When in Rome

Chapitre 35 : Idéal troizio

4314 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/02/2021 20:10

Chapitre 35 Idéal troizio


.

Le galet ricocha cinq fois avant de s'enfoncer dans l'eau. Maya sourit de sa prouesse et regarda son père qui restait debout face l'étendue liquide sur laquelle donnait le Hayns Park. Ce n'était qu'à quelques dizaines de minutes de leur nouvelle maison, ou un peu plus. Guère plus qu'une ballade pour y aller, autant pour en revenir. Les poings serrés dans les poches de son manteau de laine le plus chic – celui qu'il mettait pour aller travailler – Andrew « Papounet » Wells considéra le doux clapotis en gardant le silence.

— Tu vas m'engueuler ? demanda-t-elle d'un ton incertain en martyrisant sa lèvre inférieure.

Il secoua la tête pour répondre par la négative.

— Je suppose qu'il va falloir te trouver un Observateur maintenant, songea-t-il tout haut. Mais ça ne va pas arranger tes affaires si les autres voient une deuxième année passer direct en quatrième… Tu vas encore susciter des jalousies, ce qui me chagrine déjà suffisamment. Et c'est sans parler du double programme. Même si tu dois travailler sous la supervision d'un Observateur, tu ne peux pas sauter des classes. Ce serait vu comme une marque de favoritisme. En plus, il y a des trucs cools en deuxième année…

Dubitative face à cette affirmation partiale, elle ouvrit la bouche en inspirant et il leva un doigt pour l'arrêter avec un regard entendu.

— Et non : Spike ne peut toujours pas être ton Observateur !

Elle baissa la tête, battant le sol terreux de la semelle de sa botte. Un nordet capricieux qui virevoltait sur les eaux vint la gifler et se glisser déplaisamment dans son cou. Elle redressa le col de sa parka de ses doigts frigorifiés.

— Je sais. C'est un jeu. Je dis ça parce que je sais que ça le fait râler. Enfin, il bougonne mais je me demande si au fond de lui, il n'en aurait pas un tout petit peu envie.

— Ce ne serait pas son genre.

— Pas son genre d'emmerder tout le CDO en acceptant ?

Pensif un instant, Andrew fut vite convaincu et il inclina la tête pour signifier qu'elle marquait là un point.

— Pas de grossièretés, jeune fille, la tança-t-il tout de même.

Elle souffla sur ses phalanges rouges et regretta de ne pas avoir vérifié si elle avait des gants dans les poches de sa doudoune. D'un mouvement nerveux, elle repoussa ses cheveux qui se rabattaient en zébrant sa figure, quand elle restait de côté par rapport au lac.

— Tel que je vois les choses, on a deux solutions.

Andrew sourit en coin, puis l'imita en se frottant les mains l'une contre l'autre. Ses mèches châtain clair, d'ordinaire très bien peignées, étaient n'importe comment et cela les amusait l'un comme l'autre.

— Ah les fameuses solutions pragmatiques de Maya. Je croyais que tu les avais abandonnées dans les limbes de ton enfance… Vas-y, je t'écoute.

— Solution n°1 : on ne dit rien du tout et on enterre l'affaire six pieds sous terre. Ce qui s'est passé est un accident. Je n'ai pas du tout l'intention que ça se reproduise. Je ne ferai plus jamais le mur et je n'embrasserai plus jamais aucun garçon avant mes dix-huit ans. Je fais une deuxième année parfaitement normale.

Elle vit dans le pétillement de son œil et sa petite moue que cette solution lui plaisait assez. Surtout la partie où elle promettait de ne plus désobéir et de se tenir loin des garçons, en fait.

— Et sinon ?

— Solution n°2 : on continue à ne rien dire du tout, je suis mon programme, mais… je prends des cours particuliers avec un Observateur à qui il faudra faire jurer le secret.

— Pas évident ! Même si j'en trouvais un qui accepte, il saurait que c'est contre les règles. Et pourrais-je faire confiance à quelqu'un qui s'en dispense aussi facilement ? Et puis, si ça venait à se savoir – je veux dire, que je contourne les règles quand ça m'arrange – je perdrais ma réputation d'intégrité et ça me coûterait ma place au Conseil. Et alors Dieu sait qui me remplacerait, et quelles nouveautés – ou bonnes vieilles « traditions » – il voudrait remettre en place...

— Moi j'en connais un.

— Ah bon ?

