Les Manuscrits de l'Apocalypse (saison 1)

Chapitre 3 : Une élève bien silencieuse

5595 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 23/04/2021 17:04

Episode 2.1 : La nouvelle.


Sakura tarda à se coucher. Assise en tailleur au fond de son lit, son coussin blotti entre ses bras, elle observait cette carte et son sceptre. Le sceptre, dont le bleu variait de bas en haut d’un bleu marine au bleu azur, était orné du soleil et du croissant de lune présents sur le sceau. Deux ailes très dense et irrégulières, bleu pale, s’étendaient de chaque côté du motif étoilé dont un des rayons ondulés s’élevait dans le prolongement du bâton. La carte d’aspect général bleuté, représentait une femme debout, bras tendu vers le ciel, en tenue de soie, flottant légèrement. Ses pieds disparaissaient dans le sable qui semblait s’écouler de tout son corps. Le contour de la carte était un fondu bleu clair, dont les bords étaient faiblement resserrés par un symbole sacré. Au sommet, un soleil aux rayons ondulés éclipsé de moitié par une lune en croissant. A l’opposé, s’étendait le dessin d’un bandeau où le nom de la carte était marqué : « Sand ». Les couleurs bleutées rendaient le tout très paisible. Sakura retourna la carte et observa le sceau. Bien sûr, on pouvait retrouver les traits importants qui composaient le sceau de Clow. Mais le cercle central était remplacé par trois cercles imbriqués les uns dans les autres, surmontés par le soleil éclipsé par la même lune en croissant. Et sous son pouce, qui tenait la carte, elle découvrit un sigle... Un sigle bien connu puisque c’était celui de... Lionel. Le Yin et le Yang ne formant qu’un seul disque bicolore.

Kero qui observait aussi, volant au-dessus du lit, les bras croisés et le regard sombre, s’avança finalement vers son amie et se posa sur son genou droit :

 - Si je suis revenu, dit-il. C’est parce que Clow avait un mauvais pressentiment. Il m’a dit clairement de veiller sur toi, car il serait pris par son entraînement spirituel. Mais j’étais loin de me douter que tu éveillerais le sceau terrestre.

 - Tu sais ce que c’est ?

 - C’est une légende que nous racontait Clow. Et même si je crois qu’il en sait plus qu’il n’en disait, il ne doit pas se douter que cela arrive en ce moment.

 - Qu’est-ce que c’est, répéta-t-elle en le poussant d’un doigt.

 - Du calme, je vais te le dire. C’est le sceau originel. Le sceau de tous les sceaux. Clow Reed nous racontait que jadis la terre vivait en harmonie avec le sceau terrestre. Et puis les hommes s’en sont éloignés. Je n’ai jamais compris ce terme, souligna Kero. Alors le sceau s’est éteint.

 - Il s’est éteint ?! Ca veut dire qu’il était vivant ?

 - Oui, bien sûr. Il a une conscience. Et il devait s’éveiller un jour. Mais pourquoi aujourd’hui ?

 - En tout cas, c’était bien une carte !! lança Sakura, rayonnante.

 - Oui, et demain tu vas encore être en retard si tu ne te couches pas assez tôt !

 - Oui, monsieur, rouspéta-t-elle.

Il flotta vers son tiroir et regarda Sakura s’endormir avec sa carte.

« Non, se dit-il à lui-même. Ce n’était pas sensé être une carte. Les cartes, en disparaissant, n’ont pas retrouvé leur liberté comme lorsque tu as ouvert le livre et brisé le sceau sacré. Elles sont... mortes. Il ne devait rien en rester. Et puis, la carte du sable, même libre et énervée, n’aurait pas risqué inconsidérément la vie de tant de milliers de gens ! La Furie même aurait été moins hargneuse. Ce ne sont pas des cartes de Clow. Mais alors qui ? Il n’y a jamais eu personne d‘autre que les magiciens du Cercle pour créer des cartes magiques. Et tous sont moins puissants de Clow. Mais alors qui ? »


Sakura se laissa rouler jusqu’au portail du lycée où Tiffany l’attendait. Elle freina et fit un tour autour de son amie.

 - Bonjour Tiffany.

