Chapeau melon et bottes de cuir
Lorsque Daphnée se réveilla, elle eut l’impression d’avoir vécu quelque chose d’horrible. Comme un cauchemar.
Elle se souvenait à peine de ce qu’il s’était passé avant qu’elle ne s’endorme, mais elle se rappelait que ça n’avait rien de plaisant alors elle ne poussa pas. Son lit semblait plus confortable que d’habitude et elle se sentait reposée, tout allait bien. Elle resta recroquevillée encore quelques instants avant que son estomac ne la rappelle à l’ordre. Elle avait horriblement faim et soif, sa gorge était sèche et sa langue avait un goût de béton. Elle sortit ses jambes du lit et se redressa en un mouvement souple avant qu’elle n’ait le tournis et ne doive reposer son dos sur le matelas. Elle posa sa main sur son visage et prit de grandes inspirations.
Puis elle se souvint qu’elle n’avait pas de draps verts.
La réalité la frappa comme une tonne de brique et elle dut se retenir de pleurer. Elle ne s’était pas réveillée d’un cauchemar, oh non elle était encore en plein dedans. Elle laissa tomber ses deux mains sur son visage pour se reprendre et regarda attentivement autour d’elle. A part pour le lit et deux portes la pièce était totalement vide. Au pire, une fois qu’elle aurait repris des forces elle pourrait tenter de forcer un des verrous avec un des ressorts du sommier. A l’instant elle était trop faible pour s’enfuir, mais se leva précautionneusement pour voir ce qu’il ya avait derrière les portes. La première était une minuscule salle de bain munie d’une douche, d’un évier, d’une cuvette et d’un nécessaire de nettoyage, l’autre était fermée à clé.
Après avoir bu autant qu’elle le pouvait, elle resta pensive quelques instants. Il y avait probablement des caméras dans la salle de bain et la chambre, il pouvait entrer quand bon lui semblait… mais tant pis, elle se sentait vraiment trop sale alors si elle devait mourir dans d’atroces souffrances, autant faciliter le travail du légiste et mourir propre. Elle se déshabilla prestement puis se glissa sous la douche. L’eau était glaciale évidemment, mais elle ne s’en formalisa pas. Une fois qu’elle eut usé la barre de savon sur sa peau jusqu’à ce que celle-ci soit rouge, elle agrippa une serviette et du dentifrice. Bon, elle n’avait pas de miroir pour savoir à quoi elle ressemblait mais elle était sûre qu’une fois débarrassée de toute la crasse elle semblait déjà plus humaine.
Toujours en serviette, elle sorti de la pièce pour récupérer ses vêtements mais vit qu’ils avaient disparus pour être remplacés par le Sphinx. Le dit criminel se tenait au milieu de la chambre jouant comme toujours avec sa cane, un sourire moqueur plaqué au visage, attendant visiblement qu’elle dise quelque chose. L’espace d’une seconde, elle eut l’impression que ce sourire la suppliait de le frapper. Elle ouvrit la bouche pour l’insulter mais serra les dents en se souvenant de ce qu’il lui avait déjà fait.
- … Bonjour.
- Enfin ! Je commençais à croire qu’une créature néandertalienne n’avait aucun sens de la politesse.
Il commença à faire les cents pas tout en parlant, visiblement ravi, et elle dû se forcer à ne pas bouger.
- Je passe effectivement une bonne journée ! L’attaque de cette banque m’a rapporté plus que je ne l’avait prévu et Batman n’a visiblement que faire d’un hominidé aussi insignifiant que toi quand le commissaire est retenu en otage par Double-Face.
Comme elle ne disait toujours rien, se contentant de rester là comme un chat dans les phares d’une voiture, il se rapprocha tout en continuant son discours.
- Etant donné que tu n’as plus l’air de vouloir bafouer mon hospitalité, je vais me montrer magnanime.
Il la pointa avec sa cane et elle recula par réflexe.
- Réponds à mes questions et je te laisserais avoir des vêtements, articula-t-il avec condescendance. Dans le cas contraire, mes hommes n’ont pas vu un joli visage depuis très longtemps et seront ravis de te tenir compagnie.
