Ange-Gardien
Dans un immeuble de grand standing tokyoïte, un homme de grande taille, brun, d’un charme certain, se tenait debout devant l’immense baie vitrée de son bureau. Ses yeux erraient sur les autres gratte-ciels. Son regard reflétait une certaine tristesse. Il se retourna, observant la pièce qui était aussi grande qu’une salle à manger.
Son bureau fait d’un bois massif, supportait un ordinateur ainsi qu’un cadre photo. Des dossiers bien rangés étaient posés sur le bord. A sa gauche une porte, de la couleur du mur, dissimulait des costumes de rechange car cela arrivait qu’il ne quitte pas la pièce lors de grands contrats. A l’opposé, une autre porte contenait une salle de bain afin d’être de nouveau présentable devant les clients après une nuit blanche. Près de l’autre baie vitrée, qui donnait une vue sur le couloir ainsi que l’immense bureau de sa secrétaire, un canapé ainsi que deux fauteuils entouraient une table basse. Les contrats se montaient ici, devant une tasse de thé ou de café.
L'homme tira le siège en cuir devant lui puis s’y assit lourdement. D’une main lasse, il se passa les mains sur le visage et elles râpèrent sur la barbe de quelques jours, des cernes entouraient ses yeux bruns. Les coudes posés sur le bureau, il renifla comme pour contenir ses larmes. Il se redressa au bout de quelques secondes, sa tête tourna légèrement et ses yeux captèrent la photo sur son bureau. Deux jeunes hommes ainsi qu’une jeune fille se tenaient debout avec un grand sourire sur le visage. Il s'enfonça dans son fauteuil, les souvenirs affluant dans sa mémoire et soupira à nouveau.
Il n’avait pas dormi depuis quelques jours. La cravate desserrée et la chemise froissée en étaient témoins.
Un coup fut frappé à la porte.
-Entrez! cria-t-il
La porte s’ouvrit sur une femme de petite taille, habillée d’un tailleur et tenant dans ses mains un plateau où il y avait une tasse de café fumante ainsi qu’une bonne part de gâteau. Elle déposa le tout sur la table basse. Faisant fi du soupir de son interlocuteur, la femme alla près du mur puis ouvrit une porte dérobée contenant plusieurs costumes ainsi que des cravates. Quand on est chef d’une grande entreprise, cela arrive fréquemment que le bureau devienne la deuxième maison.
Elle choisit l’ensemble avec soin puis le posa sur le canapé. La secrétaire ouvrit une autre porte qui laissait entrevoir la salle de bain.
-Monsieur Ishima, vous allez vous relever et vous changer ! Vous avez une mine à faire peur et je ne veux pas que la police ait une mauvaise image de l’entreprise que votre défunt père a bâti de ses mains! le gronda-t-elle.
-Madame Sasaki…commença-t-il mais un regard sévère de ce petit bout de femme le fit taire sur le champ.
Il soupira une nouvelle fois puis se leva, et alla se mettre dans le canapé. Il admit au fond qu’il avait faim en voyant le morceau de gâteau. Il le prit et il n'en fit qu’une bouchée. Il vit Madame Sasaki sourire avec dans le regard un fond de tristesse.
-La police va venir aujourd’hui? questionna-t-il.
-Oui, monsieur ! L’inspectrice Nogami a pris rendez-vous pour cet après-midi. Cela vous laisse le temps de vous rafraîchir et d’être présentable, lui dit-elle d’une voix douce.
Monsieur Ishima leva son regard vers cette femme qu’il connaissait depuis enfant et qui était sa secrétaire. Des cheveux argentés envahissaient sa chevelure brune, donnant une indication sur son âge. Madame Sasaki n’était peut-être pas très grande mais elle avait un fort tempérament. Elle était très respectée. Elle avait été la secrétaire du père de monsieur Ishima qui disait souvent que c’était en partie grâce à elle que l’entreprise avait prospéré.
Ishima prit sa tasse de café, le regard de nouveau dans le vague.
-Vous vous habituerez à la douleur, murmura la secrétaire. Vous vivrez avec.
-Vous croyez ? questionna-t-il, limite cynique.
-Je ne sais que trop ce que vous ressentez, insista-t-elle.