— Il est en face de moi, dit-elle en se croisant les bras, l'air bien contente d'elle.

— Maya, je t'ai déjà dit que ce n'était pas très judicieux. Quand les Observateurs s'impliquent trop, ils ne deviennent pas forcément les meilleurs professeurs…

Giles, toussa-t-elle dans son poing en évitant son regard courroucé. Ok, ok… Alors il reste la solution n°3.

— Hey, il y a une minute, il n'y en avait que deux !

La tête enfoncée dans les épaules, avec les cheveux fourrés dans le col pour espérer s'en faire une sorte d'écharpe, Maya sautillait sur place, en contemplant le clapotis et le lever de lune. Les yeux perdus dans le lointain, elle envia cette plénitude tranquille et elle acquiesça lentement.

— Oui… Mes solutions n°3, personne n'a jamais envie de les entendre… La solution n°3, c'est que je quitte le cursus. Comme ça, plus de problèmes d'Observateur, de jalousies, de prétendu passe-droit… Je retourne dans un lycée normal, j'ai des amis normaux. Si tu as de la chance, j'aurai un diplôme de fin d'année. Et peut-être même, si moi j'en ai, un bal de promo. Je ne sais pas trop si ça se fait ailleurs qu'en Amérique…

Il posa la main sur son bras.

— Maya, est-ce que tu es sérieuse ?

Elle l'était – persuadée qu'elle éviterait des larmes face aux dures réalités de la vie de Tueuse qu'elle découvrait pires à chaque fois et des colères de n'être pas née à Sunnydale, il y a trop longtemps. Elle n'ignorerait pas ce que ses parents faisaient, mais elle n'y prendrait pas part, menant sciemment sa vie en parallèle. Naguère, ne pas être dans le secret l'avait fait souffrir, mais aujourd'hui qu'elle était directement dedans jusqu'au cou, c'était différent.

Andrew savait qu'elle n'avait pas assez de recul pour comprendre qu'il s'agissait d'une vaine tentative pour retrouver son innocence. Fondamentalement, c'était voué à l'échec. Il le savait trop bien, quand on la perdait, c'était pour toujours.

— J'ai essayé, tu sais, se défendit-elle. J'ai fait des efforts, j'ai arrêté de fumer, j'ai fait du sport, assisté à des dizaines de cours complètement dingues. Et même si j'adore vraiment mon nouveau parrain, je ne me sens pourtant pas faite pour cette vie. Maman fait semblant, mais elle ne me regarde plus pareil… Et tout s'est mal passé depuis que j'ai découvert la vérité… Il y a des centaines de Tueuses, alors le monde n'est pas démuni face aux démons. On n'a pas particulièrement besoin de moi dans ce rôle, c'est pas vrai ?

— Je… je n'y avais pas réfléchi, reconnut-il car ce n'était pas mentir.

Il remit machinalement sa main gelée à l'abri de sa poche, sans cesser de la dévisager avec inquiétude. Peut-être que le monde n'avait pas besoin d'elle. Mais du temps où une nouvelle Tueuse était appelée pour remplacer la précédente, chaque jeune fille devait s'adapter à un destin pesant qu'elle n'avait pas souhaité. Aucune d'elles n'était issue d'un milieu pouvant l'y préparer, c'était le rôle de l'Observateur.

Il se sentait troublé car ses convictions, au fond, restaient celles du Conseil des Observateurs. Y avait-il jamais eu de Tueuse démissionnaire ? Non, car elles faisaient des proies d'autant plus faciles. Renoncer signifiait mourir… ou, en tous cas, plus vite que prévu. Leur entraînement reculait cette échéance.

Mais c'était vrai que l'activation de toutes les Potentielles avait changé la donne. Comment protester quand on savait que la première à avoir voulu en profiter… était Buffy elle-même. Après plusieurs années de service, elle s'était mise à la retraite et avait essayé un temps de vivre « une vie normale ». Maya, elle, ne voulait même pas commencer.

— Je ne sais pas quoi te dire… soupira-t-il avec la gorge un peu nouée.

— Super. Alors je voterais bien pour « On rentre à la maison maintenant ». J'ai trop froid et marcher nous réchauffera.

.



.°.

