premier temps le bilan factuel de la soirée.

—    Maintenant que le commissaire Johansson et que la juge Cyrillo sont morts, plus personne ne veut reprendre les dossiers des criminels que nous avons arrêtés, décrivit Jim avec pessimisme.

—    Nous avons encore le procureur Dent, non ? répondit Julia.

—    Ce ne sera pas suffisant, aucun autre juge n’était d’accord de se lancer dans une telle croisade, répliqua Gordon. On en a déjà plus de la moitié qui ont pu payer leur caution, et l’autre moitié devra être relâchée à la fin de la garde à vue. Pour l’instant, nous sommes dans une nouvelle impasse.

—    Et faire passer en procès Lao ? demanda Julia, cela donnerait quoi ?

—    Ils voulaient le transférer dans le centre pénitentiaire, j’ai posé mon véto pour qu’il reste dans l’UHC du quartier général, je ne sais pas si nous tenons suffisamment d’éléments pour réussir un procès.

—    Ce qui est clair, c’est que ce clown a été embauché par la pègre pour éliminer le Batman, au vu de sa croisade contre lui, fit remarquer la jeune femme en soupirant.

—    En aucun cas il ne doit céder, dit Gordon avec force. S’il cède, l’espoir qu’il apportait à la population disparaîtra avec lui. Au fait, demain sera organisée une cérémonie en l’honneur du commissaire Johansson et de la juge Cyrillo, toute la police, le maire et les élus y seront. Dent a demandé à ce que vous y participiez aussi, il veut vous remettre une récompense pour ce que vous avez fait.

—    Ce rassemblement, ce n’est pas une bonne idée, Gordon, redouta la jeune femme.

—    Je sais bien, mais selon le procureur et le maire, c’est une manière de montrer à nos adversaires que nous n’avons pas peur.

Julia vit sur son écran principal qu’elle recevait une nouvelle communication ; un sentiment d’excitation la saisit malgré elle.

—    Je dois vous laisser, je vous rappelle plus tard, termina Julia en fermant le canal de communication, et en ouvrant le second.

—    Tu t’y connais en balistique ? demanda Bruce d’une voix où la fatigue se faisait entendre.

—    Oui, j’en avais fait pas mal quand j’étais dans le service informatique et technologies de la CIA, répondit-elle un peu surprise. Pourquoi ?

—    Hier soir, le Joker a fait éliminer deux personnes du nom de Harvey Lucardt et John Dent, j’ai récupéré une empreinte de balle dans un mur.

—    « Harvey Dent », releva Julia. Il veut montrer qu’il tient ses promesses. As-tu prélevé l’empreinte complète, avec le logement de la balle ?

—    Oui, répondit-il. J’aimerais savoir si on peut reconstituer la balle avec suffisamment de précision pour obtenir des empreintes de doigts par exemple.

—    C’est possible, je l’avais fait sur une affaire assez épineuse, se souvint Julia. Par contre, cela demande un matériel de pointe que je n’ai pas. Je ne peux fournir que le logiciel que j’avais conçu à cette époque.

—    Le matériel ne devrait pas être un problème pour Lucius, répondit Bruce.

—    Je savais bien que ton matériel devait provenir de lui, sourit-t-elle. C’est une technologie bien trop belle et innovante pour la trouver ailleurs.

—    Franchement, tu n’es pas en reste, la complimenta-t-il. Lucius a trouvé tes deux derniers appareils d’une très grande ingéniosité pour Hong-Kong.

Julia se mit à rougir.

—    Quand j’y repense, je me dis que j’étais vraiment aveugle pour ne rien avoir remarqué, dit-elle alors. Cela semble si évident maintenant…

—    Tu es tombé dans le piège du milliardaire qui fait n’importe quoi de son héritage, se mit à rire Bruce.

—    Oui, eh bien je n’en suis pas fière ! répliqua-t-elle un peu piquée dans son orgueil. Il te faut autre chose ? demanda-t-elle pour changer de sujet.