Madame Sasaki Hana voulait que cet homme reprenne sa vie en main. Le choc, puis le chagrin de la mort de son frère l’avait fait sombrer dans une dépression et elle avait eu peur que cela n’aille plus loin. Il avait perdu sa soeur puis sa mère quelques années auparavant. Son frère était la seule famille qui lui restait au Japon. Leur père était en France depuis de nombreuses années maintenant.
Monsieur Ishima était un bel homme qui méritait d’être heureux.
Elle vit à son regard qu’il regrettait ses paroles.
-Je vous demande pardon Hana ! J’ai dit cela trop vite et j’ai tendance à oublier à quel point vous avez souffert, dit-il d’une voix pleine de regrets.
Madame Sasaki sourit, le cœur rassuré. Elle ne lui en voulait pas. On dit souvent des choses que l’on ne pense pas lorsque notre esprit est préoccupé. Hana s’avança devant la baie vitrée. Elle entendit Hito Ishima la rejoindre. L’un à côté de l’autre, ils fixèrent la vue sur les hauteurs de Tokyo, leurs regards plongés dans les souvenirs.
-Votre père m’a été d’une grande aide quand j’ai perdu mon mari. J’étais tellement en colère contre ce conducteur… dit-elle d’une voix où les sentiments de cette épreuve refaisaient surface. Cela peut bien faire plus de vingt ans que mon mari est décédé mais j’ai toujours cette douleur car il est mort dans d’horribles souffrances. Il y a des moments où je l’imagine en train d’hurler pendant que les flammes envahissent l’habitacle du véhicule. Celui qui a causé l’accident n'avait même pas tenté de l’aider, alors que s’il avait réussi à ouvrir la portière pour sortir mon mari de là, Akira serait encore en vie.
La secrétaire se retourna puis alla vers le bureau, fixant la photo qu’Hito avait prise précédemment.
-Puis je me dis que rien ne sert à rien de me torturer, cela ne me le ramènera pas. Je vis avec ce chagrin mais je me rappelle des bons souvenirs avec mon mari. Nos éclats de rire, nos chamailleries deviennent plus importants que les instants douloureux. Le chemin va être long et parsemé d'embûches mais vous allez y arriver. Cela va prendre du temps.
Hito répondit au sourire de sa secrétaire. Elle était comme une seconde mère pour lui. Elle alla vers la porte puis se retourna:
-L'inspectrice Nogami sera là à quatorze heures.
-Merci madame Sasaki, lui dit-il d’une voix légèrement enrouée par l’émotion qu’il avait contenue en écoutant la secrétaire.
La porte fut refermée et, gommant d'un geste la naissance de ses larmes, il inspira et expira doucement afin de reprendre son calme. Il se frotta le visage contre ses mains puis prenant la housse contenant son costume ainsi que la trousse de toilette, il alla vers la salle de bain attenante.
En ressortant, il se sentait mieux. Regardant l’heure, il décida d’aller déjeuner à la cantine de l’entreprise. Il avait besoin de quitter cet endroit pour pouvoir s’aérer l’esprit. Lavé et rasé de près, Hito marcha dans le couloir, croisant différents employés qui étaient ravis de le revoir. Il répondit à leur salut en faisant de même. Monsieur Ishima respectait ses employés car son père faisait de même et cela rendait le travail plus agréable. De temps en temps, il se joignait à eux pour sortir boire un verre ou manger dans un restaurant. Cela lui faisait du bien de quitter sa coquille de patron pour plusieurs heures.
Arrivé devant le réfectoire, les employés le regardèrent, surpris, puis un sourire vint éclairer leur visage avant de s’incliner, lui souhaitant un bon retour.
Il s’avança parmi eux, cela lui réchauffa le cœur et le motiva pour attaquer la journée. Il s’installa à une table avec son plateau et observa autour de lui. Hito lui semblait que cela faisait une éternité qu’il n’était pas venu ici, alors que ça ne faisait que… quelques jours. Les employés étaient détendus et riaient à table. Le regard d’Hito s’accrocha à un physique qu’il connaissait: Mademoiselle Natsuki Ayamé. La jeune femme qui allait prendre la relève de madame Sasaki. Natsuki était une jeune femme agréable qui cachait la beauté de son visage derrière de grandes lunettes à monture plastique noir. Elle avait de beaux yeux bleus hypnotisants. Il vit un jeune homme lui toucher le bras pour attirer son attention. Ayamé lui sourit puis rit avec lui et il envia cette joie de vivre qu'il avait l’impression d’avoir perdu avec les années.