Spike avait regagné L'Insectoïde et le vaisseau avait décollé immédiatement. Les petites bestioles aux commandes ne perdaient pas une seconde… Au fond de la passerelle, il retrouva Angel et Pietro parlant bas. Ils étaient attablés dans un coin, penchés sur une surface possiblement destinée à afficher des cartes d'état-major de l'univers – « tournez à gauche à la prochaine galaxie… ». Il ne s'en servait évidemment jamais.

S'apercevant qu'il était là, ses hôtes s'interrompirent trop vite : ils parlaient de lui.

— Bougez pas. Je vais nous chercher un truc à boire et je reviens… J'ai ce qu'il faut dans ma chambre…

Les deux autres ne protestèrent pas. Dans son dos, il entendit Pietro dire à voix basse :

— Suoi occhi… Les yeux sont si noirs.

Spike ne put réfréner un sourire furtif. Bambino ne les avait pas dans sa poche, en tous cas.

Sa chambre, au moins, n'avait pas l'air conçue par des designers des années 60. Les types qui avaient construit ce vaisseau étaient daltoniens et en plus ils avaient fait tout lisse et tout ovoïde… Les rajouts et divers bricolages hétéroclites visibles partout évoquaient des propriétaires successifs. Il s'en foutait, du moment qu'il avait sa pièce « à lui » avec des vrais meubles, des tapis et des oreillers.

Il ouvrit une bonnetière partiellement transformée en bar, en tira quelques bouteilles de whisky, chopa trois verres entre ses doigts, et referma d'un coup d'épaule. Sur un guéridon, il poussa les notes que les pilotes s'obstinaient à lui envoyer – sans doute dans l'espoir vain qu'il en fasse quelque chose d'utile. Il posa tout car ses mains tremblaient. L'alcool le masquerait en y apportant une excuse plausible…

Il s'assit sur le bord du lit et lissa sa chevelure vers la nuque. Dawn, Dawn, Dawn. Qui l'ignorait et le fuyait. Dawn qui flirtait et le taquinait. Dawn qui s'enflammait soudain, et tremblait pourtant en lui avouant ses peurs.

Rien n'est pire que le vide que je ressens depuis que tu m'as dit adieu.

Il avait été tellement absorbé par son propre petit drama personnel qu'il n'avait pas pensé à elle une seule seconde. Cet aveu qu'elle venait de lui faire le bouleversait peut-être même plus que la promesse de coucher avec lui… Ou au moins autant. Mais c'était vraiment le genre de chose qui aurait pu lui broyer le cœur, si ça avait été possible.

Depuis que tu m'as dit adieu.

N'avait-elle pas compris qu'il resterait quand même pour n'être qu'un ami ? Qu'il n'allait pas les abandonner ? Il essaya de se rappeler à quel moment il avait rendu la chose très claire pour elle…

…et ça n'était jamais arrivé parce qu'ils n'avaient pas eu le temps de parler vraiment ensuite. Il avait certes écrit et mis son cœur sur la table. Elle n'avait pas répondu. Puis il avait moisi dans la geôle de l'École de Rome. Elle s'était envolée pour Londres dont elle était partie presque aussitôt. Maya n'avait-elle pas dit qu'ils y resteraient deux mois ?


Ce soir, il était venu pour Maya, pour qu'elle ne dise plus qu'il ne lui servait à rien. Il était venu l'écouter, elle, et parler de ce qui la préoccupait.

Pourquoi était-elle était si bouleversée ? Intellectuellement, il saisissait que cela pouvait étonner la jeune fille, mais une simple pulsion biologique lui paraissait si normale. L'énergie vitale d'une Tueuse était considérable, une telle puissance devait être dépensée ou bien elle se retournerait contre sa détentrice…

Faith avait une revanche à prendre sur la vie. Elle avait accueilli les pouvoirs d'Élue comme le dédommagement de toute la frustration, l'angoisse et la misère qui avaient été les siennes. Buffy aussi avait des insécurités affectives. Nombreuses. Bien cachées pour tout autre que lui. Il les avait devinées sans peine parce qu'elle n'était qu'une jeune fille comme les autres là-dessus, désemparée d'être abandonnée par des connards qui la prenaient et la jetaient. Il s'en était autrefois servi vicieusement contre elle, il avait jubilé de la tourmenter et de l'affaiblir de cette façon.

Mais Maya n'avait pas cette rage. Elle avait deux parents qui l'aimaient, une vie heureuse jusqu'à présent, rien à prouver, pas de béance douloureuse à combler. Et donc aucune place pour receler l'obscur qui lui aurait permis de tutoyer la Mort.

