Vacances en mission
Chapitre 2 : Que le spectacle commence !
5548 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 16/08/2025 13:18
Le lendemain matin, aux États-Unis.
Les trois demi-dieux embarquèrent dans l’avion, un hybride de montgolfière et hélicoptère, vert olive avec, pour unique insigne, une foudre dorée et la lettre grecque Oméga. Le petit groupe arriva neuf heures plus tard à destination, sans aucune turbulence ou attaque de monstres. Ce qui étonna le trio, la vie d’un demi-dieu n’était jamais tranquille pourtant.
Place Rouge, Moscou, Russie, un peu plus tard.
Percy, suivi d’Annabeth et de Lou Ellen, déambulait dans les rues qui ressemblaient à une fourmilière. À l’intersection d’une rue, une vieille femme courbée par l’âge aux yeux marron et aux cheveux argentés, les interpella en russe, puis en anglais avec un fort accent germanique :
— Jeunes gens, je peux vous offrir un logis à bas prix et un repas en plein air ! Mes petits-enfants ont annulé en dernière minute leur visite, je ne voudrais pas jeter les délicieux plats préparés avec tant d’amour.
— Tu es sûr que c’est pas un dragon, un manticore ou le Minotaure, chuchota Percy à Lou Ellen. Elle ne m'inspire pas confiance. Des monstres camouflés, ce n’est pas la première fois qu’on en rencontre !
La fille de Hécate leva les mains dans les airs, manipulant la Brume(6). Ce geste électrifia l’ambiance. Les traits de la vieille femme se tordirent pour devenir un horrible rictus. Elle répliqua en entonnant un chant en latin et en haut-allemand, criblant l’atmosphère de particules sombres. Le regard d’Annabeth scintilla. Cheveux blonds crépitant de l’électricité statique, la fille d’Athéna murmura à ses compagnons de quête :
— C’est une vieille sorcière, on ne peut pas lui faire confiance. On continue à chercher. Vite !
— Madame, répondit courtoisement Percy. Nous déclinons votre offre ! Bon appétit !
Et le trio prit une rue adjacente, rapidement suivi par la Sorcière et un serpent géant. Percy transperça d’un coup de son épée dans le cœur les deux monstres. Immédiatement, ils tombèrent en un amas de poussière dorée.
— Je préfère les pâtés de sable plutôt que ces montagnes de restes de monstres ! commenta-t-il.
Annabeth secoua la tête d’un geste désapprobateur et tourna son regard calculateur pour analyser son environnement, avant de demander posément :
— On est dans la contrée soviétique de la Prophétie, mais que veut dire le féérique ? Moscou ne serait alors qu’une étape ? …
— Que cherchez-vous jeunes gens ? les interrompit une douce voix près d’eux. C’était le Petit Chaperon Rouge.
Percy observa avec une certaine méfiance la nouvelle venue.
— Je viens avec les meilleures intentions du monde. Je suis Svetlana, nommée en France et en Allemagne Estelle, Olegovna von Raison, plus communément connue sous le surnom du Petit Chaperon Rouge.
Les trois demi-dieux la contemplèrent avec étonnement.
— Et on est censé vous croire ? pouffa de rire Percy.
— Oui ! s’offusqua-t-elle. Voulez-vous savoir comment se rendre au Tridevyatoe Tzastvo des contes russes ou pas ? Je sais comment vous pouvez vaincre le terrible tsar-sorcier !
— On la croit ou pas, chuchota Percy à Annabeth. Lou, tu en penses quoi ?
— Je suis indécise, commenta la fille aux cheveux noirs.
— Peut-être bien que oui, peut-être bien que non ? Elle me semble honnête, ajouta Annabeth.
— On ferait mieux de rester sur nos gardes ! commenta Percy.
— Dépêchez-vous ! leur ordonna sévèrement le Petit Chaperon Rouge en anglais avec un accent français prononcé. Si vous ne voulez pas que votre ennemi vous repère.
Annabeth se retourna et discerna au loin, une femme dans la quarantaine aux airs angéliques, aux traits délicats, aux cheveux blonds bouclés et aux yeux bleu ciel. Elle était vêtue d’une fine robe aux motifs ophidiens.