 - Bonjour Sakura. Encore à l’heure ! C’est grâce à ton petit glouton.

Le sac de Sakura remua et elle faillit perdre l’équilibre.

 - C’est fini de m’appeler comme ça, oui ?! cria-t-on du fond du sac.

 - Eh ! Espèce de maladroit, fais attention, lui souffla Sakura, retenue par Tiffany, j’ai failli me casser la figure. Il est de mauvais poil, confia-t-elle à Tiffany.

 - Je suis pas grognon. C’est toi qui m’as réveillé trop tôt. Et je n’ai rien pu manger.

 - C’est surtout ça, sourit Tiffany. J’ai peut-être quelque chose pour toi.

 - Ah oui ? entendit-on alors.

 - Chhhhut, Kero, le gronda Sakura.

Les deux filles se dirigèrent vers les casiers et Kero continua de gigoter dans le sac.

 - Au fait, Sakura. Merci pour hier, j’ai tellement eu peur. Et les autres aussi !

Sakura sourit tendrement à son amie.

 - Merci à toi, d’avoir cru en moi, plutôt, rectifia Sakura.

 - Mais non, c’est normal, tu es ma meilleure amie.

Après avoir déposé leurs affaires, elles rejoignirent leur classe. Chacune reprit sa place et Nadine et Sandrine se retournèrent, pour la saluer discrètement alors que le professeur d’histoire entrait.

 - Bonjour, fit-il en laissant la porte ouverte derrière lui. Aujourd’hui nous accueillons une nouvelle élève.

Tiffany se tourna vers Sakura et :

 - Elle a peut-être des pouvoirs, elle aussi.

Sakura secoua la tête et Kero releva le museau, sans finir le morceau de gâteau que Tiffany avait glissé dans le sac. Cette sensation... Un frisson parcourut aussi Sakura. Son visage blêmit et elle chercha autour d’elle. D’où venait cette impression ?

 - Je vous demande de l’accueillir gentiment, car elle vient de quitter son ancien lycée. Je te laisse te présenter ? proposa-t-il.

Mais la fillette garda le silence et baissa la tête. Elle était blonde, les cheveux très longs. Très bien habillée, on ne voyait pas bien son visage, tant elle était courbée sur elle-même.

 - Je vais le faire, fit le professeur, embarrassé. Elle s’appelle Alison Gauthier.

Sakura cessa un instant de chercher. Qu’avait-il dit ?

 - Il y a une place là-bas, indiqua-t-il.

Elle traversa l’allée et vint s’asseoir derrière Yvan. Kero pointa le bout de son nez et Sakura l’aperçut.

 - Qu’y a-t-il ?

 - Une grande force. Mais elle vient de disparaître.

 - C’est cette fille, non ?

 - Non, ça vient de dehors, précisa-t-il en se cachant de nouveau.

Sakura fouilla la cour du regard, mais il n’y avait personne.

Derrière une vitre vite refermée, pourtant, quelqu’un l’avait espionnée, depuis le bâtiment juxtaposé au sien. Mais elle ne le vit pas.


A la pause du matin, le petit groupe d’amies et quelques autres élèves vinrent voir la nouvelle. Sakura, elle, patientait un peu en arrière. Tiffany comprit vite que quelque chose la tracassait. Elle s’assit sur le siège libre devant Sakura et posa une main sur la sienne.

 - Ca va ? Tu me parais contrariée.

 - Je recommence à sentir des forces. Et celle que j’ai sentie était nouvelle. Ni une carte, ni un pouvoir magique.

 - Chuis d’accord, s’éleva une petite voix du sac.

 - La nouvelle ? demanda Tiffany.

 - Non, quelqu’un dans le lycée.

 - Chuis d’accord, s’éleva la voix.

 - Tu veux venir faire ton enquête, cette nuit ?

 - Pourquoi pas. Nous allons reprendre nos sorties nocturnes !! J’en suis tout heureuse, s’extasia Sakura.

 - J’aurai mon nouveau caméscope, cette fois-ci.

 - Ah, fit Sakura, refroidie.

 - Moi, chuis d’accord, releva la voix.