Il sortit son communicateur et tapa un message pour savoir comment elle allait.

Maya

J'ai confisqué le téléphone de Maya pour ce soir – Andrew.

Spike

Pourquoi ? Je croyais que vous n'alliez pas la punir ?

Maya

Ce n'est pas une punition. Elle te parlera quand elle sera prête.

Spike

Prête à quoi ?

Aucune réponse. Il jeta le communicateur inutile sur son lit.


Soupirant à fendre l'âme, il dérangea plus encore l'ordonnancement inexistant de feue sa coiffure sexy… et examina son image dans un bout de cloison démontée, faite d'un drôle de plastique monochrome mais… où il se voyait. Cela ne se comportait pas comme un miroir où les vampires n'étaient pas censés se refléter...

Après un examen critique, il remarqua ses traits haves et tendus, et surtout les taches sombres de ses orbites. Trop sombres. Beaucoup trop sombres. Oh la vache, Pietro avait raison, qu'est-ce que c'était que ce bordel ! Il serra les dents et ferma les paupières, mais fut assailli par sa mémoire sensorielle rejouant les doigts de Dawn qui massaient son scalp. Il rouvrit les yeux pour découvrir que ses iris avaient viré au jaune ! Merde !… Il devait se calmer.

Oublié le petit faon qu'elle avait été, disparu au profit d'une beauté brune aux formes curvilignes. Les traits de son visage lui paraissaient fascinants par leur pureté. Il avait envie de reprendre son visage rond entre ses mains, de baiser encore le fruit rose et velouté de sa bouche. Par quel miracle de la loterie génétique, Dawn avait-elle pu devenir somptueuse à en couper le souffle ?

Elle n'usait d'aucun de ces artifices bas de gamme qui permettent aux femmes moins loties d'apparaître désirables sur papier glacé. Pas de bouche entrouverte ni de cambrures invitantes sans équivoque. Et pas de regard panthère « Baise-moi tout de suite »...

Ses yeux étaient directs sans chercher à séduire, comme s'ils scannaient simplement la vérité de l'âme sous la surface. N'importe quel homme, avec le minimum requis pour tâcher d'imaginer un ange, n'aurait pu que s'en troubler. Que cet homme fût aussi un vampire n'y changeait manifestement rien.

En bon « mécréant », il la désirait autant que la première goulée d'air d'un noyé remonté à la surface. Après les expériences déplorables qu'elle avait connues, elle méritait pourtant le plaisir et la jouissance, s'il pouvait les lui donner.

La marche du retour avait à peine calmé son excitation. Passé à un cheveu de l'extase tant attendue, son corps se rebellait contre cette privation brutale. Il avait juste envie de hurler de n'avoir pu donner libre cours au besoin insensé de la vénérer passionnément, d'être retenu entre ses bras doux. Envolé, le rêve ardent de leur danse, de leurs corps enlacés consumés du même feu dans leurs reins...

Il tiqua, surpris par ce flux mental qui s'insinuait entre lui et ce qu'il venait de vivre. Puis il comprit.

— William ! Ça va bien maintenant. Dégage ! Arrête de me farcir tes fadaises. Si tu savais de quoi tu parlais, tu en ferais une syncope !

… Immonde, je t'exècre. C'est moi qui ai retenu ta main impie ! Tu es en train de la transformer en monstre comme toi. Elle change, elle souffre. Pourquoi refuses-tu de voir qu'elle est malade de ce que vous autres lui avez extorqué ?

… Petit Leurre pas monst…

— Vos gueules ! gronda-t-il en direction de la surface réfléchissante.

Ce n'était pas le Pacte de sang à Londres quand il avait décidé de ne pas se suicider pour elle.

Ce n'était pas le Pacte de sang quand il l'avait attendue sur la plage, qu'il avait serré sa taille, et touché la suavité de ses épaules comme si c'était la chose la plus naturelle au monde.

Toujours pas le Pacte quand elle avait avoué que Maya était la fille d'un homme qui lui ressemblait et que la surprise avait cédé la place à une autre émotion plus viscérale. Celle d'avoir été accueilli comme le fils prodigue, celle d'avoir été l'objet de désirs dont il n'avait jamais eu conscience, d'avoir été rêvé comme père.

Ce n'était pas le Pacte de sang quand ils avaient pleuré ensemble sur le passé.

