Malispier, «La Princesse et son dragon », traduction du russe
Chapitre 2 : Comment rendre un dragon amoureux d’une princesse ?
2290 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 10/10/2025 13:28
Plusieurs longues semaines s'étaient écoulées se traînant à la vitesse d’un escargot depuis que Sarah avait décidé avec certitude que le dragon était un très bon parti. Au début, la princesse avait pensé qu'elle avait peut-être tiré des conclusions un peu hâtives, mais finalement, elle s'était accrochée encore plus fermement à son étrange objectif : rendre le dragon amoureux d'elle. Et pourquoi, pourrait-on se demander ? La réponse s'avéra aussi simple que la structure de leur petit monde plat, mal pensé, comme s'il avait été créé à la hâte par Dieu.
C'était presque son unique bien, peu importe qu'il soit loué à long terme jusqu'à l'échéance du contrat. Sarah savait que certains achetaient ainsi des cabanes d'une pièce dans des villages isolés. Ce n’était pas grave. Le dragon était fort et pouvait la protéger, c'est certain, et quelle importance qu’il dorme avec un masque duveteux sur les yeux, l'essentiel est que ce masque soit fait de la peau des ennemis vaincus. Il lui prêtait de l'attention, ça oui, même il provoquait des frissons en l’observant parfois par la fenêtre la nuit. Il avait simplement peur qu'elle s'enfuie ! Et si Sarah cessait ses tentatives d’évasion, la nécessité de la surveiller disparaîtrait naturellement, cela semblait parfaitement logique ! Il lui offrait des cadeaux... Mais non, il vaudrait mieux qu'il ne les offre pas, ces robes des jeunes beautés dévorées, ni ces bijoux obtenus par chantage auprès des pays voisins... Mais bon, l'essentiel, étant qu’il ramenait tout dans le foyer ! Et le plus charmant, c'est qu'Aaron n’exigeait rien en échange, il se contentait de boire parfois du thé au jasmin en sa compagnie.
Une seule chose attristait la princesse : aucune de ses tentatives pour séduire le dragon n'avait abouti. Il y avait une erreur quelque part dans son plan. Sarah étudia tous les contes trouvés au château et appliqua presque toutes les techniques qui y étaient décrites.
La première tentative fut tout simplement ridicule. Convaincue de la véracité de l'histoire de Blanche-Neige, la princesse croqua une pomme juteuse devant Aaron et tomba à terre, secouée de convulsions. Elle en fit trop et se fit mal en tombant. Elle aurait continué à se tordre longtemps, mais le dragon, pour s'amuser, balaya d'un coup de queue l'énorme tapis de neige qui recouvrait le toit en pente. Sarah pouvait encore supporter la douleur, mais le froid lui fit rapidement sortir de pâmoison. Pâmoison de l’amour, bien sûr. Amoureux... Ah, Aaron, drôle de galopin aux ailes rouges.
Suivre le deuxième conte s'était avéré nocif pour la santé. Trouver un fuseau dans un immense château n'était pas une tâche difficile : le lézard en avait pris trois cents à une folle à cornes. Après s'être piquée le petit doigt, Sarah avait traîné le rouet jusqu'au jardin, où le dragon ronquait souvent, puis elle s'était envolée comme une flèche jusqu'à sa chambre et s'était couchée pour l’attendre. Elle avait attendu longtemps. Elle s'était endormie, mais après s'être bien reposée, elle avait remarqué que la blessure s'était infectée. Son doigt était horriblement gonflé et rouge. Ne trouvant pas de meilleure solution, la princesse demanda de l'aide à Aaron et écouta longuement ses remontrances sur le fait que ces fuseaux étaient désormais une mode dangereuse.
La troisième tentative fut également infructueuse. Souhaitant reproduire le succès d'un brave jeune homme, Sarah tira maladroitement avec l'arc qu'elle avait trouvé dans l'armurerie. La flèche devait atterrir près d'Aaron et devenir le symbole de la passion et du destin, mais elle atteignit directement le derrière du dragon. Sarah ne savait pas comment cela s'était terminé : effrayée par la responsabilité, elle s'était précipitée dans les couloirs poussiéreux.
Pour la quatrième, sa poursuite effrénée de son fiancé avec un fragment de miroir n'avait pas non plus donné de résultats : le dragon s'envolait, couvrant de ses pattes avant sa gueule assombrie par l'horreur.
La cinquième tentative fut la dernière. Le vœu de silence, inspiré par l'exemple d'une sirène imprudente, ne fit qu’inquiéter Aaron. Il apportait à Sarah toutes sortes de petits cadeaux pour égayer la pauvrette.
