Never Light Without Darkness

Chapitre 7 : Acide et base

3253 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 25/10/2017 19:34

Durant les trois mois qui suivirent notre première discussion, Tsunata ne rata aucun de mes matchs. Depuis Kagamino, celle-ci avait troqué son achat au club de soutien pour revêtir mon présent. Ayant expliqué la situation à mon parrain, ce dernier m’avait envoyé l’argent nécessaire pour l’achat d’un nouveau maillot, accompagné de divers encouragements qui, bien que maladroits et sans grand tact, avaient au moins le mérite de me pousser à tout mettre en œuvre pour que nous puissions nous rapprocher.

Pour lui montrer mon soutien, je m’étais engagé à aller la voir à l’occasion de concours scientifiques organisés par notre département. Elle les gagna tous sans la moindre difficulté, son plus beau sourire affiché en continu – d’autant plus lorsqu’elle m’apercevait parmi le public, quelques fois accompagné de certains de mes camarades. Ainsi, elle obtint une place pour les nationales ; mais sa joie fut de courte durée lorsqu’elle apprit que cette épreuve exigeait la participation de binômes, et non d’une seule personne. Je vis en cette opportunité l’occasion rêvée de l’époustoufler, ce qui me permettrait enfin de me confesser. Ne perdant pas une seconde de plus, je lui soumis ma candidature devant les yeux ébahis de Rangiku et de Kira. Ce qui sembla les étonner bien davantage, c’était de constater qu’il ne fallut pas plus d’une seconde à la jolie blonde pour s’empresser d’accepter. Kira le lui fit remarquer, et elle répondit :

–  Je me fiche de gagner ce concours : le plus important, c’est qu’on puisse y participer tous les deux ! Et puis, je suis sûre que tu serais surpris de voir comme Shûhei a progressé. Lui et moi ensemble, on peut remporter n’importe quelle bataille, je n’ai aucun doute là-dessus !

Inutile de préciser que si cette annonce m’avait comblé d’un bonheur flagrant, elle m’avait également mis une pression que j’avais sous-estimée. A peine quittais-je le lycée que je m’empressais chaque soir de m’entrainer encore à résoudre diverses équations, et élaborer des protocoles pour m’améliorer suffisamment lors de la pratique. Tsunata me donnait à chaque cours en laboratoires de précieux conseils que j’imprimais aussitôt dans mon esprit. En clair, je mettais toutes les chances de mon côté pour la combler de fierté.

Mais je me doutais qu’elle en faisait de même de son côté, puisqu’à peine le son de la cloche retentissait dans l’établissement qu’elle disparaissait dans la nature. La plupart du temps, je la voyais franchir le portail en compagnie de son meilleur ami, et ressentais une certaine douleur que je m’efforçais d’oublier. J’avais beau me rendre à la bibliothèque dans la plus grande des discrétions pour l’apercevoir, je rentrais toujours bredouille, avec le jeune employé du nom de Yamada qui me demandait si elle allait bien.

C’est ainsi que nous arrivâmes aux portes des vacances de Noël. Durant cette dernière semaine de cours avait lieu la fameuse rencontre scientifique à laquelle Tsunata et moi étions inscrits, à la surprise générale, mais aussi l’évaluation finale de notre trimestre en sport. Un tirage au sort avait été effectué pour déterminer la discipline qui scellerait notre sort, et je fus soulagé d’apprendre qu’il s’agissait, pour les garçons, d’un match de basket. Les filles, quant à elles, avaient hérité d’une course d’athlétisme autour du stade. Le visage de Tsunata s’était alors imprégné d’un sentiment qui me laissa perplexe, car je savais que je ne pouvais rien faire pour qu’elle se sente moins mise à l’écart. Elle n’en disait rien, mais je savais que le fait de ne pas assister aux cours d’éducation sportive était la source d’un mal-être qui n’avait pas lieu d’être. Voulant retrouver sa plus belle expression, je m’empressais de lui conter une anecdote qui, à coup sûr, allait la faire sourire, mais je savais tout aussi certainement que cela ne réglerait pas le problème pour autant.

Le concours avait lieu le mercredi, tandis que notre évaluation sportive se déroulait le vendredi. A mon plus grand damne, Tsunata et moi n’échangions plus de messages les deux premiers soirs de cette semaine intense, mais je me rassurais de mon mieux en songeant que ses raisons devaient être les meilleures. La veille de notre partenariat, je me risquai toutefois à lui envoyer une missive d’encouragement, un message dans lequel je lui communiquais toute la confiance que je lui vouais. Alors que je m’apprêtais à m’endormir, le vibreur de mon téléphone m’interpela. C’était la réponse de Tsunata, et celle-ci m’arracha un large sourire :

« Aucun doute que rien ne pourra nous arrêter, tant que nous serons tous les deux :)

Repose-toi bien, Shûhei !