—    Tu disais que ta spécialité avait été le profilage, se rappela-t-il alors. Pour qu’on puisse prendre le dessus sur le Joker, il faudrait qu’on anticipe son prochain coup…

—    Je t’arrête tout de suite, l’interrompit Julia dont la voix se mit à trembler sous le coup de la peur. Je ne le ferai pas, et encore moins avec lui.

—    Qu’est-ce qui te fait peur ? demanda-t-il d’un air concerné.

Julia poussa un profond soupir.

—    Pour bien comprendre mon refus, il faut que je te dise comment je fonctionne, commença-t-elle à raconter avec lenteur et hésitation. Ma sœur et moi, nous sommes ce qu’on appelle communément des empathes, enfin, d’après certains spécialistes. Cela signifie que nous possédons un très haut degré d’empathie qui nous permet de comprendre les sentiments et les raisonnements d’autrui. Cela fait également de nous des éponges émotionnelles : selon ce degré d’empathie, nous pouvons aller de simples intuitions partagées à l’absorption totale de la personnalité de celui que nous observons. Ma sœur était dans un degré moindre que moi. J’ai dû apprendre à me protéger des émotions et des personnalités des autres. Sauf que j’avais à l’époque décidé d’en faire une force pour mon travail. Cela m’a littéralement détruite, à force de me glisser dans la peau de criminels, de violeurs, de tueurs en série, de paranoïaques et j’en passe, j’ai fini par me perdre. Depuis, j’essaie de me protéger, d’arrêter d’entrer dans la tête des autres. Il m’arrive encore de perdre le contrôle, et dans ces cas-là… Il m’est très difficile ensuite de revenir suivant la force de la rechute.

Bruce restait silencieux et attentif au récit de la jeune femme qui se livrait sans filtre pour la première fois. Toutefois, cela restait difficile pour Julia de poser des mots sur ce phénomène, et les diagnostiques des médecins de l’époque ne l’avaient pas tout à fait convaincue non plus.

—    Pour ce qui est du Joker, il a été le fameux dernier patient de ma sœur Adeline, poursuivit-elle, sa voix tremblant un peu plus. Il m’a confondue avec elle l’autre nuit. Il avait l’air d’être au courant de cette… « capacité » que nous avions toutes les deux. Il m’a laissé entendre que c’est parce qu’elle a tenté de le comprendre qu’elle est… partie.

Julia s’arrêta un instant pour respirer lentement afin de garder son calme.

—    J’ai peur, Bruce, dit-elle enfin, désemparée. Il me fait peur.

—    Pardonne-moi, répondit-il alors d’une voix rassurante. Je te promets de ne plus jamais te demander de le faire.

—    Merci, murmura-t-elle avec un certain soulagement.

—    Mais j’y pense, reprit Bruce d’un ton plus léger. Quand tu m’avais giflé, c’était à cause de ça ?

Julia eut un rire spontané.

—    On peut dire que oui, réfléchit-elle. Tu m’avais prise au dépourvu, et je n’avais pas réussi à déterminer d’où provenait ce sentiment… de toi ou de moi. J’ai pris peur, je me suis défendue.

—    Dans tous les cas, tu as une très bonne détente, j’ai eu mal pendant plusieurs heures ! lança-t-il avec humour.

—    J’espère bien ! se mit à rire Julia, plus détendue.

La jeune femme prit une lente respiration, elle se sentait bien.

—    Tu m’as manqué, dit-elle soudain. Même si…

—    Toi aussi, tu m’as manqué, répondit-il de sa voix profonde.

Une envie soudaine de se blottir dans ses bras la saisit tout à coup : sentir la chaleur de son corps, se réfugier dans son giron protecteur afin de pouvoir enfin se laisser aller. C’était quelque chose qu’elle ne s’était jamais permise de faire avec aucun de ses partenaires, mais Bruce était différent. Il lui semblait qu’ils partageaient les mêmes valeurs, mais aussi une même douleur qui les poussait à agir. Puis, l’évocation de leur baiser l’amena à s’en souvenir. Les sensations remontèrent en elle jusqu’à en avoir des picotements sur ses lèvres et des papillons dans le creux de son ventre. Un autre souvenir surgit soudainement : celui du baiser qu’elle vola au Bat après l’incendie de son appartement. Elle eut le bonheur de se dire qu’ils n’étaient qu’une seule et même personne. Elle ferma les yeux pour chasser toutes ces pensées de son esprit : il y avait plus urgent à traiter à l’heure qu’il était.

