L'Oracle de Gotham - tome 2
Julia se leva de bonne heure le lendemain. Les événements l’avaient empêchée de dormir, elle n’avait fait que ressasser ses pensées dans son esprit. C’était toutefois un véritable réconfort que d’avoir retrouvé la chaleur de Bruce qui ne l’avait pas quittée de la nuit, ainsi que la présence d’Alfred qui lui avait préparé un petit-déjeuner complet avec tout ce qu’elle appréciait : des fruits frais, un café noir et serré avec le petit pot de crème à part, des tranches de pain aux céréales et de la confiture d’orange amère. Les plats s’accompagnaient d’un large sourire heureux et bienveillant de l’Anglais :
— Mangez, je m’en voudrais que vous disparaissiez à force de perdre du poids, dit-il, oscillant entre humour et vérité.
Julia répondit en se préparant une large tartine de pain beurré et de confiture dans laquelle elle mordit à pleine dent. Alfred en fut satisfait, puis salua Bruce qui descendait les marches en ajustant les boutons de ses manchettes, ses cheveux encore humides de la douche et rabattus en arrière.
— Bonjour Julia, bonjour Alfred, dit-il la voix encore ensommeillée.
Il s’approcha de la jeune femme pour lui déposer un baiser sur les lèvres, mais qui resta timide ; Julia était encore gênée de leur dispute de la veille et ne savait pas comment se comporter. Ce fut ce qui la décida à exposer tout de suite ce qu’elle avait entrepris auprès des trafiquants d’armes. Elle se leva, silencieuse, récupéra son sac à dos et en sortit un petit coffret qu’elle déposa sur la table de la cuisine avant de se rasseoir :
— Je me suis fait passer pour une amatrice d’armes d’origine italienne sur le dark web, raconta-t-elle de but en blanc.
Bruce haussa un sourcil, mais garda le silence pendant le récit de la jeune femme. Elle lui raconta tout dans le moindre détail : la prise de contact par le biais du dark web, la fausse identité, le déguisement, le protocole du rendez-vous jusqu’au chantier et son intervention. Elle ouvrit le coffret et lui présenta l’arme qu’elle avait acquise et dont le numéro d’identification avait été soigneusement effacé. Elle lui indiqua également comment elle avait réussi à s’échapper grâce aux trafiquants et ce qu’elle avait aperçu du fameux « Pingouin ».
Sur ce, le trentenaire lui fit part de la manière dont il avait appris le lieu et l’heure de la transaction : il avait mis sur écoute plusieurs hommes qu’il soupçonnait de faire partie de la pègre et avait intercepté une communication tandis qu’il avait entamé sa patrouille de routine. C’était à ce moment-là qu’il avait essayé de la contacter sans succès ; sur place, lorsqu’il avait aperçu une blonde vêtue de couleurs criardes, il avait tout de suite pensé à la braqueuse, surtout qu’il lui avait trouvé un air de ressemblance qui l’avait frappé.
— C’est vrai que je me suis surprise moi-même dans la glace une fois métamorphosée, se rappela-t-elle soudain. Cela vient sans doute du fait que nous n’avons encore jamais pu voir son visage et l’identifier formellement.
Bruce acquiesça. Un nouveau silence envahit la cuisine que seuls les bruits des assiettes que le majordome rangeait dans le lave-vaisselle venaient interrompre.
— Au fait, tu l’as payé avec quel argent ? demanda soudainement Bruce en désignant le pistolet.
— Une caisse noire, répondit-elle, évasive.
Bruce haussa à nouveau un sourcil, attendant des explications. Julia roula ses yeux en poussant un soupir exaspéré :
— J’ai contacté une ancienne collègue de la CIA qui a accepté de me prêter un compte avec quelques billets… Je ne voulais pas puiser dans ta fortune personnelle afin qu’on ne puisse pas remonter d’une quelconque façon à toi ou moi, ou encore à la Wayne Enterprise.
Bruce hocha de la tête. Cela pouvait se comprendre, même si le fait qu’elle ne se soit pas tournée vers lui l’agaçait particulièrement.
— Cet après-midi, je me rendrai au dépôt de la police à la fourrière pour examiner la camionnette qui a été repêchée dans le fleuve, enchaîna-t-elle pour changer de sujet. J’espère pouvoir confirmer mon intuition sur le lien entre la braqueuse et les menaces.
Elle se tut quelques instants, hésitante, puis se décida à poursuivre :
— Gordon fait du sur place dans l’affaire des casinos, lui rappela-t-elle. Je lui ai proposé de lui donner un coup de main, surtout que si le lien est avéré entre notre affaire et celle-ci…
— Qu’as-tu en tête ? l’interrompit-il, sentant la gêne de la jeune femme.
— J’aimerais infiltrer le système de sécurité des autres casinos de la ville, avoua-t-elle alors. Mais pour cela, je suis obligée d’accéder au moins une fois à leurs installations… je me suis dit que je pourrais me présenter dans les établissements en tant que fournisseuse de service de cybersécurité, leur proposer de vérifier leurs barrières de sécurité et de les perfectionner si besoin.
— Et vu qu’au moins un casino a déjà été braqué, renchérit Bruce, ils seraient plutôt enclins à ce genre de visite.
— Exactement, fit-elle avec un sourire timide, voyant qu’il n’était pas d’emblée réfractaire à son idée.