 - Et elle, c’est Sakura, lança Nadine en se tournant vers les filles.

Sakura sourit et s’approcha.

 - Et vous avez le même nom de famille ! continua Nadine.

Yvan leva un doigt et Sandrine secoua la tête.

 - Vous êtes peut-être de la même famille, supposa-t-il.

 - Idiot, lui souffla-t-elle.

 - Non, non, je ne crois pas, répondit Sakura. Il n’y pas beaucoup d’enfants dans ma famille... Que Tiffany et moi.

Sakura découvrit le visage d’Alison. Elle avait les traits très harmonieux et elle ne souriait pourtant pas. D’une beauté indéniable, elle n’en avait pas moins l’air triste. Et Sakura lui tendit une main de bienvenue, pour la mettre à l’aise. Alison la foudroya du regard et Sakura hésita un instant. Etait-ce l’expression de son visage qui rendait ce regard si perçant ? La jeune fille ne dit rien de plus et lui empoigna la main.

 - Nous irons lui faire faire le tour du lycée tout à l’heure. Vous viendrez, Sakura et Tiffany ?

 - Volontiers, répondit cette dernière.


Sonya approchait et Sakura rangea la carte qu’elle montrait à Tiffany.

 - Les filles, on ne trouve pas Alison. Vous l’avez vue ?

 - Non, elle n’a pas mangé avec vous ? demanda Sakura.

 - Elle n’a pas voulu et elle est partie de son côté. Et on la cherche pour lui faire visiter le lycée.

Sakura se leva et Tiffany l’imita aussitôt.

 - Nous allons vous aider à la chercher.

 - Ouhou ! s’écria Yvan en courant vers elles. Sandrine l’a trouvée. Elle était en salle de musique.

 - Ouf, j’aime mieux ça, soupira Sonya.

 - Elle devait se sentir un peu seule, supposa Tiffany. Allons la voir.

En quelques instants, ils l’avaient rejointe. Elle s’était assise sur le siège devant le piano et elle souriait tristement.

 - Ah... Alison, tu nous as fait peur, avoua Nadine en les rejoignant aussi.

 - Désolée, articula-t-elle de sa voix toute fine.

 - Ce n’est pas grave, s’avança Tiffany. Tu aimes la musique ?

 - Oui.

 - Tu sais, j’aime chanter aussi.

 - Il est un peu tard pour faire le tour des salles, remarqua Sandrine. On peut rester avec toi ?

Elle hocha le menton et se tourna vers Tiffany.

 - Tu chantes ? articula-t-elle tout bas.

 - Pourquoi pas, sourit Tiffany en voyant Nadine s’installer sur le siège à côté d’Alison.

Nadine plaça ses mains et tout le monde se plaça autour de l’instrument. Ses doigts entamèrent une mélodie douce et alerte sur le clavier qui semblait réagir à toutes sortes d’émotions que lui transmettait la chanson. L’introduction se termina et Tiffany sourit... Elle chanta. Elle éleva majestueusement sa voix et tous l’écoutèrent très attentivement. Kero sourit, dans le sac. En finissant le repas que Sakura avait abandonné pour chercher la nouvelle. Que de souvenirs dans cette mélodie. Il se souvint de l’enregistrement que Sakura avait apporté chez elle, il y a si longtemps, pour les cartes. Et naturellement les souvenirs le traversèrent. Tout d’abord, Sakura. Cette petite fille, devenue grande, qui avait découvert le livre dans cette bibliothèque de son sous-sol.

« Je suis Kerobero, le gardien du sceau.

 - Tu dormais ?!

 - Eh ! Ca fait longtemps que je le garde...

 - Tu t’es endormi ! C’est pour ça que les cartes se sont...

 - Naan, d’abord... C’est toi qui as ouvert le livre... Tu étais seule, au fait ?

 - Oui. Il y avait de la lumière et...

 - Hmmm... Alors, si tu étais seule, je vais faire de toi... »

La sonnerie retentit. Tiffany venait de terminer.

 - Il est temps d’aller en cours, lança Yvan.



Episode 2.2 : Le bruit.


Sakura laissa ses cheveux retomber dans son dos et les brossa assise en tailleur sur le canapé du salon.

