Entrelacés
-Kisuke
-Qu’y a-t-il, Yoruichi-san?
-Est-ce bien normal que ça dure si longtemps? Je pensais que ça serait vite fini.
Pendant que Tessai était retourné s’occuper de la boutique, Urahara, Sado et elle étaient restés là à veiller sur les deux adolescents inconscients. Ça faisait bientôt une heure et demie, et ils n’étaient toujours pas revenus.
-A mon humble avis, ils ont dû rencontrer quelques difficultés. Mais je crois qu’il n’y a plus lieu de s’inquiéter. N’est-ce pas Sado-san?
Le géant mexicain avait en effet remarqué que tout le corps d’Ichigo s’était considérablement raidi pendant un long moment. Mais il semblait s’être détendu il y a quelques minutes de cela. Il se demandait si ça avait à voir avec ce Hollow intérieur que son ami paraissait parfois redouter.
Il leva les yeux vers le gérant pour lui poser la question. Mais bien sûr, ce dernier l’avait anticipée.
-C’est exactement ce à quoi vous pensez, mon jeune ami. Et ça explique beaucoup de choses.
Yoruichi, qui avait suivi l’échange d’un œil sceptique, ne comprenait absolument pas de quoi il retournait. Ça l’agaçait. Aussi, pour exprimer sa frustration, elle abattit son poing sur le crâne d’Urahara.
-Oi! Tu vas m’expliquer ce qu’il se passe à la fin?!
-Aaaw, Yoruichi-saaaaan!, pleurnicha l’homme aux getas. "Pourquoi ne peux-tu pas être aussi douce que sous ta forme de chat? Tu es pourtant si adorable quand tu ronronnes!"
La femme chat, irritée et embarrassée, écarquilla les yeux et fit sa grimace la plus menaçante.
-Si tu veux encore avoir l’occasion de te servir de tes mains, je te conseille de me dire ce qu’il se passe. Tout de suite!
Du point de vue de Sado, Urahara semblait vraiment s’amuser et n’avait absolument pas peur de ce que Yoruichi pouvait lui faire. Il semblait même ne demander que ça. Le colosse fut parcouru d’un frisson et préféra oublier ce qui venait de lui traverser l’esprit.
-Eh bien, après mure réflexion, reprit le gérant, arborant à présent une énorme bosse, "la théorie du Hollow semble se confirmer. Il semblerait que ce soit lui qui ait fait en sorte qu’un morceau de reiatsu d’Inoue-san vienne se loger dans celui de Kurosaki-san."
-Confirmer?, s’étonna Sado. "Pourquoi ne pas nous en avoir parlé hier si vous le saviez déjà?"
-Ha! Bien vu, Kisuke ! Ichigo n’aurait jamais laissé Orihime entrer dans son monde intérieur s’il savait que son Hollow risquait de la mettre en danger.
-Exactement!, chantonna Urahara. "Et pour avoir bien répondu, tu mérites une récompense. Un petit câlin peut-être ?"
-KISUKE!!!
Cette nouvelle information rappela au grand lycéen l’attitude étrange qu’Ichigo avait eue plus tôt. Sauf que pour une fois, il n’arrivait pas à comprendre ce que son meilleur ami attendait de lui. Quand Inoue et lui en auraient fini, elle ne risquerait plus rien non?
Sado était tellement songeur qu’il ne remarqua même pas que Yoruichi et Urahara avait cessé leur cinéma pour l’observer.
-Sado-san, est-ce qu’il y aurait un problème avec Kurosaki-san ?
- Faites confiance à l’homme le plus intelligent de la Soul Society pour mettre directement le doigt sur le problème., ne put s’empêcher de penser le jeune homme.
-Je n’en suis pas sûr, Urahara-san, répondit-il. "Ichigo était bizarre aujourd’hui, comme s’il allait se passer quelque chose de mauvais…"
-Hm, réfléchit le gérant. "Je crois avoir une idée sur ce qu’il a en tête."
-Kisuke, sursauta Yoruichi, "tu ne penses quand même pas qu’il va faire ce que je crois qu’il veut faire ?"
-Ooooh si. Tu le connais assez pour savoir que quand il est décidé à faire quelque chose, il le fait.
-Hn, fit Sado. "J’avais peur que ce soit ça."
-Mais c’est pas vrai !, hurla Yoruichi, en colère. "Je vais lui dire ma façon de penser dès qu’il se réveille ! C’est pas possible d’être crétin à ce point-là !"
- Ichigo… ne te réveille surtout pas maintenant !, pensa le géant mexicain.