Pas le Pacte quand il avait eu la gorge nouée de la voir à peine couverte de dentelle, sa robe à ses pieds enjambée prudemment…

Mais c'était sans doute lui qui amplifiait l'implacabilité de son ébullition actuelle. Et celle de Dawn.

Il se frotta les yeux du talon de la main et il s'attrapa la tête. Au fond de lui, l'intuition sourde et horrible que le crétin avait raison faisait planer une angoisse jamais atteinte. Il avait cru naïvement tout ça derrière lui parce que c'était ce qu'il désirait, mais le boomerang d'Ostia allait revenir lui exploser au visage.

.


Pietro surveillait l'entrée de la salle de commande avec nervosité, soucieux de l'absence de leur « chauffeur ». Sa conversation avec Angel l'avait laissé mitigé. Le vampire avait répondu honnêtement à beaucoup de ses questions. Sachant que les livres ne contenaient pas tout et avaient une vision partiale des créatures, il appréciait à coup sûr d'obtenir des informations de première main. En rapport avec ce qui le préoccupait, Angel en savait déjà plus que tous les autres sur la façon dont fonctionnait un lien de sang. Il avait confirmé qu'on pouvait le rompre et souligné que Spike l'avait déjà fait. Mais contre toute attente, il n'avait pas l'air de penser que ce serait une bonne chose…

En échange, Pietro lui avait communiqué ce qu'il savait sur ce qui se passait (ou plutôt ne se passait pas) entre Spike et Dawn. Le vampire avait eu l'air surpris qu'il se soit montré aussi attentif. Il semblait réticent à formuler davantage que sa préoccupation face à certains comportements de son cadet. Restant vague à leur sujet, il s'était contenté d'évoquer une « soif du combat » renouvelée. Il savait quelque chose qu'il ne disait pas.

— Perché non viene ? Cosa sta facendo ? *

— Il faut lui laisser quelques minutes. J'ai l'impression qu'il est… très ému, répondit-il avec frémissement moqueur au bord des lèvres.

— Ému ? répéta le jeune homme, peu sûr d'avoir bien compris le mot.

Angel acquiesça. Et il n'eut pas le temps de préciser davantage parce que Spike franchit le seuil avec ses bouteilles et trois verres à shots. Il installa le tout face à eux en prenant place, et commença à servir.

— Vous n'imaginez pas le mal que j'ai eu à trouver des verres propres… Les bonshommes, ils savent piloter, mais c'est pas des as du ménage…

— Toi non plus, du coup, répondit Angel en examinant son verre qu'il vida d'un trait.

— Pas faux, acquiesça le capitaine. Dis-voir Bambino, dit-il en retenant son mouvement au-dessus du verre de Pietro, je t'ai pas demandé… t'as l'âge de boire de l'alcool, au moins ?

L'interpelé haussa les épaules avec regard mécontent, et tapa le fond de son verre deux fois sur la table avec un signe transparent de l'index pour lui demander de verser. Spike s'exécuta en souriant. Puis son propre verre à la main, il prit une gorgée et désigna le jeune italien avec.

— Tu vois, c'est ça que j'aime bien chez lui. Les trois quarts du temps, je ne bitte rien à ce qu'il baragouine, mais on n'a pas forcément besoin de ça pour arriver à se comprendre…

.


La tête bouclée de Pietro reposait sur son bras replié. Il y avait bien dix minutes qu'il ne bougeait plus et il était vraisemblable qu'il se soit endormi. Vraisemblable seulement, car il pouvait faire semblant. Spike le considéra d'un air pensif.

— T'aurais pas dû le laisser boire autant. Si demain il vomit sur le bureau de Giles, ça va faire désordre.

Dodelinant du chef pour acquiescer, Angel plissa les yeux en rêvassant à la scène.

— Oh, mais Giles comprendra. A ce que je me souviens, il avait une bonne descente.

— Ah ça… c'est vrai. Il ingurgitait pas que du thé, l'englishman ! Je me souviens que quand j'habitais chez lui, ce salaud faisait exprès de planquer toutes ses bonnes bouteilles.

— Il avait bien raison ! Tu as toujours été un hôte déplorable.

— C'est pas vrai. Je prenais que le whisky et les Weetabix. Le reste, j'y touchais pas !