—    Je dois te laisser, je vais devoir rappeler Gordon, dit-elle alors d’un ton plus professionnel. Il va vouloir que je l’aide à organiser la cérémonie de demain pour le commissaire.

—    Promets-moi que tu n’iras pas, lui demanda-t-il d’un ton ferme.

—    J’aurais préféré en effet rester ici, mais le procureur Dent tient à ce que nous soyons tous présents, moi y compris, soupira Julia. Je ne peux pas m’y soustraire.

—    Gordon est au courant, mais la prochaine cible du Joker est le maire, lui indiqua-t-il. Il attaquera forcément à ce moment-là.

—    En plein jour… pour t’obliger à venir te montrer, releva-t-elle.

—    Même si on ne me verra pas, je serai présent, la rassura-t-il. J’essaierai de le débusquer.

—    Très bien, conclut la jeune femme. J’envoie le logiciel de reconstitution en début d’après-midi à Lucius. J’espère que cela t’aidera.

Ils raccrochèrent. Pour se changer les idées, Julia passa sa matinée à travailler sur plusieurs projets qui permettraient de repérer le Joker, et notamment sur un programme annexe au sien qu’elle essayait de déployer à grande échelle, mais qui lui donnait du fil à retordre.

En début d’après-midi, l’inspecteur Gordon convoqua l’ensemble de sa brigade afin d’organiser la sécurisation de la cérémonie d’hommage au commissaire du lendemain. Il avait enrôlé les équipes du SWAT qui patrouilleraient tout le long de Park Side jusqu’au parvis devant la cathédrale de Gotham où devait se tenir la cérémonie. Malheureusement, l’itinéraire qui allait être emprunté était constitué d’une large rue bordée d’immeubles à petites fenêtres encastrées. Cela faisait ainsi des centaines de fenêtres à surveiller d’où pouvait provenir un tir d’élite.

Gordon et Julia passèrent tout l’après-midi et le début de la soirée à planifier la cérémonie, à positionner les officiers de police et ceux du SWAT en des endroits stratégiques. Ils réussirent également à convaincre le maire ainsi que le procureur à porter sous leurs vêtements un gilet par balle pendant la cérémonie.

—    Ce Joker, il a l’air de tout planifier à l’avance, réfléchissait à voix haute Jim Gordon tandis qu’il leur apportait un nouveau café dans son bureau.

—    À quoi songez-vous ? lui demanda Julia.

—    Il faudrait réussir à le surprendre.

Julia s’enfonça dans son siège. Elle avait des cernes sous les yeux, la fatigue l’emportait, mais elle fit un effort pour entrer dans la réflexion de l’inspecteur.

—    Vous voudriez ajouter une variable à son équation, décrivit-elle alors.

—    C’est ça, confirma Jim. Mais pour que ça marche, il faudrait la jouer solo. Totalement.

Julia fronça à nouveau les sourcils.

—    On se créerait notre propre carte joker, poursuivit-elle en comprenant ce qu’il suggérait.

—    Tu dois être la seule dans cette confidence, insista-t-il. Même « lui » ne doit pas être au courant.

Elle marqua un temps d’arrêt : maintenant qu’elle était au plus proche du Batman grâce à la connaissance de son identité secrète, Jim lui demandait l’écarter cette fois-ci. Elle ne sut pas tout de suite si c’était judicieux de taire une telle information, ou même si elle réussirait à ne rien divulguer. Toutefois, elle connaissait Jim depuis suffisamment longtemps pour lui accorder cette faveur. Julia acquiesça à contre-cœur. Elle comprenait l’idée qu’il venait d’avoir, et elle le soutiendrait jusqu’au bout, quoi qu’il en coûte.

—  Demain, avant la cérémonie, on se rejoint ici, lui dit-elle alors d’un air entendu.