-Yoruichi-san, intervint Urahara, impassible, "il vaudrait mieux que tu repartes à la Soul Society. Je pense qu’il faut éviter de confronter Kurosaki-san à ses décisions tout de suite."
-QUOI ?!
Sado se sentit soudain extrêmement mal à l’aise. Il avait l’impression d’être le spectateur d’une scène de ménage d’un vieux couple.
-C’est le choix de Kurosaki-san. Même s’il ne me semble pas judicieux à moi non-plus, c’est à lui d’en prendre la responsabilité.
-Et Orihime dans tout ça ?! Tu te rends compte de la torture que ça va être pour elle ?
-Même si je ne le dis pas, je pense qu’Inoue-san est bien plus forte qu’elle n’en a l’air.
Yoruichi hésita encore un moment, jaugeant son ami d’un regard sceptique, avant de rendre les armes d’un soupir contrarié.
-Très bien, Kisuke. Je te laisse faire.
Urahara fut soulagé d’obtenir l’assentiment de son amie et s’apprêtait à le lui communiquer à grands cris, mais il fut interrompu dans son élan :
-Pourtant, je sais pas pourquoi… mais j’ai pas totalement confiance.
Devant les yeux emprunts d’ironie de Yoruichi, l’homme aux getas cacha son sourire taquin derrière son éventail.
-Ah Yoruichi-san, tu me connais si bien.
Un petit sourire en coin se formant à la commissure de ses lèvres, cette dernière commença à se diriger vers la porte.
-Essaie tout de même de le ménager un peu. C’est encore qu’un gamin.
-Mais justement, Yoruichi-san. Justement.
-Heh. Pauvre Ichigo.
La femme chat fit un dernier petit salut de la main et s’en alla.
-Donc, vous ne comptez vraiment pas arrêter Ichigo ?, demanda alors le colosse.
-Voyez-vous, Sado-san, je crois en l’apprentissage tiré des erreurs que nous commettons. Après tout, c’est le principe des expériences. Si nous empêchons simplement Kurosaki-san de mettre son idée à exécution maintenant, il n’apprendra rien.
Encore une fois, Urahara n’avait pas pris sa décision à la légère. Mais :
-C’est tout de même d’Ichigo qu’il s’agit. Inoue fera bonne figure devant tout le monde, c’est vrai, mais s’il ne renonce pas à son idée rapidement, elle sera vraiment malheureuse, insista Sado.
-Vous avez entièrement raison, sourit le gérant. "Et c’est bien parce que nous sommes conscients de son plan que je trouve opportun de le laisser faire. Je donne à Kurosaki-san une semaine pour revenir sur sa décision. Passé ce délai, je pense qu’il aura besoin que ses amis lui donnent un petit coup de pouce."
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Ichigo et Orihime se trouvaient à présent de l’autre côté du portail. L’atmosphère était entièrement bleue. Du même bleu qui émanait du Shinigami quand il faisait appel à ses forces lors d’un combat. Et comme Urahara le leur avait expliqué, cette zone contenait du reiatsu volatile. Ils se trouvaient donc dans un courant perpétuel, en apesanteur.
De peur d’être séparée de son ami, Orihime s’était agrippée à son bras.
-Désolée, Kurosaki-kun., dit-elle timidement.
-…Pas grave., grommela-t-il, évitant obstinément de poser les yeux sur elle, au risque de perdre sa résolution.
- Tu ne te rends pas compte de la souffrance que tu m’infliges, Inoue.
-Et maintenant ?, demanda-t-elle doucement, un peu déçue par l’indifférence apparente du jeune homme.
-Et maintenant…, répéta distraitement le Shinigami, avant de se ressaisir. "Il ne nous reste plus qu’à trouver ton reiatsu."
Alors qu’elle s’apprêtait à demander si elle était censée procéder de la même manière que lui pour dénicher l’emplacement du portail, Orihime se sentit envahie d’une douce chaleur. Comme si une pièce venait de s’ajouter au puzzle incomplet de son âme.
-Je crois qu’on l’a trouvé, dit-elle en pointant du doigt droit devant elle.
Surpris, Ichigo regarda dans la direction indiquée. En effet, le courant de reiatsu les rapprochait lentement de ce qui ressemblait à un petit soleil.
Orihime était euphorique. Penser que le calvaire de son Kurosaki-kun allait s’achever ici provoquait en elle une totale plénitude. Et comme pour répondre à ses sentiments, au fur et à mesure qu’ils avançaient vers le concentré d’énergie, un halo de plus en plus lumineux se formait autour d’elle.