PS : moi aussi, j’ai toute confiance en toi. »

Apaisé, il ne m’en fallut pas plus pour trouver le sommeil, et ne m’en extraire qu’à l’aube, le lendemain matin, cinq minutes avant mon réveil. D’ordinaire, cela m’aurait exaspéré au plus haut point, mais pas aujourd’hui. Non. Aujourd’hui, chaque minute gagnée avait son importance. Plus vite je serai prêt, plus vite je pourrai me rendre au lycée – là où était organisée l’épreuve –, et plus vite ma partenaire et moi serons en mesure de nous concerter avant le coup d’envoi. Je m’élançai donc hors du lit avec une vigueur d’athlète, enfilai mon uniforme, avalai mon petit-déjeuner à la vitesse de la lumière et m’empressai de me mettre en route.

Cependant, ce que je n’avais pas prévu dans mon programme réglé comme du papier à musique, c’était que le retard ne viendrait pas de moi, mais bien de Tsunata. Elle arriva cinq minutes avant le début des hostilités, essoufflée, les cheveux en désordre. Lorsqu’elle me vit, elle se hâta de venir à ma rencontre, un air désolé ancré sur le visage.

–  Tu peux le croire ? J’ai raté mon réveil ! Comment peut-on rater son réveil dans de telles circonstances ?

–  Il suffit de s’appeler Tsunata Nara, et le tour est joué.

Elle me sourit avec amusement et se posta devant moi. Là, elle sortit de sa poche un petit miroir et un élastique. Elle me tendit le premier, que je saisis aussitôt, puis plaça le second entre ses lèvres et commença à ramener avec habilité l’ensemble de sa longue chevelure dorée en un même point. Dois-je préciser à quel point cette proximité, ainsi que le minois absolument adorable qu’elle avait en s’affairant, furent des raisons suffisantes pour me faire perdre quatre-vingt-dix pourcent de mes moyens ?

Elle finit de se coiffer et enfila rapidement sa blouse blanche, retroussant précautionneusement les manches apparemment bien trop grandes pour elle. A peine eut-elle terminé que l’un des jurés sortit du laboratoire pour nous appeler binôme par binôme et nous indiquer le poste de travail qui nous serait attribué. Nous fûmes les troisièmes. Lorsque nous franchîmes le seuil de la salle technique, le professeur Kurotsuchi nous donna deux brassards portant le numéro 148. Pourquoi ? Aucune idée. Toutefois, lorsqu’il me vit aux côtés de la jolie blonde, il m’adressa un rictus révélateur de son manque d’estime pour moi. J’avais beau avoir travaillé comme un dingue depuis plusieurs mois, il me considérait toujours comme le cloporte insignifiant qu’il voyait bailler au corneille dans le fond de sa classe depuis la seconde. Tsunata le remarqua probablement, puisqu’elle lui adressa un énorme sourire hypocrite dont la meilleure traduction serait : « Tu vas voir ce que tu vas voir, Hannibal Lecter ! » Je n’invente pas ce surnom, elle l’appelle réellement comme ça, à cause de ses longues dents recouvertes d’or et de ses penchants psychopathes.

Nous prîmes place au troisième rang, côté gauche, là où trônait au coin de la paillasse un autocollant sur lequel avait été reporté notre numéro. Nous chaussâmes d’un commun accord nos lunettes de protection, puis attendîmes les consignes. C’est durant ce laps de temps que je décidai de mettre au point une stratégie avec ma partenaire.

–  Shûhei, m’interrompit-elle en pleine tirade, tu n’as pas besoin de te mettre dans tous tes états. C’est simple : ils vont nous donner une situation, et nous devrons établir un protocole adapté, comme en TP. Ce n’est qu’à ce moment qu’on pourra se répartir équitablement les tâches.

Elle avait raison : j’étais une véritable boule de nerfs. Je ne tenais plus en place. Je commençais à avoir des sueurs froides et mon estomac faisait des montagnes russes. Je regardais nerveusement la pendule suspendue au-dessus du tableau noir, puis analysais chacun de nos concurrents, les jurés, les oiseaux accrochés aux fils électriques tout le long de la rue. J’allais si vite que la tête me tournait. Mon cœur battait la chamade. Et si jamais je n’y arrivais pas ? Si jamais tous mes efforts avaient été vains, et que je me ridiculisais devant celle qui avait dérobé mon âme ?