— Je n’aime pas trop que ce soit toi qui y ailles directement, ajouta-t-il malgré tout. Je pourrais dépêcher un employé de l’entreprise…
— Honnêtement, je n’ai pas grand-chose à craindre, le rassura-t-elle, son visage se refermant aussi vite qu’il s’était ouvert. Ce sera en journée, et même s’ils devaient se faire braquer juste à ce moment-là, les installations informatiques sont très bien gardées.
— Je pensais plutôt au fait que s’ils se rendent compte que tu les hackes…
— Impossible qu’ils s’en aperçoivent, l’interrompit-elle. Mon programme d’installation de backdoor est indétectable. Personne dans ton entreprise ne s’en est rendu compte d’ailleurs. J’enfile ma clef USB dans un ordinateur qui a accès à leur réseau et le tour est joué.
Bruce la regarda sans comprendre.
— Oui, disons que… bégaya-t-elle tout à coup. Pour pirater tes comptes l’année passée, j’ai profité de la visite guidée de Lucius dans les locaux de ton entreprise pour m’installer une backdoor informatique…
— Elle y est toujours ? l’interrogea-t-il.
— Évidemment, répondit-elle du tac au tac, puis en grimaçant lorsqu’elle se rendit compte de sa gaffe.
— Bon, de toute manière, maintenant que tu y travailles, cela revient au même, soupira-t-il, ses mains jointes et crispées devant sa tasse de café.
Ses mâchoires s’étaient resserrées. Ils avaient tous les deux un point commun qui les opposait malgré eux : leur besoin de tout maîtriser.
— Ils vont sûrement te reconnaître, ils pourraient se poser des questions, reprit Bruce plus calmement au sujet de l’infiltration des casinos, jouant l’avocat du diable.
— Oui, ils sauront certainement qui je suis, renchérit-elle d’un ton naturel. Mais rien n’empêche la Wayne Enterprise de proposer ses services de cybersécurité à des établissements privés, non ?
— Tu marques un point, encore, fit-il avec une pointe d’exaspération.
— Je sais, je n’étais pas très populaire à l’école à cause de cela, répondit-elle en haussant des épaules d’un air timide.
— Tout de même, je préférerais que cela soit quelqu’un d’autre qui s’y rende, insista-t-il.
Julia retint une remarque désobligeante, ses lèvres pincées. Elle comprenait son inquiétude et son besoin de contrôle à son sujet ; c’était d’ailleurs une preuve d’affection qu’elle ne pouvait pas nier. Toutefois, elle avait vraiment l’impression que cela les entravait dans leurs enquêtes. Elle prit malgré tout une grande inspiration : c’était à elle maintenant de faire un pas vers lui.
— Il faut que ce soit une personne de confiance, et qui puisse passer à la fois inaperçu et sachant séduire son interlocuteur, tout en ayant une connaissance suffisante de ce qu’on lui demande de faire, détailla-t-elle alors.
— L’un de tes employés pourrait-il correspondre au profil ? demanda Bruce, soulagé qu’elle prenne enfin en considération son inquiétude.
— Non, ils sont compétents, mais je ne peux pas mettre une telle confiance en l’un d’entre eux comme cela, il faudrait que je mène mon enquête sur chacun d’entre eux… ce serait trop long.
— Et parmi les hommes de Gordon ? poursuivit-il.
— Gordon a été clair : il ne veut pas savoir comment je me procure mes informations, déclara-t-elle, catégorique. Non… mais je crois que j’ai la personne idéale.
Bruce lui jeta un regard interrogateur.
— Maddie ! s’exclama-t-elle en souriant. Je la connais, elle me connaît suffisamment pour ne pas poser de questions, et elle se débrouille très bien pour se mettre les gens dans la poche. Elle ferait une parfaite ambassadrice de la Wayne Enterprise.
— Va pour Maddie, accepta Bruce.
— Par contre, je lui dois déjà beaucoup de petits services, réfléchit tout haut Julia. Il me faut lui offrir quelque chose qui en vaille la peine. Pourrait-on lui donner un travail ? Si je lui propose la stabilité économique avec un CDI sans période d’essai…
— On doit bien embaucher dans un secteur ou un autre, répondit Bruce.
— Bon, conclut-elle. On est d’accord, alors ?
Le milliardaire tendit sa main :
— Affaire conclue.
Le couple se serra la main, le sourire aux lèvres.
— Monsieur Bruce, les interrompit soudain Alfred, vous avez reçu une invitation, ainsi que mademoiselle, à un brunch avec monsieur Cobblepot la semaine prochaine, aux jardins botanique et zoologique. Je ne savais pas que vous aviez repris contact, tous les deux.
— Nous nous sommes rencontrés par hasard en soirée, répondit distraitement Bruce. Je ne pensais pas qu’il allait me relancer ainsi. Qu’en pensez-vous, Alfred ?
L’Anglais s’avança au-devant de Bruce, les mains dans son dos, l’air de réfléchir un instant.
— La famille Cobblepot ne possède plus beaucoup d’influence depuis le décès de leur patriarche, Tucker Cobblepot, dit-il lentement. Toutefois, cela reste un nom important dans l’histoire de la ville. Et puis, cela pourrait constituer une agréable occasion de sortir en ville avec mademoiselle.
Alfred effectua un léger clin d’œil à l’adresse de la jeune femme dont les joues rosirent.