Jim Gordon hocha de la tête à l’affirmative, reconnaissant.

Il était tard, Julia avait conseillé à l’inspecteur de rentrer chez lui pour passer un peu de temps avec sa femme et ses deux enfants, lui assurant qu’elle s’occupait des derniers détails. Elle se retrouva seule dans le bureau de la brigade et vérifia la liste des noms des officiers accompagnés de leur portrait qu’elle parcourait encore et encore, elle ne savait plus exactement pourquoi tellement la fatigue l’avait envahie. Le procureur, la voyant seule dans le bureau, entra.

—    Encore là ? demanda-t-il avec bienveillance.

—    Je ne vais pas tarder à rentrer, répondit-elle en se levant de son siège.

—    J’en profite pour vous remercier encore une fois de ce que vous avez fait l’autre nuit, dit soudain Harvey en marchant lentement, d’un pas hésitant, vers la jeune femme.

—    Je n’ai pas fait grand-chose, lui répondit-elle modestement, ce qui était la vérité.

Julia avait réuni ses affaires dans sa sacoche et allait prendre sa veste accrochée au porte-manteau, mais s’arrêta, perplexe, lorsqu’elle vit que Dent ne bougeait pas. Il tenait entre ses mains une pièce de monnaie qu’il triturait entre ses doigts.

—    Y a-t-il autre chose que je puisse faire pour vous ? lui demanda-t-elle, dubitative face à son attitude irrésolue.

—    J’ai toujours eu de la chance, dit-il alors avec un rire embarrassé. Mais je n’ai jamais su vraiment y faire.

Julia fronça les sourcils, à la fois intriguée et inquiète. Harvey lança tout à coup la pièce en l’air et la rattrapa sur le dos de sa main, l’autre plaquée dessus. Il souleva sa main pour jeter un œil à la pièce.

—  Pile, tant pis je me lance, fit-il en s’avançant brusquement vers Julia.

Le procureur la saisit par la taille et l’embrassa. Ce fut un baiser à la fois passionné et enivrant, on ne pouvait que sentir l’ardent désir qui avait été refoulé jusque-là. La jeune femme resta surprise, puis le repoussa avec gentillesse mais fermeté.

—    Je suis désolé, bégaya-t-il le regard fuyant. Vous m’intimidez, et d’un autre côté, c’est ce qui m’attire en vous…

—    Monsieur Dent, dit-elle afin de marquer de la distance. Je suis flattée, et en d’autres circonstances peut-être, mais…

—    Il y a quelqu’un d’autre, oui, forcément, se ravisa-t-il gêné. C’est ce Bruce Wayne, n’est-ce pas ? J’aurais dû m’en douter… Mais je ne devrais pas. Je suis vraiment navré, je ne voulais pas vous mettre dans l’embarras.

—    Ce n’est pas grave, le rassura-t-elle, encore hébétée par son baiser.

Julia prit sa veste et partit aussitôt après l’avoir brièvement salué. Elle ne s’était pas du tout attendue à une tentative aussi directe de sa part. Le goût de ce baiser lui resta un long moment sur les lèvres, ce qui la décontenança un peu plus. Elle se sentait coupable d’avoir éveillé un tel désir chez cet homme droit et honnête alors qu’en vérité, elle en aimait un autre.

Elle sortit du quartier général de la G.C.P.D. et marcha à vive allure dans les rues presque désertes à cette heure-là. Le froid de la mi-octobre la fit frissonner. À chaque bruit qu’elle entendait, la jeune femme se retournait discrètement pour l’identifier, puis elle accéléra le pas, jusqu’à apercevoir l’entrée de la tour de l’horloge. Un crissement de pneu la fit sursauter, elle courut presque jusqu’à la porte d’entrée, s’engouffra dans l’ascenseur et débloqua l’accès à son appartement. Une fois chez elle, Julia poussa un soupir de soulagement. Elle ne tarda pas à s’allonger, exténuée ; la journée suivante s’annonçait chargée.