On lui avait donné très jeune les rênes de l’entreprise familiale, son père n'ayant plus l’envie de continuer à gérer cette société. Ce dernier avait pris le temps de former correctement son fils qui était fraîchement diplômé avant de quitter le Japon pour aller voyager à travers le monde. Hito n'avait plus pris le temps de se détendre et de prendre un verre avec les amis.
Un des employés assis à la même table que lui le sortit de ses pensées en lui demandant son avis sur l’arrivée tardive des beaux jours. Hito y participa en discutant de la pluie et du beau temps, tout simplement.
La vie reprit son cours, une fois le déjeuner terminé. Les employés reprenaient place à leur bureau. Dans un long couloir assez large, on voyait les bureaux de l’entreprise à travers les vitres. On avait l’impression d’être dans une fourmilière. Des gens entraient et sortaient, s'interpelaient dans une atmosphère qui semblait agréable. Madame Sasaki avait son bureau en demi-cercle afin d’avoir une vue imprenable sur les personnes qui allaient et venaient, permettant ainsi d’arrêter les indésirables ou d’avertir son patron de la visite d’une personne. La secrétaire jeta un coup d'œil à l’inspectrice Nogami qui attendait dans un fauteuil confortable. Elle vit la jeune femme tirer sur sa jupe grise et se mettre les cheveux derrière l’oreille.
Elle sourit à son comportement. Il est vrai que le patron était séduisant et elle n’en était pas peu fière, même si elle n’était pas sa mère. Hana l’avait vu grandir pour devenir l’homme qu’il était aujourd’hui et du haut de ses vingt-huit ans à peine, il avait été élu “le patron le plus séduisant du pays” par le magazine “The business boss”, qui récompensait les chefs d’entreprise de leur travail. Bien sûr, un petit paragraphe sur leur vie amoureuse ajoutait du piment et augmentait la vente.
Un bruit de pas fit tourner la tête à la secrétaire. Monsieur Ishima, une main dans la poche de son pantalon, regardait droit devant lui et se dirigea vers elles. Madame Sasaki vit à sa posture qu'il était légèrement tendu. Il se plaça devant l’inspectrice puis s’inclina légèrement. Saeko Nogami qui s’était levée à son approche, fit de même.
-Inspectrice Nogami ! Je suis Hito Ishima, nous avons rendez-vous.
Saeko fit un léger sourire. Ses collègues féminines l’avaient avertie que c’était un bel homme avec beaucoup de charme. Elles ne s’étaient pas trompées.
-Heureuse de vous connaître, monsieur, répondit-elle.
Il l’invita d’un geste de la main à la suivre dans son bureau. Il ouvrit la porte et s’effaça afin de faire rentrer la jeune femme. Tout à coup, des pas précipités le poussa à regarder derrière lui et bien lui en prit.
Natsuki Ayamé, courant avec une housse à vêtements dans les bras, se tordit soudainement la cheville, perdit l’équilibre et Monsieur Ishima la rattrapa de justesse. La jeune femme atterit dans ses bras directement, sa tête contre son torse.
-Je vous ai déjà expliqué qu’il ne fallait pas courir, surtout avec quelque chose dans les bras, la sermonna-t-il gentiment, se retenant de rire devant les joues rouges de gêne et les lunettes complètement de travers. Vous allez bien ?
-Oui ça va merci. Je vous prie de m’excuser, monsieur, dit-elle en se dégageant et gardant les yeux baissés. Ça ne se reproduira pas.
La jeune femme s’inclina, se sentant honteuse. Elle rejoignit son bureau sous l'œil désapprobateur de Madame Sasaki. Ayamé déposa doucement son colis sur le dossier du fauteuil de la secrétaire et rentra la tête dans les épaules, sachant pertinemment qu’elle allait se faire réprimander sévèrement.
Monsieur Ishima referma la porte de son bureau derrière eux et indiqua le fauteuil à l’inspectrice près de la table basse. Celle-ci s’assit et croisa les jambes, attendant les questions de son interlocuteur.
