Malispier, «La Princesse et son dragon », traduction du russe
Chapitre 3 : Comment transformer une ruine antique en château des contes de fées ?
2113 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 21/10/2025 13:32
Le temps s'écoulait inéluctablement, sans s'arrêter. L'hiver glacial avait laissé place à un printemps doux et prometteur. Les congères autour du château fondaient peu à peu sous les premiers rayons d'un soleil qui reprenait des forces. Les oiseaux revenaient peu à peu des contrées chaudes et s'installaient près des hautes flèches du palais qui, à la surprise générale, résonnaient désormais de rires joyeux.
Cette histoire d'amour, bien réelle et non inventée par des contes idiots, avait traversé de nombreuses difficultés.
C'était dur d'être la petite amie d'un dragon ! L'aimer, c'était facile, mais obtenir son attention en retour, était bien plus compliqué. Il ne savait clairement pas comment se comporter, et Sarah n'était pas vraiment calée sur le sujet non plus. Mais une petite voix intérieure lui disait que demander à une princesse de l'accompagner pour piller un village était un peu déplacé. Quoi qu'il en soit, les loisirs étaient les loisirs. L'essentiel, c'était de les partager !
Chez les gens du peuple, cette femme rousse vêtue d'une longue cape cachant son visage sous une capuche commençait à être connue comme une puissante sorcière.
Les baisers, les marques d'affection physique, tout cela s'était naturellement intégré dans la vie du couple nouvellement formé. Aaron ne léchait plus Sarah de la tête aux pieds, mais se contentait désormais de toucher du bout de sa langue sa joue. Le régime alimentaire du dragon avait également changé : à la demande de sa bien-aimée, à contrecœur, il avait commencé à se nourrir non plus de chair humaine, mais d'autres viandes qu'il chassait péniblement dans la forêt voisine.
***
Ces derniers jours, la princesse se promenait plus souvent dans les couloirs, observant les murs délabrés, les cadres de tableaux penchés et carbonisés par endroits, les squelettes rongés par les rats. Bien sûr, elle ne le faisait pas seule, mais en traînant Sir Perceval par la main. Il n'était pas seulement un accompagnateur, mais aussi un assistant utile : lorsqu'il rencontrait des irrégularités dans le sol, il se mettait à trembler et à perdre des pièces. Sarah notait ces endroits dans l'espoir de tout réparer rapidement.
Le désir d'améliorer un peu leur nid familial n'était pas apparu tout de suite, car la princesse elle-même s'était déjà habituée à la dévastation et au chaos autour d'elle. Mais parfois, elle songeait que de somptueux rideaux s'intégreraient parfaitement au décor, que le trou dans le toit pourrait être recouvert de vigne et que Perceval méritait enfin d'être enterré, ou du moins qu'on devrait lui construire un cercueil dans le sous-sol. Et puis, on pourrait reproduire quelques scènes épiques sur les murs…
Perceval se retrouva traîtreusement abandonné dans l'un des couloirs, tandis que Sarah, trébuchant sur l'ourlet de sa longue robe neuve-ancienne, se précipita dans l'antre d'Aaron.
Le dragon était allongé sur une montagne de trésors, les lunettes sur son nez reflétaient le scintillement des pièces d'or, et juste devant son museau flottait un petit bouquin dont Sarah ne voulait même pas lire le titre. Aaron toussa et, d'un mouvement brusque de la patte, repoussa le livre loin de lui lorsque sa bien-aimée sortit en courant de derrière une colonne à moitié effondrée.
— Chérie, fais attention, tu vas tomber !
Il traça une forme dans les airs avec sa patte, et Sarah, enveloppée d'une lueur magique, s'envola dans les airs. Les premières fois, la princesse s’était mise à hurler, mais elle s'habitua rapidement à ces vols spontanés et se contenta de retenir des deux mains l'ourlet de sa robe pour éviter qu'il ne dévoilât ses parties les plus intimes. Et elle ne fut pas du tout gênée par le fait d’avoir récemment rendu visite à Aaron vêtue uniquement d'une blindgerie.
— Où cours-tu ma puce ?
Aaron embrassa délicatement Sarah qui venait de s'approcher de lui.
— Nous devons faire des travaux de toute urgence !
— Des travaux ? grimaça le dragon. Pourquoi ?