— Je vais appeler mère-grand pour que nous partions maintenant ! clama Estelle. La zone est trop dangereuse ! Mais je vais vous donner l’indice, le Vingt-Septième Royaume est accessible à partir d’un livre que j’ai dans ma collection personnelle ! Et le tsar du Vingt-Septième Royaume est Kochtcheï l’Immortel. Il est invincible, le seul moyen de le tuer c’est de trouver sa mort qu’il cache dans la pointe d’une aiguille qui est dans un œuf qui est dans de nombreux autres éléments qui est dans un coffre au milieu de l’Île Bouïane.
Elle se rendit au téléphone public le plus proche et appela Baba Yaga. La sorcière folklorique arriva avant même que sa petite-fille ne composa le numéro. Flottant dans les airs, vêtue de son uniforme d’aviateur des années 1930, elle hurla :
— Venez à bord, les jeunes ! Pas le temps aux vaines palabres si vous ne voulez pas terminer dans mon assiette aux côtés des coquillettes !
— Babouschka, tu fais peur à ceux que nous devons aider !
Se tournant vers les demi-dieux, elle les rassura :
— Ma grand-mère maternelle à un sens de l’humour particulier. N'y prêtez pas attention. Elle n’est nullement cannibale ! Au contraire, elle est sympathique lorsqu’on la connaît mieux !
Les trois Américains s’entre observèrent, incrédules.
— Je pense qu’on va les laisser avec leur histoire de fous, commenta Lou Ellen. Ça dépasse tout ce que je connais ! Même mes livres de magie ne peuvent empêcher un homme d’être mortel… Et encore moins d’enfermer sa mort de cette manière ! C’est une folie !
L’air devient glacial à ce commentaire. La sorcière slave darda son regard délavé sur l’interlocutrice audacieuse avant de s’exclamer :
— Très bien fille arrogante de Hécate ! Débrouillez-vous sans mon aide ! Et sachez que vos tours de magie à la Circé sont sans effet dans mon pays. Nous ne sommes pas sous la juridiction des dieux barbares, mais bien de nos dieux, les dieux slaves, puissants et fiers qui savent mieux faire que de transformer les hommes en cochons !
Et les deux personnages des contes montèrent jusqu’aux cieux.
— Attends, comment elle sait que je suis fille de Hécate et que je voulais tester l’un des tours de magie que j’aime bien ? s’étonna Lou Ellen.
Annabeth maugréa :
— Bravo, Lou ! On est privé d’un allié qui nous aurait aidé !
— Je dois te dire que je ne comprends pas comment le Petit Chaperon Rouge, alias Estelle ou peu importe son nom, puisse avoir pour grand-mère une sorcière ? s’étonna Percy.
— L’heure n’est pas à la réflexion inutile, s’énerva la fille d’Athéna, mais à la planification stratégique !
Le trio reprit sa marche en silence.
La Fée Carabosse, celle qui les avait repéré de loin, se matérialisa devant Lou Ellen, déploya ses ailes argentées et les demanda gentillement :
— Mes enfants, je suis une fée-marraine, mentit-elle. Je peux vous aider, valeureux demi-dieux !
Elle leur donna des pâtes sablées aux fraises ensorcelées indétectables même pour la fille de la déesse de la Magie.
Dès que Annabeth et Percy en mangèrent, ils tombèrent endormis d’un sommeil profond. Lou Ellen cracha son morceau et, doigt pointé vers ses compagnons, entama une formule en ancien grec pour les sortir de leur torpeur.
Elle n’eut le temps que de prononcer le premier mot avant que la fée ne lui lança dans les cheveux un peigne enchanté, cadeau de son ami le tsar. Ce contact l’endormit instantanément.
Carabosse, ravie, leva une barrière magique autour des trois demi-dieux. Kochtcheï arriva immédiatement, puisqu’il suivait toutes les aventures de ses alliées et adversaires depuis son assiette de voyance.
Toujours aussi royal, le tsar se matérialisa près de l’entité des contes. Il amena en un claquement des doigts les trois demi-dieux dans une salle de son château, avant de regagner lui-même sa demeure. Personne ne remarquât le Chat botté non loin d’eux. Il était vêtu d’un manteau d'invisibilité reçu en cadeau lors de son voyage à la cour du mari de Cendrillon. Il demeura prostré et tremblant en apercevant le terrible sorcier aux yeux sombres. Le quadrupède à rayures claires arriva en deux enjambées chez son cousin, le Chat Savant, qui dormait au pied d’un immense chêne(7).