-J’ai eu affaire à vos collègues jusqu’à maintenant mais c’est vous qui dirigez l’enquête, n’est-ce-pas ?
-En effet, monsieur. Malheureusement d’autres affaires m’ont amenée sur le terrain et je n’ai pas pu vous voir avant.
Tout à coup, on frappa à la porte.
-Entrez ! dit Hito. On nous apporte le café.
La jeune femme que monsieur Ishima a receptionné dans ses bras, arriva un plateau avec deux tasses dans les mains. Les cheveux attachés en chignon, un ensemble pantalon veste de couleur prune, un chemisier blanc, Mademoiselle Natsuki était plantureuse. Des formes généreuses bien réparties. Elle posa délicatement le tout sur la table basse puis disposa les cafés et le sucre entre les deux personnes. La jeune femme sourit timidement à l’inspectrice qui vit deux beaux yeux bleus très expressifs la regarder, puis s’inclina avant de sortir.
-Monsieur Ishima, je tiens avant tout à vous présenter mes condoléances, commença Saeko.
Monsieur Ishima, servit le café en gardant le silence. Il tendit une tasse à Saeko puis prit la sienne et s’installa plus profondément dans le canapé.
-Merci, mademoiselle Nogami.
Il la fixa, attendant qu’elle poursuive.
-Je suis venue pour vous annoncer que vous pouvez commencer les démarches pour les obsèques. Nous allons vous rendre le corps de votre frère d’ici quelques jours.
Hito soupira mais gardait les dents serrées.
-L’enquête est terminée, ajouta-t-elle.
Saeko porta la tasse à ses lèvres et observa le bel homme devant elle. Les cheveux noirs courts, des yeux marrons foncés, un visage agréable. Elle s’était renseigné et avait été surprise de savoir que cet homme était encore célibataire. Il est vrai qu’il avait géré l’entreprise très jeune et à peine sorti de l’université. Son père l’avait formé pour ensuite lui laisser les rênes et quitter le pays. Le deuil avait brisé cet homme.
-Quelles en sont les conclusions ? demanda monsieur Ishima.
-Pardon?
Cette question fit sortir Saeko de ses songes.
-Votre frère a mis fin à ses jours après avoir tué celui qu’il estimait responsable de la mort de votre sœur.
-Il ETAIT responsable de la mort d’Hina !! tonna Hito d’une voix furieuse.
Il se leva d’un bond puis se posta devant la fenêtre les mains derrière le dos, tentant de reprendre son calme. Il tremblait de colère. Il se tourna et posa ses mains sur le bureau. Regardant Saeko avec des yeux pleins de rancoeur.
-Ce Junichi s'est approché d’Hina afin de pouvoir la manipuler. Elle est tombée amoureuse de lui et cela a été encore pire. Une fois qu’il a obtenu ce qu'il voulait, il l’a jetée comme une vieille chaussette. Lorsque ma soeur a compris qu’il s’était joué d’elle, elle ne s’en est jamais remise. Ma mère l’a retrouvée sans vie dans son lit, une lettre sur la table de chevet.
Saeko le vit se pincer les lèvres,comme s’il se retenait de pleurer. C’était un coup dur pour cet homme. Il se dirigea vers le bureau puis ouvrit un tiroir. Hito en sortit deux verres et une bouteille dans laquelle un liquide ambré reposait. Il s’en servit un puis la regarda.
-Vous en voulez ?
Même si la tentation était grande, elle refusa d’un signe de tête. Il avala le contenu d’un trait, le regard plein de colère. Il observa la bouteille puis revint s’installer devant la baie vitrée où Saeko le rejoignit. Elle sentit qu’il avait le cœur en peine et elle était dans le même état.
Il passa ses mains tremblantes dans les cheveux, ressassant cette période dans sa tête.
-Ma mère a suivi ma soeur dans la tombe, trois mois après. Elle avait trop de chagrin, son coeur s’est brisé et n'y a pas survécu.
Saeko le vit serrer le poing.