Le lendemain en début d’après-midi, la cérémonie avait commencé. L’ensemble des forces de police défilait en uniforme dans la large avenue de Park Side, le maire et le procureur en tête. Il y avait la police montée, les officiers en rangs, les inspecteurs, les policiers, tous défilaient à la mémoire du commissaire, mais aussi de la juge Cyrillo. L’inspecteur Gordon avait les yeux partout, son talkie-walkie en main pour garder le contact avec le moindre de ses agents de sécurité. Des tireurs d’élite étaient postés sur les toits, d’autres dans des escaliers de secours en hauteur, d’autres encore parcouraient la foule massée sur les trottoirs. Julia avançait elle aussi dans la foule, l’œil perçant, ses yeux balayant les centaines de fenêtres.

—    Julia, ça dit quoi de votre côté ? lui demanda Gordon via l’oreillette qu’elle lui avait donnée pour l’occasion.

—    R.A.S., répondit-elle discrètement dans le jargon de la police.

Il y avait bien trop d’endroits possibles d’où pouvait provenir la menace, la jeune femme sentit que quelque chose clochait, que cela ne viendrait pas de l’extérieur. Elle se mit alors à observer les visages des membres du cortège. Ils étaient nombreux.

Le défilé prit fin devant la cathédrale où une estrade avait été installée pour l’occasion. Les officiers hauts gradés, le procureur, le maire, ainsi que le lieutenant Gordon et d’autres représentants de la ville s’y assirent. Une tribune avec un micro trônait sur l’avant de l’estrade, tandis que les officiers inférieurs et les policiers se rangèrent de façon parfaitement ordonnée sur la route fermée pour l’occasion. Sept officiers avec un fusil de service se tenaient alignés, prêts à donner la salve d’honneur le moment venu.

Le maire se leva de son siège pour s’approcher de la tribune, puis commença son discours. Julia avait elle aussi été conviée à s’asseoir sur l’estrade, juste derrière l’inspecteur Gordon. La presse photographiait et filmait l’événement.

—    Oracle, j’ai pu avoir une empreinte, entendit soudain Julia au creux de son oreille, la rassérénant quelque peu. Melvin Pratt, il habite un appartement qui donne sur Park Side. J’y arrive en ce moment même.

Julia ne répondit pas, mais observa les fenêtres aux alentours avec l’espoir d’apercevoir sa silhouette, puis son regard se porta à nouveau sur les visages des policiers. Le maire poursuivait son discours, auquel la jeune femme ne prêta guère d’attention. Les minutes passèrent, d’une lenteur infinie.

—    Sept policiers ont été neutralisés, on leur a pris leurs uniformes et leurs armes, lui indiqua-t-il à nouveau. Il y a seulement une jumelle à la fenêtre.

Julia fronça les sourcils. Le discours du maire avait pris fin, un officier subalterne prépara ses hommes à la salve d’honneur. Ils tirèrent les premiers coups à blanc. Ils se préparèrent à la deuxième salve. La jeune femme les compta : ils étaient sept. Elle posa sa main sur l’épaule de Gordon et n’eut que le temps de lui dire : « La salve ! » que les sept hommes s’étaient tournés du côté de l’estrade et tirèrent à nouveau. Gordon s’était levé d’un bond et s’était jeté sur le maire. Tous deux tombèrent au sol.

Ce fut ensuite le chaos ; les sept intrus jetèrent leurs fusils à terre et se dispersèrent rapidement parmi les spectateurs tandis que d’autres coups de feu retentirent ici et là, créant un mouvement de foule. Julia et d’autres policiers se ruèrent sur le maire, qui put se relever. On fit descendre le procureur pour le protéger, mais Julia resta sur l’estrade aux côtés de Gordon. Il ne bougeait plus. La jeune femme resta auprès de lui jusqu’à ce que les secours arrivent et l’accompagna dans l’ambulance. Avant que les portes de celles-ci ne se ferment, elle aperçut le procureur qui s’était faufilé dans une autre ambulance où l’un des hommes du Joker avait été arrêté, blessé par un tir à la jambe.