— Alors je vais poser la question à la principale intéressée, dit Bruce en se tournant vers Julia. Un brunch au jardin botanique, cela te tente ?
— Je n’ai encore jamais visité les jardins de Gotham, alors pourquoi pas, répondit-elle en haussant des épaules, l’air désinvolte, tout en réprimant son sourire.
— Va pour le brunch alors, déclara-t-il à l’adresse de son majordome.
— J’informerai monsieur Cobblepot de votre venue à tous les deux.
— Merci, Alfred, répondit Julia. Les gens vont vraiment croire que tu auras fini par t’établir dans une véritable relation, tança-t-elle le multimilliardaire.
— N’est-ce pas le cas ? répliqua Bruce d’un ton naturel, son regard plongeant dans le sien.
Julia se mordit la lèvre ; elle ne s’était pas attendue à ce qu’il lui réponde sérieusement. Bruce sourit et l’embrassa, il savait qu’il l’avait prise au dépourvu et cela l’amusait. Leur complicité d’alors reprenait gentiment place, laissant derrière eux les derniers événements mouvementés.
— Je ne vais pas tarder à y aller, je ne voudrais pas faire attendre Jim, dit-elle en se relevant.
Julia prit son sac dans lequel elle glissa son téléphone et partit pour la fourrière, soulagée que les choses se soient rétablies entre elle et son compagnon.
Le commissaire Gordon était déjà sur place et l’attendait lorsqu’elle arriva dans son Audi R8 au moteur vrombissant. Elle sortit en claquant la portière et verrouilla les portes à l’aide de la clef centralisée. La voiture émit un bruit sonore accompagné des voyants orange des clignotants, puis se tut. Julia se dirigea vers son ancien collègue et ami pour lui serrer la main. Il s’enquit d’abord de sa santé avant de lui assurer qu’il avait mis plusieurs de ses hommes sur l’enquête du vandale qui s’était introduit chez elle. Elle en profita pour lui faire part de son intuition, raison de sa présence à la fourrière. Avant de se rendre de l’autre côté de la clôture et de se diriger vers les hangars, Jim jeta un nouveau coup d’œil à la voiture flambant neuve de la jeune femme.
— Julia, j’espère sincèrement que ce n’est pas pour ce genre de chose que vous êtes avec lui, soupira Gordon en jetant un regard navré sur la voiture de luxe.
Elle se tourna à son tour vers la voiture, puis hésita quelques instants.
— Il n’est pas comme tout monde pense qu’il est, répondit-elle enfin avec embarras. Si vous aviez l’occasion de le côtoyer un peu plus…
— Je ne sais effectivement pas comment il peut être en dehors de sa vie publique, mais j’ai l’habitude de dire qu’on ne peut juger un homme que par ses actes, poursuivit Jim. Et disons que monsieur Wayne ne brille pas vraiment par ses actes depuis qu’il est revenu à Gotham.
Julia baissa la tête ; elle ne pouvait rien répondre à cela.
— Je comprends, murmura-t-elle.
Jim Gordon s’approcha d’elle en soupirant et la prit par les épaules.
— Ce n’est pas contre vous, au contraire, lui dit-il avec confidence. C’est que je vous considère comme un membre de la famille, vous êtes une fille bien… Je ne voudrais pas vous voir le cœur brisé par ce genre de type.
— C’est gentil, Jim, cela me touche, répondit-elle, émue et frustrée de ne pouvoir lui révéler qui était vraiment Bruce.
— Bon, allons voir cette camionnette, lança-t-il en la relâchant.
Les deux amis se dirigèrent dans le hangar sécurisé où la police stockait les véhicules qui faisaient partie d’enquêtes en cours. Ils parcoururent les allées jusqu’à la trouver, étiquetée et balisée. C’était une fourgonnette noire sans plaque d’immatriculation, de la marque Mercedes, modèle Sprinter, l’arrière ne possédait pas de vitres et les vitres avant, brisées, avaient dû être teintées. Selon le rapport, le parechoc avant droit était enfoncé lorsqu’il avait atteint le fond du fleuve. L’épave avait été retrouvée vide, aucun sac ni matériel, comme si les braqueurs avaient tout emporté dans leur fuite.
La jeune femme prit de nombreuses photographies avec son téléphone portable, mais ce qui la laissait dubitative était ce rapport que lui résumait le commissaire tandis qu’elle examinait le véhicule.
— Aucun sac n’a été retrouvé ? demanda-t-elle encore une fois.
— Non, rien.
— Et au fond du fleuve ? insista-t-elle.
— Rien dans le fourgon, mais le rapport ne mentionne pas qu’une fouille ait été faite aux alentours de l’épave dans le fleuve.
Julia s’assit sur le rebord du coffre qu’elle avait ouvert, les sourcils froncés comme quand elle savait que quelque chose leur échappait. À nouveau, elle eut la sensation que sa mémoire lui faisait défaut, l’obligeant à manquer des liens qu’elle aurait pu établir si elle avait eu tous les éléments sous les yeux, à portée de main. Malgré tout, elle tenta de se rappeler un maximum de détails :
— Sur les vidéos de surveillance que j’ai pu visionner, les deux camionnettes avaient emporté un butin équivalent, réfléchit-elle à voix haute, aux alentours de huit sacs de sport remplis de billets. Ils devaient être trois au maximum par véhicule, puisque ceux qui étaient avec les otages se sont enfuis par l’autre côté, déroutés par le Batman. Sachant qu’ils étaient dans l’eau, remonter huit sacs pleins de billets de banque imbibés d’eau… C’est la sortie du fleuve qui me chagrine. Ni vous ni le Batman ne les avez aperçus, alors que les rives étaient fouillées. Cela ne colle pas…
— Je demande une nouvelle fouille du fond du fleuve, décida Jim.