 - Papa n’est pas là ce soir, soupira-t-elle, le téléphone contre l’oreille.

 - Tant mieux, sourit Tiffany, à l’autre bout du fil. Comme tu n’as plus la carte du miroir...

 - Oui, oui. A quelle heure se donne-t-on rendez-vous ?

 - J’ai une tenue pour toi...

 - Oh, non... Tiffany ! J’ai bientôt 17 ans. Tu veux rire ?

 - Mais, non. Ca fait partie d’une nouvelle collection rien que pour toi. Tu vas voir, c’est sexy, mais pas trop. C’est très classe, et ça t’ira comme un gant.

 - Bon, céda Sakura, tandis que Kero se tordait de rire sur la table du salon. D’accord. A onze heures devant le lycée ?

 - D’accord.

Sakura reposa le téléphone et fusilla Kero du regard.

 - Ah ah ah ! éclata-t-il de rire. Je te vois bien dans une de ses robes en forme de grosse fraise ou de petit lapin.

 - Ca suffit, petit ventre sur patte !! Les tenues de Tiffany sont très jolies.

 - Ah ouais, s’allongea Kero, les mains sous la tête. Tu les trouves jolies ?

 - Tout à fait, affirma-t-elle en croisant les bras. Bon, je les trouve juste un peu trop... nombreuses!

 - Mouais... s’envola Kero. Je ne suis pas un ventre sur patte.

 - Si.

 - Non ! se rapprocha-t-il.

 - Si ! avança-t-elle.

 - Non !!

 - Si !!

Il croisa les bras et la fixa cyniquement :

 - Alors qu’est-ce que tu dois penser de Mathieu !! lança-t-il.

 - Nan... Euh... C’est pas pareil.

Il s’envola vers la chambre.

 - C’est ton chouchou. C’est pas juste. Petit monstre, lança-t-il à voix basse.

 - Je t’ai entendu ! Super Glouton !!

 - Grrrr... grogna-t-il avant de monter dans la chambre.


 - Kero n’est pas là ? s’étonna Tiffany.

 - Nan, moossieur joue à la console de jeu !

 - Hi hi hi, vous vous êtes encore disputés.

 - Un peu...

 - Je suis sûre que ça vous manquait, souffla Tiffany.

Sakura finit par sourire sans répondre.

 - J’en étais sûre. Bon, alors. Par où on rentre ?

 - Par le gymnase en travaux, non ?

Quelques minutes plus tard, elle traversaient la cour et se dirigeaient vers le bâtiment de gauche.

 - On va peut-être rencontrer la carte de l’ombre, dit Tiffany.

 - Peut-être... Pourtant, je ne crois pas avoir ressenti une carte. C’était plus doux que ça.

 - Ah ! C’est le moment de passer ta tenue, pensa Tiffany en tendant à Sakura le sac qu’elle transportait.

Elles se glissèrent dans le bâtiment et Sakura réapparut bientôt dans la tenue aux couleurs jaunâtres et beiges. Légèrement décolletée, décorée de voiles tombant sur ses chaussures hautes, elle s’harmonisait parfaitement avec le teint de la jeune fille.

 - C’est une merveille, s’extasia Sakura.

 - Ca te plait ?

 - Peut-être pas pour aller en cours, mais elle me plaît beaucoup. Merci.

Caméra au point, Tiffany la filma de bas en haut.

 - Ca c’était pas nécessaire, par contre...

 - Mais si, mais si...

Elles montèrent les étages et en arrivant sur le toit, elles s’avancèrent jusqu’au grillage.

 - Je ne sens plus rien, assura Sakura. Etrange.

Dans le lointain, un chien se mit à hurler. Les deux filles haussèrent les sourcils de surprise.

 - C’est lugubre, remarqua Sakura.

Un autre lui répondit, aussi lointain. Puis un troisième, beaucoup plus proche. D’autres mêlèrent leur hurlement aux précédents et bientôt plus une bête ne put rester silencieuse. Le long cri qui s’élevait presque en continu glaça le sang de Sakura.

 - Les pauvres, souffla Tiffany, que se passe-t-il ?