— Cousin, lève-toi !
— Pourquoi me tires-tu de mon sommeil, le troubadour ?
— Trois étrangers que le Petit Chaperon Rouge et Baba Yaga voulaient convaincre de venir avec elles sont maintenant prisonniers chez Kochtcheï !
— Et quoi alors ?
— Tu as entendu, Baba Yaga !
Le félin russe s’étira, yeux écarquillés de frayeur. Il n’avait pas oublié la dernière fois qu'il avait tâté la colère de la terrible sorcière au tempérament volcanique ! Cela lui coûta un mois chez le vétérinaire !
— Alors on court avertir sa petite-fille ?
— Ouais, vas-y mon cousin, parce que je ne veux pas qu’avec mon accent allemand elle me prenne en grippe.
— J’accourre ou plutôt je vole ! Donne moi le tapis magique d'Aladdin qui est suspendu à ce clou d’or dans mon armoire !
Aussitôt dit, aussitôt fait, les deux cousins se firent les adieux.
— Viel Glück! Bonne chance, le ménestrel !
Et Chat Savant arriva en un clin d’œil chez le Petit Chaperon Rouge. Cette dernière blêmit en entendant la nouvelle et réfléchit au meilleur moyen de délivrer les trois américano-grecs des griffes de l’horrible tsar.
Le Chat Savant s’exclama :
— Svetlana, j’ai une idée !
— Vas-y l'aède qui finit ses jours par chanter des comptines pour enfants, je t’écoute !
— Je suis un gouslar pas un aède, s’offusqua-t-il. Mais bon !
La jeune femme soupira et commenta :
— C'est le même métier !
Le Chat l’ignora, avant de miauler :
— Je peux toujours essayer d’endormir Kochtcheï ?
— Pour l’endormir, beaucoup d’alcool marcherait bien mieux, ironisa la jeune femme.
Le Chat ne prêta pas attention à la dernière remarque et quitta son illustre interlocutrice pour arriver au Vingt-Septième Royaume.
***
Deux jours plus tard, au légendaire Royaume, dans palais de Kochtcheï.
Le sorcier était assis sur son imposant trône en or massif orné d’arabesques complexes et d’un ours couronné sur le dossier, impatient de se distraire un peu au dépens de ses nouveaux invités, tout particulièrement pour tester leur puissance et capacité. Il devait bien passer le temps. Il promena son regard amusé dans la salle vide de tous courtisans. Pour l’instant, il surveillait attentivement grâce à son assiette les moindre gestes de ses hôtes qui dormaient depuis leur arrivée dans une chambre de son château.
Une idée germa en son esprit, un large sourire apparut sur son visage, lui donnant l’apparence d’un génie fou. Il lissa soigneusement ses cheveux noir corbeau puis ajusta sa couronne.
***
Quelques heures plus tard.
Percy ouvrit les yeux et se leva, les sens aux aguets. Il secoua les deux demi-déesses à ses côtés pour les réveiller et observa minutieusement son environnement : une immense salle au mur doré sertis de rubis et d’opales qui formèrent une mosaïque époustouflante avec une immense fenêtre à grillage. Le seul meuble qui trônait au centre était une table gigantesque en or sertis de diamants et entourée de trois chaises qui ressemblaient à des petits trônes avec des motifs orientaux et des décorations rococos en or et en émeraudes. Les coussins des sièges étaient tissés au fil d’argent. En face de la fenêtre, se trouvait une immense porte de fer dorée avec un ours couronné gravé en son centre.
Le demi-dieu s’assit sur l’un des sièges et demanda à Lou Ellen :
— Lou, veux-tu nous dire s’il y a une forme de magie dans cet endroit ? Parce que c’est du luxe quasiment magique, ce que je remarque !