Julia hocha de la tête. Elle voulait en avoir le cœur net. Le commissaire sortit son téléphone d’une poche de son pantalon et passa un rapide coup de fil au quartier général. Une équipe sous-marine s’en occuperait lundi à la première heure ; cela parut une éternité à la jeune femme. Les deux anciens collègues sortirent du hangar, silencieux, puis se saluèrent avant de se séparer à l’entrée de la fourrière. Il n’était pas encore midi, elle avait le temps de passer à son laboratoire ; elle ressentait le besoin de se réfugier dans un endroit où elle serait seule et où elle pourrait réfléchir librement.
Les locaux de la Wayne Enterprise étaient bien plus calmes le week-end ; Julia ne croisa la route que de quelques-uns de ses employés et certains collègues, mais elle ne s’attarda pas à son bureau : elle se rendit prestement dans la section qui lui était entièrement réservée et où elle possédait son laboratoire de recherche personnel. Arrivée devant le sas d’entrée, elle sortit sa carte magnétique, puis valida le scan rétinien en fixant la lentille sur le côté de la porte. Cette dernière se déverrouilla, laissant entrer la jeune femme. C’était une vaste pièce organisée en plusieurs compartiments dans lesquels elle menait différentes recherches et expériences. Le premier compartiment possédait du matériel informatique relié aux serveurs massifs de la Wayne Enterprise, lui donnant un espace de stockage presque illimité. Elle s’assit devant l’écran principal et sortit de son sac le disque dur qu’elle y avait rangé avant de partir. Là, elle pourrait redéployer son programme et le perfectionner à sa guise.
Une fois son disque dur installé, elle se leva et rejoignit un deuxième compartiment séparé par des rideaux de plastique blanchâtre. Une large cuve, peu profonde, contenait une combinaison noire qui pouvait recouvrir du talon au col jusqu’aux mains ; une capuche y était également intégrée. La combinaison baignait dans un liquide transparent qui miroitait au rythme d’ondes pulsionnelles. La cuve était reliée à une multitude de câbles et un ordinateur permettait la gestion des appareils qui l’entouraient. À côté de cette cuve se trouvait une autre cuve, bien plus petite, posée à même une table de travail à l’intérieur de laquelle se trouvaient des puces électroniques pas plus grandes qu’un strass. La cuve était reliée au même appareillage que la grande ainsi qu’à l’ordinateur de bord.
Julia s’assit devant la table de travail où se situaient l’ordinateur et la petite cuve ; elle sortit l’écran de veille et reprit ses recherches là où elle les avait laissées, se replongeant dans la lecture d’un article particulièrement ardu sur la mémoire et son fonctionnement neuronal. De temps en temps, elle prenait des notes sur un calepin numérique ou vérifiait certains chiffres qui apparaissaient sur les appareils de surveillance des cuves. Soudain, elle ouvrit une nouvelle fenêtre sur son écran, rédigea une note de service et l’envoya directement à Lucius Fox : elle avait besoin de matériel très spécifique pour la technologie qu’elle était en train de développer.
Trois heures s’étaient écoulées lorsqu’une alerte retentit : une personne s’était introduite dans la section réservée. Elle jeta un coup d’œil sur la caméra de surveillance devant la porte de son laboratoire et aperçut Lucius qui s’en approchait, toujours aussi élégant dans son costume deux-pièces en laine brune et sa chemise bleu ciel. Une fois devant le sas d’entrée, Lucius fit un signe à la caméra : Julia déverrouilla la porte.
— Bonjour, mademoiselle Thorne, la salua-t-il avec chaleur. J’ai bien reçu votre demande de matériel. Cela dit… pourquoi avez-vous besoin de rats ?
— Parce que leur système neuronal est proche du nôtre, répondit Julia avec un aplomb déroutant.
— D’accord, vous comptez donc faire des expériences ?
— C’est cela, et si je pouvais les avoir rapidement, ce serait parfait, ajouta-t-elle avec un grand sourire.
— Oui, je vais voir ce que je peux faire, répondit-il tout en se frottant le menton. Toutefois, le budget que je vous alloue commence à chiffrer : j’aimerais bien savoir sur quoi vous planchez ces derniers temps.
Julia s’arrêta dans sa prise de notes et se tourna entièrement du côté de Lucius. Elle n’avait pas beaucoup communiqué sur son dernier projet, c’était un fait, et sa demande en était parfaitement légitime. Cependant, elle avait quelques réticences encore à dévoiler l’état de ses recherches et surtout ce qu’elle était en train de concevoir dans son laboratoire. Elle jeta un coup d’œil furtif aux cuves puis, vaincue par l’expression candide et amicale de son supérieur et ami, elle se leva d’un bond en parlant à toute vitesse :
— Je suis en plein développement d’une nanotechnologie destinée à pallier les défauts et faiblesses de la mémoire et du processus de déduction. Je pense pouvoir y arriver grâce à ceci.