Affalée sur une table dans la bibliothèque, la princesse contemplait le plafond d'un air maussade. Elle avait l'impression que toutes les lignes sur la pierre irrégulière se confondaient pour former une tête de dragon. Se souvenir de ses erreurs et de ses échecs n'était pas seulement très agréable, mais également terriblement honteux.
— Perceval, dit la princesse en s'adressant au squelette soigneusement installé à table, dont la tête avait été recollée au corps à l'aide d'un ruban adhésif magique. Que lui faut-il de plus ? Je suis intelligente, plutôt jolie…
Perceval inclina la tête avec un craquement : le ruban autour de ses vertèbres cervicales, de son front et de ses orbites se tendit, prêt à se rompre et à laisser le pauvre héros se démembrer à nouveau. Sarah jeta un regard en coin au chevalier et hocha la tête d'un air compréhensif, comme si tout cela lui avait fait comprendre quelque chose dans cette situation. Puis elle tourna les yeux vers la bibliothèque et s'écria :
— Les mâles et les femelles dragons !
— C'est un dragon, pas un prince ! s'écria la princesse en se levant brusquement, réalisant cette simple vérité, et se précipitant vers le livre. Il faut penser autrement, sortir des sentiers battus !
Le manuscrit était énorme... et délabré. Sans aucun doute un trésor ! Après avoir péniblement sorti le traité de l'étagère, Sarah le jeta sur la table. Un bruit indescriptible retentit. Une couche de poussière vieille de plusieurs siècles s'envola de la couverture, forma un nuage qui monta jusqu'au plafond, puis retomba lentement sur le sol. Les trois heures passées à chercher quelque chose d'intéressant dans ce recueil d'images plus ou moins mauvaises et grivoises n’ont pas été vaines !
Un rire féminin malveillant retentit dans la bibliothèque, puis se propagea dans le couloir sombre et froid, résonnant dans tout le château. Une terrible tempête se leva au même moment, assourdissant par ses hurlements démoniaques Aaron qui volait tranquillement au-dessus du palais.
***
Une semaine et demie plus tard, Sarah, pleine de détermination, décida de porter un coup fatal à l'invulnérabilité du dragon. De nuit, inspirée par les images du livre et quelques romans populaires sur les dragons et les princesses, elle se rendit dans l'antre d’Aaron. C'était une petite trésorerie, jonchée d'or et d'argent, de pierres précieuses et d'artefacts magiques, et au sommet de ce tas de butin, Aaron était allongé, contemplant joyeusement les objets brillants.
— Aaron ! s'écria la princesse en tremblant et en s'enveloppant dans un long manteau de fourrure. Descends vers moi, ta souveraine, ô majestueux lézard, lumière de mon âme !
— Pardon ?
Le dragon resta bouche bée en regardant la princesse, se gratta la tête avec sa patte griffue et se pencha, tendant le cou pour voir, depuis la montagne de joyaux, autre chose qu'un simple point roux. Sarah retenait son manteau d'une main et serrait un bout de papier de l'autre.
Après s'être éclairci la voix, elle continua, mais cette fois en dragon, lisant sans scrupule la feuille jaune :
— Incline-toi devant moi, mon frère.
— Mon frère ?
Au lieu de rire, Aaron expira maladroitement un léger nuage de fumée vers Sarah.
Tout en continuant à tenir sa cape, la princesse approcha la feuille de ses yeux et jura aussi poliment que possible, en utilisant des formules étranges et alambiquées. C'était ainsi que l'on faisait dans la haute société.
— Esclave ! dit-elle en prononçant ce mot qui avait la même consonance en dragon que Frère. Oui, incline-toi devant moi, esclave !
La jeune femme mit en pratique ce qu'elle avait lu dans le livre : elle ôta brusquement sa cape. Les écailles déjà rougeâtres de la gueule d'Aaron prirent une couleur plus intense. Devant lui, vêtue uniquement de ses sous-vêtements, ou, comme diraient les valkyries débauchées, une blindgerie, une armure d’écailles, Sarah se tenait là, frissonnant de froid.
C'était simple : pendant la période d'accouplement, les femelles dragons se comportaient de manière très libertine et dominante. La princesse avait adopté ce modèle de comportement. Pendant trois nuits, elle avait minutieusement cousu les écailles ramassées dans les lieux de séjour de son bien-aimé afin de confectionner cette tenue assez extravagante.
Et comme les écailles de l’armure naturelle du dragon étaient plus durs que l'acier, il avait fallu voler l'épée d'un certain Arthur dans le trésor.
— Je réclame ton... s'écria Sarah dans un dragon approximatif, puis elle consulta la feuille, écarquilla les yeux, rougit et continua : Ta graine ?