-Mon père était anéanti…il culpabilisait. Il aimait ma mère et notre soeur, l’entreprise qu’il avait fondée marchait du tonnerre. Il pensait que c’était sa faute, qu’il aurait dû remarquer que quelque chose n’allait pas. Nous avons cru perdre notre père aussi mais sachant que ses deux enfants restants avaient besoin de lui, il a tenu le coup mais ce n’était plus le même après cela. Mon frère, âgé de quinze ans, à découvert notre mère sans vie. Elle s'est endormie pour ne jamais se réveiller. Il l’adorait mais perdre deux membres de sa famille en peu de temps, ça l’a brisé. Je me suis retrouvé à cacher mon chagrin et à soutenir mes proches dans le leur. J'ai dû grandir très vite. Obligé à gérer des affaires alors que je n’en avais pas l’âge.
Hito fixa de nouveau son regard sur la baie vitrée.
-J’aimais mon frère. Il est devenu solitaire à l’école. Lorsqu’il a décidé d’entrer dans la police, mon père semblait à la fois déçu et soulagé. Il lui a laissé faire son choix car il sentait sa colère et qu’il fallait qu’il trouve un métier qui l'occupe.
-Votre frère était un bon flic, dit Saeko. On dit que la vengeance est un plat qui se mange froid et votre frère a appliqué ce précepte. Il a pisté avec patience sa victime avant d’agir. Il a démissionné de la police pour s’approcher de celui qui avait brisé votre famille. Il est devenu son comptable. Votre frère était très doué avec les chiffres.
Hito sourit.
-Il tenait de notre mère.
L’inspectrice le regarda, l’interrogeant du regard.
-Quand l’entreprise de mon père a débuté, c’est notre mère qui a tenu les comptes. Ils formaient un couple complémentaire. Lorsque les affaires ont prospéré, c’est un comptable qui a pris le relais et il a été surpris de la tenue impeccable des carnets.
Le silence se fit entre eux.
-Cet homme, ce Junichi avait-il une famille ? demanda soudainement Hito.
Saeko hésita. Normalement, rien ne l’obligeait à en dire plus mais elle sentit qu’il avait besoin de le savoir.
-Une famille ? Je pense qu’il ne savait pas ce que c’était. Il a abandonné femme et enfants après avoir joué son salaire aux jeux puis volé les économies de son épouse. Il les a laissés dans la misère sans avoir manqué de tuer sa fille âgée d'à peine quatre mois.
Hito surpris, fixa l’inspectrice qui laissa son regard errer à travers la baie vitrée.
Saeko soupira.
-Lorsqu’il a abandonné sa femme, il a laissée derrière lui sa fille aînée et kidnappé la deuxième, un bébé. Junichi a volé une voiture, pris la fuite mais a provoqué un grave accident sur son échappée. Il est sorti du véhicule en feu alors que sa fille était à l'intérieur et les flammes ont atteint l’autre véhicule impliqué.
-Mon dieu, souffla Hito choqué.
-Le bébé à été sauvé à temps par un policier qui était en service. Malheureusement, pour l’autre conducteur, il n’y avait plus rien à faire.
Il n’en revenait pas du manque d’humanité de cet homme.
-Qu’est devenu l’enfant? s’inquiéta-t-il.
L’inspectrice sourit.
-Cette enfant a retrouvé sa famille. Les deux enfants sont devenues des jeunes femmes responsables et généreuses.
Saeko se rappela qu’elle avait omis ce détail dans le dossier que Ryo lui avait demandé sur Kaori Tachiki née Hisaishi. De toute manière, il était pressé alors tant pis, elle lui expliquera plus tard.
Hito sourit, les enfants totalement opposés au père. Une vengeance autre. Cela lui réchauffa le cœur, curieusement. Ils restèrent quelques minutes dans un profond silence.
Sachant qu’elle n’avait plus rien à lui annoncer, Saeko décida de prendre congé.
-Si vous n’avez plus d’autres questions, monsieur, je vais me retirer, dit-elle.
Il approuva de la tête et se dirigèrent vers la porte qu’il ouvrit. Saeko marqua un arrêt et le regarda.
-Nous avons plus besoin de gens bien, monsieur Ishima. Si je puis me permettre, je pense que votre mère serait fière de vous.
Hito fut surpris de la réplique de l’inspectrice. Alors qu’elle s’apprêtait à quitter la pièce, le jeune homme sur les talons, Saeko se tourna à demi.
-Malgré les malheurs que vous avez vécus, vous vous en sortez bien, continua-t-elle.
