Chapeau melon et bottes de cuir
Depuis quelques temps, la vie de Daphnée était passée de déprimante à terrifiante et pouvait désormais être décrite comme ubuesque. Qu’elle se fasse kidnapper et torturer passait encore. Ce genre de chose était monnaie courante à Gotham, au point que les journaux devaient écourter les rubriques Faits Divers. Mais à partir du moment où Nygma l’avait questionnée, ses actions changèrent du jour au lendemain. Déjà, il n’avait pas manqué à sa promesse et elle pu manger dans l’heure suivant l’interrogatoire. Elle avait reçu trois repas par jours depuis et avait repris suffisamment de forces pour faire des exercices de musculation dans sa… Chambre ? Cellule ? Le Sphinx disait que la pièce était sa chambre mais étant donné les circonstances Daphnée avait un peu de mal à utiliser ce terme.
Plus curieux encore, il était revenu plusieurs fois, toujours pour parler de son sujet favori : lui-même. Il y avait des variations bien sur, par exemple il pouvait râler pendant des heures sur le fait qu’il était plus intelligent que Batman. Sur la stupidité des Gothamites aussi. Mais il insultait un peu moins Daphnée, ne l’avait pas (trop) menacée et lui avait donnée un livre de sudokus pour s’occuper alors elle ne se plaignait pas du changement. C’était juste… étrange. Ca la laissait incertaine dans un bon jour et craignant pour sa vie dans un mauvais.
Elle se demandait vaguement si c’était comme ça que se sentait son psychiatre à la fin de chaque séance. Si oui, le pauvre homme méritait une médaille.
Etendue sur le dos, Daphnée réfléchissait. Est-ce que c’était leur haine mutuelle pour Batman qui faisait que Nygma la gardait en vie ? Et justement, que faisait Batman ? Ca commençait à faire un moment qu’elle avait été kidnappée et elle n’avait toujours pas aperçu ne serait-ce que l’ombre d’une oreille pointue. Il devait avoir sauvé le commissaire là, non ?
Soupirant, elle compta le nombre de fois où Bruce Wayne avait été kidnappé pour tromper l’ennui. Alors qu’elle en était à la quinzième fois, le Sphinx entra dans la pièce en courant et lui jeta une pile de vêtements à la figure. Elle se releva en le regardant curieusement, d’un côté parce que c’était la première fois qu’elle le voyait en tenue normale, de l’autre parce qu’il avait l’air assez paniqué.
« Batman sera là bientôt, change toi !
Elle haussa un sourcil et croisa les bras. Et si elle avait envie que Batman la retrouve ?
- Vous croyez vraiment que je vais me changer devant vous ? »
Il sortit un pistolet de son imperméable et pointa le canon vers elle.
Mouais. Argument pas très valable mais passons.
Elle se changea en vitesse, lui tournant le dos pour garder un tant soit peu de modestie, mais n’eut pas le temps de mettre le manteau car il la prit par le bras et la tira à sa suite. Ils passèrent plusieurs pièces, l’une d’elle contenant un grand nombre d’écrans et de colonnes d’ordinateurs couverts de bâtons de dynamite. Quand elle passa le pas de la porte d’entrée, elle fut temporairement aveuglée et se serait arrêtée, si ça n’avait été pour la poigne de fer du Sphinx. Quand elle se fut un peu plus habituée, elle se rendit compte qu’ils étaient dans les quartiers plus chics de Gotham. Elle s’était attendue à être au milieu des Narrows, mais connaissant le narcissisme de l’individu elle aurait dû y penser. Le soleil se levait à peine et pourtant elle n’avait pas vu autant de lumière depuis un certain temps. Combien de jours avaient passé depuis son enlèvement ?
Après avoir couru sur plusieurs ruelles, ils s’arrêtèrent pour souffler. Nygma la regarda fixement avant de la lâcher pour lui arracher le bonnet des mains et de le lui mettre rudement.
« Mets ton manteau et cache tes cheveux, ils sont trop voyants.
Elle obéit sans rien dire, puis il lui reprit la main.
- Et maintenant ?
Il commença à marcher lentement, comme s’il n’était absolument pas recherché par la police à l’heure actuelle.
- Maintenant, on se fond dans la masse ignorante pour une journée. Le « grand » Batman sera trop occupé à remuer les bas fonds de Gotham pour trouver l’épouvantail à partir de ce soir.
- il y a quelque chose de spécial ce soir ?
Il haussa un sourcil moqueur et pointa du doigt le porche d’une maison, décoré de citrouilles.
- Nous sommes le trente octobre. Je te laisse deviner la suite, si tu t’en sens capable bien sur.
