The New Substitute
Bip ! bip ! bip ! bip !
– Orihime ? paniqua Rangiku.
– Son état se dégrade ! annonça-t-elle. Allez, Tsuna-chan, tiens bon !
– Inoue-dono, intervint Tessai, rappelez vos fleurs de Shunshun : nous devons commencer la défibrillation sans plus tarder !
Les yeux hagards, Orihime obéit au second de Kisuke et dissipa le bouclier de soin entourant le corps convulsant de son amie blonde, avant d’être accueillie dans les bras bienveillants d’Ichigo.
– Bordel ! s’exclama celui-ci. Qu’est-ce que Hisagi-san fout ?
Le bruit strident du défibrillateur arracha un haut-le-cœur aux amis de la remplaçante, impuissants devant le déclin de son état.
– Chargés ! hurla le géant à lunettes.
Puis, il colla les deux plaques contre la poitrine partiellement dénudée de la jeune femme, soulevant dans le même temps le cœur des spectateurs de ce terrible tableau que le corps sans vie de Tsunata.
« Attends-moi, Tsunata ! »
Courant à en perdre haleine dans les rues obscurcies de Karakura, Shûhei Hisagi abusait de shunpo pour réduire au maximum la distance qui le tenait loin de sa coéquipière.
Sans parvenir à en comprendre la cause, le ténébreux arrivait distinctement à ressentir la douleur qui s’emparait de Tsunata : son reiatsu baissait de façon inquiétante, rendant sa localisation de plus en plus difficile tandis qu’il s’approchait chaque seconde un peu plus du lieu où elle était faite prisonnière.
Espérant du plus profond de son être ne pas arriver trop tard, la vitesse de Shûhei ne cessa d’augmenter, au point où il doutait parfois d’avoir réellement foulé le sol de ses pieds entre deux techniques de déplacement instantané typique des Shinigami.
Au magasin Urahara, alors que l’ancien Capitaine de la section du kidô s’acharnait sur la jeune femme inerte, Ichigo, sans cesser de cajoler son amie aux longs cheveux auburn, finit par craquer :
– Je ne peux pas assister à ça une seconde de plus !
Il s’éloigna d’Orihime et lui tourna le dos tandis qu’il se dirigea vers la porte.
– Kurosaki-kun ? fit-elle, interloquée.
– Désolé, Inoue : je pensais en être capable, mais je ne peux définitivement pas rester là, à la regarder partir sans sourciller. Je vais rejoindre Hisagi-san.
– Je croyais que tu avais dit que tu ne t’en mêlerais pas ! s’opposa Rangiku. Laisse Shûhei s’en charger seul !
– Je ne vais pas le gêner, si c’est ça qui t’inquiète, Rangiku-san. Je vais seulement m’assurer qu’il n’a pas besoin d’aide, auquel cas je lui donnerai un coup de main.
– Dans ces conditions, je viens avec toi, se résigna la Vice-Capitaine.
– Quoi ? Non, je préfèrerai que tu restes ici, avec Inoue !
La Shinigami s’approcha de lui et le désigna de son index en fronçant les sourcils.
– Non seulement tu n’as pas d’ordre à me donner, jeune homme, mais en plus, je te rappelle que tu es d’une nullité sans égale en ce qui concerne la détection de reiatsu ! Sans moi, tu ne retrouveras jamais la trace de Shûhei !
– Répète un peu ? s’emporta le roux.
– Rangiku-san a raison, Kurosaki-kun.
Ichigo se tourna vers elle et la considéra d’un regard aussi surpris qu’inquiet.
– Inoue…
La lycéenne posa sa douce main sur l’épaule musclée du remplaçant et lui dit d’un ton rassurant :
– Ne te fais pas de souci pour moi. Rangiku-san et toi, ramenez-les tous les deux.
Son attention plongée dans le regard brun de la jeune femme, Ichigo laissa s’écouler quelques précieuses secondes avant de conclure :
– Très bien. Je t’en fais la promesse, Inoue.
Orihime lui adressa un tendre sourire et ôta la main qui le retenait.
– Allons-y, Rangiku-san, décréta le fils Kurosaki.
– Oui !
Puis, l’instant d’après, tous deux disparurent dans un même mouvement.
« Je compte sur vous », pensa la lycéenne.
Le souffle court, le cœur battant la chamade, Shûhei ne prêtait plus la moindre attention à son environnement, encore moins aux mises en gardes émises par son corps à bout de force.
Le reiatsu de Tsunata était à présent réduit à l’état de trace dans l’atmosphère lugubre de Karakura, accentuant davantage cette inquiétude indescriptible qui s’était emparé de lui à la seconde même où la Kurotama lui avait arraché sous ses yeux impuissants celle qu’il estimait aujourd’hui comme étant le rayon de soleil de sa vie.
Suivant ces quelques particules résiduelles qui avaient survécu, le ténébreux de la Neuvième Division s’engouffra dans une allée baignée de pénombre – du moins, c’est ce qu’il crut avant que son cœur ne manque soudainement un battement : un gigantesque faisceau de lumière aveuglante jaillissait des vitres à la transparence amenuisée d’un vieil entrepôt abandonné au bout d’un cul-de-sac tout aussi peu fréquenté. Ce spectacle, qu’il sut de mauvais augure, le stoppa net dans sa course effrénée.