Elle désigna les nanopuces se trouvant à l’intérieur de la petite cuve posée sur la table. Lucius s’en approcha et observa l’écran du nanoscope numérique pour découvrir des puces électroniques d’une conception encore jamais vue, une grande part des réseaux résidant dans le liquide même de la cuve.
— J’aimerais créer une sorte d’ordinateur-relai interne qui pourrait fusionner avec le système nerveux afin de le coupler à un réseau externe plus large auquel nous aurions ainsi directement accès, là.
Elle pointa sa tempe du doigt. Lucius lui jeta un regard à la fois émerveillé, interrogateur et dubitatif.
— Je sais, ça paraît dingue dit comme ça, mais… j’y suis presque, reprit-elle avec enthousiasme. Je pars du principe que toutes les cellules du corps possèdent leur propre capacité de mémoire, ainsi j’aimerais exploiter cette capacité en la dirigeant et l’organisant au travers d’un système assisté, ce grâce à la puce liquide. Ceci, couplé à des nanocapteurs à fréquences multiples injectés dans la rétine qui permettraient l’analyse en temps réel et l’enregistrement de tout ce qui est perçu par la vision, plus de vice de procédure dans le cas d’un procès ! Imaginez que les officiers de police en soient dotés, tout pourrait être enregistré et revisionné avec exactitude, et leurs facultés de déduction pourraient en être décuplées !
Lucius parcourait les notes de la jeune femme tout en écoutant le discours passionné et délirant de la jeune femme avec admiration et crainte. Il s’approcha à nouveau de la petite cuve.
— Ceci correspondrait au SMC, le système de mémoire cellulaire, indiqua Julia. Et là, vous avez les nanocapteurs.
Elle lui désigna les éléments flottants sur l’écran du nanoscope.
— Quelle serait la capacité d’enregistrement ? demanda Lucius.
— J’en suis pour l’instant à vingt-quatre heures, mais je pense pouvoir monter à trente-six heures.
— Et où stockeriez-vous les données après ces trente-six heures ? l’interrogea-t-il.
— Elles seraient effacées, ou stockées dans une mémoire externe grâce à ce réseau encore expérimental.
Elle se déplaça jusqu’au premier compartiment où elle avait installé son disque dur central relié aux serveurs et qu’elle présenta d’un geste de la main.
— Qu’est-ce que c’est, dans la grande cuve ? demanda-t-il en retournant derrière les rideaux blancs.
— Ça, c’est une armure polymérique en nanocomposites que j’aimerais équiper de systèmes d’attaque et de défense électromagnétique, décrivit-elle avec rapidité. Elle n’est pas encore terminée.
— Elle pourrait donc être reliée à votre SMC ? continua-t-il de l’interroger.
— Tout à fait, répondit-elle en souriant, voyant qu’il comprenait sa logique.
Lucius garda un long moment le silence, observant toujours le laboratoire et ce que venait de lui présenter la jeune femme.
— Je savais que vous aviez du potentiel, mais à ce point, murmura-t-il abasourdi. C’est à en faire peur… Vous voulez créer une interface dont vous disposeriez directement dans votre tête ?
— Oui, c’est exactement cela, confirma-t-elle. Je trouve que nous gâchons beaucoup nos capacités. Je n’avais absolument pas cette idée-là au départ, mais lorsque j’ai commencé à me renseigner sur les neurotoxines découvertes dans l’ancien laboratoire du docteur Crane, cela m’a passionnée… et l’idée a germé.
— D’accord, déclara Lucius avec mesure. Je vais vous fournir ce que vous demandez, mais à la condition que vous n’entamiez aucune expérimentation humaine sans mon aval. C’est compris ?
Julia pinça ses lèvres de frustration. Elle acquiesça : elle n’avait pas le choix si elle voulait faire aboutir son projet.
— Promettez-le-moi, insista-t-il avec gravité.
— Oui, d’accord, c’est promis, lâcha-t-elle, exaspérée.
Monsieur Fox repartit, admiratif et inquiet. Il avait la forte impression de laisser derrière lui, dans ce laboratoire, un génie au bord de la folie, mais une folie si incroyablement visionnaire qu’il ne pouvait pas non plus brider une telle découverte si cela fonctionnait. Il devrait la surveiller de près, et en informer monsieur Wayne à l’occasion.
Il était près de dix-huit heures lorsque Bruce consulta sa montre. Il avait passé l’après-midi dans son propre repaire, une manière pour lui de s’isoler. Ce qu’il s’était passé avec Julia et les trafiquants d’armes l’avait fait réfléchir sur la femme qui partageait tout de sa vie, et de son secret. Il avait réalisé qu’il ne la connaissait pas aussi bien qu’il le pensait, même si cela ne changeait en rien les sentiments qu’il lui portait. Il aimait travailler avec elle sur la mission qu’il s’était donnée, alors même qu’il pensait devoir agir dans la plus grande solitude. Toutefois, il avait toujours su que leur alliance avait été construite par intérêt en premier lieu : c’était parce que leurs objectifs se recoupaient qu’ils s’étaient mis à travailler ensemble. Puis il lui avait proposé de mettre à disposition tout ce qu’il possédait pour la garder auprès de lui. Était-ce par lubie ? Par intérêt, lui aussi ? Utile, elle l’était davantage qu’elle-même ne pouvait le concevoir et bien plus qu’il ne pouvait le reconnaître également. Son génie informatique et en ingénierie avait considérablement amélioré sa propre efficacité. Mais ce n’était pas son utilité qui l’avait poussé à la maintenir à ses côtés. Elle possédait parfois ce même regard blessé et meurtri qu’il avait lui-même. Il se retrouvait en elle. Peut-être que de l’aider, c’était une manière pour lui de se sentir mieux. Il avait l’impression de faire quelque chose de concret pour une autre personne que lui-même, et cela adoucissait sa propre peine. Lorsque Julia lui avait confié une partie de son passé, ce sentiment s’en était d’autant plus renforcé. Il avait pressenti ses blessures sans en connaître la nature. Il voulait l’aider.