Le hurlement s’intensifia encore. Comme si chaque animal redoublait de souffrance, hurlant sa peine ou sa douleur, son bien ou son mal. Et cette voix prenait au ventre. Comme un crochet mordant qui transperce un cœur. Une douleur communicative envahit les deux amies.

 - C’est monstrueux... grimaça Sakura. Qu’est-ce qui leur arrive ?

Très vite, elles redescendirent en courant dans l’escalier, puis dans la cour. Et le cri leur parut moins sourd, plus aigu, plus fort. Tous ces chiens, des loups peut-être aussi, et d’autres cris s’entrelaçaient sans fin.

 - On n’y peut rien, Sakura, lança Tiffany en remarquant l’expression de son visage.

 - Tu es... sûre ? C’est tellement douloureux...

 - Si c’était une carte, on ne saurait même pas d’où elle agit. Elle semble être partout.

 - Mais tous ces animaux vont en devenir fous.

 - Viens, il faut rentrer. Je ne me sens pas bien.

Sakura la regarda et acquiesça.


Sakura rentra chez elle, avec le souvenir de toutes ces bêtes croisées sur la route, le museau pointé vers le ciel dans un hurlement à l’unisson. Quelle image terrible. Elle monta dans sa chambre et trouva Kero évanoui sur la moquette. Elle se précipita et le posa sur le lit. Puis elle le couvrit, sans savoir quoi faire. Elle se tourna vers la fenêtre et ferma ses volets. Le hurlement sans fin lui faisait froid dans le dos. Et Kero qui ne se réveillait pas...

 - Kero. Reviens à toi... Kero...


Au petit matin, Sakura s’était endormie contre son ami. Elle fut réveillée par un sifflement strident qui traversait son esprit autant que son corps. Kero se réveilla aussi et regarda Sakura se tourner vers sa fenêtre. Il s’étira, bâilla et battit des ailes pour mieux se réveiller.

 - Ca va Sakura ?

 - Ah... Tu es réveillé...

 - J’ai perdu conscience hier ?

 - Oui...

 - Et ta chasse, ça a donné quelque chose ?

 - C’était horrible, assura-t-elle.

Elle lui raconta ce hurlement général qui avait secoué toute la ville.

 - Ce sont des ultrasons, expliqua Kero. Je les ai entendus très faiblement et puis les chiens se sont mis à hurler. Ca m’a tellement étourdi que j’en suis tombé.

 - Des ultrasons ? Et ce bruit, là ? demanda-t-elle en sentant le sifflement lui paralyser le cerveau. C’est insupportable !

Elle courut dans sa salle de bain et s’enfonça du coton dans les oreilles. Le bruit s’amoindrit, disparut et elle put enfin savourer le silence. Kero la rejoignit et lui parla. Mais elle ne l’entendit pas. Elle dut ôter un coton :

 - Quoi ?

 - Il est l’heure de manger !!

Elle repositionna le coton et fit la moue...

 - Parle avec des signes, ok ? lui cria-t-elle sans s’entendre.


La matinée fut des plus singulières. Chacun était venu avec des bouts de cotons, des boules Quies ou des cache-oreilles. Et personne ne s’entendait parler. Le premier professeur qu’ils eurent leur interdit de se boucher les oreilles. Mais le bruit qui venait de dehors allait en grossissant. Ou peut-être était-ce l’agacement qui donnait cette impression. Très vite, la femme leur proposa de se boucher les oreilles et de tout écrire au tableau. Le second trouva une autre solution : interrogation écrite. Le troisième était absent. On leur fit faire des exercices.

A midi, ici et là, on s’enferma dans les salles pour feutrer le bruit moins strident mais plus fort. Sakura et Tiffany s’isolèrent dans une salle du troisième étage, peu fréquentée. Sakura sortit la clef qu’elle avait fixée à une chaînette et tendit les mains en avant, paumes face à face, légèrement tournées vers le ciel, et ferma les yeux.

 - Clef du sceau Terrestre ! Reprends ta forme originelle et accomplis ton devoir. Moi, Sakura, chasseuse de cartes, je te l’ordooone !!