L’interpellée s’étira et se concentra, levant les mains au plafond, immobile. Après plusieurs minutes, elle ouvrit ses yeux verts brillants d’étonnement, puis répondit, ramenant ses bras près de son corps :
— Ce lieu est étrange ! Il est impossible de détecter une présence ou une absence de magie ! Je suggère que nous sortions de la salle, parce que j’ignore absolument chez quel riche personnage nous sommes arrivés ! Et j’ignore absolument ses intentions, mais je crains qu’elles ne soient malveillantes ! Un sbire de Cronos ?
À l’instant où le trio se dirigea vers la porte, celle-ci s’ouvrit toute grande pour laisser apparaître Kochtcheï vêtu en robe d’apparat. Il leur adressa son sourire le plus affable et leur dit d’un ton chaleureux :
— Jeunes gens, venez à ma table, manger et boire jusqu’à satiété !
Il les invita d’un geste de la main à le suivre, puis porta sa main droite vers son cœur.
— Je suis Vladimir Vélèsovitch Kotchoubeï, le tsar de ce royaume, les fit-il accroire, enchanté ! Veuillez décliner vos noms, grades et titres, comme il sied selon nos us et coutumes, avant que je vous donne à goûter mon pain et mon sel, en plus de mets exquis et divins.
— Je suis, commença Percy, incertain, Persée Jackson, fils de Poséidon et de Sally Jackson.
— Donc, soupira le sorcier, vous êtes Persée Poséidonovitch Jacksonov. Enchanté, jeune homme !
— Et vous, mesdemoiselles ?
— Annabeth Chase, répondit brièvement la fille aux cheveux blonds.
— Votre patronyme ?
— Mon père, Frédérick Chase, répondit-elle à contrecœur comme si elle était dans une audition.
— Donc vous êtes Annabeth Frédérikovna Chase, fille d’Athéna, n’est-ce pas ?
Les yeux gris de l’interpellée s’agrandirent. Elle murmura méfiante :
— Comment le savez-vous ?
— Vos yeux, répliqua énigmatiquement le tsar. Ils vous trahissent.
Se tournant vers la dernière, il lui adressa son plus beau sourire :
— Et vous, gente dame ?
— Je suis Lou Ellen Blackstone, fille d’Alexandre Blackstone(8) et de Hécate.
— Vous êtes Lou Ielena Aleksandrovna Blackstone, enchantée !
— Venez, gentes dames et noble seigneur, fils de Poséidon, fille d’Athéna et fille de Hécate. Je suis moi-même un demi-dieu, fils de Vélès, un dieu slave puissant(9) !
Les trois demi-dieux grecs levèrent leurs sourcils, perplexes.
Le sorcier slave s'empressa de préciser :
— Vélès est le dieu du bétail et de la richesse, dieu protecteur de la terre.
Ses interlocuteurs, toujours silencieux, ne firent qu’échanger un regard entendu. Le personnage folklorique marcha jusqu’à la salle du trône, pièce adjacente à celle où ils étaient. Chacun s’assit et mangea et but jusqu’à satiété. Kochtcheï les incita même à boire non seulement du thé ou du jus, mais aussi de l'alcool, hydromel et vin. Les deux femmes refusèrent l'alcool, mais le jeune homme se laissa tenter. Le sorcier slave l’amena à prendre quelques verres supplémentaires, le laissant dans un état guère glorieux pour un héros qui avait sauvé l’Olympe, alors que Kochtcheï, plus endurant, n’était même pas éméché.
Puis l’amphytrion affirma d’un ton solennel :
— Alors braves enfants des dieux, je vous propose mon aide dans votre quête, mais avant, divertissons-nous amicalement ! Allez, fils du puissant Poséidon ! Venez m’affronter dans un entraînement !
Percy avança d’un pas chancelant vers le sorcier. Ce dernier dégagea la salle du trône de la table en un geste de la main, fascinant par ce fait Lou Ellen. Percy dégaina son arme, dissimulée sous l’apparence d’un simple stylo bleu, qui se transforma en une épée dès qu’il en retira le capuchon(10). Face à cette métamorphose, le tsar éclata d’un rire tonitruant qui glaça le sang dans les veines de tous les invités et ébranla toute assurance au demi-dieu.
— Quelle honte pour un fils de dieu grec, fils de Poséidon en plus ! Même pas capable de tenir deux verres de vin ! Quel piètre héros ! Où sont-ils ces héros des temps anciens, bons viveurs et buveurs ?