— Je suis lasse de vivre dans le désordre ! dit-elle en faisant la moue. Enfin, pas vraiment lasse, mais j'aimerais simplement que notre palais soit plus beau !
La princesse s'apprêtait déjà à avancer des dizaines, voire des centaines d'arguments et de raisons farfelus, mais le dragon de manière inattendue accepta. Même si l'on pouvait lire dans ses yeux une certaine incompréhension mêlée d'une légère appréhension.
Après s'être rapidement préparée, Sarah enfourcha Aaron, grimpant avec beaucoup de difficulté sur son dos puissant. Elle montait en s’agrippant aux écailles comme un véritable alpiniste. Pour autant que les alpinistes gravissent les sommets vêtus d’une jupe, bien sûr. Le dragon se contentait de rire en se demandant pour la énième fois si la princesse allait avoir l'idée de grimper sur son dos en passant par sa queue. Se rendre quelque part était en soi une tâche difficile, mais pas quand on était capable d'apprivoiser un puissant lézard.
Il fallut une demi-heure au couple pour atteindre la ville la plus proche. Pendant le vol, la princesse ne s'agrippait plus aux grosses excroissances sur le cou d'Aaron, mais profitait du moment, écartant les bras de temps à autre. Elle savourait le sentiment de supériorité qu'elle éprouvait après avoir conquis les cieux. Même si elle ne volait pas d’elle-même, elle se sentait libre. Même le vent froid qui lui fouettait le visage ne la dérangeait plus : elle fermait simplement les yeux et imaginait toutes sortes d'images dans sa tête.
Les citadins s'agitèrent dès qu'ils virent leur silhouette approcher : des cris et des pleurs d'enfants retentirent. Aaron ricana bruyamment et cracha un jet de flammes rouge-orange sur la première maison qu'il aperçut, d'où sortit en courant un vieil homme.
— Pourquoi le faire ? demanda Sarah en plissant les yeux, intriguée.
— Il ne convient pas, expliqua Aaron à voix basse en atterrissant. Elle gâche l'aspect général de l’endroit.
— Hum, la princesse réfléchit en regardant la cabane en bois s’enflammer. Oui, c'est vrai, elle était un peu incongrue.
Au son des poutres consumées qui s'effondraient et du crépitement du feu, Aaron utilisa sa magie pour aider sa bien-aimée à descendre sur terre. On entendait des cris étranges évoquant une sorcière, une dompteuse de dragons et que le roi des démons lui-même était venu pour récolter des âmes innocentes ! Sarah fronça les sourcils en jetant de temps en temps des regards au dragon, qui semblait clairement amusé. Éprouvait-il du plaisir à entendre ces cris ? Peut-être.
— Aaron, mon chéri…
— Attends…
Le dragon toussota maladroitement, rassemblant ses pensées, étira son long cou, porta sa patte à sa gorge et rugit incroyablement fort :
— Je vais vous dévorer, misérables mortels !
Sarah poussa un profond soupir et se mit à gesticuler activement, murmurant quelque chose, comme si elle expliquait à Aaron ce qu'il fallait faire. Quelque part, en retrait, les paysans couraient dans tous les sens, les chevaliers se rassemblaient en petits groupes derrière les maisons, réfléchissant à un plan d'action. Cependant, le couple ne semblait pas préoccupé par le chaos extérieur. La princesse, telle un savant fou, agitait les mains en l'air, dessinant des figures étranges. Le dragon acquiesçait d'un signe de tête compréhensif : une plume et un petit livre apparurent à côté de lui où les notes s'écrivaient d'elles-mêmes.
Les gardes en armures se précipitèrent vers les agresseurs qui discutaient tranquillement, mais Aaron les remarqua du coin de l'œil et, d'un léger coup de queue, repoussa la rangée ordonnée de chevaliers de plusieurs mètres.
— Tu saisis maintenant comment faire ?
Sarah, haletante, fronça les sourcils, car Aaron n'avait manifestement pas compris : elle se demandait parfois comment il arrivait à se débrouiller sans elle.
— Davantage d'expressions ! Je vais te le montrer !
