Vasto Lorde

Chapitre 13 : Ma valeur

3323 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 18:09

   Herb m'a donné des informations très utiles : les gillians vivent dans des forêts très denses au milieu d'arbres encore plus grands qu'eux ! Ces monstres vivent sans se poser de questions, entourés de leurs congénères qu'ils se contentent d’imiter. Aujourd'hui (oui, enfin, permettez-moi d'utiliser cette expression dans ce monde où il fait toujours nuit) est ma première chasse, c'est pourquoi je dois m'appliquer. Ma capacité à sentir l'énergie est encore une fois d'une grande utilité puisque grâce à elle je peux identifier tous les individus et repérer, même de très loin, tous ceux qui sont blessés où fatigués.

   Je tente ma chance de temps en temps mais je me fais sans arrêt griller au poteau parce que le temps que j'arrive, la proie n'est plus disponible car elle est déjà en train de se faire dévorer par d'autres gillians ou parce qu'elle est retournée se fondre dans la masse, ce qui fait que l'attaquer n'est plus prudent ou alors ne permet plus de l'avoir pour moi tout seul car les gillians résonnent de la manière suivante : "une proie = manger". Leur cerveau leur permettant de ne penser qu’à une seule chose à la fois, cela fait que ces derniers, à la vue d’une proie potentielle, peuvent provoquer une véritable débandade en se ruant sur elle, pensant à manger et oubliant leur propre sécurité.

   Je dois être patient, observer et ne pas attaquer une proie au hasard au risque d'être piétiné. Dans un monde ou chaque individu cumul le rôle de proie et de prédateur, la chasse est aussi difficile que stratégique. Je dois tuer et dévorer sans arrêt, par conséquent, il me faut prendre soin de moi et éviter autant que possible de me blesser, c'est pourquoi je me prépare à tendre une embuscade.

   Caché derrière un arbre et à proximité d'un groupe de gillians, j'attends patiemment qu'un individu suffisamment stupide s'éloigne pour pouvoir le prendre en chasse, à la condition bien sûr que, contrairement à d’habitude, ces congénères n'aient pas l'idée de le suivre en le voyant s'éloigner, comme font les moutons. C'est alors que je perçois non loin de là un gillian qui s'éloigne rapidement des autres et curieusement, je reconnais à son énergie que c'est un spécimen lambda. Alors pourquoi un gillian idiot s'éloignerait-il ainsi de ses congénères et ce, sans être suivi ? C'est alors que je comprends : c'est un déviant ! Un gillian imprévisible sans individualité qui agit de manière totalement lunatique et s'il n'est pas suivi, c'est parce qu'il est en train de courir !

   Je l'ai déjà dit mais des corps aussi grands et lourds que les nôtres ne peuvent ni courir, ni sauter sans risquer de rapidement s'épuiser, de se blesser ou de se tuer. En d'autres termes, ce déviant sprinteur qui passe à ma portée est la meilleure proie que je pouvais espérer. Il peut s'éloigner autant qu'il veut, il n'échappera pas à mon radar. Il va vite s'épuiser et je le rattraperais tranquillement avant de l'achever et de le dévorer sans qu'aucun autre gillian ne vienne me déranger.

   J'abandonne alors le groupe que j'épiais et me lance à la poursuite du déviant. En marchant assez vite pour rapidement le rattraper sans pour autant gaspiller mes forces, je me rends là où il semble se diriger. Il s'éloigne de plus en plus des autres, ce qui ne fait que m'arranger. Je reste néanmoins prudent : cela peut très bien être un spécimen lambda qui cours pour échapper à un prédateur, auquel cas il vaut mieux que je fasse attention puisqu'un hollow capable de tuer un gillian, même s'il n'a pas d'individualité, est également en mesure de me tuer moi.

   C'est alors que j'ai une autre vision. J'en ai fait part à Herb et il m'a dit que c'était normal parce que suite à mon bain dans la soupe, j'ai hérité malgré moi d'un peu des souvenirs de la vie humaine des autres hollows qui ont plongé eux aussi. Par conséquent, il m'arrive d'avoir de brèves visions où je vois une scène particulière qu'a vécu l'un de ceux que j'ai absorbé. Ici, je suis dans un camp militaire et vois un commandant me crier "C'est ça l'intérêt du krav maga mon gars ! T'en maîtrise les techniques et tu peux ensuite faire face à n'importe quel agresseur !".

   Herb m'a dit que cet effet secondaire résultait de ma récente évolution en gillian et qu'il s'estomperait avec le temps. Le vieux hollows est passé par là lui aussi et l'effet s'est probablement dissipé plus vite chez lui qu'il ne se dissipera chez moi parce qu'Herb se fichait complètement des souvenirs auxquels il avait accès alors que moi, je tente d'en tirer une quelconque utilité. De toute évidence, l'un de ceux que j'ai absorbé avait été soldat et derrière, bien que je ne comprenne pas vraiment de quoi il parle, j'espère enfin tomber sur des souvenirs utiles.