Il reprit son sérieux lorsque les deux jeunes femmes lui lancèrent des regards interrogateurs.
— Ver de terre misérable, s’exclama-t-il de sa voix hypnotisante avec mépris dans un anglais britannique parfait. Vous pensez m’impressionner avec vos tours de magie à peine bon pour un cirque ambulant ? Un stylo qui devient une épée ! Je vais vous montrer ce que c’est un pro ! Mon père et mes ancêtres seront fiers de moi !
Le torse bombé de fierté, il lévita jusqu’au plafond et leva ses mains chargées de bagues aux pierres les plus onéreuses aux cieux. Dans le processus son manteau de zibeline sertis d’émeraudes, de diamants et d'améthystes tomba de ses épaules, allant choir sur le sol avec la gracieuseté d’une plume. Il chanta une incantation en slavon.
À ces paroles, la lumière de la pièce s'assombrit et l’air s’électrifia, un sceptre doré richement décoré apparut entre ses mains et tout s’immobilisa, comme si le temps lui-même s’était arrêté.
Ce sorcier serait-il un fils ou le descendant de Cronos ? songea le demi-dieu, ne parvenant même pas à bouger des yeux.
Des éclairs tombèrent autour d’eux et une noirceur les environna. L’atmosphère était oppressante. Le fils de Vélès sortit un gousli magique(11), cadeau de son père pour ses dix-huit ans, qui joua l’air d’Au clair de la Lune. Ce qui plongea dans un sommeil profond instantanément Percy et Annabeth. Seule Lou Ellen était encore debout puisqu’elle avait une résistance plus élevée à la magie que ses compatriotes. Le sorcier claqua des doigts et les deux demi-dieux assoupis disparurent, téléportés dans une cellule du donjon, voisin à celui de Vassilissa.
La fille de Hécate pointa son doigt sur le sorcier pour essayer de le transformer en cochon, mais le sort ne fonctionna pas. Le roi du Vingt-Septième Royaume sourit amoureusement à la jeune femme et lui déclama pathétiquement, main sur le cœur :
— Lena(12), la noble et belle reine de mon cœur, vos yeux sont des émeraudes et vos cheveux sont de l’obsidienne. Votre prestance m’a conquise. Je vous donne mon royaume comme gage. Vous, sans la dot, vous êtes meilleure que Cendrillon, la Belle au bois dormant, Vassilissa et Maria les Très-Belles réunies. Ensemble, nous accroîtrons la puissance du Vingt-Septième Royaume ! Notre union gréco-slave scellera ces deux nations dans le bonheur et la prospérité !
Il s’avança vers la demi-déesse et lui susurra :
— D’ailleurs, ton sortilège est inefficace sur moi ! Je peux te montrer l’immense bibliothèque que j’ai, des milliers de grimoires ! Aussi, je t’offrirai l’immortalité le jour de notre mariage ! Je connais ce secret tant convoité !
À cet instant, le Chat Savant entra en trombe, mais l’infortuné, avant même de prononcer un seul mot, fut transformé en un pourceau par le perfide enchanteur qui détourna l’envoûtement de la fille de Hécate sur lui. Au lieu d’une voix humaine, le Chat poussa des couinements affolés. Pris de panique, il courut dans tout le château, telle une poule décapitée.
Ignorant le visiteur impromptu, Kochtcheï invita Lou Ellen à rejoindre les appartements réservés aux invités. Il la raccompagna jusqu’à la porte et la laissa se reposer. La demi-déesse, au summum de l’inquiétude pour ses amis, passa une nuit blanche à fixer la suspension richement décorée.
Le sorcier, qui ne dormait pas non plus de la nuit, mais pour d’autres raisons, revint dans la salle du trône et redonna au chat sa forme première. Il lui chuchota :
— Désolé, mon vieux !
— Merci de ne pas me laisser sous cet aspect peu digne d’un chanteur à renommée internationale trop longtemps ! Très désagréable être un quadrupède à sabot, s’offusqua le félin en croisant ses pattes avant en dessous de sa poitrine.
— Ne te fâche pas ! … Que viens-tu faire chez moi, mon ami ?
— Je viens, tu sais, juste pour te dire bonjour… Bonsoir plutôt !