-Je suis bien entouré, affirma Monsieur Ishima, mais j’avoue que de perdre mon frère… après ma soeur et ma mère , j’ignore si j’arriverais à surmonter ça. Nous avons nos limites en tant qu’être humain.
Il se turent tous les deux et Saeko commença à ouvrir la porte mais la voix de son interlocuteur l’arrêta.
-J’ai moi aussi des condoléances, bien que tardives, à vous présenter mademoiselle Nogami, dit Hito d’une voix tellement basse que Saeko dû tendre l’oreille pour l’entendre. Mes condoléances pour votre ancien partenaire, Hideyuki Makimura.
Il vit l’inspectrice blêmir.
-Je ne voulais pas vous choquer, excusez-moi, reprit-il gêné. Monsieur Makimura a formé mon frère. Yukio le tenait en haute estime. Hideyuki et moi avions sympathisé.
La main sur la poignée de porte tremblait. Saeko fit un effort considérable pour ne pas s’effondrer.
-Le monde est petit, lui répondit-elle d’une voix chevrotante.
-Oui, c’est vrai, fit Hito. Je vais faire le deuil de mon frère difficilement, je l’avoue mais j’y arriverai. Vous feriez mieux aussi de faire comme moi, mademoiselle Nogami. Vous avez le droit de vivre et d’être heureuse. Je suis sûr que Makimura serait d’accord avec moi.
-Je sais mais cela paraît insurmontable, murmura-t-elle.
Saeko ouvrit la porte.
-On a peur peut-être de les oublier au fur et à mesure que l’on avance mais c’est faux, expliqua Hito. Il y a quelqu’un qui m’a dit qu’il faut chérir les souvenirs qu’ils nous ont laissés et se les rappeler. On doit vivre afin de respecter leur mémoire. A la Nouvelle-Orléans, on fête la vie lors des enterrements. Je crois qu’il faut que nous fassions pareil, n’est-ce-pas?
L’inspectrice le regarda et sourit. Elle franchit la porte puis regarda la jeune secrétaire qui semblait absorbée par sa tâche derrière son bureau et porta son regard au jeune homme.
-Profitez de la vie et aimez un nouveau… pourquoi pas ? fit Saeko.
Elle s’inclina en lui souhaitant une bonne journée.
Hito regarda vers mademoiselle Natsuki qui, sentant un regard sur elle, leva les yeux. Se sentant gênée, elle rougit. Il fit quelques pas vers le bureau de la secrétaire, puis appela la jeune stagiaire:
-Mademoiselle Natsuki !! Ça vous tente un café ?
La jeune femme le regarda, surprise, croyant avoir mal entendu.
-Euh.. je ne sais pas, madame Sasaki a peut-être besoin de moi.
-Vous avez mon autorisation pour prendre un café, mademoiselle, dit sa supérieure.
Hito s’amusa de la réaction de la secrétaire. Il avait été sceptique lorsque Hana lui avait présenté la nouvelle. Elle avait semblé perdue. Orpheline très jeune, sa mère était une belle européenne aux yeux bleus et son père japonais. Cela avait donné un ravissant mélange qu’il avait devant les yeux. La jeune femme avait souffert et s’était retrouvée jeune dans le monde des adultes mais elle gardait le sourire et avait une aura calme et douce. Il appréciait sa compagnie.
-Je vous offre un café et vous allez me raconter ce qu’il vous est arrivé ce matin.
Il prit la veste de la jeune femme, adossée à la chaise puis lui tendit.
-Monsieur, il n’a rien d’intéressant à raconter, je vous assure !! affirma la jeune demoiselle extrêmement surprise.
-De toute façon, cela me fait une excuse pour vous inviter et faire plus ample connaissance. Après tout, vous allez prendre le relais d’Hana bientôt, non ?
La jeune femme retint son souffle. Elle vit le sourire de madame Sasaki qui approuva de la tête.
-Vous me ramenez mademoiselle pour seize heures, monsieur, nous devons finir l’emploi du temps de cette semaine, gronda légèrement Hana.
Il fit comme s’il ne l’avait pas entendue.
-Allez venez, mademoiselle, nos cafés nous attendent !! fit Hito
La jeune femme accéléra le pas mais ne remarqua pas le léger sourire de madame Sassaki.