Il était décidément heureux que Le Sphinx ne puisse pas lire dans les pensées de Daphnée, parce que ce qu’il y aurait vu ne lui aurait vraiment pas plu. Elle resserra sa serviette contre elle en hochant la tête, une remarque acerbe sur le bout de la langue. Il s’assit sur le lit en croisant ses jambes d’une façon qu’elle trouva très féminine avant de continuer.
- Il est grand temps que nous fassions les présentations. Je suis Edward Nygma plus connu sous le nom de Sphinx, Prince des Puzzles, Maître des Enigmes. Quand à toi tu es une fourmi prénommée…
Elle s’appuya contre le mur pour se soutenir et répondit aussitôt.
-Daphnée Virginia Greyhound.
Plus la réponse serait précise, moins elle aurait de chances de lui déplaire. Voyant qu’elle lui obéissait, son sourire s’élargit.
- Et tu travaillais dans cette banque je présume ?
Elle hocha la tête.
- J’y suis employée en temps qu’interprète depuis un an et… deux mois.
- Quelles langues parles-tu ? Macaque ? Homo Ignoramus ?
Ne surtout pas lever les yeux au ciel.
- Je parle couramment anglais, espagnol, portugais, russe, mandarin et français. Je peux me débrouiller en italien et en japonais.
Il eut l’air un peu surpris devant cette déclaration mais ne s’y attarda pas. Daphnée fut questionnée sur le moindre aspect de sa vie, depuis son avis en politique jusqu’à sa marque de savon. Elle commençait à penser qu’il se payait sa tête, c’est vrai, en quoi est-ce que ça pouvait bien l’intéresser ? Peut être qu’il la laisserait partir quand il aurait réussit à la « résoudre » ?
Aha. Non.
Alors que ses jambes menaçaient de se dérober sous son poids, il utilisa sa cane pour tirer un carton de sous le lit et le fit glisser jusqu’à la salle d’eau d’un coup de pied.
- Tu peux te changer, mais presse toi. »
Elle referma la porte derrière son dos et se laissa tomber près de la boite. Mais qu’est-ce qu’il pouvait bien se passer dans la tête de ce type ? Aucune importance, il fallait qu’elle mange, et vite. Son corps ne pourrait plus fonctionner pendant très longtemps à ce rythme là. Elle fouilla dans le carton et ne pu que lever les yeux au ciel devant son contenu. Tous les vêtements étaient soit couverts de points d’interrogation, soit absolument indécents. Quant aux sous vêtements, n’en parlons même pas.
Elle avait compris que les femmes qui vivaient avec les criminels de Gotham étaient des fanatiques, mais à ce point ça frisait la psychose.
Elle parvint néanmoins à mettre la main sur une robe à manches longues vertes et une paire de leggings noirs. Bon, la robe était la chose la plus courte et la plus vulgaire qu’elle ai jamais portée, mais ça devrait faire l’affaire. Lorsqu’elle tenta de se lever, elle se trouva face à un problème.
Ses jambes ne pouvaient plus la soutenir. Elle inspira pour ne pas paniquer et ouvrit la porte depuis le sol, se préparant aux quolibets du Sphinx. Il la regarda quelques instants avant d’éclater de rire.
« Je savais bien que tu finirais par ramper à mes pieds, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi rapide ! »
Daphnée serra les dents et détourna le regard, non pas par honte, mais pour qu’il ne voit pas à quel point elle aurait voulu lui arracher les… yeux. Il se leva et se dirigea vers elle. Quand il fut suffisamment près, il leva brusquement sa tête avec le bout de sa cane pour qu’elle soit obligée de le regarder. Il avait de nouveau perdu tout semblant de bonhomie et pendant un instant elle cru qu’il allait la rouer de coup de pieds.
« Je te laisse le choix Daphnée, tu peux mourir de faim sur le sol comme un parasite en hiver…
L’espace d’un instant, elle avait cru qu’il pourrait faire une phrase sans l’insulter ou lui donner des ordres. Ah, c’est beau de rêver.
- … Ou alors tu peux me raconter ce que Maxie Zeus t’as fait pour que tu tente de le tuer.