Le sceptre s’allongea devant elle et tournoya vivement avant qu’elle y pose une main, puis l’autre. Brandissant le nouveau sceptre devant elle. Elle le rabattit en arrière et le projeta en avant, l’arrêtant face à la carte qu’elle avait jetée devant elle.

 - Carte du sable protège-nous de ce son atroce !!

Le sable s’écoula rapidement de la carte et envahit la salle, s’élevant contre les vitres et au plafond, formant une barrière plus épaisse encore que les murs. Sakura ôta ses cotons et soupira. Le calme...

 - Ce n’est pas prudent, remarqua Tiffany.

 - Mais qu’est-ce que c’est agréable !!

 - Tu sais, tous mes voisins ont retrouvé leur chien mort de fatigue! c’est atroce !

Sakura la dévisagea sans savoir quoi dire.

 - C’est une expression, Sakura. Ils étaient fatigués, alors ils se sont endormis...

 - Ah, tu m’as fait peur... Je crois vraiment qu’on doit y faire quelque chose!

 - Quelle carte ça peut être ?

 - Une carte qui fait du bruit, de toute évidence.

 - Si je me souviens bien, répondit Tiffany. Il y a la Voix ou le Chant.

 - Le plus dur c’est de savoir d’où vient le bruit.


L’heure de reprendre les cours arriva bien vite. Sakura rangea la carte du sable et s’assura qu’il n’en restait plus dans la salle. Puis elles rejoignirent Nadine, Sonya, Sandrine et Yvan, en classe.

 - Vous étiez où ?!! demanda Yvan en hurlant près des oreilles de Sakura.

 - Par là-bas !! indiqua-t-elle vaguement. Et vous ?!!

 - Ici ; on n’entendait presque pas le bruit.

Sakura remarqua qu’Alison les regardait et elle la salua. Dans un doute, elle l’appela, alors qu’elle s’était retournée face au tableau. La jeune fille pivota sur sa chaise sans comprendre pourquoi on l’appelait. Comment avait-elle entendu l’appel de Sakura ? Ne portait-elle pas de coton dans les oreilles ? Sakura ôta les siens pour aller la voir et fut surprise de n’entendre que faiblement le son insoutenable.

 - Qu’y a-t-il, Sakura ?

Elle ne répondit pas et se dirigea vers la porte, fit un pas dans le couloir et fronça les sourcils tant le bruit était insupportable. Elle revint dans la salle et soupira. Quelle différence étrange. Le professeur arrivait. Monsieur Davy leur sourit et retira son casque.

 - Il y a moins de bruit ici, remarqua-t-il. Bien, nous allons pouvoir faire notre cours normalement.

Quelque chose clochait...



Episode 2.3 : Deux cartes.


Le soir, les maux de crâne s’étaient multipliés et bon nombre d’élèves séjournèrent à l’infirmerie. Sakura posa une main sur son front en quittant la cour après le ménage. Elle se retourna et jeta un œil à la façade du bâtiment.

 - Tu te rends compte ? intervint Tiffany. Six fenêtres ont volé en éclats... et beaucoup sont fendues !

 - C’est une carte. Assurément, c’est une carte...

 - Mais comment la trouver ? Et ta carte du Sable ne peut protéger tout le monde.

Le téléphone portable de Tiffany sonna et elle décrocha.

 - Kero ? Oui... On est devant l’école.

 - Que veut-il ?

 - Oui, on reste ici... on t’attend, conclut-elle en raccrochant. Il a une idée. Je crois.


Kero ne tarda pas à arriver. Dans le ciel de cette fin d’après-midi, résonnait encore le bruit entêtant de la journée. Mais plus sourd, plus grave. Plus supportable. La peluche apparut discrètement, une épaisse paire d’écouteurs sur les oreilles qui recouvraient entièrement ses joues, ne laissant apparaître que son museau. Sakura éclata de rire.

 - Ca va ! rouspéta-t-il. Je ne supportais pas le coton, c’est tout ce que j’ai trouvé...

Tiffany retint son rire et replaça les écouteurs sur les grandes oreilles du lionceau.

 - Transforme-toi, ta tête sera plus grosse, suggéra Sakura.

Il la dévisagea un instant.