Aaron suivit le conseil de la princesse et, se redressant fièrement, frappa de sa patte énorme le bâtiment en pierre voisin qui s'effondra instantanément. Les débris de la maçonnerie débarrassée de la neige soulevèrent un nuage de poussière. Il faut toujours de la poussière pour créer un effet plus dramatique ! Le rideau dissimula une petite silhouette féminine. En rabattant sa capuche sur son visage, Sarah sortit de son abri de retombées qui se dissipait déjà, tandis que le dragon, pesant, se plaçait derrière elle et posait sa tête sur l'épaule de sa complice.
Sarah passa délicatement sa main pâle sur les écailles brûlantes et regarda les chevaliers se relever.
— Les flammes du monde souterrain vous détruiront, imbéciles, dit la princesse d'une voix délibérément rauque. Vous brûlerez dans une agonie éternelle, misérables, tant que ma volonté restera inébranlable...
Elle désigna d'un geste théâtral les habitants du village et les gardes qui se cachaient.
— Je vous maudis, ignobles créatures, descendants de mes ennemis ! Récolte leurs âmes, dragon ! Qu'ils souffrent à mon service même après leur mort…
Ce rire démoniaque gêna un peu Aaron. Sarah continuait de rigoler de bon cœur, laissant s'exprimer tout ce qu'elle ne pouvait pas montrer à son bien-aimé.
— Du sang, du sang ! Plus de sang et de souffrances ! cria-t-elle en levant les mains vers le ciel. Qu'après leur mort, leurs squelettes me construisent un palais !
Aaron rugit, crachant une épaisse fumée par les narines, et sa silhouette déjà imposante devint encore plus grande, dominant la sorcière comme un gardien titanesque.
— Ils n'ont rien à m'offrir, qu'ils brûlent donc !
Le dragon était un peu effrayé par ce qui se passait, et pendant une seconde, il pensa qu'il valait mieux se débarrasser de tous les romans populaires et grand public du château, mais il ouvrit docilement la gueule et une flamme encore contenue brilla au fond de sa gorge. Les chevaliers se mirent en position, bien qu'ils ignoraient pourquoi : qu’ils attaqueraient ou pas une telle créature, le résultat resterait le même.
— Ô puissante sorcière.
Les chevaliers s'écartèrent pour laisser passer un petit vieil homme bossu vêtu d'habits coûteux.
— Épargne-nous, ne nous punis pas pour les péchés de nos ancêtres…
Dans la foule qui se cachait, on entendit un murmure indistinct :
— Mais nous venons juste d'emménager ici !
— Épargne nos vies ! s'écria le bossu, vraisemblablement le maire en tombant à genoux. Nous vous servirons du mieux que nous pouvons…
— Mon palais se trouve au Nord, dit Sarah avec un sourire prédateur.
Sans aucune crainte, elle s'approcha du vieil homme, le prit par le menton et continua :
— Envoyez-moi les meilleurs architectes, des hommes forts, des serviteurs…
Sans sortir de son rôle. Sarah énuméra tous les postes vacants.
— …Et trente jeunes filles... Alors je préserverai vos misérables vies, vieillard. Vous avez une semaine, sinon…
Comme s'il avait compris qu'il était temps d'agir, Aaron battit des ailes, s'éleva au-dessus du sol et cracha du feu, incendiant plusieurs bâtiments derrière les gardes. Sarah, avec un haussement d'épaules hautain, agita sa cape et, entourée de la puissance magique du dragon, s'éleva dans les airs en riant méchamment. Le dragon l'installa sur son dos et s'envola.
***
Dans le château, allongé dans un petit jardin prêt à fleurir et riant joyeusement de la situation, Aaron s'adressa avec une certaine crainte à Sarah qui se prélassait dans les bras chaleureux du dragon :
— Peut-on ne pas rénover mon repaire ?
— Oui, c’est possible, sourit Sarah. Au début, je voulais tout réorganiser, mais quand tu t'es renfrogné pendant que nous en parlions, j'ai compris que ce n'était pas nécessaire.
Aaron sourit en imaginant l’étrange beauté du chaos et de l’ordre réunis.
— Tu es un dragon, je ne veux pas t'humaniser, idiot, dit Sara en embrassant son amoureux quelque part sous l'œil. Tu aimes être effrayant. Mais tant que tu n'auras pas perdu encore quelques kilos, pas de chevaliers trop caloriques, compris ?
***
Une semaine plus tard, des architectes et des serviteurs de toutes sortes arrivèrent au château.