Le trentenaire avait passé l’après-midi à faire des recherches sur le passé de la jeune femme. Il avait retrouvé les articles des journaux qui avaient titré le démantèlement d’un trafic de drogue à Richmond en Virginie. Aucun d’eux ne mentionnait la jeune fille qu’elle était alors, ne citant qu’une source anonyme située au cœur du trafic qui avait permis de le faire tomber tout entier. Néanmoins, un journal avait rédigé un article portant sur deux sœurs orphelines rescapées d’un trafic de drogue. Un autre article annonçait, deux jours plus tard, que la police avait retrouvé le chef du réseau de drogue mort dans sa propre cave ; celui-ci avait été étranglé avec une telle violence que la carotide avait explosé à l’intérieur de son cou, provoquant la mort par asphyxie, il s’était étouffé dans son propre sang. Les légistes avaient conclu à un meurtre dont le ou les coupables n’avaient jamais pu être retrouvés, l’affaire avait été classée sans suite.
Intrigué par ce meurtre, Bruce avait réussi à retrouver le nom de l’officier chargé de l’enquête et l’avait personnellement appelé pour avoir des détails sur l’affaire. Celui-ci lui avait décrit la scène de crime en ces termes :
— Ça remonte… c’était dans la cave de la victime, une petite pièce froide qui contenait un lit et des chaînes. On l’a retrouvé en plein milieu, du sang partout, il en avait dégueulé lorsque son meurtrier avait dû relâcher la chaîne. Oui, on pense que l’arme utilisée pour l’étrangler était la chaîne qui gisait à ses côtés, rattachée au lit en fer. Qu’est-ce que c’était glauque… Je n’ose pas imaginer ce qu’il devait faire là-dedans. C’était une pourriture aussi, ce mec. Il n’a manqué à personne. D’ailleurs, pourquoi cette affaire vous intéresse ?
— J’ai cru entendre qu’il avait hébergé une femme et ses deux filles, je suis sur leurs traces, à vrai dire, répondit Bruce avec prudence.
— Ah oui… A l’époque, je n’avais pas le droit d’en parler, pour les protéger, pauvres petites, se rappela l’inspecteur. Cela fait plus de quinze ans maintenant. C’était grâce à l’aînée que le trafic de drogue a pu être démantelé. Je m’en souviendrai toujours, elle est arrivée dans le commissariat avec un aplomb incroyable. Elle a demandé à voir le commissaire de cette époque dans son bureau, et personne d’autre. Elle tenait par la main sa petite sœur, une petite blonde aux yeux verts. Elle avait l’air d’avoir vu la mort, tellement ses yeux étaient écarquillés. Leur mère était morte à peine quelques jours auparavant, me direz-vous. Mais… Enfin, elles étaient arrivées, et la grande, avec un sang-froid sans pareil a balancé Ned et toute sa clique. En échange, elle demandait un visa pour elle et sa sœur. Elles étaient étrangères, rentrées illégalement sur le continent. J’avais été bien content que le commissaire le leur obtienne par un juge. Ensuite, elle s’est fait émanciper, puis elles ont quitté la ville. Je ne sais pas ce qu’elles sont devenues.
Bruce avait remercié l’inspecteur et avait raccroché. Il se souvint que Julia avait dit ne pas savoir ce qu’était devenu ce Ned, le trafiquant de drogue, et qu’elle était complètement désintéressée par son sort. Il ne savait pas s’il devait lui en parler, ou s’il devait respecter sa volonté pour sa tranquillité d’esprit. Malgré tout, il lui envoya un message.
Il était près de dix-huit heures lorsque Julia consulta enfin son téléphone. Un message de Bruce attendait sa réponse : « rendez-vous aux docks ce soir ? ». Ce n’était pas une mauvaise idée, cela pourrait l’aider à retrouver sa confiance et leur complicité. Elle répondit qu’elle sortait de la tour Wayne, qu’elle y serait dans une demi-heure.
Avant de partir, elle consulta les vidéos enregistrées lors de l’acte de vandalisme sur son ordinateur central, puis repéra celles où apparaissait la camionnette et entama la comparaison avec celle repêchée dans le fleuve. C’était la même marque, le même modèle. Cela rendait tangible le lien entre les deux événements. Ainsi, si elle enquêtait sur le braquage des casinos, elle remonterait la piste de celui ou celle qui la menaçait. Elle ne put s’empêcher de sourire, soulagée. Puis la jeune femme récupéra ses affaires et repartit aussitôt pour les docks où Bruce devait l’attendre.
— Même marque, même modèle ! s’exclama-t-elle triomphante tandis qu’elle arrivait dans le repaire du Batman.