 - Pourquoi n’y ai-je pas pensé ?

Il disparut un instant entre les plumes de ses ailes et réapparut. Le cache-oreilles lui allait à merveille.

 - Alors ? Cette idée ?

 - Vous n’avez rien remarqué ? demanda-t-il. Hier, des ultrasons, ce matin, le son était strident, et là, il est plus grave.

 - Tu as raison, remarqua Tiffany, il baisse de fréquence au fur et à mesure.

 - Les vitres n’ont pas supporté, lança Sakura pour qui tout devenait plus clair. Alors avec un bruit très bas, on va passer dans les infrasons...

 - Et après les vitres, ce sont les constructions qui risquent d’être détruites... Rien ne supportera un aussi fort bruit en infrasons !!

Sakura se retourna vers le lycée, qu’elle voyait encore au-dessus du mur où ils s’étaient cachés pour que Kero se transforme. Que faire ?

 - Ca ne peut être que la carte de la Voix ou du Chant, expliqua Tiffany. Mais comment l’attraper ?

 - Il faut y retourner, murmura Sakura.

 - Au lycée ?! demanda Kero. Pourquoi ?

 - Notre salle de classe était plus ou moins protégée ; je ne sais par quoi, mais elle l’était.

Kerobero réfléchit. Puis il acquiesça.

 - C’est notre seule idée.


Kero fit les yeux ronds en voyant Sakura sortir du vestiaire. Puis il la siffla :

 - Super canon, la petite chasseuse de cartes !!

 - Arrête, t’es bête, rougit-elle.

 - C’est vrai, affirma Tiffany, je suis assez contente de cette première création de ma nouvelle collection.

 - Quelque chose à dire à Tiffany, Kero, au fait, à ce propos ? lança Sakura à son ami.

 - Humm... Allons-y, au lieu de dire des bêtises...

Ils regagnèrent la salle de cours. Les derniers lycéens avaient dû quitter l'endroit après le ménage. Les couloirs étaient heureusement déserts.

 - Elle n’a rien de particulier, cette salle, remarqua Kero en s’y promenant.

 - Elle n’a peut-être plus rien de particulier, mais je peux te dire qu’on entendait moins le...

 - Oui, j’ai bien compris, souffla Kero. Ca devait être un charme sur le moment. Qui pouvait le jeter ?

 - Quoi ?! Ben, euh... Personne...

 - Attendez, les arrêta Tiffany en baissant peu à peu le caméscope.

 - Quoi ?!

 - Vous entendez ?

Les deux autres tendirent l’oreille et froncèrent ensemble les sourcils.

 - Justement ! On n’entend plus rien !! Combien de temps faut-il avant que la plupart des bâtiment entrent en résonance ?

 - Peu...

 - Bon, alors, tant pis, j’essaie !! s’écria Sakura.

Elle sortit la clef et tendit les mains en avant, paumes face à face, légèrement tournées vers le ciel.

 - Clef du sceau Terrestre ! Reprends ta forme originelle et accomplis ton devoir. Moi, Sakura, chasseuse de cartes, je te l’ordooone !!

Les trois disques apparurent sous ses pieds et le vent s’éleva autour d’elle. La clef brilla et s’allongea devant elle, en tournoyant vivement avant qu’elle y pose une main, puis l’autre. Brandissant le nouveau sceptre devant elle, elle le rabattit en arrière et le projeta en avant, l’arrêtant dans le vide :

 - Carte du Chant, quitte la forme qui est tienne !! Deviens Carte. Carte de l’éternel, cria-t-elle.

Mais il ne se passa rien.

Le sol se mit à vibrer.

 - Sakura, vite, essaie de capturer l’autre !

Brandissant le sceptre, elle le rabattit en arrière et le projeta en avant, l’arrêtant dans le vide :

 - Carte de la Voix, quitte la forme qui est tienne !! Deviens Carte. Carte de...

 - Aidez-moi, les interrompit-on.

C’était Alison. Elle se retint à un montant de la porte et se laissa glisser au sol. Tiffany la rejoignit et posa son caméscope, pour la relever. Kero dévisagea Sakura et elle ne put répondre à son regard. L’avait-elle vue ?