   J'atteins finalement ma proie. Comme je m'y attendais, il s'agit d'un déviant qui a piqué un sprint sur un coup de tête pour finalement s'arrêter, perdu et fatigué. Je sens qu'un autre gillian approche mais il n'a pas l'air d'être venu chasser, ou du moins je l'espère. Ma proie, quand à elle, tourne sur elle-même, la tête en l’air et les bras écartés, comme un enfant en train de jouer. Curieusement, je ne peux m’empêcher de la fixer et de l’étudier.

   « C’est dingue ce que les gillians sont méprisables. Des créatures vulgaires et laides, dépourvues de consciences et de visages… De simples bêtes opportunistes qui ne font que suivre le mouvement, se plier aux volontés des plus forts et s’en prendre aux faibles, trop contents de ne pas être à leur place… Des créatures qui se ressemblent et pourtant ne partagent rien. Je les déteste autant que les humains ! »

   Hum ?... Pourquoi est-ce que je parle d’humains ? Et d’ailleurs, pourquoi est-ce que regarder cette débilité ambulante m’a autant énervé ?... Hum ?... Bizarre... Bon, retournons à la chasse : en restant discret, je mets ma cible en joue, vise sa gorge, génère un celo, tire et... En plein dans le mille ! Les gillians ont un trou qui les traverse de part en part au niveau de l'abdomen, celui-ci en a à présent un deuxième au niveau du cou. Le monstre s'écroule, je l'ai eu !

- Enfin ! A table !

   Je peux être fier de moi, j’ai enfin attrapé une proie conséquente ! Après les prisonniers humains et les quelques hollows bestiaux sur le chemin de la soupe, je dévore un gillian entier. C’est la preuve qu’à présent, je joue enfin dans la cour des grands. Soudain, alors que je m'agenouille pour commencer à le dévorer, je sens que l'autre gillian que j'avais repéré est beaucoup trop proche. Son énergie est similaire à la mienne : c’est un Menos Grande doté d’une intelligence et d’une individualité. Il est tout près, derrière-moi et, apparemment, il m’a en joue. Inquiet, je m’efforce de garder mon calme, essaie de ne rien faire qui puisse me mettre en danger ou me… Bon sang, il prépare un celo !

   Je me laisse tomber sur le côté et évite in extremis de subir le même sort que celui que j’ai infligé plus tôt à ma proie. Le celo terminé, je me relève et vois le gillian intelligent fondre sur moi. Il veut ma proie !

- Attends ! Si tu en veux, j’accepte de partager !

   Ma tentative de négociation échoue. Le monstre se jette sur moi et me frappe. Je me protège comme je peux mais mon agresseur ne veut ni s’arrêter, ni se calmer ! Il veut ma proie et si, possible, m’ajouter au menu. Je tente de m’écarter.

- Mais qu’est-ce que tu fais ? On est tous les deux des hollows intelligents, des gillians dotés d’individualité ! Je n’ai rien à voir avec les autres qui ne sont que des proies alors pourquoi tu m’attaques ?!

   L’individu violent m’envoie un coup de poing en pleine figure qui me fait bien reculer. Je prends appuie contre un arbre pour ne pas tomber. C’est à présent à l’autre de parler.

- Faible !

- Quoi ?

- Tu es faible. TU ES UN FAIBLE !

   Il se jette à nouveau sur moi.

- Tu n’es qu’un chiard ! Une vulgaire larve qui n’a toujours pas compris la méchanceté ! Cette méchanceté qui régit notre monde !

- Quoi ?

   Je continue d’esquiver, mais commence à battre en retraite.

- Il n’y a aucune aide possible ! Les petites merdes dans ton genre qui croient le contraire n’ont qu’à crever !

   La situation est grave et les coups qu’ils m’envoient sont sérieux… Je n’ai pas le choix, je dois m’enfuir !

   Je passe derrière un arbre pour qu’il me perde de vue puis cours aussi loin que possible. Le violent me laisse partir car il peut se rabattre sur la proie que j’ai abattue. Il se contente alors de hurler :

- C’EST CHACUN POUR SOI ! LA SOLIDARITE, CA N’EXISTE PAS !

   Je cours, humilié mais soulagé de pouvoir lui échapper. C’est alors que je m’arrête, essoufflé, avant d’être assailli par un affreux mal de crâne. Je me revois le soir de ma mort et les paroles du hollow résonnent dans ma tête. Je me revois tentant de porter secours à cet étudiant sous le pont.

« Tu n’es qu’un chiard ! Une vulgaire larve qui n’a toujours pas compris la méchanceté ! »

   Je me revois, plaqué contre le mur avec la lame de ce couteau contre mon visage.