Bruce l’accueillit en pantalon de jogging bleu marine et un t-shirt blanc proche du corps. Il avait l’air d’avoir commencé son entraînement en l’attendant, de la sueur mouillait déjà son torse et le milieu de son dos. Il attrapa une serviette et s’épongea le cou et la nuque.
— Bon, on avance, dit-il en souriant. Va te changer, aujourd’hui on va…
— J’aimerais apprendre à me battre, l’interrompit-elle abruptement. Ou tout du moins, apprendre à me défendre efficacement.
— D’accord, dit-il simplement.
Une fois qu’elle se fut changée pour revêtir un pantalon noir souple et un haut de sport anthracite par-dessus une brassière, elle s’attacha les cheveux en une longue queue de cheval et vint se poster au centre des tatamis. Pendant ce temps, Bruce avait installé un sac de frappe qu’il régla à la hauteur de la jeune femme. Il prépara ensuite ses mains avec de larges bandes, enveloppant ses premières phalanges et renforçant ses poignets.
— Bon, tu ne pars pas de zéro, dit Bruce en se positionnant face à la jeune femme, derrière le sac de frappe.
— J’ai quelques restes de ma formation pour le terrain à la CIA, confirma-t-elle avec quelque hésitation cependant.
— Montre-moi comment tu frappes, lança-t-il en s’éloignant pour observer la jeune femme.
Julia se mit en garde, ses poings levés devant son visage puis donna une série de coups dans le sac. Le trentenaire examina le moindre de ses gestes, la fit recommencer plusieurs fois afin d’être sûr, puis corrigea sa posture : la position de ses pieds, un peu plus écartés, son bassin bien sur son centre de gravité, ses coudes plaqués contre son corps.
— Pouce à l’extérieur, c’est bien, et le poignet dans l’alignement de ton avant-bras, dit-il en dépliant lentement son bras contre le sac de frappe. Ton poing doit être bien droit.
— Je bloque le poignet, se rappela-t-elle alors.
— Exact, vas-y.
Julia frappa à nouveau le sac avec plus de vigueur et de précision. Elle termina l’enchaînement de ses coups par un coup de pied.
— Pas mal, releva-t-il.
Ils continuèrent ainsi pendant une bonne heure et demie, puis effectuèrent des enchaînements l’un en face de l’autre, alternant l’attaque et la défense. Bruce alla plus loin encore : il lui fit faire des exercices de musculation et d’endurance. Au bout de la troisième heure, Julia tombait de fatigue, elle sentait la fatigue musculaire l’envahir.
— Je n’en peux plus, s’exclama-t-elle tandis que Bruce lui faisait faire un énième gainage.
Elle se laissa tomber au sol et roula sur le dos, épuisée. Il s’assit à ses côtés, il avait à peine transpiré plus que ce qu’il était déjà quand elle était arrivée, contrairement à elle qui était trempée de sueur, son haut lui collant à la peau.
— Si je ferme les yeux, je m’endors, dit-elle en ralentissant sa respiration haletante.
— Tu étais dans un état de fatigue similaire lorsque tu as pu discuter avec Oracle, non ? lui fit-il soudainement remarquer.
— Je ne sais pas, peut-être, répondit-elle en fronçant les sourcils.
Julia se releva sur un coude.
— C’est pour cela que tu m’as épuisée à ce point ? s’exclama-t-elle alors.
— Je me suis dit que c’était le bon moment pour essayer de provoquer une « rencontre », expliqua-t-il avec calme. Ici, nous sommes en sécurité, rien ne peut t’arriver et je peux la maîtriser s’il le faut.
Elle acquiesça, reconnaissant la validité de ses arguments. Elle s’assit en tailleur, ses mains posées sur ses genoux, mais ne savait pas quoi faire ensuite. Il s’installa en face d’elle et lui saisit les mains pour la rassurer de sa présence.
— Je ne sais pas comment…
— Ferme les yeux et essaie de repenser à l’autre nuit, ce que tu as dit, comment tu l’as dit, proposa Bruce d’un ton calme et posé.
Julia suivit son conseil ; elle ferma les yeux et repensa à l’étrange conversation qu’elle avait eue avec elle-même, ou cette autre… Oracle. Tout en restant silencieuse, elle s’adressa intérieurement à son double, lui demanda si elle voulait se manifester, discuter. Puis elle se mit à rire toute seule.
— Pourquoi ris-tu ? l’interrogea-t-il intrigué.
— J’ai l’impression de mener une séance de spiritisme dans ma tête, répondit-elle amusée. « Oracle, es-tu là ? ».
Bruce ne put se retenir de rire également. Mais rien ne fit, l’intéressée ne se manifesta pas. Il tenta alors une dernière approche, afin de vérifier une intuition dont il doutait malgré tout fortement :
— J’ai retrouvé l’inspecteur qui s’était occupé du trafic de drogue à Richmond, dit-il soudainement, avec précaution. Il m’a dit qu’ils avaient retrouvé le chef du trafic, Ned, mort dans sa cave, assassiné.
Le silence s’abattit dans le vaste hangar souterrain. Le visage de la jeune femme s’était durci, son front plissé, de concentration ou de colère, il n’arrivait pas à le déterminer. Sa respiration s’était bloquée quelques instants, puis il l’entendit expirer avec difficulté.
— Je ne le savais pas, répondit-elle brièvement.