« Non… »
Cela ne faisait pas l’ombre d’un doute : l’énergie spirituelle en chute libre de la blonde provenait bel et bien de là. Son sang ne fit qu’un tour tandis qu’il s’élança sans la moindre hésitation vers le hangar maudit.
Quelques kilomètres en arrière, Ichigo et Rangiku pressentirent également la mauvaise tournure qu’empruntait cette interminable nuit de Février. Sans arrêter leur succession de shunpo, la Vice-Capitaine de la Dixième Division commença d’un ton hésitant :
– Ichigo, le reiatsu de…
– Je sais, l’interrompit-il.
– Tu arrives à le sentir ?
– Pas le moins du monde, et c’est pour ça que je sais qu’il est en train de disparaître : d’ordinaire, même si je ne le perçois pas nettement, je ressens la présence de Tsunata dans les parages ; comme une sorte d’instinct, si tu préfères. Seulement, là, je n’y parviens plus du tout. Mais nous n’avons pas le temps de nous poser ce genre de questions : il faut croire en Hisagi-san et arriver le plus tôt possible à ses côtés !
– Tu as raison, opina Rangiku.
La Shinigami resta stupéfaite de la maturité dont faisait preuve le fils de son ancien Capitaine ; il était vrai que la précédente guerre avait poussé bon nombre de personnes impliquées à devenir un tant soit peu plus adultes, mais Ichigo, lui, avait changé du tout au tout, notamment lorsqu’Orihime et lui s’étaient retrouvés confrontés au terrible Yhwach, Quincy à la tête du Vandenreich, et que ce dernier avait attenté à la vie de la lycéenne. Oui, depuis ce jour funeste, le remplaçant était devenu un homme, un vrai, et le prouvait par ses actes plus réfléchis qu’autrefois.
Ainsi, Rangiku et lui progressèrent vers le ténébreux et leur amie prisonnière des mains de Miya.
Il fallut au Vice-Capitaine de la Neuvième Division trois shunpo supplémentaires avant de parvenir à atteindre l’entrée de l’entrepôt : l’énergie se dégageant de la lumière bleuâtre aveuglante fut telle qu’elle l’empêcha d’avancer plus encore et le força à se couvrir le visage de son avant-bras ; lorsque celle-ci se résorba, Shûhei puisa dans ses dernières ressources pour forcer l’ouverture de son regard argenté.
– Que… s’étrangla-t-il.
Oubliant même de respirer, il resta là, droit au possible, les yeux écarquillés : au centre de la vieille bâtisse poussiéreuse était suspendue une silhouette qu’il fut convaincu de pouvoir reconnaître entre mille autres. Quelques flocons gelés tombaient tristement sur le sommet de la chevelure dorée dissimulant le visage sanguinolent de sa précieuse coéquipière. Son shihakushô, déchiré par de multiples endroits, ne laissait entrevoir que le liquide pourpre qui souillait la peau porcelaine de Tsunata et s’écrasait au sol dans des « Plics ! » à la limite du soutenable. Son corps, quant à lui, semblait dépourvu de la moindre énergie, alors que sa cage thoracique n’émettait pas même le plus petit mouvement et que son énergie spirituelle se résumait à présent au néant.
Shûhei était arrivé trop tard : Tsunata n’était déjà plus.
– Tsunata ! s’époumona-t-il.
Les yeux exorbités, le souffle saccadé, des gouttes de sueur dévalant son faciès balafré horrifié, le jeune homme perdit la raison : sa coéquipière – non, celle qui était encore plus que ça – venait de succomber aux tortures de la Kurotama juste devant lui.
D’abord incapable d’esquisser le moindre mouvement dans ce spectacle qui le rendait fou, un frisson glacé lui parcourut l’échine lorsque la voix aiguë de Miya s’exclama d’un ton railleur :
– Tu arrives trop tard, beau brun.
Il dirigea son regard bestial sur elle et grogna dans une rage palpable :
– Toi…
– Cette pauvre petite chose insignifiante vient enfin de crever ! Il était temps, tu ne crois pas ?
C’en fut trop pour lui : ne répondant plus de rien, le ténébreux dégaina son sabre et hurla :
– Fauche, Kazeshini !
Ses deux kusarigama prirent forme dans le creux de ses mains. Shûhei bondit sur Miya qui, en déployant son tessen face à elle, para sa première offensive.
– Me sauter dessus avec ton zanpakutô ne la ramènera pas, tu sais ? se moqua-t-elle. Regarde, elle commence déjà à disparaître !
Le jeune homme axa son regard vibrant sur la Shinigami remplaçante ensanglantée, forcé de constater que son corps s’illuminait progressivement d’une lueur dorée qui, à sa connaissance, ne pouvait signifier qu’une chose : la blonde était en train de se transformer en particules spirituelles, et allait, incessamment sous peu, disparaître à tout jamais.