Ichigo ne pouvait plus la quitter des yeux. A ce moment précis, souriante et rayonnante, elle était tellement belle. Et une fois qu’il eut imprimé le moindre détail de ce tableau enchanteur dans sa mémoire, il décida qu’il était temps.
-Vas-y, Inoue. Tu dois juste toucher ton reiatsu. On se retrouve chez Urahara, commanda-t-il, non sans une certaine réticence.
Dans son état de semi-transe, Orihime entendit à peine ce que disait son ami et tendit le bras pour entrer en contact avec son reiatsu. Mais au moment où elle l’effleura, elle sentit une main enserrer la sienne.
Et avant de quitter le monde intérieur d’Ichigo, elle eut juste le temps de croiser le regard inexplicablement triste du jeune homme et l’entendre murmurer :
-Au revoir.
Silence.
Il lui semblait qu’il se tenait là, immobile, depuis déjà une éternité, alors que cela ne faisait que quelques minutes.
- Prépare-toi mon vieux Ichigo. Ça va pas être drôle une fois revenu dans le monde réel., se coacha-t-il.
Et il s’offrit un délai supplémentaire en retraversant le portail vers son monde intérieur. Seulement, le ciel parfaitement bleu avait laissé place à de très menaçants nuages noirs.
-Ichigo, appela une voix caverneuse.
-Le vieux Zangetsu…, reconnut le jeune homme, soulagé de revoir le sage esprit de son zanpakutou.
Mais ce fut de courte durée car la grande silhouette encapée de Zangetsu le fixait avec ce qui semblait être un air de reproche.
-Il va pleuvoir.
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En quelques battements de paupières, Orihime s’était réveillée. Mais elle mit un petit instant à se souvenir de l’endroit où elle se trouvait. Ce n’était visiblement pas sa chambre et le plafond lui rappelait vraiment l’arrière-boutique d’Urahara.
-Ah!!!!, s’exclama-t-elle en se redressant vivement, faisant sursauter les deux autres occupants de la pièce.
-Inoue..., soupira Sado.
-Comment vous sentez-vous, Inoue-san?, l’accueillit Urahara.
Ayant retrouvé tous ses esprits, la jeune fille leur annonça avec un grand sourire qu’ils avaient réussi. Leurs reiatsus étaient à présent désentrelacés et Ichigo ne perdrait pas la raison. Puis, les derniers mots du Shinigami remplaçant lui revinrent subitement en mémoire.
« Au revoir »
- Il voulait dire « à tout de suite », non? Pourquoi est-ce que ça sonnait comme un adieu...?
Mais un léger grognement à côté d’elle lui fit perdre le fil de ses pensées.
-Kurosaki-kun! Bon retour!, s’écria-t-elle, clairement enjouée par la fin de leur mésaventure.
-Vous me semblez bien calme pour quelqu’un qui a accompli son devoir, Kurosaki-san, remarqua tout de suite Urahara.
En effet, maintenant qu’elle observait le visage du jeune homme, Orihime nota qu’il avait le regard vide. Comme s’il ne voyait pas ce qui l’entourait.
-Kurosaki-kun? Qu’est-ce qui ne va pas?, s’inquiéta la princesse.
Ichigo tourna lentement la tête dans sa direction mais elle avait l’impression que son regard passait à travers elle.
-Je... vais bien., répondit-il d’une voix qui n’était emprunte d’aucun sentiment. Puis il reprit sa contemplation du mur qui lui faisait face.
Orihime était catastrophée. Où était passé le feu qui brûlait toujours dans les yeux marron de l’homme qu’elle aimait?
-Bien sûr que non tu ne vas pas bien!, paniqua-t-elle. "Sado-kun, toi aussi tu vois bien que ça ne va pas?"
Pas vraiment préparé à ce qu’il se passerait un fois ses deux amis réveillés, le colosse ne savait pas quoi répondre. Il aurait voulu aider la beauté auburn mais Urahara lui avait demandé de ne pas faire obstacle à la décision d’Ichigo. Le problème, c’est qu’il ne savait pas mentir et qu’il commençait à suer à grosses gouttes sous le regard insistant d’Orihime.
Prenant pitié du grand lycéen, le gérant se dit qu’il était tant d’intervenir.
-Calmez-vous, Inoue-san. C’est seulement passager.
-Vraiment?, s’enquit la jeune fille, un peu rassurée.
-Son corps s’était déjà habitué à la présence de votre reiatsu. Maintenant qu’il a subitement disparu, Kurosaki-san risque de rester dans un état d’insensibilité totale pendant au moins quelques jours.