—    Julia ! où es-tu ? s’inquiéta Bruce dans son oreillette.

—    Moi ça va, répondit-elle tout de suite. J’accompagne Gordon à l’hôpital.

Le silence radio se rétablit. L’ambulance arriva très vite à l’hôpital le plus proche. Julia resta plusieurs heures dans l’établissement avant d’en ressortir. Il commençait à faire nuit. La presse l’assaillit dans le hall d’entrée de l’hôpital, elle s’extirpa des journalistes, laissant le soin aux médecins de leur annoncer la triste nouvelle : l’inspecteur Gordon n’était plus. Le plus dur, et c’était à elle de le faire, c’était de l’annoncer à Bruce :

—    Je sors de l’hôpital, dit-elle en activant son oreillette.

—    Comment va-t-il ?

—    Il… Il ne s’en est pas sorti, répondit-elle d’une voix hésitante.

Le silence s’installa, alourdi par la nouvelle.

—    Tu n’y es pour rien, ajouta-t-elle avec une nouvelle vivacité. Tu ne dois pas céder, Gordon ne l’aurait pas voulu.

L’inquiétude l’envahit : il ne fallait pas que cela l’abatte au point qu’il renonce. Toutefois, elle sentit que cette annonce venait de lui porter un coup non négligeable.

—    Viens chez moi, lui ordonna Bruce abruptement. J’ai renforcé la sécurité.

—    C’est sûr chez moi aussi, lui rappela-t-elle.

—    Ne discute pas, s’il te plaît, répondit-il avec une pointe d’exaspération. J’ai besoin de te savoir en sécurité.

—    D’accord, je vais directement chez toi, le rassura-t-elle.

D’un autre côté, c’était un soulagement d’avoir la certitude qu’elle le verrait bientôt ; depuis qu’elle avait découvert son secret, ils n’avaient pas eu l’occasion de se retrouver tous les deux, aiguisant d’autant plus son désir de se retrouver dans ses bras, de sentir ses mains chaudes contre sa peau, ses lèvres contre les siennes. Elle ferma les yeux, la chaleur enflammait ses joues. Puis le souvenir du baiser de Dent lui revint : elle eut honte d’elle-même.

Elle appela un taxi et lui donna l’adresse du penthouse. Ce fut Alfred qui lui ouvrit et qui l’accueillit chaleureusement. Le majordome l’installa confortablement dans le salon et lui proposa un repas chaud qu’il avait mis de côté. Elle accepta volontiers, à la condition qu’elle puisse manger en sa compagnie. Il leur servit un plat de lasagne au saumon et épinard, ainsi qu’un verre de vin blanc. Julia se permit de poser son téléphone sur la table, qu’elle connecta à une paire d’écouteurs bluetooth si jamais Bruce la contactait.

—     J’imagine que vous êtes dans la confidence, l’aborda-t-elle afin d’être certaine de ce qu’elle pouvait dire ou non devant lui.

—     Bien évidemment, lui répondit Alfred en souriant. On pourrait même dire que je suis le cerveau de toute l’affaire !

Julia lui jeta un regard de surprise, puis se mit à rire lorsqu’elle aperçut ses yeux rieurs.

—     Vous le protégez comme un fils, releva-t-elle avec une pointe de jalousie inconsciente.

—     Ses parents m’ont confié ce qu’ils avaient de plus précieux, considéra-t-il à voix haute. Je l’ai donc élevé comme s’il avait été mon propre fils, oui.

Alfred eut un sourire triste.

—     Je suis heureux qu’il vous ait rencontrée, ajouta-t-il à l’adresse de la jeune femme. Vous avez ramené un peu de joie dans cette maison.

Julia garda le silence, lui rendant son sourire si chaleureux et sincère. Ils passèrent le reste du repas à discuter amicalement ensemble. Puis, la nuit avançant, le majordome lui proposa de lui préparer une chambre pour qu’elle puisse aller se reposer, mais elle refusa ; elle voulait l’attendre. La jeune femme savait pertinemment que la nouvelle de la disparition de Gordon l’ébranlerait : il représentait pour lui le seul policier vraiment intègre de la ville, et il l’avait toujours respecté pour cela. Les heures continuèrent de défiler sans autre nouvelle de sa part. Julia se mit à faire les cent pas dans le salon en s’arrêtant régulièrement devant la large baie vitrée pour observer les toits des autres immeubles, ses mains se tortillaient d’impatience et d’inquiétude. Lui était-il arrivé quelque chose ?  