La panique atteignait son summum lorsque je sentis quelque chose de doux et chaud me saisir la main. Je redressai un regard ahuri sur Tsunata, qui m’assura de ses joues colorées :

–  Tu vas y arriver.

Lisait-elle dans mes pensées ? Je ne pus lui poser la question, puisque notre étrange professeur se racla la gorge pour nous faire part de la consigne qui déterminerait ce concours. Après une longue réplique monotone, il nous annonça que nous disposerions de trois heures pour effectuer l’ensemble des manipulations, ainsi que notre compte-rendu, puis lança le chrono. Tsunata se tourna rapidement vers moi et dit :

–  Ce qu’il nous demande de faire, c’est de synthétiser de l’aspirine.

Synthéti-quoi ? J’espérai que c’était une mauvaise blague. Paradoxalement, cette fichue expérience avait le don de me provoquer d’horribles migraines, sans parler du fait que sa réalisation prenait une éternité et que la lecture des résultats était on-ne-peut-plus périlleuse.

–  T’es sûre de toi ? m’assurai-je dans une dernière lueur d’espoir.

–  Absolument, oui. Tu veux mon avis ? C’est super fourbe de nous faire un coup pareil, comme on pourrait s’y attendre de la part d’Hannibal Lecter.

Vous voyez ? Je vous le disais.

–  Ça va nous prendre du temps, mais c’est le seul moyen de contrôler la pureté d’une aspirine de commerce par chromatographie.

Elle avait entièrement raison, et je le savais. Elle se tourna vers moi et m’accorda un regard débordant de confiance et d’enthousiasme.

–  Tu es prêt ?

–  Et comment, souris-je.

A peine avais-je mis bout à bout ces deux mots qu’elle plaça une feuille entre nous et griffonna à vitesse-grand-v le protocole que nous devrions suivre. Etant donné que j’avais révisé cette expérience au préalable, je me permis de partir de mon côté pour ramener sur notre plan de travail les réactifs dont nous aurions besoin. Tsunata parut très étonnée, et cela la motiva davantage.

Je vous passerai les détails de nos trois heures de labeur, d’autant plus que tout s’est passé si vite que je n’ai pas vu le concours passer. La jolie blonde qui hantait chacune de mes pensées et moi étions comme en parfaite symbiose. Nous n’avions pas besoin de parler pour savoir ce que l’autre allait faire, ce qui nous permit de prendre une avance considérable. Kurotsuchi-sensei avait écarquillé les yeux si grand en me voyant jouer au parfait petit chimiste que je me suis un instant inquiété qu’ils finissent par quitter leurs orbites et atterrissent à nos pieds. Tsunata jubilait littéralement de la stupéfaction des autres. A plus d’une reprise, je croisai son regard encourageant et me sentis pousser des ailes.

Contre toute attente – du moins, contre les miennes –, nous finîmes la synthèse de notre aspirine dans des temps record. Une certaine appréhension naquit dans mon ventre au moment de la lecture de nos résultats à l’aide de lampes ultraviolettes. Je stressai tellement que je n’eus pas même besoin de bouger le sèche-cheveux pour que le souffle de celui-ci réduise l’humidité de notre plaque au minimum de manière uniforme. Ma coéquipière me rassura par son sourire et ses yeux pétillants d’excitation, puis nous plaçâmes le fruit de notre travail sous le néon.

Je crus m’étouffer. Comment pouvait-on interpréter quoi que ce soit sur des espèces de tâches difformes ? C’est là que Tsunata sortit un crayon de papier et passa devant moi.

–  C’est normal, Shûhei, ne t’en fais pas.

Elle dessina les contours des étranges traces, et posa la plaque entre nous. Puis, avec une patience qui lui était propre, elle me montra comment lire les résultats, et je compris que nous avions bien travaillé. Je dirais même que nous avions fait un excellent travail en un minimum de temps, et je sentis mon cœur gonfler par la fierté. Tsunata se tourna vers moi, leva la main jusqu’à son oreille droite et murmura :

–  On a réussi !

Je levai la main à mon tour et nous échangeâmes une tape de victoire. Mais alors que je m’apprêtai à retourner dans le monde de la chimie, ma camarade entremêla un instant ses doigts aux miens, perdant son regard sur l’union de nos deux corps, puis m’observa avec une lueur que je ne saurai vous décrire. Mon cœur manqua un battement. Elle finit par me lâcher, faisant glisser doucement sa main contre la mienne, et se concentra de nouveau sur notre compte-rendu.