Effectivement, le détective masqué risquait d’être un peu occupé avec l’attaque annuelle de l’épouvantail. Un Halloween sans Toxine de Peur à Gotham aurait été comme un premier avril sans poissons du Joker. Il allait probablement passer la nuit prochaine à chercher ce que le bon Docteur Crane avait mijoté cette fois ci. Elle fit un rapide calcul, cela faisait onze jours depuis le hold up.
- Rapproche-toi de moi Daphnée. »
Elle leva les yeux au ciel mais obéit tout de même. Après tout, on ne contrarie pas un malade mental, surtout quand celui-ci est armé. Visiblement, il allait faire croire qu’ils sortaient ensemble toute la journée. Vu qu’elle aurait préféré avoir une distance d’au moins cinquante mètres entre eux et qu’il ne pouvait converser sans l’insulter au passage, ça allait être un peu compliqué. Ils continuèrent de marcher dans un silence inconfortable jusqu’à ce qu’il s’arrête devant un taxi garé sur le bas côté. Après un échange rapide, il lui ouvrit la portière.
-« Après toi Diane. »
Diane. Nom latin d’Artémis. Elle se força à lui sourire, mais ne put s’empêcher de lui lancer un regard venimeux. Un jour, un jour elle se vengerait et ce jour là il allait déguster, oh oui. Elle se coinça contre la porte espérant rester le plus loin possible de lui, mais il se laissa tomber près d’elle, passant un bras en travers ses épaules comme si c’était tout naturel pour lui. Elle devait admettre qu’il était assez bon pour jouer la comédie. Ou alors il se sentait vraiment détendu ? Qui sait. En tout cas, si elle l’avait vu dans la rue elle ne se serait jamais doutée qu’il était en fuite. Elle au contraire était plutôt nerveuse, et avait beaucoup de mal à se retenir de lui mettre une main dans la figure. Quand ils entendirent une forte explosion venant de l’ancien repaire de Nygma, elle sursauta tellement que le sommet de son crane percuta la toiture. Il serra son épaule jusqu’à ce qu’elle ai mal et murmura à son oreille.
« Qu’est-ce qui tremble comme un éphémère, possède l’intelligence d’un éphémère et va en avoir l’espérance de vie si elle ne se calme pas immédiatement ? Un indice : ce n’est pas moi.»
Elle déglutit, inspira profondément pour tenter de paraître moins tendue et lui envoya un faible sourire pour ne pas inquiéter le conducteur. Autant essayer, après tout elle avait plus de chances de survivre si elle jouait le jeu. Et comme il était suffisamment malade pour lui tirer dessus ici et maintenant si elle n’obtempérait pas elle préféra lui obéir.
Une fois que le trajet fut fini, elle attendit patiemment qu’il paie avant de sauter hors du taxi. Elle fut malheureusement très vite rattrapée par Nygma qui l’agrippa par la taille. Ils passèrent la matinée à se promener dans le centre ville, suivant les endroits où s’amoncelaient le plus de personnes. Graduellement, Daphnée se calma tout en s’émerveillant de l’aveuglement de ses concitoyens. Peut être qu’ils étaient aussi stupides que le Sphinx le disait finalement. Avec un peu de confiance, un bonnet et des manteaux, ils réussissaient à se fondre dans la masse. Navrant.
En début d’après midi, elle commença à en avoir assez d’être aussi près de Nygma. Alors qu’ils étaient assis sur un banc, elle vérifia que personne ne pouvait les entendre avant de siffler entre ses dents.
« Ca vous ennuierait de me laisser respirer trente secondes ?
Il lui adressa un regard agacé.
- Cela te dérange-t-il tant que cela d’être près de moi ?
D’ordinaire elle aurait réfléchi avant de parler, mais à l’instant elle était trop stressée pour en avoir quelque chose à faire.
- Honnêtement ? Oui.
Il fronça les sourcils et se pencha vers elle. Quand elle comprit ce qu’il comptait faire elle recula violement sa tête et il fut obligé de la tenir pour pouvoir écraser ses lèvres contre les siennes. Elle ne fut pas tellement surprise par le baiser, elle l’avait vu venir après tout, mais sa façon d’embrasser la prit de court. Tentativement elle passa sa langue contre la lèvre inférieure de Nygma pour qu’il ouvre la bouche. Il fallait qu’elle tente quelque chose. Au bout de quelques minutes, il se redressa et lui lança un regard satisfait.
- Es tu sûre d’avoir été… honnête Daphnée ?
Elle répondu sèchement.
- Vous embrassez comme un collégien boutonneux.
Son air triomphal fondit comme une boule de neige en enfer. Elle leva les yeux au ciel. Elle avait la vingtaine, pas seize ans, ce genre de tactiques de prise de pouvoir ne risquaient pas de marcher. Et vraiment, de nos jours tout le monde connaissait le syndrome de Stockholm.