— Je ne te crois pas un seul instant, petit menteur, mais viens ! Viens manger et boire jusqu’à l’aube ! Tu sais que j’ai toujours faim, encore plus lorsque je trouve une belle femme !
Et les deux comparses s’attablèrent. Au milieu du repas, le sorcier, traits affaissés, murmura :
— Si seulement je pouvais tuer la monotonie ! Ces demi-dieux ne sont même pas intéressants, sauf la fille de Hécate ! Des bons à rien ! Sauf si pour tester leur valeur, je leur envoie mon vieil ami Zmeï Gorynytch avec lequel j’ai signé un traité de paix il y a plusieurs siècles. La Sorcière germanique et un petit dragon, ce n’est pas ce que j’appellerai le grand combat héroïque ! Un échauffement des réflexes, tout au plus ! Avec notre Dragon Tricéphale, j’aurai un joli match à regarder ! Plus intéressant que le foot lors du Championnat d’Europe ! …
Son interlocuteur, les yeux arrondis, se tenait la tête entre ses pattes, craignant les brillantes idées de son illustre hôte.
— … Je ferais mieux de les renvoyer avec Vassilissa Perounovna n’importe où dans l’univers, continua le tsar son monologue. Ainsi, c’est l’occasion de me débarrasser de ma prisonnière de longue date. La princesse est trop électrifiante et stricte pour moi ! C’est une aubaine !
— Je t’avais pourtant avisé qu’elle avait un tempérament digne de son père, moins affreux que Maria Morevna(13), mais pas facile à vivre ! Et tu t’es entiché des ces deux femmes !
— Ne me rappelle pas Maria !
La pièce s’assombrit brièvement.
— Sinon, enchaîna le tsar, je pourrais proposer à Lena de battre le cousin de Zmeï Gorynytch avec moi pour déployer nos forces et voler son trésor. Qu’en penses-tu ?
— Je ne sais pas. Si tu veux, vas-y ! Moi, je reviens à ma carrière qui est en péril depuis l’existence de l’IA qui imite ma merveilleuse et inégalable voix divine.
— Ne me fais pas rire mon vieil ami ! Ta voix est tellement… particulière, disons-le ainsi… qu’aucune intelligence artificielle ne peut t’imiter !
Un petit silence s’installa entre eux où le seul bruit qu’on entendait était la stridulation des criquets, avant que l’immortel sorcier ne reprenne la parole, nostalgique.
— Les Grecs me manquent ! Une joyeuse compagnie ! Je n’oublierais jamais Ulysse, ce menteur pathologique, ou Héraclès, ce fils impulsif de Zeus, au moins, c’était amusant ! Mais maintenant, ce n’est plus ce que c’était ! Apparemment, mes invités me prennent pour le méchant et toi pour un allié. Alors on continue le jeu, non ?
— Pas le choix, commenta Chat Savant en haussant les épaules. Cela me changera de mes tournées de chansons pour enfants à travers le monde.
Les deux compères se quittèrent à l’aube naissante, quelque peu éméchés. Le Chat revint dans son royaume, composant des vers et chantant au soleil et aux astres.
Kochtcheï appela le terrible Dragon Tricéphale et lui somma :
— Va dans la deuxième tour à ta droite, là-bas deux demi-dieux grecs t'attendent. Teste leur valeur ! En échange, je te donne ma prisonnière, Vassilissa la Très-Belle, vierge de surcroît. Ma parole, je le jure par mon père Vélès !
— J’accepte ! J’ai toujours ardemment souhaité avoir la dernière Romanov pour moi !
— Alors bonne chance !
Le Dragon marcha d’un pas maladroit, dodelinant d'une patte sur l’autre jusqu’à l’endroit mentionné par le sorcier. Ce dernier espionnait les deux demi-dieux en attendant que Lou Ellen le rejoigne au petit-déjeuner composé d’une brioche et d’une tasse de thé.
***
Dans la tour où étaient prisonniers Percy et Annabeth.