Profitant de cette baisse dans la garde du Vice-Capitaine, Miya exécuta un bref mouvement avec son tessen en s’écriant :
– Kôri no Ha !
Projeté en arrière, Shûhei se rattrapa in-extremis sur ses jambes avant sa chute imminente, glissant toutefois sur un détail qui eut raison de lui : une flaque de sang abondante. Levant la tête vers le toit, il sut que la Kurotama venait de l’envoyer précisément au-dessous du corps sans vie de sa camarade.
Soudain, quelque chose roula le long de sa joue marquée ; l’essuyant mécaniquement, il porta ensuite ses doigts devant ses yeux et observa ses phalanges aussi rougies qu’humides. Il s’agissait là d’une goutte de sang de Tsunata.
La raison le quitta pour de bon, tandis que Miya jubila de sa prouesse accomplie. Shûhei rugit de toute la haine qu’il éprouvait par la présente, de tout le désespoir qui le submergeait, de toute la douleur qui lui torturait le cœur. Sans plus de cérémonie, il s’élança sur l’ennemie et enchaîna les attaques : ses kusarigama forcèrent la bleue à reculer alors que tenter de faire avorter les tentatives meurtrières du Vice-Capitaine s’avérait de plus en plus difficile. L’impact entre le zanpakutô libéré de Shûhei et le tessen déployé de Miya entaillèrent les mains de cette dernière, faisant s’écouler le long de son bras son propre sang.
« Merde ! », pensa-t-elle.
Le ténébreux était dans un état tel qu’il avait parfois le sentiment d’être loin de son corps, que celui qui se défoulait contre la Kurotama était étranger de sa personne ; jamais il n’avait souffert de la sorte.
Le jour où il s’était fait attaquer par ce terrible Hollow dans Rukongai et qu’il avait perdu certains de ses amis ; la fois où, au cours d’un entraînement dans le monde réel, lui et ses camarades de classe étaient tombés dans une embuscade tendue par ces monstres masqués tandis que l’un d’entre eux s’était chargé de laisser sa signature à tout jamais sur sa joue droite ; ou bien durant ce triste combat qui lui avait valu la perte son précédent Capitaine, le traitre du nom de Kaname Tôsen : rien de tout cela ne lui avait infligé une pareille douleur.
Il n’était pas sans s’être rendu compte que Tsunata représentait à ses yeux bien plus que d’autres personnes, mais jamais il n’aurait cru que sa perte entraînerait une telle vague de désespoir en lui. En ce funeste instant, un vieux dicton s’appliquait malheureusement à son cas : on ne se rend compte de l’importance d’une chose que lorsqu’on la perd.
Enchaînant fougueusement les coups portés à son opposante, Shûhei laissa s’échapper le long de sa joue tatouée une larme qu’il ne sembla pas apercevoir. Miya, consciente du trouble du ténébreux, rusa d’une technique de déplacement étrangement similaire au shunpo des Shinigami et installa une distance de sécurité entre elle et le jeune homme.
– Comme c’est touchant ! ricana-t-elle. Tsunata ne m’avait pas dit qu’elle avait trouvé un petit-ami ? Remarque, elle n’en a pas vraiment eu le temps ! A cause de son égoïsme, tu vas vivre dans la même souffrance que moi : privé de ton amour à tout jamais !
– La ferme ! cracha-t-il.
Eberluée par le regard pénétrant du brun, la Kurotama s’exécuta contre son gré.
– Tsunata n’a jamais été égoïste ! vociféra-t-il, bouleversé. Elle a toujours placé le bonheur des autres avant le sien, au péril de sa vie !
– C’est si pathétique ! dit Miya d’un air de dégoût. On croirait entendre Akio !
– Peut-être qu’il avait raison ! Tu t’es méprise sur Tsunata, jamais elle n’a été celle que tu crois ! (Puis, son ton se fit plus grave.) Tu me l’as enlevé par pur caprice, et ça, tu vas le regretter.
– J’attends de voir ça avec impatience !
Shûhei ne se fit pas prier davantage et fondit sur elle : les crissements métalliques des deux armes résonnèrent dans l’entrepôt délabré. Jamais le Vice-Capitaine n’avait combattu avec tant de hargne. Lui qui, par le passé, clamait avoir peur du pouvoir meurtrier de Kazeshini, s’en accommodait outre mesure dans ce duel pour l’honneur de sa Shinigami perdue.
Miya, quant à elle, éprouvait le plus grand mal à se défaire des attaques enragées du jeune homme. Elle réalisa :
« Je ne pourrais plus tenir encore longtemps. Il faut que je trouve une faille. »
Aussitôt, son œil de lynx remarqua une baisse dans la défense de son opposant lorsque celui-ci envoyait sur elle un de ses kusarigama : en effet, son corps était alors découvert et pouvait aisément être blessé.
Elle attendit que Shûhei l’attaque ardemment une énième fois. Lorsqu’il lança à son encontre l’une des extrémités de son zanpakutô libéré, un rictus démoniaque étira les lèvres de la Kurotama.
– Je te tiens ! se réjouit-elle.