Angel se passa une main sur la figure en écarquillant les yeux. L'alcool l'influençait moins que la moyenne des gens, mais c'était comme tout, au-delà d'un certain seuil, il finissait par s'imbiber…

— Tu veux pas aller dormir un peu sur la couchette, là derrière ? On va arriver de jour à Rio. Faudra que t'attende de toute façon. C'était urgent, ton truc à faire ?

— J'espère qu'ils pourront se passer de moi le temps que le soleil se couche. Et en parlant de se coucher, c'est plutôt Pietro qu'il faudrait porter jusqu'à ta cabine. On ne va pas le laisser là.

Les deux acquiescèrent vigoureusement en partageant un vertige similaire, et aucun ne fit le moindre mouvement pour se lever. Ils s'en rendirent compte et commencèrent à rire. Angel s'interrompit soudain.

— Ah oui. C'était quoi le problème avec Maya, au fait ?

— Premier vampire, répondit Spike avec un mouvement fataliste des épaules.

— Tuer des vampires, c'est un peu le concept des Tueuses, non ? Elle a loupé le chapitre d'introduction dans le manuel ?

Spike secoua la tête sans rien dire en jouant avec la dernière goutte dorée de son verre vide. Il aimait bien enivrer Angel. Il était plus franc du collier quand il avait quelques bouteilles dans le nez, et on arrivait enfin à savoir ce qu'il pensait vraiment. L'intéressé attendit un moment une réponse et puis se dit qu'il n'en aurait jamais s'il ne relançait pas.

— Alors pourquoi elle pleurait contre ta compatissante épaule de parrain-copain ?

— Vieux jaloux… Je crois qu'il y a une sorte de problème. Elle ne réagit pas normalement à l'expérience. Posséder la force de pouvoir mater des prédateurs dangereux, elle n'a pas trouvé ça… bien. C'est peut-être à cause de nous. J'étais sûr que ça allait finir par flanquer la merde un jour ou l'autre, cette affaire. Toi et moi, on est des personnes pour elle. Pas des choses à tuer.

— Non, elle a compris ça très vite. Elle t'a dit comment ça s'est passé ?

— Mhh ? Oui. Cet imbécile a fait classique. On repère une fille dans une boîte, on cause un peu, on flirte, on proteste que la musique est trop forte pour s'entendre, on propose de sortir dehors cinq minutes… Et là on essaie de la mordre et on finit explosé au bout d'un pieu.

— Seuls les plus futés survivent… C'est Darwin qui l'a dit. Mais j'admets que c'est pas cool d'avoir dû planter son premier flirt.

— Boah, c'est un truc de famille, j'imagine. Buffy l'a fait pour toi, non ? persifla Spike. Un bon coup d'épée dans le bide et ding dong, droit dans le portail d'Acathla, mais tu vas encore dire que je ressasse ?

— On n'avait pas dit qu'on arrêtait les coups bas ?

— Ah oui, c'est vrai, excuse-moi. L'habitude… Par contre, Dawn m'a avoué que la même chose lui était arrivée à l'âge de Maya, tu savais ?

Angel secoua la tête. Il n'était pas à Sunnydale à l'époque, il pouvait difficilement juger des circonstances. En tant que sœur de la Tueuse, Dawn avait sûrement été mieux préparée que n'importe quelle autre jeune fille à cette éventualité.

Le vampire blond sursauta.

— Ah tiens, faut que je te demande : tu peux me filer l'adresse de Giles à Rome ? Je veux lui écrire. Je pourrais fourguer la lettre à Pietro mais je tiens pas à ce qu'il la lise... Oh, regarde-le, ce petit fait pitié. Je vais le porter dans ma cabine, tout seul, parce que t'es bien trop bourré pour tenir debout, déclara-t-il en chancelant. Il me laisse squatter chez lui, c'est le moins que je puisse faire.

— Tu sais que le « petit » a vingt-cinq ans ?

Spike fit non et arrêta tout de suite quand le décor recommença à tourner. Il marmonna qu'il ne savait même pas quel était son nom et que la gargouille l'avait refoulé à cause de ça.

— Combien peut-il décemment y en avoir, de Pietro, dans cette foutue école ? Hein ?

Angel retroussa les lèvres pour une petite grimace coupable.

— Un seul, mais j'avais briefé le Gardien pour que tu restes à la porte… Excuse-moi. L'habitude…

.

.

.

(A suivre : Partie 7 - I'm under your spell)

.


Notes de traduction

* Pourquoi il ne vient pas ? Qu'est-ce qu'il fait ?

Laisser un commentaire ?