Réveillé par le mugissement du Dragon slave, le duo sursauta et se prépara au combat, armes dégainées, bouclier poli et javelot, certains que leur vie en dépendait. Vassilissa, dans la cellule voisine, confectionnait des vêtements à motifs orientaux. La belle et élégante prisonnière aux cheveux blond et aux yeux bleu ciel était d’un calme olympien, imperturbable toute à son travail. Sa longue robe blanche à la mode des années 1900 s’agitait avec grâce autour d’elle à ses moindre gestes.
— Il faut trouver le talon d’Achille du monstre, affirma Annabeth qui évita de peu un crachat de flammes.
Ils combattirent le monstre pendant plusieurs heures, en vain. Usant tantôt de leur tactique de bataille, tantôt de leur pouvoir de demi-dieux (manipulation d’eau sous forme de glace pour le fils de Poséidon, maniement des armes les plus diverses pour Annabeth, incluant les couteaux et l’arc), le Dragon en n’était que plus enragé mais guère affecté physiquement, légèrement blessé aux pattes et au ventre tout au plus. Les combattants sortirent de la cellule pour continuer le combat dans l’immense cour à contre-bas.
Au milieu du combat, Vassilissa, enveloppée dans un ample manteau bleu serti de pierres précieuses, entra dans la cour du couple et lança à Annabeth une chapka d'invisibilité. Elle lui murmura :
— La princesse Vassilissa Perunovna Romanova, dans sa magnanimité, vous octroie ce chapeau magique ! Allez-y braves princes !
Elle revint dans sa prison dorée et commenta ironiquement, observant la lutte :
— Ce n’est plus les princes des temps jadis ! Aujourd’hui, à deux ils sont incapables de terrasser un petit dragon de rien du tout en moins d’une heure ! Le prince n’est pas digne de ma main !
Percy tomba inconscient, épuisé, drainé d’avoir usé de ses pouvoirs sur l’eau et sérieusement blessé. Même sa capacité d’être guéri par l’élément liquide ne lui fut d’aucun secours.
« Je dois accomplir la prophétie de l’Oracle et assurer la cohésion de la Colonie. Moi, Percy, je délivre Vannessa des griffes de K., mais le Dragon n’est pas aisé à vaincre. J’aurai dû écouter Annabeth. »
Cette pensée se répétait en boucle dans la tête du demi-dieu, ressemblant à des litanies, alors qu’il demeurait allongé, terrassé par la douleur et les blessures.
Soudain, dans l'embrasure de la porte se dessinèrent Kochtcheï et Lou Ellen. Le mage slave, monta en lévitant et s’arrêta devant les demi-dieux exténués. Il leva les bras dans les airs, regard courroucé, et hurla :
— Petit dragon à trois têtes et à un cerveau ! Viens tâter un véritable héros ! L’entraînement est terminé !
Il prit une grande inspiration, fit quelques flexions de ses avants-bras pour se réchauffer et chanta d’une voix envoûtante en russe.
— Meurs, monstre, c’est dans ton rôle !
Immédiatement le Dragon s’effondra théâtralement à ses pieds, agitant ses pattes avant sur son ventre et gémit :
— Je meurs ! J’agonise ! Je meurs !
Il darda un regard narquois sur l’assistance, avant de s’allonger, mimant le mort. L’immortel sorcier, ignorant le monstre à ses pieds, applaudit chaleureusement Percy et Annabeth :
— Vous vous êtes admirablement battu contre ce Dragon ! Félicitations ! …
Le sourire de Kochtcheï s’effaça et ses yeux s’arrêtèrent sur les traits fatigués des combattants.
— … Je vous propose de vous guérir. Une fois rétabli, je vous laisse partir avec Vassilissa la Très-Belle, ou Vassilissa Perunovna Romanova pour dire son nom au complet, cette demi-déesse, fille de sang royal et de Perun ! Et je garde Lou Ellen avec moi ! Vous convient-il l’arrangement ? Je le jure sur le fleuve Smorodina et le Styx, qui sont équivalents, l’un grec, l’autre slave !
Percy et Annabeth le scrutèrent avec un regard farouche, puis le fils de Poséidon affirma d’une voix éteinte :
— On a pas le choix que d’accepter la proposition !
Un coup de tonnerre s’entendit au loin, scellant la promesse. Le sorcier sourit aux jeunes et les amena en un claquement de doigts à l’infirmerie de son palais.