Vingt minutes avant la limite de temps imparti, alors que les autres en étaient encore à sécher leurs plaques de chromatographie, nous rendîmes nos résultats aux jurés. Tsunata ne se priva pas de passer devant le professeur Kurotsuchi avec un air qui signifiait : « Alors, qui avait raison ? », et il se contenta de nous suivre du regard, bouche bée.

En sortant du laboratoire, je poussai un long soupir en m’appuyant contre le mur, comme si je venais d’effectuer le triathlon. Ma partenaire s’approcha de moi et posa sa main contre mon épaule, avant de sourire :

–  Merci beaucoup de l’avoir fait avec moi, Shûhei. Tu as été génial.

Mon visage s’empourpra sans que je ne puisse rien y faire. Je voulus lui répondre, mais elle s’éloigna de moi et me dit :

–  Les résultats seront affichés à la rentrée, mais je suis convaincue qu’on sera en tête de peloton.

–  Où tu vas ? m’inquiétai-je.

Elle se tourna brièvement dans ma direction. Malgré son visage débordant d’un sentiment semblable à de la tristesse, elle se força à m’offrir un pâle sourire, puis s’en alla sans rien ajouter de plus. Je me sentis vidé de mon énergie.

Tsunata ne revint ni l’après-midi, ni le lendemain. Mes amis avaient entendu parler de nos exploits et m’avaient allègrement félicité, mais l’absence de la jolie blonde me préoccupait bien trop pour que je ne puisse partager leur enthousiasme. Rangiku l’avait compris, et m’avait assuré qu’elle devait avoir de bonnes raisons. Cependant, rien n’empêchait mon inquiétude de prendre possession de moi. Rien, et encore moins ma visite chez les Yoshida.

J’avais décidé, en observant pensivement la chaise vide à mon côté, de me rendre chez Tsunata pour m’assurer qu’elle allait bien. Le jeudi soir, je sonnai donc à sa porte et attendis que quelqu’un réponde à mon appel. Ce quelqu’un fut, à mon grand désarroi, l’aîné de l’objet de mes pensées.

–  Elle n’est pas là, grommela-t-il en refermant la porte après m’avoir lorgné de haut en bas.

Mais quelqu’un fit obstacle avec son pied à la dernière minute, et je redécouvris l’intérieur de leur maison avec, devant moi, la vision d’une personne qui m’arracha un soupir de soulagement.

–  Akio, va mettre la table au lieu de traumatiser l’ami de Tsunata-chan.

–  Quoi ? protesta-t-il. Mais, je…

–  Plus vite que ça, sourit Miya d’un air qui nous effraya l’un comme l’autre.

Alors qu’il s’exécutait, à ma grande surprise d’ailleurs, la jeune femme se tourna vers moi dans une moue compatissante.

–  Je suis désolée qu’il soit aussi rustre avec toi, Shûhei-kun. Ceci-dit, Akio a raison : si tu es venu voir Tsunata-chan, elle n’est pas encore rentrée.

–  Pas encore ? répétai-je, incrédule. Elle n’est pas venue en cours, aujourd’hui. Pour tout vous dire, je n’ai plus eu de ses nouvelles depuis le concours d’hier matin.

–  Ah oui, j’ai failli oublier : toutes mes félicitations pour votre exploit !

J’arquai un sourcil.

–  Je m’inquiète pour elle, finis-je par lâcher.

Je l’avais dit avec tellement de sincérité que la fiancée d’Akio eut un bref mouvement de recul, avant de sourire doucement :

–  Oui, je comprends. Je ne peux pas t’en dire plus, sinon qu’elle a deux ou trois choses à régler. Ne t’en fais pas pour elle, tout va bien.

Tout va bien ? Ce n’était pas l’impression que cette situation me laissait. Je compris que je n’obtiendrai pas davantage d’informations de sa part. Dans un salut solennel, je la priai de m’excuser pour le dérangement, notamment auprès de son conjoint, et lui demandai de me prévenir si Tsunata avait besoin d’une aide quelconque. A mon grand regret, je repartis bredouille, toujours aussi inquiet au sujet de ma voisine de table. Au moment où j’atteignis le trottoir, je sentis peser sur mon épaule un regard. D’un bond, je me tournai et analysai les alentours, en vain. Désirai-je à ce point la voir sortir de l’ombre avec son éternel sourire ? La réponse ne pouvait être plus évidente.




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