Vasto Lorde

Chapitre 17 : La décision

2950 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 08:29

- Répète ça ?!

   Herb paraît exaspéré. Il tente de se redresser et me traite de tous les noms. Il n’accepte pas la décision que je viens de prendre.

- Tu n’es pas sérieux ?!

- Je ne pourrais pas être plus sérieux.

- Tu mens !

- Je te dis la vérité.

- ça ne peut pas être toi ! Tu n’es pas le petit que j’ai vu naître autrefois, ou presque ! Tu es un menteur ! Qu’as-tu fait de lui !

- C’est moi, Herb. Je t’ai réveillé en naissant et tu m’as fait une blague de très mauvais goût en m’envoyant te chercher de l’eau là où vivait le ver de sable que j’ai ensuite dévoré une fois évolué en Gillian.

- Mais… Mais alors qu’est-ce que ça veut dire ?

- Simplement que les choses ont changé.

- Répète un peu ça.

- Tu m’as parfaitement entendu, Herb : je ne veux plus devenir un vasto lorde.

   Je n’ai jamais vu Herb aussi affaibli : il est à présent terriblement maigre, sa peau est toute pâle et mon vieux maître peine à respirer. Ses dents sont toutes tombées, son masque est couvert de craquelures, ses poils tombent et il lape plus d’eau noire que jamais. Je craignais que lui annoncer ma décision ne lui soit fatal mais c’est quelque chose dont je me devais de parler avec lui.

- Qu’est-ce qui t’es arrivé ? La dernière fois que je t’ai vu, tu étais fier, plus puissant que je ne l’ai jamais été et semblais heureux et soulagé d’enfin atteindre la ligne d’arrivée… Pourquoi renonces-tu si près du but ?...

- Tout simplement parce qu’il n’y a pas de but, Herb. L’évolution en vasto lorde est un rêve utopique qui n’est prédestiné qu’à quelques un. Les autres peuvent travailler dur, même très dur, cet objectif est quelque chose qu’ils n’atteindront jamais.

- N’abandonne pas ! C’est beaucoup de travail mais tes efforts seront récompensés !

- N’insiste pas, Herb. Ma décision est prise.

   Herb grogne, énervé.

- Qu’est-ce que j’aimerais avoir suffisamment d’énergie pour me mettre plus en colère que ça ! Qu’est-ce que j’aimerais pouvoir me lever et te mettre les gifles dont tu as besoin pour te réveiller !

- Si c’est ça qui t’inquiète, sache que je n’ai jamais été aussi lucide.

- Qu’est-ce que tu racontes ?

- J’ai rencontré une femme, Herb. C’était une vasto lorde.

- Tu as rencontré un vasto lorde ?! Et de sexe féminin, en plus ?!

- Oui.

- Comment était-elle ?

- Magnifique.

- Qu’est-ce que j’aimerais pouvoir encore utiliser mes yeux.

   En effet : les yeux d’Herb qui étaient autrefois lumineux brillent à peine à présent.

- Et alors, gamin ? Que t’a-t-elle appris ?

- Tout simplement que cette évolution n’était pas automatique et que si l’on ne sentait plus sa force croitre passé un certain seuil, cela voulait dire que c’était terminé.

- Tu veux dire que…

- Oui Herb : ma force n’augmente plus. J’ai atteint ma limite.

- Même en chassant des proies plus conséquentes ?

- Je n’y ai pas cru au départ non plus et ai pratiqué une chasse plus intense pendant un moment mais j’ai finalement dû me rendre à l’évidence : c’était fini.

- Bonhomme…

- Je me suis alors remis en question et au final, je me suis dit « A quoi bon ? ». Quel intérêt aurais-je à évoluer ? Je ne crains déjà plus personne en tant qu’Adjuchas. Evoluer me préservera de la disparition ? Même avec leur force prodigieuse, les vasto lorde disparaissent un jour où l’autre et en plus, je passerais moins de temps à chasser ce qui laissera plus de place dans ma vie à l’ennuie. J’ai pris de plus en plus de recul et j’ai finalement réalisé une autre évidence.

- Laquelle ?

- Je suis malheureux, Herb ! Je suis malheureux depuis trop longtemps ! Etre le plus fort, c’est jouissif cinq minutes mais après, à quoi te sert cette force ? Regarde-moi : je n’ai personne à qui en faire profiter, je suis seul et isolé et je m’enferme progressivement dans ce rôle empoisonné que je me suis donné...