Percy et Annabeth demeurèrent en convalescence pendant une semaine. Kochtcheï les soignait personnellement. Il présenta Vassilissa Perunovna aux demi-dieux de manière plus formelle et montra à Lou Ellen ses bibliothèques impressionnantes, riches en grimoires multilingues de tous les univers possibles et existants.
***
Au même moment, à Vladivostok, Russie.
Le Petit Chaperon Rouge qui suivait partiellement les aventures des demi-dieux depuis son miroir était perplexe de l’attitude de Kochtcheï. Elle fit les cent pas dans son petit appartement lorsqu’une idée lui surgit dans l’esprit. Elle appela le Loup Gris(14), son ami depuis sa première rencontre avec le Grand Méchant Loup.
— Mon fidèle ami, veux-tu amener les étrangers chez moi ? Mère-grand saura les soigner ! Lorsqu’elle sera occupée à les guérir, surveille-la pour que je puisse fouiller dans sa bibliothèque secrète où tous les noms et généalogies du monde sont dressés !
L’immense loup fit mine de réfléchir, patte avant sur son fort menton, avant de lui répondre.
— Oui je t’aiderais ! Au besoin, je mimerais ton apparence et ta voix, en mangeant quelques craies et du miel !
— Merci, l’ami !
Et la jeune femme ouvrit son livre magique pour accéder au monde des contes russes.
***
Le soir, au palais de Kochtcheï.
Le Petit Chaperon Rouge attendit son ami quadrupède dans la forêt avoisinant la demeure royale. Le Loup Gris entra, se métamorphosant en Chat Savant. Il longea le mur et monta à l’infirmerie, où seule la fille de Perun veillait sur les blessés. Les Russes se saluèrent d’un signe de tête et Vassilissa déposa la chapka magique sur la tête du Loup et l’aida à transporter les deux blessés recouvert d’un manteau d’invisibilité. Vassilissa les suivit, ravie de quitter enfin sa prison.
Kochtcheï qui connaissait le moindre geste des hôtes de sa vaste demeure était aux anges de se débarrasser si facilement du trio. Il ne fit rien, ne bougea pas le moindre doigt pour les retenir, ni ne donna une moindre directive à ses serviteurs invisibles lorsqu’il constata leur départ de son palais vers l’appartement du Petit Chaperon Rouge. Au contraire, un large sourire illumina son visage. Pour célébrer l’élégante libération tant attendue de Vassilissa de sa demeure, il fit honneur à quelques grands crus d’exception issus de sa cave.
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(6)La Brume, ou le Brouillard, dans Percy Jackson, est une force magique, un voile, qui empêche les mortels de voir les créatures mythologiques et les armes des demi-dieux et qui peut être manipulé par certains individus, dont les enfants de Hécate. Aussi, il existe des mortels clairvoyants, c’est-à-dire qu’ils discernent la réalité par-delà le Brouillard, tels sont Rachel Dare (l’Oracle, la Pythie) et la mère de Percy, Sally Jackson.
(7) Le Chat Savant, Kot Baïoun, est un immense chat-sorcier des contes russes qui a une voix enchanteresse, endormant les voyageurs et les tuant sans pitié. J’ai plutôt repris l’interprétation de Pouchkine dans son Rousslan et Ludmila, où le Chat n’est qu’un conteur hors pair, vivant dans un chêne, sans intention pernicieuse.
(8)Dans Percy Jackson, on ignore tout de l’identité du père de Lou Ellen. J’ai inventé son prénom.
(9)Dans la mythologie slave, les dieux n’engendrent pas des demi-dieux, comme dans la grecque, mais je fais une exception pour cadrer avec Percy Jackson.
(10)L’épée de Percy, nommée Turbulence, ou Anaklusmos en grec, a appartenu à Poséidon. La description faite correspond à sa manifestation dans cet univers.
(11)Un gousli est un instrument à corde des Slaves, semblable à la harpe.
(12)Lena est le diminutif russe pour Hélène.
(13)Maria Morevna est un personnage des contes russes, bogatyr (guerrier) qui est parvenue à emprisonner Kochtcheï et à l’affaiblir.
(14)Le Loup Gris est un personnage du folklore russe qui aide Ivan Tsarévitch lui servant de monture et pouvant se métamorphoser.