« Faible ! Tu es faible ! TU ES UN FAIBLE ! »

   Me reviens ensuite cette scène ou je me suis fait tranché la gorge avec toute la douleur et tout l’effroi que j’ai ressenti.

« Il n’y a aucune aide possible ! Les petites merdes dans ton genre qui croient le contraire n’ont qu’à crever ! »

   Et là, quand je suis mort et que j’ai vu toute la lâcheté dont mon camarade a fait preuve, disant que je n’avais fait que chercher ce qui m’était arrivé.

« C’EST CHACUN POUR SOI ! LA SOLIDARITE, CA N’EXISTE PAS ! »

   Je tombe à genoux et vomi. Les choses m’apparaissent alors plus claires.

   « Qu’est-ce que j’ai pu être bête… J’ai toujours pensé que les individus qui m’entouraient avaient une part de bonté en eux, qu’ils se donnaient un genre mauvais à l’extérieur pour cacher la partie gentille à l’intérieur… Mais je me trompais ! Il n’y a rien de bien ! Mon assassin et ses larbins n’étaient que des connards bons à tuer ! Il n’y avait rien de bon en eux !

   Mais en fait… J’avais tort depuis bien avant ça ! J’avais fait l’erreur de catégoriser les gens, de les séparer en proies et prédateurs en m’appuyant sur l’histoire de Herbert Georges Wells parce que les prédateurs et les proies qui y apparaissaient étaient des descendants des êtres humains, mais en fait, cette réalité, le Hueco Mundo, ce n’est qu’un reflet simplifié du monde humain ! Les gens ne sont pas ou des prédateurs ou des proies : ils sont les deux à la fois ! Certains sont de redoutables chasseurs qui, au sommet de la chaîne alimentaire, dominent les autres, tandis les faibles, eux, même s’ils ont l’habitude de servir de proies, n’en sont pas moins des chasseurs aussi ! Des chasseurs opportunistes n’agissants que par intérêt, prêts à tout pour grimper dans la chaine alimentaire ou l’échelle sociale.

   C’est pour ça qu’ils écrasent les autres, qu’ils les dégagent, qu’ils les trahissent… Pour se sentir forts ! Pour pouvoir croire qu’ils ne sont pas dans le panier des faibles. Pour grandir et grossir, afin d’échapper aux règles, de pouvoir devenir la brute et non plus la victime et... Bon sang… C’est ce qui m’arrive !»

   Je lève la tête, ahuri. Je réalise à présent l’évidence que je ne voulais pas voir, même à l’époque où j’étais entouré d’étudiants à l’université : depuis toujours les êtres vivants sont soumis à la loi du plus fort et même si l’être humain est allé plus loin que les autres animaux, il ne s’est jamais débarrassé de cette règle qu’il applique, consciemment ou non, de différentes manières, que ce soit avec les enfants qui se regroupent et brutalisent le mouton noir de l’école ou les adultes qui se font les pires crasses quand ils sont au boulot pour se faire bien voir par le patron ou descendre celui ou celle à qui la tête ne revient pas.

   Le monde est une jungle. Une jungle différente de celles que l’on a l’habitude de voir mais c’est bien une jungle et les gentils n’y ont pas leur place car, quand bien même ils sont forts ou imposants, les gentils sont forcément catégorisé comme des proies et ils sont alors victimes de la quasi-totalité des prédateurs.

« Mais en fait, c’est quand j’étais méchant que j’avais des résultats ! »

   J’ai eu des résultats, en effet : j’ai trouvé un point d’eau dont je suis revenu indemne, j’ai dévoré mon premier assassin, envoyé le deuxième à la mort et j’ai évolué en gillian en ayant le cran de réclamer ma part du gâteau !

« Alors c’est comme ça  que ça marche… »

   Je suis sur la bonne voie mais pour évoluer en vasto lorde, il ne suffit pas de le demander, il faut s’en donner les moyens ! C’est-à-dire ne pas laisser le premier connard venu vous prendre la proie qui vous revient de droit !

« Eh bien si c’est ça les règles alors comptez sur moi pour les appliquer ! Je vais massacrer tous ces connards qui se croient plus hauts qu’ils ne le sont ! »

   J’avais promis de semer la terreur, non ? Eh bien maintenant, je suis sur le point d’avoir les moyens de le faire ! Herb disait qu’une fois transformé en hollow, la conscience humaine s’effaçait petit à petit. Je crois qu’il a raison, à la différence que ce n’est pas la hollowmorphose mais le Hueco Mundo lui-même qui est responsable de ce changement !

« Permettre à chacun d’avoir sa chance n’est plus mon objectif ! Ce que je veux maintenant, c’est qu’où que j’aille, il n’y ait rien que je ne sois pas en mesure de détruire ! »

   Je ne me laisserais plus faire. Je me relève et fais demi-tour en courant.

- Enfoiré… JE VAIS TE BOUFFER !!!

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