- Ah oui ? Et qu’est-ce que tu comptes faire, alors ?

- Je ne sais pas. Cette femme, Hallibel… Elle semblait heureuse… Elle avait des amies… Une famille.

- Des amies ? Une famille ? Ha, mais redescends sur terre ! Accorder sa confiance et penser aux autres est une erreur fatale ! Au Hueco Mundo, c’est chacun pour sa poire ! La solidarité, ça n’existe pas !

   Essoufflé, Herb prend quelques secondes pour revenir à lui et lape plus d’eau.

- C’est ce qui t’es arrivé ?

- Pardon ?

- Je ne suis pas idiot, Herb. J’ai vu des bribes de tes souvenirs.

- Lesquels ?

- L’adjuchas pur-sang grand, mastoc, recouvert d’os et de fourrure noire. Ainsi que le mystérieux homme qui t’a proposé de te joindre à lui dans le but de détruire les shinigamis.

- Quoi ? Monstre et Black ? Tu les as vus ?

- Tu leur as fait confiance ? Tu as cru en eux et c’est comme ça qu’ils t’ont remercié ?

   Déboussolé, Herb baisse la tête en regardant à droite et à gauche tout en semblant perdu dans ses pensées.

- Non… Je ne leur ai jamais fait confiance… Et c’est d’ailleurs pour ça que…

- Herb ?

- Gamin… Je te demande pardon. C’est toi qui as raison.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Que si je te disais tout ça, c’était tout simplement parce qu’avant de te rencontrer, la notion d’empathie m’était étrangère. Je ne te mettais pas en garde contre une méchanceté dont j’avais été victime mais une méchanceté que j’avais exprimé !

- Quoi ? Mais alors les autres ?

- A l’extérieur, nous étions alliés mais intérieurement, nous n’étions que « pas des ennemis ». Je n’ai jamais apprécié Monstre. C’était un lourdaud belliqueux et impulsif qui s’estimait supérieur à tout et n’importe-quoi. Quand à Black… Dès l’instant où je l’ai vu, j’ai su que cet homme était aussi mégalomane qu’égoïste. Il fonçait tête baissée sans jamais envisager le danger et c’est son assurance qui l’a aveuglé et qui a fait que nous avons perdu. Moi aussi, j’ai été aveugle. J’étais ambitieux et je voulais tirer mon épingle du jeu… Je me suis lancé dans cette guerre contre les shinigamis dans le but d’écrire mon nom dans l’histoire et résultat des courses, moi qu’on appelait le Dos Blanc n’ai même plus de dos à présent.

- Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Nous nous sommes rapprochés de notre objectif puis Monstre est mort. Black a perdu la bataille finale avant de crever lui aussi et moi, c’est un ennemi que je me suis fait grâce à ma méchanceté qui m’a mis dans cet état. Un shinigami rancunier m’a poursuivi jusqu’ici et m’a asperger d’une énorme quantité de phéromone quand j’ai appelé des hollows pour me secourir.

   Herb baisse la tête. Ce souvenir est visiblement très douloureux.

- Moi qui pouvais contrôler les hollows en hurlant me faisait à présent dévorer par ceux que j’avais appelés. Ce moment est le plus traumatisant de toute ma vie. J’entends encore ce shinigami me crier « Paye pour le mal que tu as fait !». Et au final, je me demande si j’ai bien fait de survivre ce jour-là.

- Mais bien sûr que tu as bien fait. Comment aurais-je pu survivre au Hueco Mundo si tu n’avais pas été là ?

- Tu le penses vraiment ?

- Bien sûr Herb ! De tous les hollows dont la rencontre m’a apporté quelque chose, tu es celui qui m’a le plus aidé et surtout celui pour lequel j’ai le plus d’affection.

- Merci, petit.

   Herb tousse.

- Ne fais pas la même erreur que moi : j’ai été un égoïste toute ma vie. C’est parce que je n’ai pensé qu’à moi que je me suis joint à Black et lui ai obéis sans jamais poser de question, tout ça pour finalement finir ici. Si j’avais eu quelqu’un sur qui compter à ce moment-là, un ami dont le bonheur et la sécurité m’importait… J’aurais reconsidéré la question et je regrette aujourd’hui de ne pas avoir autrefois fait une place dans ma vie pour quelqu’un d’autre que moi-même.

   Herb tousse encore. Il me parait de plus en plus faible.