 - Elle s’est évanouie, les rassura Tiffany.

 - Alors, capture cette carte, Sakura ! lui cria Kero.

 - D’accord...

Elle rabattit son sceptre en arrière et le projeta en avant, l’arrêtant dans le vide :

 - Carte de la Voix, quitte la forme qui est tienne !! Deviens C...

 - Non, Sakura, attends... l’arrêta Tiffany.

Celle-ci avait posé un pied dans le couloir pour aider Alison et elle sentit les secousses sous ses semelles.

 - Quoi ?!

 - Le sol tremble dans le couloir mais pas dans la classe. Alison !! C’est Alison qui absorbe le bruit.

 - Que dis-tu ? se tourna Kero.

 - Je sais que c’est incroyable, mais c’est la seule solution !!

Sakura sourit :

 - J’ai compris... et ce qui absorbe le bruit, c’est... Carte du silence, cria-t-elle en se tournant vers Alison. Quitte la forme qui est tienne !! Deviens Carte. Carte de l’éternel.

Une enveloppe lumineuse quitta Alison et rejoignit le sceptre de Sakura où elle forma une carte. Sakura l’attrapa d’une main et la brandit en levant son sceptre :

 - Carte du Silence, fais taire cette voix infernale !!

La carte se mit à souffler dans la salle de classe et sortit en traversant les murs. Tout l’immeuble vibrait intensément et craquait ; de longues fissures lézardèrent les murs. Sakura appuya un peu plus son sceptre sur la carte du silence. Bientôt tout cessa. Sakura se retourna vers ses amis et se jeta dans le couloir en courant vers l’escalier qui menait au toit. Elle chercha du regard sur l’horizon. Une bulle noire approchait. Elle leva son sceptre et la sphère sombre vint se poser au sol. Puis la carte du silence explosa en rejoignant sa maîtresse. Un bruit terrible déchira les alentours et le bâtiment vibra plus fort encore.

Brandissant son sceptre devant elle. Elle le rabattit en arrière et le projeta en avant, l’arrêtant dans le vide :

 - Carte de la Voix, quitte la forme qui est tienne. Deviens Carte. Carte de l’éternel, cria-t-elle enfin.

Le nuage translucide se débattit et finit par céder, rejoignant le sceptre où il reconstitua une carte qui s’envola bientôt pour retomber entre les doigts de Sakura.

 - Et de trois !

Sakura rejoignit ses amis.

« Clap, clap, clap » applaudit quelqu’un qui se tenait dans un des renfoncements du toit. L’homme sourit et acquiesça. « De mieux en mieux. Elle est dotée d’une puissance phénoménale. Très intéressant. Continue comme ça, Sakura. »


La semaine suivante, Sakura et Tiffany discutaient en classe ; le lycée avait fermé quelques jours pour constater l’ampleur des dégâts. Alison entra dans la salle et rejoignit Yvan qui proposait encore une abracadabrante solution à ce mystère.

 - Elle parle un peu plus et elle s’est bien intégrée, souligna Tiffany.

 - Oui. C’est sûrement la carte qui la murait dans le silence. Je ne savais pas qu’une carte pouvait habiter un être humain. C’est très étrange.

 - Il reste cette sensation que nous n’avons pas élucidée, rappela Tiffany. Il y avait bien une carte, mais ce n’était pas ce que nous étions venues chercher. Reste à savoir ce qui te provoque cette réaction.

 - Oui. Attendons que ça se représente, sourit Sakura. Et merci pour ton aide, souffla-t-elle à son amie. Sans toi...

 - C’est toi qui les attrape !

La porte glissa sur le côté et Monsieur Davy entra.

 - Bonjour à tous.

On répondit ici et là et le cours commença. Mais Sakura était ailleurs. Vers cette sensation aussi douce qu’étrangère. Non pas celle que Kero avait sentie dans le bâtiment d’en face. Mais celle qui lui avait permis de créer sa nouvelle clef. Cette voix. Ces mains chaudes et réconfortantes... Qui l’avait aidée ? Oui, qui en avait le pouvoir ?

 - Tu es avec nous Sakura ?

Elle ne répondit pas.

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