Son sang se glaça dans ses veines. Comment est-ce qu’il pouvait savoir ça ? Les hommes de mains étaient morts, elle avait fait attention à couvrir ses traces, elle avait un alibi valable… Se pinçant les lèvres elle réfléchit intensément. D’un côté, si elle choisissait de mourir de faim, elle n’aurait plus à souffrir longtemps.
Mais de l’autre, il avait ravivé son envie de vivre. Bon elle voulait vivre pour lui casser la gueule mais c’est juste un détail.
Elle hocha la tête et Nygma devint triomphal. Il s’assit sur le lit, mains jointes sur sa cane et lui fit signe de procéder. Elle déglutit et commença son récit, les yeux fixés sur ses mains.
- Avant le troisième kidnapping, ma vie était devenue idéale. Parfaite même. Ma mère était de moins en moins paranoïaque, mon petit frère commençait à devenir un peu plus mature, ma belle mère avait décidé de me laisser tranquille, j’avais intégré l’entreprise que je voulais, j’étais major de mon année et … J’avais rencontré quelqu’un.
Elle détourna son regard mais n’eut pas besoin de le voir pour savoir qu’il levait les yeux au ciel. Oui et bien merde, il voulait une histoire, il allait en avoir une, avec tous les acteurs. Même longtemps après elle pouvait le revoir, avec ses grands yeux marron de Bambi et son sourire de gamin. La façon qu’il avait de jouer avec ses cheveux le matin, son air sérieux quand il lisait, sa démarche joyeuse, son odeur de café…
Elle secoua la tête et retint ses larmes. C’était du gâchis.
- Je n’ai jamais cru que ça existait, les gens foncièrement bons. J’ai vécu à Gotham suffisement longtemps pour savoir que tout le monde est égoïste. En situation de crise c’est toujours chacun pour soi. Mais lui, il était tellement gentil, tellement naïf… le genre Boyscout qui aide les vielles dames à traverser les passages piétons. En novembre les hommes de main de Maxie Zeus m’ont attiré dans une ruelle sombre pendant que j’allais faire des courses. Je ne me suis pas trop inquiétée. Après tout, Batman m’avait déjà retrouvée deux fois. Jamais deux sans trois et toutes ces conneries, hein ?
Ville de merdre. Pourquoi lui hein ? Les salauds comme Nygma ça courait les rues mais les types bien comme Andrew se faisaient dézinguer à la première occasion. C’était injuste.
- Et puis au bout d’une semaine, mon petit ami a réussi à se faire engager parmi les macaques de Maxie. Oui je sais ça parait débile, mais quand il a demandé l’aide de la police, ces espèces de connards lui ont répondu que de toute façon le mégalo n’allait pas me tuer, et que les ratés dans son genre c’était Batman qui s’en occupait. C’était vraiment dingue comme idée d’y aller tout seul comme ça, mais ça a vraiment failli marcher. A deux minutes près on aurait été dehors. Pas de pot. Maxie l’a tué. Je me suis vengée. Fin de l’histoire.
Elle se pinça les lèvres pour ne pas pleurer et repoussa les souvenirs. Elle préférait garder un minimum de dignité, merci beaucoup. Il y eut un moment de silence avant que le Sphinx ne la pointe du doigt.
- Je croyais que le Batman était venu vous sauver ?
Elle poussa une exclamation indignée.
- Me sauver ?! Il m’a défoncée au moment où j’allais tuer Maxie Zeus ! Ce type n’a rien d’un héros, c’est un taré en collants avec un déguisement de chauve souris qui se fait du fric sur le dos des autres criminels. Il les laisse faire leurs vols, puis il les tabasse un peu, passe un peu de blé aux autorités pour que les monstres du genre Zsasz et le Joker n’aient pas la peine de mort et avec le reste il se paie ses gadget et une villa en Floride. C’est un putain de profiteur de merde, un sale fils…
Sans qu’elle ne s’en rende compte Nygma s’était levé et avant qu’elle ne puisse réagir, il la souleva de terre et la posa délicatement sur le lit avant de sortir.
Elle regarda intensément la porte.
S’il se mettait à siffler le générique de la quatrième dimension, elle deviendrait officiellement folle.