— Il aurait été étranglé avec une chaîne qu’il gardait dans une petite pièce, qui contenait également un lit de fer, ajouta Bruce, repensant aux cauchemars de sa compagne.
— Arrête ! s’écria-t-elle en se relevant d’un bond, une lueur de rage noire au fond de ses yeux.
Bruce se releva à son tour et la saisit par les épaules d’une poigne réconfortante.
— Excuse-moi, murmura-t-il en sachant pertinemment qu’il avait touché un point sensible.
— Je ne veux pas… je ne peux pas, bredouilla-t-elle avec confusion.
— D’accord, répondit-il en la prenant dans ses bras pour l’apaiser.
Il la maintint contre lui plusieurs minutes, jusqu’à ce qu’il sente sa respiration plus régulière. Ils rassemblèrent ensuite leurs affaires en silence, déçus, puis retournèrent au penthouse chacun de leur côté.
Le lundi tôt dans la matinée, Julia avait rendez-vous avec Maddie, son ancienne indic avec qui elle avait lié d’amitié ; c’était d’ailleurs la première personne avec qui elle s’était rapprochée lors de son arrivée dans la ville de Gotham City. Depuis, même si elles ne se voyaient que rarement, elles restaient en contact étroit. C’était une jeune adulte d’à peine vingt ans aux cheveux châtain blond mi-longs, le visage fin, des yeux marron en amande et un magnifique sourire qui irradiait sur toute sa personne. Elle s’était retrouvée seule en famille d’accueil dès ses huit ans, et n’avait pas toujours pris les bonnes décisions durant son adolescence. Lorsqu’elle avait rencontré Julia, elle venait de quitter son petit-ami qui la battait et passait de petit boulot en petit boulot sans pouvoir trouver sa voie. Maddie appréciait la jeune femme pour son côté mystérieux, et avait très vite compris à l’époque qu’elle n’était pas qu’une simple archiviste. Elle ne lui posait jamais de questions déplacées, et trouvait toujours un intérêt proche de la fascination pour les affaires sur lesquelles la branchait la jeune femme. Lorsque Julia l’avait contactée pour lui proposer un nouveau travail, elle n’avait pas hésité.
— Alors, c’est quoi, aujourd’hui ? Opération d’espionnage ? Mise sur écoute ? Infiltration ? lui lança gaiement Maddie.
Elles s’étaient retrouvées dans un café du Midtown dans lequel elles avaient pris l’habitude de se voir : suffisamment discret pour ne pas éveiller les soupçons et agréable parce qu’ils faisaient du bon café. Assise l’une en face de l’autre dans la vaste salle que le brouhaha des conversations couvrait, Julia lui exposa la situation :
— Tu te souviens du braquage du Harlow’s casino, n’est-ce pas ? lui rappela Julia.
— Ne m’en parle pas ! Heureusement que c’était mon soir de repos, répondit Maddie avec un rire nerveux.
— J’aimerais infiltrer les systèmes de sécurité de tous les casinos de la ville, déclara Julia.
— Ah ouais, tu fais pas semblant !
Julia lui sourit, puis lui expliqua en détail ce qu’elle attendait d’elle : se présenter comme une représentante du département de la cybersécurité de la Wayne Enterprise et leur proposer un diagnostic et des améliorations. Tout ce dont Julia avait besoin, c’était qu’elle connecte au moins une fois la clef USB qu’elle lui présenta à l’un des ordinateurs connectés aux serveurs privés des casinos.
— C’est tout ? Je l’insère, j’attends deux minutes et c’est fini ? s’étonna Maddie en saisissant la clef.
— Même plus besoin d’attendre aussi longtemps, lui répondit Julia. C’est comme au Harlow’s.
— Ce devrait être dans mes cordes, réfléchit-elle rapidement. Si tu me prépares le pitch à leur servir, je réussirai à broder autour.
— Et tu pourras certainement compter sur tes atours, ajouta Julia.
— Ah ! ça j’aime bien ! Les voir baver devant mon décolleté…
Les deux femmes se mirent à rire de bon cœur.
— Et en échange, qu’est-ce que je gagne, cette fois ? demanda Maddie avec sérieux.
— Un vrai travail rémunéré, en CDI, à la Wayne Enterprise.
— La vache ! mais… je n’ai aucune compétence particulière, pas de formation, s’inquiéta la jeune fille.
— Dans quoi te sens-tu le plus à l’aise ? l’interrogea Julia avec bienveillance.
— Je sais pas… je sais faire le café, je sais utiliser un ordinateur, réfléchit-elle tout haut. Et la Wayne Enterprise, c’est gigantesque… je serai complètement perdue là-dedans, moi. T’y travailles, maintenant, pas vrai ?
Julia acquiesça.
— Tu pourrais pas me trouver un truc proche de toi ? lui demanda Maddie.
La jeune femme prit un instant de réflexion.
— Le travail de secrétariat, ça ne te rebute pas trop ? demanda-t-elle alors.
— Non ça va, c’est dans mes cordes, ça !
— Eh bien, j’aurais bien besoin d’une secrétaire, histoire de gérer mon emploi du temps et certains aspects administratifs, proposa Julia avec hésitation.
— On travaillerait ensemble ? s’enthousiasma la jeune fille.
— En partie, oui, répondit Julia en souriant.
Maddie tendit sa main ouverte :
— Tape-m’en une !
Julia frappa sa paume contre la sienne : l’affaire était conclue.