— Mon Dieu, Sarah !
Aaron se couvrit les yeux avec ses pattes.
— Mets quelque chose sur toi et tais-toi, je t'en supplie…
Soudain, il fit très chaud dans le trésor. Même le froid glacial de l'hiver, qui pénétrait par l'énorme trou dans le plafond, se retira précipitamment. Les pièces d'or sous le lézard fondirent sur les bords. Une amère déception mêlée d'une vive offense apparut sur le visage de la princesse. Elle s'affaissa instantanément, souleva prudemment son manteau de fourrure, le jeta sur ses épaules et s'assit sur un rocher, dos au dragon.
Aaron retira lentement ses pattes de son museau et montra les dents :
— J'ai tout compris, princesse ! tenta-t-il de plaisanter. Tu voulais endormir ma vigilance et t'enfuir.
Sarah ne réagit pas à cette blague apparemment drôle. Mais qui pouvait bien la trouver drôle ? À part peut-être Sir Perceval, mais c'était parce qu'il était mort depuis longtemps et ne pouvait plus l'entendre.
— Aaron, nous nous connaissons depuis tant d'années, commença Sarah en soupirant langoureusement, je suis une femme, tu es un dragon mâle, qu'y a-t-il de mal à cela ? Tu es gentil, aimable, attentionné, et, moi, je suis vieillissante, mais néanmoins une princesse…
— C'est justement ça, Sarah, tu es quand même une princesse et tu as besoin d'un prince, répondit Aaron calmement, soufflant de l'air chaud sur la jeune femme. Et moi, je suis un dragon.
Ah, ces princesses et ces dragons ! Trop d’honneur pour des stéréotypes stupides : pourquoi le majestueux reptile devrait-il garder la belle au lieu de vivre heureux avec elle ? Qui a inventé des règles aussi stupides et inutiles ?
— Mais je ne veux pas de prince, dit Sarah en se tournant vers Aaron, l'air renfrogné. Je veux un dragon, c'est tout ! J'aime le dragon, c'est tout !
Elle s'enveloppa davantage dans son manteau, même s'il faisait déjà très chaud dans la salle du trésor.
— J'ai ramassé ces écailles, j'ai sorti l'épée de la pierre pour faire des trous dedans, et sur ce rocher, il était écrit : Pour Arthur !... Je suis une voleuse !
Le dragon s'allongea de manière à ce que son museau toucha presque la pierre sur laquelle était assise la princesse. Il croisa ses pattes avant sous sa mâchoire inférieure et écouta longuement l’histoire des difficultés que Sarah avait rencontrées pour venir ici, qui plus est dans une tenue aussi provocante, hochant légèrement la tête lorsqu'elle le traitait d'imbécile et d'insensible.
— …Alors, ça suffit les jeux, oui ou non ? ! conclut la jeune femme son monologue.
— Je n'ai ignoré tes avances et tes manœuvres que pour une seule raison, commença Aaron sans détour. C'est simplement parce que tu n'as pas vu d'hommes vivants de ton espèce depuis longtemps.
Sarah se frappa le front, laissant une marque rouge vif.
— Mais bon Dieu, je t'aime ! cria la princesse.
— Tu ne peux pas m'aimer ! répondit le dragon en détournant timidement le regard. Mais il n'y parvint pas : essayez donc de perdre de vue de tels yeux.
— Oh mon Seigneur, oui je t'aime ! s'écria Sarah.
Une telle pression aurait déconcerté non seulement le lézard ailé, mais aussi le Dieu maintes fois mentionné. Aaron poussa un profond soupir, remplissant la pièce d'une fumée épaisse mais non irritante pour les yeux, voulut cacher ses écailles encore plus rouges qu'auparavant.
— T’en es sûre ? chuchota-t-il.
Sarah jura à nouveau dans un langage aristocratique et cria sa déclaration d'amour, déjà répétée à maintes reprises. Une longue langue fourchue apparut soudainement des volutes de fumée épaisse et tourbillonnante. Surprise, la princesse se figea et, l'instant d'après, se retrouva léchée du nombril jusqu'au sommet de la tête.
— Chaque dragon aime aussi sa princesse..., balbutia Aaron, embarrassé, avant de faire à nouveau un bisou à sa bien-aimée. Enfin... du mieux qu'il le pouvait.
Sarah tomba de la pierre, toute couverte de la salive visqueuse du dragon. La sensation était étrange, un peu dégoûtante, mais en même temps agréable. Cependant, c'était plutôt inconfortable, mais pas à cause du baiser en lui-même…
— Nous y travaillerons encore... dit la princesse d'un ton las en s'essuyant le visage avec son manteau.