-O-oh, je comprends...
-Je pense qu’il devrait rester ici encore un peu, histoire de faire un check up. Et vous, Inoue-san, vous devriez rentrer chez vous. Sado-san va vous raccompagner.
Ce dernier opina du chef et se leva, prêt à partir sur le champ. Mais Orihime n’était pas sûre de vouloir laisser le Shinigami dans cet état.
-Urahara-san, est-ce que je ne pourrais pas- ?
-Inoue-san !, l’interrompit l’homme aux getas, élevant le ton. "Je pense vraiment qu’il est nécessaire que vous vous sépariez de Kurosaki-san pour l’instant."
Surprise par l’insistance d’Urahara, la jeune fille jeta un œil dans la direction d’Ichigo pour constater qu’il était resté parfaitement imperturbable. Elle qui pensait enfin pouvoir lui avouer ses sentiments, il n’y avait aucune chance qu’il les comprenne dans son état actuel.
Elle finit par se rendre à l’évidence. Elle ne serait d’aucune utilité en restant là, à ne rien faire.
-Très bien. Prenez bien soin de Kurosaki-kun, Urahara-san.
Heureux qu’elle ait entendu raison, ce dernier lui offrit un sourire fanfaron et la salua d’un :
-Comptez sur moi !
Orihime lança à regret un dernier regard au jeune homme impassible. Cette histoire d’insensibilité lui laissait un goût amer. Ils devraient être en train de fêter leur « guérison » à l’heure qu’il est. Elle espérait que c’était juste reporté à plus tard et que cet étrange au revoir que lui avait adressé Ichigo n’était pas le signe avant-coureur de la perte définitive de ses émotions.
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Une fois seuls, Urahara se tourna vers son jeune ami, qui n’avait toujours pas changé d’expression, un sourire connaisseur caché derrière son éventail.
-Alors c’est là ton plan pour t’éloigner d’Inoue-san ? Je dois te féliciter pour ton courage, Kurosaki-san. Tu n’as certainement pas choisi la facilité.
Ichigo expira alors tout l’air qu’il avait dans les poumons et appuya ses mains sur le sol.
-Pourquoi m’avoir aidé si vous aviez deviné ?, souffla-t-il.
Quand Urahara vint s’asseoir en face de lui, Ichigo reconnu tout de suite l’expression qu’il arborait. C’était la même que son père lui montrait quand il le désapprouvait.
-Comme vous pouvez vous en doutez, je ne suis pas d’accord avec votre façon de voir les choses.
Même si le rouquin s’y attendait, la sensation d’avoir déçu un ami et mentor lui fit baisser les yeux de honte.
-Cependant, je ne suis pas votre père et je n’ai pas à vous dire quoi faire ou penser, reprit le gérant. "C’est votre vie et ce sont vos choix. Mais dites-moi. Espériez-vous duper tout le monde avec cette comédie? Combien de temps croyez-vous que ça va durer avant qu’Inoue-san s’en aperçoive?"
-C’est tout ce que j’ai trouvé, marmonna le pauvre garçon, qui regardait obstinément ses mains. "Si je suis froid avec elle, elle finira bien par en avoir marre."
Urahara soupira de dépit.
- Kurosaki-san, c’est bien mal connaitre Inoue-san.
-Si vous aviez vu comme elle avait l’air terrorisée quand elle a vu mon Hollow... C’est précisément le genre de situation que je veux éviter!, s’emporta Ichigo.
-Kurosaki-san...
-Même si ça veut dire qu’elle ne sourira plus pour moi, qu’elle ne me saluera plus joyeusement quand j’entre en classe, qu’elle n’essaie plus de me faire goûter une de ses préparations bizarres, que je ne pourrai plus la toucher... Plus jamais je ne veux voir une telle expression sur son visage. Elle a assez souffert comme ça dans sa vie!
Ichigo était pantelant, au bord des larmes de rage. Urahara réalisa alors que les sentiments du jeune homme allaient au-delà de celui de devoir protéger une amie très chère.
- Kurosaki-san. Même si dans un sens je vous comprends, c’est presque de l’autodestruction.
Tandis que le gérant était resté silencieux, le Shinigami remplaçant s’était levé et s’apprêtait à rentrer chez lui.
-Juste un conseil, Kurosaki-san., l’interpella Urahara.
Ichigo s’arrêta dans l’embrasure de la porte, sans toutefois se retourner.
-Posez-vous les bonnes questions.