- Pardonne-moi gamin. Je n’aurais pas dû mal réagir face à ta décision. J’étais si frustré… Si frustré de ne pas avoir pu moi-même évoluer en vasto lorde que lorsque je t’ai vu… J’ai espéré vivre ce rêve à travers toi.

- Malheureusement Herb, je suis une anomalie. Un hollow avec un bon fond et incapable d’évoluer en vasto lorde.

- Non gamin, tu n’es pas une anomalie ! Tu es différent, certes, mais moi je ne considère pas cela comme anormal mais au contraire comme quelque chose d’exceptionnel. De plus, montre-moi ton trou.

- Ici ?

- Oui exactement. Tu l’as au milieu du torse. Hors, le cœur se trouvant au milieu du torse est une idée reçue : en réalité il se trouve environ un poing sous le pectorale gauche. En d’autres termes, ne soit pas étonné d’avoir un bon fond car tu as un cœur, comme tous les hollows, et qu’à la différence d’eux, toi, tu l’écoutes.

- Herb… Merci. Cela me va droit au…

- Au cœur ?

- Oui, c’est le cas de le dire.

   Herb tousse et s’écroule. Je me rends auprès de lui.

- Cette foutue eau a perdu toute son efficacité.

- Herb… De la nourriture ! Je sais que cela t’est difficile mais il faut que tu manges. Si tu ne prends de forces, tu vas…

- Et qui de nous deux à le plus besoin de manger, hein ? Depuis combien de temps est-ce que tu ne te nourris plus ?

- Depuis… Depuis longtemps.

   Herb regarde au loin.

- Cela fait tellement longtemps que je suis un hollow et… Tellement longtemps que je suis là… Je n’ai presque plus aucun souvenir de ma vie d’humain.

- Vraiment ?

- Je me souviens simplement que… Que les hommes se faisaient la guerre avec des catapultes.

   Tournant la tête et voyant mes grands yeux, Herb comprit.

- Je vois. On n’utilisait plus de catapultes à ton époque ?

- Non Herb. Plus depuis des siècles et l’invention de cet instrument remonte à maintenant plusieurs milliers d’années.

- Oh, merde…

   En regardant par-dessus mon épaule, Herb contempla la Lune.

- Quelle vie misérable… Tout ça pour en finir là.

- Ne dis pas ça Herb. Je suis là, maintenant. Je vais m’occuper de toi, tout va très bien se passer.

- Je suis navré gamin mais mes forces me quittent peu à peu.

- Ne t’en va pas ! Ne me laisse pas tout seul… Tu es ma seule famille !

- Tu t’en trouveras une autre. Le Hueco Mundo est tellement vaste… Pars l’explorer ! Je suis sûr qu’il n’est pas aussi stérile qu’on le croit et qu’il regorge de merveilles dont nous n’aurions jamais soupçonné l’existence. Pars, trouve tous ceux qui, comme toi, ont un cœur qu’ils écoutent et fonde une nouvelle famille au sein de laquelle tu seras heureux.

   Des morceaux du masque d’Herb tombent et laissent découvrir les petites parties d’un visage humain. Je prends mon vieux maître dans mes bras en pleurant, sentant sa dernière heure arriver.

- Gamin, accordes-moi une faveur.

- Laquelle ?

- Dévore-moi une fois que j’aurais rendu mon dernier soupir.

- Herb, tu n’es pas sérieux ?

- J’en ai assez de pourrir. Ma viande ne te causera aucun trouble mais je ne supporte plus d’être cloué sur ce rocher alors je t’en supplie : dévore ma chair ! Sers-t-en pour ne pas régresser en gillian sans conscience puis pars libre et maître de ta vie.

- Herb… Je te le promets.

- Merci.

   Je le repose doucement et le vois esquisser un sourire.

- Gamin, sache que… de toutes les choses qui me sont arrivées dans ma vie… Tu es la seule… Qui lui ai donné un sens.

   Puis Herb ferme ses paupières avant de rendre son dernier soupir. Abattu, je me mets à hurler et à pleurer.

« Pourquoi ? Pourquoi les choses sont-elles ainsi faites ? Pourquoi n’y a t’il ici que souffrance et chagrin ? »

   Je dois néanmoins tenir ma promesse et assurer ma survie. C’est donc les yeux aveuglés par les larmes et le visage trempé que je plonge et dévore celui que j’avais appris à aimer. Je sens ma conscience s’évanouir, mange par automatisme… Et réalise après des années de chasse… Combien la viande de hollows est dégueulasse.

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