- Est-ce que tu sous-entends que j’embrasse mal ?
Il semblait légèrement indigné. Tant pis pour lui.
- Ecoutez, vous êtes doué pour les énigmes, les puzzles et tout ça, mais pour emballer les filles vous m’avez l’air plutôt nul.
Il fronça les sourcils mais elle lui coupa la parole.
- Depuis quand vous n’avez pas eu de petite amie ?
Son visage s’éclaira mais elle ne le laissa pas parler.
- Une que vous ne payez pas ?
Il perdit son air joyeux, ouvrit la bouche, la referma, leva un doigt en l’air, le rabaissa, puis se massa l’arrête du nez. Au bout de quelques minutes de silence, Daphnée commença à s’inquiéter.
- J’ai dis un truc qu’il ne fallait pas ?
- Non, j’essaie de me rappeler.
Elle parvint à se retenir une seconde. Puis deux. A la troisième elle éclata de rire. Il lui jeta un regard meurtrier et elle se contenta de lui sourire en retour.
- Oh, me regardez pas comme ça. C’est juste qu’avec les partenaires et la tenue de gentleman cambrioleur j’avais toujours cru que vous étiez un genre de Dom Juan.
A sa grande surprise elle obtint un demi-sourire de Nygma.
- En vérité le beau sexe ne semble pas m’apprécier outre mesure…
Elle haussa les épaules et ils tombèrent dans un silence confortable. Ce qui la rendit très inconfortable quand elle le réalisa. Elle laissa ses pensées dériver jusqu’à ce qu’elle trouve une idée pour les occuper.
- Vous avez déjà vu votre mannequin au musée de cire ? »
Il fit signe que non, alors elle le prit par le bras et le traina à sa suite. Depuis cet endroit, le musée n’était qu’à une dizaine de minutes et ils n’y avaient jamais de file d’attente en hiver. Autant en été les gens appréciaient la fraicheur du lieu, autant en hiver ils préféraient visiter des endroits chauffés. Ainsi ils purent entrer rapidement et elle le traîna vers la pièce qui faisait la popularité du petit musée : celle des célébrités locales, il fit quelques remarques sur Bruce Wayne, et elle pu apprendre qu’ils l’avaient attaqué plus d’une vingtaine de fois, puis sur Batman et le pari qu’il avait fait avec Catwoman sur Robin.
« Vous pariez sur quoi, s’il va mourir ou non ?
Il haussa les épaules.
- Non ça c’est plutôt du genre d’Oswald. Nous nous étions juste dis qu’au moment où il en prendrait un cinquième nous appellerions les services sociaux. Parfois je me demande s’il les ramasse dans la rue, cela expliquerait leur culture abyssale.
Daphnée éclata de rire avant de proposer sa propre théorie.
- Personnellement, je crois qu’il passe des auditions. C’est vrai ils sont doués en arts martiaux après tout, alors pourquoi pas ?
- Qui sera le Nouveau Robin ?
Elle hocha la tête en souriant et il se contenta de hausser un sourcil en se dirigeant vers la galerie des supers vilains. Il fit quelques commentaires, particulièrement devant les femmes, bien trop plantureuses pour être réelles avant de s’arrêter à son propre mannequin. Les deux ne partageaient pas la moindre ressemblance. Le mannequin avait les cheveux orange vif et pas châtains, un costume fluo à paillettes, une cane trop ornée pour être pratique et un menton protubérant. Le fait que Query et Echo semblaient dégouliner de ses épaules n’aidait pas. Il commença à se lancer dans une longue diatribe, qui risquait d’être bruyante, jusqu’à ce qu’il se rende compte que Daphnée était écroulée de rire contre le mur.
Furieux qu’elle se moque encore de lui il la prit par le col, prêt à l’étrangler. Elle prit une grande respiration et le regarda en souriant alors qu’il la fusillait du regard.
- Le costume de robin, c’est le même que celui qui est exposé non ?
Il fronça les sourcils, ne voyant pas où elle voulait en venir, mais hocha toute même la tête et la relâcha. Elle prit quelques grandes respirations pour se calmer avant de lui faire face.
- Et bien voilà, je me suis rendue compte que son costume était moins couvrant que celui de vos complices et puis j’ai pensé à quelque chose de très bête. Un homme adulte, dans un costume noir en latex, qui entraîne un jeune garçon pas très habillé dans des ruelles sombres la nuit, ça fait un peu…
Il la regarda glousser pendant quelques secondes, avant d’ajouter son grain de sel.
- Au moins maintenant nous savons pourquoi il a des menottes en formes de chauve souris.
Ils s’entreregardèrent pendant une demi seconde avant d’abandonner toute idée de discrétion et de ricaner comme une paire de hyènes.
Finalement, Nygma n’était pas si terrible que ça.