Soudain, les portes de l’ascenseur qui donnait accès au penthouse s’ouvrirent et Bruce en sortit vêtu d’un costume trois-pièces gris anthracite comme s’il sortait d’une réunion d’affaire, une main dans la poche de son pantalon et l’autre desserrant le nœud de sa cravate, ouvrant les boutons du col de sa chemise. Julia se détourna de la baie vitrée, un sentiment de soulagement l’envahit, ainsi qu’un élan d’ardente convoitise. Cela faisait depuis la soirée qui avait mal tourné qu’ils ne s’étaient revus, elle resta toutefois hésitante tandis qu’il s’avançait vers elle d’un pas affirmé. Il se posta à ses côtés, balaya du regard la ville au travers de la baie, puis fit face à la jeune femme. Elle ne l’avait pas quitté des yeux depuis son entrée dans le salon.

—    Qu’as-tu fait ce soir ? lui demanda-t-elle dans un murmure rauque.

—    J’ai cherché un moyen de le trouver, répondit-il d’une voix éteinte. J’ai été jusqu’à interroger Salvatore Maroni. Il n’a pas nié que la pègre l’avait embauché pour m’éliminer. Selon lui, le seul moyen d’arrêter tout cela est de retirer mon masque.

—    Non ! le contredit-elle en se rapprochant un peu plus de lui. C’est ce qu’il veut, tu ne dois pas le lui donner ! Il cherche à nous faire plier.

—    J’ai déjà trop de sang sur les mains, répondit-il dans un soupir abattu.

—    Erreur de débutant ! lui lança-t-elle, penser que c’est toi qui les as tués parce que tu n’as pas cédé à sa menace ! C’est une chose qu’on apprend à ne pas faire quand on travaille dans la police. Nous déplorons les victimes, mais c’est un fait : ce n’est pas toi qui les as tués, mais bien ce dément !

Bruce plongea son regard dans les deux grands yeux verts de la jeune femme, puis il lui caressa la joue, elle qui était si décidée à le défendre. Il admirait sa loyauté et la confiance qu’elle lui accordait, intensifiant son désir de l’embrasser. Julia ferma un instant les yeux et blottit son visage dans la chaleur de sa main, qu’elle retint de la sienne contre sa joue, comme pour ne plus le laisser s’en aller.

—    J’ai été ensuite trouver Harvey Dent, poursuivit-il dans un murmure. Il avait emmené l’un des tireurs pour l’interroger lui-même dans une ruelle, en le menaçant. Je l’ai arrêté. Il doit incarner l’espoir que je ne pourrai jamais être, par les voies légales. Je lui ai dit d’organiser une conférence de presse demain : le Batman s’y livrera.

Julia secoua la tête et la détourna, ses yeux brillaient, humides. C’était justement ce que Jim n’aurait pas souhaité, c’était ce qu’il ne fallait surtout pas faire, mais elle était impuissante car elle comprenait, elle ressentait sa peine, sa douleur et sa culpabilité. Bruce poussa délicatement de sa main son visage face au sien, et plongea à nouveau son regard dans ses yeux verts, doux et dévorant. Il approcha ses lèvres des siennes et l’embrassa avec tendresse, comme s’il se retenait encore de peur de l’effaroucher.

—    Si tu te livres, ils ne nous laisseront jamais nous retrouver, murmura-t-elle, ses lèvres effleurant les siennes.

Il l’embrassa à nouveau, passionnément, sans plus aucune retenue, ses mains caressant son dos et la plaquant tout contre son corps. Elle s’agrippa à son cou pour ne plus le lâcher et s’abandonna entièrement à lui. Tous deux étaient emportés par leur désir qui avait atteint son paroxysme.

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